Besancenot espionné, les liens incestueux entre policiers et
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Besancenot espionné, les liens incestueux entre policiers et
1 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr violemment au Taser, le pistolet à impulsion électrique censé équiper une partie de la police française. Selon Besancenot, qui s’appuie sur un rapport d’Amnesty International, l’arme serait responsable de plusieurs centaines de morts aux États-Unis. Besancenot espionné, les liens incestueux entre policiers et barbouzes en procès PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 28 NOVEMBRE 2012 Une enquête d'Emmanuel Fansten C’est un procès emblématique qui doit s’ouvrir, ce jeudi, à Paris. Pendant une semaine, dix personnes vont comparaître devant le tribunal correctionnel pour leur responsabilité présumée dans l’espionnage, entre 2007 et 2008, de l’ancien candidat à la présidentielle Olivier Besancenot. Parmi eux, trois anciens policiers devenus détectives, un agent des impôts, un autre des douanes, un brigadier major et un commandant de la police judiciaire de Versailles détaché auprès du Crédit lyonnais. Tous sont soupçonnés d’avoir participé, de près ou de loin, à l’opération qui a visé le leader d’extrême gauche et son entourage. Antoine di Zazzo © dr En France, le Taser est commercialisé par SMP Technologies, une société dirigée par Antoine di Zazzo. Furieux de voir Besancenot s’acharner sur son produit phare, di Zazzo décide de contre-attaquer au printemps 2007 en poursuivant son adversaire en diffamation. Mais pour lui faire délivrer une assignation, il lui faut d’abord son adresse personnelle, introuvable sur internet. Plusieurs rapports confidentiels, que Mediapart s’est procurés, témoignent de cette surveillance digne d’un autre temps. On y découvre le solde des comptes bancaires d’Olivier Besancenot et de sa compagne, l’immatriculation de leur véhicule, les relevés cadastraux de leur appartement, l’adresse de l’école maternelle de leur fils ainsi que des renseignements extrêmement précis sur leurs habitudes. Par l’intermédiaire de son avocate, le patron de Taser va donc mandater un cabinet de détectives pour dénicher l’information. Au sein de la petite agence, ils sont deux à se partager les tâches. Son patron, Gérard Dussaucy, un ancien policier, et Sophie Batana, sa collaboratrice recrutée sept ans plus tôt alors qu’elle était encore étudiante en comptabilité. C’est elle qui est chargée de “loger” Olivier Besancenot. Après s’être renseignée au cadastre, la jeune femme se rend à l’adresse indiquée et attend qu’un voisin entre dans l’immeuble pour se faufiler derrière lui. À l’intérieur, elle prend en photo la boîte aux lettres sur laquelle est inscrit le nom de Besancenot. Que des cabinets spécialisés soient grassement payés pour suivre des individus jusqu’à leur domicile n’est pas vraiment une nouveauté. Mais plus que les pratiques de certains détectives, l’instruction a surtout mis en lumière un véritable système dans lequel des policiers en activité divulguent en toute impunité des renseignements protégés à des officines. Dans le jargon, on appelle ça la « tricoche » : obtenir des informations tirées des fichiers de l’État pour s’en servir dans le privé. Une pratique parfaitement illégale mais encore largement répandue dans les rangs de la police. Facturée un peu plus de 500 euros, la mission aurait pu s’arrêter là. Mais quelques semaines plus tard, au détour d’une conversation avec Gérard Dussaucy, Antoine di Zazzo évoque de vieilles rumeurs sur le leader d’extrême gauche. Ce dernier serait bien plus riche qu’il n’y paraît et posséderait même une Porsche Cayenne. Il s’agit surtout d’informations relayées par des sites d’extrême droite mais di Zazzo aimerait en Tout commence en novembre 2006, sur le plateau du Grand journal de Canal +. Candidat de la LCR, en pleine campagne pour l’élection présidentielle