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DOSSIER
n Christine LEMAIRE-DUTHOIT
938-1003
GERBERT
D’AURILLAC
LE « PAPE DE L’AN MIL »
Élu pape en 999 sous le nom de Sylvestre II, Gerbert d’Aurillac
est un esprit brillant. Mais des légendes entourent
son personnage. Sigebert de Gembloux l’accuse
de s’être livré à la « nichromantia », et Vincent de Beauvais
le crédite d’un pacte avec le Diable, qui lui aurait fait obtenir
la mitre, puis la tiare. Intéresserons-nous à la « légende noire »
de Gerbert, qui l’a fait passer pour un magicien aux yeux
du peuple de Rome.
Statue de Gerbert à Aurillac,
Pierre-Jean David, bronze, 3,60 m, 1851.
DES AUTORITÉS font référence au passé trouble de
Sylvestre II. Sigebert de Gembloux, dans sa Chronographia, ainsi que d’autres auteurs, s’appuient sur d’autres sources
aujourd’hui perdues. Les légendes qui concer nent Gerbert
sont pour le moins étonnantes. Il aurait étudié la magie et l’alchimie dans la « Ca verne » de Cordoue (le ter me désigne
une école) auprès de sa vants juifs et ar abes. Il passe alor s
pour magicien, devin, « conjectureur » de songes, « négromancien », ayant acheté son élection par de l’or alchimique.
Certains racontent aussi qu’il se ser ait fait nommer écolâtre
de Reims par magie noire, et qu’il aurait ruiné la ville en dilapidant ses richesses pour les donner à ses adeptes. Après sa
mort, il serait devenu familier du diable, qui pour le récompenser, aurait fait s’écrouler le reste de la basilique . Il se
serait rebellé plus tard contre l’autor ité du pape et, devant
la menace d’excommunication, aurait encore fait appel aux
puissances infernales. L’antre de Vulcain, le Vésuve, serait alors
entré en ér uption, dévastant villes et campagnes, pendant
que le diable faisait moisson de toutes les âmes des hommes
surpris en état de péché mor tel. Son odeur f étide aurait
empoisonné l’air et l’eau pendant des semaines. Les villes
d’Italie auraient été ravagées par des incendies, Rome aurait
été la proie des flammes et seules les prières du clergé et du
peuple auraient sauvé les saints lieux. Les principaux évêques,
ducs et comtes des pro vinces, seraient morts à cause de
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© BnF
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Sylvestre II et les diables, Trésor
des histoires, Paris, v. 1415. – Paris, BnF,
Arsenal, ms 5077, f° 336 v°.
DES INSTRUMENTS ÉTRANGES
la magie noire et le Mal des Ardents aurait tué
des milliers d’Italiens.
Le pape Jean XV n’aur ait pas voulu nommer
Gerbert archevêque, sous prétexte qu’il était
adorateur du démon. Un signe diabolique
serait apparu dans le ciel, une lueur qui aur ait
grandi jusqu’à devenir, pendant la lune noire, un
énorme dragon, dont la queue couvr ait plusieurs constellations... Les princes de l’Église, effrayés, auraient alors nommé
Gerbert archevêque de Ra venne et celui-ci aur ait imposé
son pontificat grâce aux armes d’Otton de Germanie et de
ses hordes de Saxons, menaçant de piller Rome.
Une fois élu, Gerbert se conduit comme un antipape , et
lorsque les prélats romains s’opposent à lui, fait à nouv eau
apparaître un dr agon (celui que l’archange Michel aur ait
vaincu et qui se ser ait vengé en faisant br ûler son monastère). Il dévaste Rome, provoquant une épidémie de var iole
et des jets de pierres volcaniques.
Devenu pape, mais fatigué de la politique, Gerbert
se consacre aux sciences. De f olles rumeurs
courent alors sur son compte.
Gerbert communiquerait avec le diab le par l’intermédiaire d’une tête d’air ain, une machine
semblable à celle de Boèce. Placée dans son palais
de Rome, elle répond par oui ou par non aux questions posées sur la politique . Sans doute est-ce
un automate, analogue à nos machines binaires.
