Hors des sentiers battus - ATE Association Transports et

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Hors des sentiers battus - ATE Association Transports et
Texte et photos: Peter Krebs
A l’écart des grandes attractions touristiques telles que Schönbrunn et le
Prater, toute une série de lieux intéressants et plus confidentiels invitent à
être découverts à Vienne.
Hors des sentiers battus
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VOYAGES
Vienne
ienne pérenne avec sa cathé- assiégèrent la ville une seconde
drale Saint-Etienne, ses lipiz- fois en 1683 et leurs canons touzans, son château de Schönbrunn chèrent même la cathédrale en
et sa grande roue. Il faut les avoir pleine messe. Mais l’opération mivus. Inimaginable de ne pas se ré- litaire échoua et l’Autriche devint
galer d’une part de tourte Sacher par la suite une grande puissance.
ou d’une choucroute royale en sif- L’empereur fit couler avec les caflotant un Heurigen (vin nou- nons conquis la cloche «Pummeveau). Mais Vienne a bien plus à rin» qui annonçait désormais à
offrir que les dix musts générale- travers le métal recyclé musulman
ment proposés par les guides tou- le triomphe de l’Occident chréristiques compacts. La grande vil- tien.
le est aussi variée qu’un univers de
Bella gerant alii, tu felix Austaille moyenne et impossible à découvrir en une seule journée. En tria nube: les guerres sont menées
vous écartant des axes principaux, par d’autres, toi, heureuse Auvous verrez se révéler peu à peu les triche, marie-toi. Cette phrase
divers visages de la ville des bords souvent citée se réfère à la polidu Danube – que vous apprécierez tique matrimoniale habile des
Habsbourg. Elle n’est pas tout à fait
d’autant plus.
Nous choisissons comme com- juste. Le bruit des canons étouffait
pagnon de route le guide «Only in régulièrement les sons de l’église
Vienna» de l’historien anglais avant que la Pummerin ne se taise
Duncan J.D. Smith qui s’est efforcé définitivement après la destitution
de mettre en lumière des coins des Habsbourg. A la fin de la Seet recoins inconnus de la ville. conde Guerre mondiale, la cloche
Pour obtenir une première im- s’écrasa sur le sol lors d’un incenpression d’ensemble, nous com- die de la cathédrale. En 1951, la
mençons par une immersion dans la foule
La Pummerin annonçait à
et pénétrons à l’intétravers le métal musulman le
rieur de la cathédrale
Saint-Etienne par la
triomphe de l’occident.
porte nord, là où les
cochers attendent leurs
clients: d’apparence historique, les nouvelle Pummerin fut coulée à
fiacres sont plutôt récents, brillent partir de la ferraille récupérée une
de mille feux et disposent même deuxième fois. La «voix de l’Aude freins à disques. Force est de triche», comme on la surnomme
constater que les attelages circu- parfois, porte une inscription dont
lant au cœur de la métropole dé- voici la traduction: «Je me suis fragagent un air rural rafraîchissant. cassée dans les flammes ardentes.
J’ai chuté du haut de la tour dévasCap sur la Pummerin. L’ascen- tée, alors que la ville gémissait
seur de la cathédrale monte sous la guerre et la peur. 1945.»
jusqu’à la plateforme de la tour L’Autriche avait alors été envahie
inachevée côté nord. Et c’est là par les troupes soviétiques et diviqu’elle pend: 21tonnes et plus de sée en quatre zones d’occupation.
trois mètres de diamètre. Ne son- Ce n’est qu’en 1955 qu’elle a renant habituellement que les jours trouvé sa souveraineté, mais elle
fériés importants ainsi qu’au nou- avait perdu son rang de grande
vel an, la Pummerin est l’une des puissance bien avant.
plus grandes cloches oscillant liLes traces de l’époque sombre
brement au monde. Comme tant de la Seconde Guerre mondiale
d’autres trésors viennois, elle aussi sont à peine visibles en survolant
a une longue histoire. Les Turcs du regard du haut de la tour nord
nommaient Vienne la «pomme la ville dont les clochers, gratted’or» qu’ils espéraient cueillir. Ils ciel, antennes TV et cheminées
V
Le soir la cathédrale Saint-Etienne se reflète dans
les façades voisines.