de 2007, Olivier Besancenot est invité à s’exprimer sur une série de sujets d’actualité. Ce soir-là, il s’en prend 1/5 2 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr avoir le cœur net. Très vite, le privé comprend l’intérêt d’une telle situation et les contrats qui pourraient logiquement en découler. surtout chargées des filatures et des enquêtes de voisinage. Et les sous-traitants spécialisés, sollicités pour des audits ou des recherches financières. Un système parfaitement cloisonné. Gérard Dussaucy se targue d’ailleurs de ne jamais solliciter directement un policier en activité. Trop risqué. « Je suis toujours passé, pour ce type de demandes, par l’intermédiaire d’une officine que je paie pour ça », précisera-t-il plus tard, face aux policiers. Un Who’s who du renseignement et des affaires Passé par la Brigade de répression du banditisme (BRB), les Renseignements généraux et l’Inspection générale des services (IGS), Gérard Dussaucy est tout sauf un inconnu dans le petit monde de l’investigation privée. Après avoir quitté la police, il a démarré dans le milieu aux côtés de Claude Bardon et Jacques Genthial, respectivement anciens patrons des RG et directeur central de la PJ parisienne. Dans l’affaire Besancenot, l’officine en question s’appelle Arcole, un petit cabinet situé en banlieue parisienne qui travaille régulièrement pour Dussaucy. Son patron, Michel Rolland, est aussi un ancien policier. Parmi les nombreuses prestations proposées par son agence, des « recherches comptes bancaires particulier » facturées 850 euros. Évidemment, Michel Rolland se garde bien de préciser comment il obtient de tels renseignements. Lorsqu’il fonde son propre cabinet, quatre ans plus tard, Dussaucy ne manque pas de mettre régulièrement en avant ce parrainage prestigieux pour impressionner ses contacts. Comme beaucoup de sociétés du même type, son agence propose alors des services très variés : surveillance et filatures, enquêtes commerciales, audits de sécurité, conseil en intelligence économique… Un spectre étendu qui lui permet de toucher une clientèle très large d’entreprises et de particuliers. Avec deux autres collègues détectives, le patron d’Arcole se partage toute la région parisienne. Deux ou trois départements chacun, par zones de compétence. Le plus efficace de ces limiers s’appelle Yves Beauvois, dit « Max ». À presque 70 ans, ce détective à l’ancienne, informateur occasionnel des douanes, aime brouiller les pistes. Certains le présentent comme un huissier de justice. D’autres murmurent, sans preuve, qu’il mènerait des enquêtes discrètes pour le parquet de Nanterre. Avec lui, l’affaire Besancenot prend une coloration plus politique. Signe de cet éclectisme, le carnet d’adresses du détective en dit long sur l’ampleur des réseaux tissés au cours de sa double carrière. PDG, commissaires de police, consultants des plus prestigieux cabinets d’intelligence économique, cadres de principales entreprises françaises, agents de la DST (ex-DCRI), directeurs de la sécurité des grands palaces parisiens ou simples détectives : son répertoire est un véritable Who’s who du renseignement et des affaires. Ancien de la 1re DPJ, Yves Beauvois a participé à la traque de certains activistes d’Action directe au début des années 1980, dont Jean-Marc Rouillan. À l’hiver 2007, ce dernier obtient une liberté conditionnelle, une initiative soutenue publiquement par Olivier Besancenot. Pour Beauvois et d’autres, l’affaire est alors vécue comme une provocation. Une raison suffisante pour justifier son intérêt pour le leader trotskiste ? Sur la trace de la Porsche qui n'existe pas... Avec son ami Michel Rolland, Yves Beauvois va en tout cas contacter plusieurs fonctionnaires en activité à ce sujet. Un agent des impôts est ainsi sollicité pour trouver l’adresse fiscale d’Olivier Besancenot. Puis un O. Besancenot © Reuters À l’époque, le cabinet Dussaucy travaille avec une quinzaine