Cette « tête magique » est détr uite à sa mor t et
les connaissances soigneusement dissim ulées. Les
« têtes enchantées » ou « têtes de Mahomet »
font partie de l’arsenal magique.
Les nuits de pleine lune , les cito yens romains
voient aussi leur pape pointer un étr ange instrument sur la v oûte étoilée. Il est composé d’« un
long tube qui piv otait contre un quar t de cercle
vertical, lui-même monté sur un ax e au centre
d’un demi-cercle hor izontal mobile autour d’un
pivot scellé au sommet d’une colonne bien stable ;
ainsi l’ensemble de f er et de bronz e, finement
gradué, couvrait tout l’hémisphère . Des tiges de
fer orientées selon les quatre points cardinaux tr aversaient
la colonne à mi-hauteur, afin de régler le demi-cercle à l’aide
d’un fil à plomb ». Le mystérieux appareil v oisine avec un
cadran solaire, des sphères célestes ar millaires, montrant le
mouvement des étoiles autour de la Terre et du Soleil, et l’astrolabe, apte à donner sa position en mer, dit-on, au marin qui
a vendu son âme au diable. Le pape a fait aménager, en-dessous de son observatoire, une forge et un atelier à disposition
d’un orfèvre chargé de fabriquer tous ces instruments.
Gerbert imagina et construisit
DES ABAQUES, UN GLOBE TERRESTRE,
UN ORGUE, DES HORLOGES…
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Gregor Reisch, Margarita Philosophica, gravure, 1508.
Au Xe siècle, quand Gerbert développe son système
d’abaque, l’Occident se familiarise avec le calcul
algorithmique (ou algébrique) arabe, utilisant le zéro.
Si le système inventé par Gerbert ne lui survit guère,
la querelle entre les abacistes et les algoristes perdure
jusqu’au XVIIIe siècle comme en témoigne cette gravure
du XVIe siècle.
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DOSSIER
LE VRAI GERBERT ?
En son temps, on a reproché à Gerbert ses origines obscures et le fait
qu’il ne soit pas Italien. On l’a accusé d’avoir pris le parti des pauvres. Les évêques
lui reprochent aussi d’avoir rédigé un décret leur retirant le droit d’élire l’empereur,
au temps du pape Grégoire V.
La mémoire du pape de l’an Mil a été ternie à la Renaissance. Or, Gerbert fut
un homme en avance sur son temps. Il a effectivement étudié en Catalogne
et dans l’Espagne omeyyade, où il a fréquenté, à Cordoue et à Séville,
des savants chrétiens, juifs et arabes, philosophes, médecins, chirurgiens, traducteurs,
philologues, commentateurs, botanistes, agronomes, mathématiciens, astronomes.
Il y a approfondi l’astronomie, la géométrie, la science des nombres, découvert
l’algèbre et la trigonométrie, en relation avec le pythagorisme. Utilisant
la numérotation en cours chez les marchands arabes, il aurait imaginé
une table à compter, « l’abaque de Gerbert ».
Dès 972, Gerbert est écolâtre à Reims, le plus puissant archevêché de Francie.
Il y rétablit l’enseignement du quadrivium, oublié après la période des invasions.
Scientifique de génie, il imagina et construisit des abaques, un globe terrestre,
un orgue, des horloges, ce qui attira sur lui des soupçons de magie. Il fut le maître
de Robert le Pieux, de Fulbert de Chartres, de Richer, de Bernelin de Paris,
de Guy d’Arezzo et peut-être de Dudon de Saint-Quentin. Sa célébrité l’entraîna
dans une carrière politique au service des Ottoniens. Il joua également un rôle
dans les querelles opposant Ottoniens, Carolingiens et Robertiens pendant
la minorité d’Otton III. Son évêque, Adalbéron, s’engagea en faveur d’Hugues Capet,
élu en 987, au détriment du Carolingien. Lors de cette période difficile, harcelé par
ses ennemis, Gerbert fut accusé de collusion avec le diable, ce qui justifie
aux yeux des fidèles l’interdit jeté par le pape Jean XV sur le diocèse.