ATE MAGAZINE / DÉCEMBRE 2009
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VOYAGES
Vienne
La gare impériale de Hietzing
(en haut) et les gazomètres
transformés de Simmering.
des usines d’incinération se perdent à l’horizon. Vienne s’est étendue bien au-delà des frontières que
la ville défendait autrefois contre
les Ottomans. Seuls quelques rares
vestiges subsistent de l’ancien bastion. Le centre-ville n’est plus cerné
par des murs contre les Maures
mais par des boulevards circulaires. Nous sommes curieux de
voir à quoi ressemble la ville audelà du «Ring» et choisissons
comme destination l’église Am
Steinhof, au pied de la Forêt viennoise.
Un petit creux à l’estomac se
fait ressentir en cours de route.
Duncan Smith décrit de superbes
et alléchants stands de saucisses
tout en courbes qui servent le plus
vieux fast-food viennois. On y
trouve des saucisses à rôtir, des
saucisses hongroises et autres
francforts (comme nos wienerli
ATE MAGAZINE / DÉCEMBRE 2009
s’appellent à Vienne) – pour ainsi
dire comme pendants prolétaires
salés des boules de Mozart. Mais
nous avons beau scruter les environs, nous ne découvrons que des
stands modernes et rectilignes
qui ressemblent à des tours de
contrôle écrasées d’aérogares régionales. Un telle tour a également
atterri dans la Kupferschmiedegasse. Nous demandons à la vendeuse slave où est passé l’ancien
stand. «Vous voulez l’acheter?»,
demande-t-elle en riant. Pas tout à
fait. Nous nous contenterons pour
le moment de deux saucisses tyroliennes– que nous recommandons vivement.
Une fois réconfortés, nous nous
adonnons à des nourritures plus
sérieuses. L’église Am Steinhof se
trouve au point culminant d’une
immense clinique psychiatrique
de plus de soixante immeubles,
chacun aussi grand qu’une école.
Le site ressemblant à une cité-jardin a été construit au début du
XXe siècle comme «établissement
de soins pour malades mentaux».
Il s’appelle aujourd’hui hôpital Otto
Wagner. Otto Wagner (1841–1918)
est l’architecte de la clinique ainsi
que de l’église considérée comme
l’une des premières maisons de
Dieu modernes. Notre guide
évoque un «ouvrage clé de l’architecture européenne». Les Viennois
conservateurs de l’époque impé-
riale déclinante trouvaient l’église
trop moderne. Ils ne la toléraient
que parce qu’elle se trouvait à l’extérieur de la ville, dans un périmètre sécurisé. Les esprits critiques
mettaient cependant en garde
contre le fait que les «fous» seraient
plus fous encore après avoir assisté
à la messe. Néanmoins, l’église a été
inaugurée, comme l’atteste une
petite plaque, «en présence de Sa
Très Haute Majesté apostolique
austro-hongroise, François Joseph
1er, Empereur d’Autriche, Roi de
Hongrie etc.».
Bien que l’immeuble Art nouveau conçu jusque dans les moindres détails renvoie, avec sa coupole dorée, à des modèles classiques et que quatre anges en
pieuse prière et aux ailes dorées
accueillent, au-dessus du portail
d’entrée, les croyants et les noncroyants, les fous et les imperturbables, l’esprit pratique et sobre de
l’architecte se fait clairement ressentir. Wagner pensait aux utilisateurs, c’est-à-dire aux patients.
L’intérieur carré est éclairé par de
grandes fenêtres, les bancs évitent
les arêtes tranchantes et le plancher est légèrement incliné, ce qui
facilite son nettoyage.
Otto Wagner a donné d’importantes impulsions à l’architecture
fin de siècle – d’ailleurs plus encore par ses visions résumées dans
son livre «Die Grossstadt» que par
ses constructions. Une grande partie de ses projets ne fut jamais
concrétisée. Mais il eut tout de
même l’occasion de réaliser un ouvrage important en tant que planificateur général: le chemin de fer
Vienne en bref
Y aller: Depuis Zurich deux liaisons directes par jour vers
Vienne en plus du train de nuit EN Wiener Walzer.