de sous-traitants divisés en deux catégories. Les sous-traitants « terrain », des petites mains 2/5 3 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr brigadier major du commissariat de Mantes-la-Jolie (Yvelines) est prié de fouiller dans le fichier national des automobiles (FNA). Enfin, un officier de PJ, en poste à la Direction nationale des enquêtes douanières (DNRED), est chargé d’identifier les différents numéros de comptes bancaires de Besancenot et de sa compagne grâce au fichier Ficoba. À chaque fois, ces fonctionnaires expliqueront avoir agi par amitié ou pour rendre service à un ancien collègue. À la tête d’une équipe d’une trentaine de personnes, Bodenes est également le correspondant attitré de Tracfin, organisme rattaché à Bercy pour lutter contre le blanchiment. C’est son prédécesseur à ce poste, policier comme lui, qui lui a présenté Gérard Dussaucy. Fin 2006, le détective rend une première visite à Christian Bodenes dans son bureau du Crédit lyonnais, à la Défense. Lors de ce rendez-vous, il se présente comme un ancien de la maison ayant travaillé à la BRB. Puis il évoque son parcours dans le privé et ses premiers pas aux côtés de Genthial et Bardon. Comme souvent, la référence à ces deux grands noms de la police fait son petit effet. Christian Bodenes imagine bien que Dussaucy risque un jour de lui demander des renseignements, mais il se sent en confiance. Au cours des semaines suivantes, tous ces renseignements figureront en bonne place dans les rapports rédigés par Gérard Dussaucy. Mais absolument rien ne permet de piéger Besancenot. Sur le terrain non plus, les filatures ne donnent rien. Au cours des nombreuses planques effectuées à proximité de son domicile, jamais l’homme politique ne sera aperçu dans une Porsche Cayenne. La seule fois où il est surpris au volant d’un véhicule, il s’agit d’une Peugeot 206 en mauvais état avec une galerie sur le toit… Quelques mois plus tard, les deux hommes se retrouvent pour déjeuner dans un restaurant du centre de Paris, derrière la place Vendôme. Dussaucy est venu avec sa collaboratrice, Sophie Batana. Le courant passe très bien. Entre la poire et le fromage, le détective s’aventure à poser quelques questions sur les bases de données permettant d’effectuer des recherches sur les sociétés. Mais jusqu’ici, rien d’illégal. À la fin du repas, Dussaucy paye naturellement l’addition. Peu après, un nouveau rendez-vous est fixé dans un restaurant de la porte Maillot. Cette fois, Sophie Batana est seule. Au cours du repas, la jeune femme tend au policier un document imprimé à l’en-tête « Olivier Besancenot ». À l’intérieur, une liste de plusieurs comptes bancaires appartenant à l’homme politique et à sa compagne. Le document évoque également la fameuse Porsche Cayenne, dont l’un ou l’autre pourrait être propriétaire. Sophie Batana cherche alors à savoir si des éléments permettent de confirmer cette information ou bien si l’un des comptes a enregistré un virement suspect. A. di Zazzo © dr Déçu, le patron de Taser aimerait au moins savoir combien gagne Olivier Besancenot afin d’évaluer les dommages et intérêts à lui réclamer en justice. Gérard Dussaucy possède déjà ses numéros de comptes grâce au Ficoba fourni par ses sous-traitants, mais ces fichiers ne contiennent aucune indication sur les soldes. Pour ça, il faut une taupe au sein même de la banque. Ça tombe bien : Dussaucy en a peut-être une. Ancien chef adjoint de la PJ financière de Versailles, Christian Bodenes est à l’époque détaché auprès du Crédit lyonnais. Comme toutes les grandes banques, le Lyonnais compte dans ses rangs des policiers mis en disponibilité pour assurer la sécurité financière de l’établissement et mener des enquêtes internes en cas d’escroqueries ou de chèques falsifiés. Le mystère de Perspective 21 De retour à son bureau, Christian Bodenes pianote tous les numéros de comptes sur son clavier. Mais rien d’anormal n’attire