Passionnant, ce premier Forum des bâtisseurs
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Passionnant, ce premier Forum des bâtisseurs
Passionnant, ce premier Forum des bâtisseurs Le Forum des bâtisseurs, c’est le lieu où s’expriment des points de vue de citoyens par rapport à leur habitat : celui qu’ils rénovent, celui qu’ils construisent, celui qu’ils louent ou celui dont ils rêvent… Aucun pré-requis pour cette rubrique, aucun tabou, mais une exigence : rester dans le regard de l’habitant et oublier, juste un moment, celui de l’expert. Un Forum de ce genre a été organisé par Nature & Progrès, le samedi 10 novembre, à Huy. Voici un compte-rendu des temps forts de cette journée. En parallèle, cette rubrique est un forum permanent, ouvert à vos témoignages de bâtisseurs passés, présents et à venir. Par Guillaume Lohest Photographies de Carol Barré Une idée très simple a mené à l’organisation de ce Forum des bâtisseurs. "Rassemblons les citoyens, très largement. Invitons tous les gens qui ont quelque chose à dire sur l’habitat." À l’origine, le petit groupe d’organisateurs avait imaginé une sorte de réunion de travail élargie, rassemblant vingt ou trente personnes, grand maximum. Puis l’idée a circulé, cette rubrique est née, des invitations ont été diffusées et la couverture de Valériane n°98 a relayé la communication de l’événement. Résultat : soixante-cinq personnes ont fait le déplacement pour venir parler de leur habitat et écouter les témoignages des autres. Quatre exposés, six ateliers et une myriade d’échanges informels autour d’une tasse de café ou d’un morceau de quiche maison : dès 9h30, le Centre culturel de Huy s’est mis à bourdonner de discussions passionnées… Questions de base pour fondations solides Mais pourquoi un thème aussi vaste ? Pourquoi ne pas cibler l’écobioconstruction ou l’autoconstruction ? Pourquoi ne pas exiger, comme pré-requis, l’adhésion à la charte de l’écobioconstruction ? La réponse est venue du nombre et de la diversité des participants : chacun est venu car il se sentait concerné par le sujet. "Qu’est-ce qu’habiter une maison ? Davantage qu’un acte pragmatique, habiter est une attitude qui imprègne tant notre quotidien que notre être (1)." Dans les choix d’habitation, de construction, de rénovation, ce qui est premier, ce qui motive les gens, ce n’est pas la technique, c’est le sens et le projet de vie qui accompagne le type d’habitat. Ces motivations sont ensuite confrontées au réel : budgets, temps, capacités, opportunités… Partir de là, c’est poser la démarche sur des fondations solides, dans un ordre logique. Tout le reste en découle : les choix du type d’habitat, des matériaux - locaux, naturels, peu transformés -, du mode de construction ou de rénovation écobiologique, en auto- ou co-construction. Ou l’impossibilité de faire ces choix, par manque de moyens, de capacités, de temps ou d’opportunités. L’objectif de la journée était donc de parvenir à explorer certains thèmes chers à Nature & Progrès, à défricher le terrain, mais en inversant la logique habituelle qui consiste à proposer des solutions toutes faites. Il s’agit d’écouter les expériences réelles des gens et de construire à partir de celles-ci. La matinée a été consacrée à des témoignages. L’un concernait les joies et les déboires d’un habitat groupé. Deux autres traversaient les réalités de l’auto-rénovation, à plus ou moins grande échelle. Quelques situations fictives ont rappelé qu’un pourcentage important de la population est confronté à des obstacles majeurs dans ses divers projets d’habitat : pas d’accès à la propriété, manque de temps, manque d’informations… Ce large tableau brossé, les participants ont rejoint l’atelier de leur choix (2), afin d’esquisser des pistes à travailler plus en profondeur. Les paragraphes qui suivent font ressortir quelques aspects marquants des échanges. L’un des ateliers a été consacré aux questions premières qui peuvent se poser à tout citoyen dans un projet d’habitat. Vaut-il mieux rénover ou construire ? Quels matériaux choisir ? Quel budget cela engage-t-il ? "Il existe de nombreux freins à se lancer. Le manque de garanties au départ doit être surmonté." Parmi les encouragements à faire le pas, on notera le rôle essentiel des "hasards provoqués", c’est-à-dire les rencontres vivifiantes lors de la participation à des visites, à des chantiers, à un forum comme celui-ci… En termes de matériaux, le bon sens incite à faire le choix de matériaux locaux, peu transformés, non industriels. En toute logique, ils devraient être moins chers. Ce n’est pas - encore - le cas, mais il s’agit néanmoins de matériaux plus simples et plus sains d’utilisation que les produits technologiques. L’habitat groupé est une aventure de société L’exposé d’Hervé Caps et de Justine Dandoy (habitat groupé de La Sarte-à-Ben), le matin, a logiquement fait de l’habitat groupé l’un des thèmes-phares de la journée. Parmi de nombreux autres aspects, la dynamique de groupe et l’ancrage dans les réalités locales ont retenu l’attention des participants. Des pistes pour la communication