Le 2 avril 999, il est finalement élu pape sous le nom de Sylvestre II, avec la caution
de l’empereur Otton III. Le nom choisi fait référence à Sylvestre Ier, pape à l’époque
de Constantin, avec qui il a voulu unir l’Eglise et l’Empire, rêve universel auquel
Gerbert est fort attaché. Pape, Gerbert contribua à l’instauration d’États forts
en Europe, en affirmant le rôle de l’Église. Il mourut le 12 mai 1003 et fut enterré
à Saint-Jean-de-Latran.
Il commande à la foudre, à la stupéfaction de son entourage.
Lors d’un orage violent, il fait ériger sur une place une haute
perche surmontée d’une pointe en métal, et attire la foudre,
à la gr ande horreur des Romains, qui pensent qu’il adore
Jupiter, avec l’aide du diab le. Les démonologues et théologiens sont abasourdis : jamais un homme n’a su se faire obéir
à ce point des puissances infernales, au sein même de la ville
sainte de Rome ! Dans les mois suivants, on obser ve une
énorme comète, des pluies ininterrompues d’étoiles filantes,
des chutes de pierres brûlantes. La terre tremble, des incendies se déclenchent, et les foules terrorisées rejettent la faute
sur le pape infernal.
UN PAPE ASTROLOGUE ?
On raconte que le pape aur ait appris la magie dans un livre
dérobé à un astrologue juif. Il s’en serait servi pour découvrir
un fameux trésor. Le pape Sylvestre aurait aussi été sollicité par
le célèbre Avicenne, auteur du « Canon » de la médecine, qui
souhaitait une copie de ses œuvres. « Ces activités incompréhensibles », dit un des biogr aphes de Gerber t, « angoissaient
les habitants de Rome , habitués à des papes incultes, préoccupés de luxe et avides d’apparat. Les ser viteurs pontificaux
n’osaient approcher des papyrus couverts de calculs trigonométriques en chiffres arabo-indiens, qu’ils prenaient pour une
écriture cabalistique dotée d’un terrible pouvoir. ». Si Gerbert
tente de leur expliquer que la science des nombres per met
de décrire les lois qui gouvernent le monde et de commander
aux choses, ils prennent cela pour une activité diabolique.
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Sylvestre II faisant un pacte avec le diable.
Pour lutter contre les prophètes millénaristes, le pape institue
le Jubilé de l’Église , qui attire une f oule de pèlerins, mais cet
afflux coïncide avec l’arrivée de la peste.
Enfin, la mort du pape fait également l’objet deolles
f rumeurs.
Gerbert aurait en effet reçu l’assurance qu’il ne mourrait pas
tant qu’il ne serait pas à Jérusalem. Mais la mor t le surprend
alors qu’il dit la messe dans l’église Sainte-Croix-en-Jér usalem… À Rome. Pris de douleur s intolérables, il confesse
ses erreurs et, pour éviter l’utilisation de sa dépouille à des
fins politiques, commande à Étienne , un de ses diacres,
responsable de son ser vice de renseignements, de faire
couper son cor ps en morceaux sitôt après sa mor t, de les
déposer sur un chariot, et de les enter rer là où les chevaux
s’arrêteraient. Ils l’emmènent sur la colline du Latran. L’assemblée décide d’exhumer les restes du pape, de les brûler, et de
jeter ses cendres dans le Tibre, fleuve des Enfers, afin d’en
informer le diable, puis de gr atter ou mar teler tout ce qui
porte son nom, pour que sa mémoire soit abolie . Le soir
même, les restes de Sylv estre II sont br ûlés avec sa bibliothèque, ses élèves pourchassés et exécutés. Aucun pourtant
ne reconnaît avoir eu affaire à un magicien démoniaque . Les
« hérétiques » seront tout de même mis à mort…
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