son attention. Aucune trace non plus d’un quelconque financement de véhicule 3/5 4 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr haut de gamme. Dix jours plus tard, le policier retrouve Dussaucy et Batana au Drugstore Publicis des Champs-Élysées afin de leur livrer les résultats de ses recherches. Les versions divergent sur la teneur exacte de ce rendez-vous. Patrick Moigne, révoqué de la police pour avoir vendu des informations confidentielles à un grand cabinet d’intelligence économique. Son procès doit se tenir en janvier 2013. Alors que Manuel Valls a annoncé son intention de faire le ménage dans plusieurs services, l’affaire Besancenot vient donc rappeler la persistance de liens incestueux entre barbouzes reconvertis et policiers en activité. Contrairement à ses convives, le policier du Crédit lyonnais a toujours nié avoir divulgué le solde exact des comptes bancaires. Le mois suivant, pourtant, tous apparaîtront au centime près dans le dernier rapport rédigé par Gérard Dussaucy. Poursuivi pour « violation de secret professionnel », Christian Bodenes a rejoint depuis la sécurité financière du Crédit agricole… Dans ce dossier à tiroirs, un élément de “décor” symbolise parfaitement cette porosité. Outre leur intérêt pour Olivier Besancenot, les trois détectives mis en cause ont en effet un autre point commun. Tous se sont rencontrés par l’intermédiaire de Perspective 21, une amicale d’anciens policiers fondée en 1996 pour « maintenir un lien social entre des officiers à la retraite ou sur le point de l’être au travers d’initiatives diverses ». C’est L’Express qui a révélé les premiers éléments de cette affaire, en mai 2008. Dès le lendemain, Olivier Besancenot et sa compagne portaient plainte pour « atteinte à la vie privée » et « violation du secret professionnel ». Selon l’ordonnance de renvoi, Antoine di Zazzo apparaît comme le « véritable donneur d’ordres ». Pourtant, s’il admet avoir bien mandaté Gérard Dussaucy pour trouver son adresse et se renseigner sur son patrimoine, le patron de Taser jure en revanche n’avoir jamais « ni commandé, ni facturé, ni payé » le rapport de surveillance à l’origine de la plainte. Selon lui, Dussaucy aurait fait du zèle et outrepassé sa mission pour l’impressionner. Avant d’être épinglé, Gérard Dussaucy était le viceprésident de ce club très fermé. Impossible d’en faire partie sans être coopté. Trois ou quatre fois par an, l’association avait l’habitude d’organiser des déjeuners dans des lieux prestigieux, à l’Unesco ou dans les salons du Sénat. Au moment où l’affaire Besancenot a éclaté, Perspective 21 comptait près de 200 adhérents, dont beaucoup de fonctionnaires encore en activité. Une ouverture parfaitement revendiquée par ses responsables. Pour justifier son passage du statut d’amicale à celui d’association, en mars 2007, le président de P21 avait d’ailleurs avancé un argument imparable : « Que les adhérents ne soient pas assimilés à un groupuscule de “barbouzes”, mais bien considérés comme des fonctionnaires conscients de leurs devoirs et de leurs droits. » Mais au-delà des responsabilités des différents protagonistes du dossier, l’instruction a surtout démontré l’existence en France d’un véritable marché noir du renseignement. Ces dernières années, les scandales de ce type se sont multipliés. En mars 2012, Mediapart et Le Canard enchaîné avaient ainsi révélé comment Ikea avait eu recours aux services d’un ancien policier des RG pour obtenir des renseignements sur de simples clients (lire ici ou là). On peut également citer le cas du commissaire 4/5 5 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 1 538 587,60€. Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse : 1214Y90071. Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Gérard Cicurel, Laurent Mauduit, Edwy Plenel (Président), Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. 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