ont été dégagées : il est, par exemple, important de faire savoir qu’à l’heure actuelle, en Belgique, l’habitat groupé ne peut pas être présenté comme une solution financièrement intéressante. Ce cliché est même, selon certains, l’une des principales raisons d’abandon par des candidats déçus de constater que leur budget est équivalent à celui d’une habitation classique. Au niveau humain, par contre, le bénéfice est réel. Réel dans les deux sens du terme : il enrichit la qualité de vivre ensemble et il force à se confronter au réel des relations humaines, desquelles le conflit et le désaccord font entièrement partie. Comment le groupe gère-t-il la prise de décision et les désaccords internes, et comment entre-t-il en relation avec le voisinage, avec le quartier, le village ? Il y a autant de réponses possibles que de groupes, mais aucun n’échappe à la nécessité de trouver un équilibre. Trois ingrédients ont été soulignés : 1. "C’est le terrain, concret, qui nous guide. L’aventure commence réellement quand il y a un terrain, avec son prix, sa situation, ses possibilités, ses contraintes." 2. "Il est important de permettre des degrés d’investissement différents. On n’est pas obligé d’aller tout de suite très loin dans les décisions collectives." 3. "L’habitat groupé est une opportunité pour s’insérer dans un dynamique sociétale. Il est important d’utiliser intelligemment les espaces de dialogue avec les interlocuteurs - voisins, commune, urbanisme, etc. - pour faire entendre une autre voix." Autoconstruire : des réalités à objectiver Comme l’habitat groupé, l’autoconstruction - au sens large, incluant l’autorénovation - est un projet fort et prenant. Il a été introduit, dans la matinée, par les témoignages de Frédéric Baelen et de Jean-Marc Zeippen - voir Valériane 97 et 98. À la question "est-ce vraiment possible ?", sérieusement examinée par les participants, une formule s’est dégagée : "c’est possible si on le croit, si on le fait et si on le communique." Il n’empêche que l’autoconstructeur est confronté à de nombreux aléas de temps, de technique, de gestion de la vie familiale. L’isolement et l’entêtement à avancer coûte que coûte sont à éviter. "Mieux vaut parfois retarder les travaux et rester sain de corps et d’esprit." Ces réalités de l’autoconstruction mènent à l’idée d’une forme d’accompagnement spécifique, une sorte de coaching à développer parmi les professionnels amenés à travailler avec des autoconstructeurs. Par ailleurs, la nécessité d’objectiver a été fortement soulignée : objectiver certaines contradictions entre les politiques urbanistiques et les politiques écologiques ; objectiver les bienfaits d’une habitation saine ; chiffrer les coûts et gains de l’autoconstruction, en intégrant le coût d’opportunité, c’est-à-dire le coût du renoncement à tout ce qu’une autoconstruction empêche de faire par ailleurs… Il s’agit d’aller au-delà du cliché de l’autoconstruction comme solution économique car "en faisant soi-même on diminuerait le recours à des professionnels." Des analyses plus globales s’imposent car les gains et les coûts ne sont probablement pas là où on les attend ! Enfin, les divers ateliers sur le sujet se sont rejoints sur la nécessité de s’entourer, d’aider et de se faire aider, bref de rester connecté à un collectif quel qu’il soit. Par exemple, en organisant des "week-end travaux" durant lesquels un groupe d’amis peut tourner, d’une maison à l’autre, afin de faire avancer des tâches nécessitant plusieurs personnes. Une autre piste mène au développement de chantiers participatifs… Chantiers participatifs : créer un cadre légal et organisationnel En théorie, les chantiers participatifs semblent une solution idéale de "fertilisation croisée" : tout le monde apprend, le chantier avance, l’enthousiasme est alimenté, tout le monde est gagnant. Dans les faits, certains aspects sont plus compliqués à appréhender. De tels chantiers demandent une organisation sérieuse. Légalement, tout le monde ne peut pas travailler bénévolement. Par ailleurs, que se passe-t-il au niveau des assurances, en cas d’accident ? Actuellement, ces questions ne sont pas réglées. Mettre en commun les différents acteurs du monde associatif, qui partagent une même vision des chantiers participatifs, permettrait de réaliser une démarche commune auprès des assurances et des pouvoirs publics, afin de dresser un cadre plus clair. Cela exige de définir précisément le concept, donc de rassembler, dans un premier temps, tous ceux qui y voient un modèle à favoriser dans une perspective écologique et citoyenne, ceux qui en ont déjà organisé. Par ailleurs, il serait bienvenu que Nature & Progrès, suggèrent certains participants, s’érige en véritable "facilitateur" d’organisation de chantiers participatifs. À suivre. Notes (1) René-Pierre Le Scouarnec, Habiter Demeurer Appartenir, Collection du Cirp, volume 1, 2007, pp. 79 à 114. (2) Les six thèmes d’ateliers étaient : a) L’habitat groupé, b) Rénover soi-même, c) Construire soi-même, d) Est-ce vraiment possible, e) Questions de base, f) Les chantiers participatifs.