Attractions touristiques mentionnées et autres tuyaux :
www.ate.ch/excursions
Littérature: Duncan J.D. Smith: Only in Vienna, éditions
Christian Brandstätter.
Informations touristiques: Albertinaplatz 1, ouvert tous
les jours de 9 à 19 h, www.wien.info
Infos pratiques: La Wien-Karte, vendue 18,5 euro, offre
un libre accès pendant 72 heures aux réseaux de métro,
tram et bus et quatre jours durant des remises sur les entrées de musées et d’autres monuments. Disponible entre
autres aux guichets de location des Wienerlinien et auprès de Tourist Information (voir plus haut).
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VOYAGES
Vienne
urbain (début des travaux en 1893).
Wagner était fasciné par le nouveau
moyen de transports en commun.
Il conçut le réseau urbain, avec ses
ponts et ses stations dotées de balustrades et de réverbères, comme
une œuvre d’art total. En grande
partie conservé, le tracé est aujourd’hui emprunté par le métro et
le RER. A conseiller plus particulièrement: les deux pavillons Art
nouveau sur la Karlsplatz qui servaient autrefois de gares. L’un abrite
aujourd’hui un café, l’autre une exposition consacrée à Otto Wagner.
Une idée utile, car elle nous permet
à la fois de faire quelque chose pour
le corps et l’esprit.
D’allure plus princière encore,
le pavillon de la cour austro-hongroise à Hietzing, près de la résidence d’été impériale de Schönbrunn. Cet édifice, dont Wagner
est l’un des coauteurs, trône au
grand jour au-dessus des voies du
métro. C’était à l’époque une gare
de la vieille Vienne par excellence:
elle servait exclusivement à Sa Majesté l’Empereur qui utilisait le
train impérial accompagné de sa
cour. François-Joseph 1er, qui se
méfiait de tout ce qui était moderne, n’aurait cependant utilisé la
gare privée qu’ à deux reprises seulement. La gare est aujourd’hui remise à neuf mais hors service –
tout comme l’empire.
A nous le style postmoderne.
On le rencontre à l’autre bout de la
ville, à Simmering, une zone industrielle desservie par des autoroutes, mais sans fiacres. On y a
sauvé in extremis quatre immenses tours en briques d’anciens
gazomètres pour les affecter à de
nouveaux usages. Des logements
et des bureaux sont aujourd’hui
suspendus à l’intérieur des cylindres tandis qu’un centre commercial tout en longueur occupe les
étages inférieurs. Une expérience
intéressante, certes, mais le résultat – si vous permettez cette réserve – n’est qu’à moitié convaincant même si des architectes aussi
célèbres que Coop Himmelreich
et Jean Nouvel ont participé au
projet. La galerie marchande est
tape-à-l’œil tandis que les appartements, trop à l’écart, semblent dépourvus d’entrées.
A propos de construction de
logements, nous ne voulons en aucun cas rater l’occasion de présenter un autre élément bien moins
spectaculaire mais d’autant plus
important: la «cuisine de Francfort». La toute première cuisine
intégrée au monde est présentée
au sous-sol du Musée des arts appliqués, appelé MAK. La cuisine
d’une superficie de seulement
6,5 mètres carrés est simple, pratique et d’une beauté limpide: un
chef-d’œuvre de l’architecte autrichienne Margarete Schütte-Lihotzky qui, tout au long de sa vie
achevée à 103 ans, s’est inlassablement engagée en faveur de l’amélioration des conditions de travail
des femmes. Environ 10 000 de ses
cuisines ont été installées entre
1926 et 1930 dans autant d’appartements de Francfort. Le MAK en
expose une réplique.
Et c’est justement cette ville
impériale qu’est Vienne qui en apporte la preuve: les appartements
plus modestes que les châteaux méritent tout autant notre attention.
L’eglise Am Steinhof d’Otto Wagner est l’une des premières construites en style moderne.
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