Cass. 2e civ., 17 févr. 2011, n° 10-16.737

Transcription

Cass. 2e civ., 17 févr. 2011, n° 10-16.737
Ordonnances sur requête de l’
article 145 du Code de Procédure
Civile
Xavier VAHRAMIAN, Avocat
Gérard SUISSA, huissier de justice
Article 145 du CPC
 «S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout
procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un
litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent
être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en
référé. »
 Mesure d'instruction in futurum, pouvant être sollicitée sur requête
ou en référé.
 Peut être utilisée dans tous domaines en vue d’obtenir et/ou
établir une preuve, mais est exclue pour l’atteinte à un droit de PI.
 Finalité de la procédure de l'article 145 du CPC : faciliter
l'administration de la preuve
 Article 145 du Code de procédure civile : texte autonome auquel
les conditions habituelles du référé ne sont pas applicables : pas
d’urgence (Cass. ch. mixte, 7 mai 1982, Sté générale c/ Fransucre
et autres) et pas soumis à la condition d'absence de contestation
sérieuse.

Conditions d’application
Quel juge compétent ?
Existence d’un motif légitime
Mesures d’instruction légalement
admissibles
Avant tout procès au fond
Dérogation au principe du contradictoire :
Requête
Execution, difficultés d’exécution
Recours, conséquences
Juge compétent
 Compétence territoriale
 Sauf disposition légale contraire, le juge compétent pour rendre
une ordonnance sur requête est le président de la juridiction
susceptible de connaître l’instance au fond ou celui du tribunal du
lieu où la mesure demandée doit être exécutée, même
partiellement (Cass. 2e civ., 15 oct. 2015, n° 14-17.564 et n° 1425.654, FS-P+B : JurisData n° 2015-022729 ; JCP G 2015, act.
1231)
 Compétence matérielle
 Président du Tribunal de grande instance : juge des requêtes de
droit commun : autorisé à statuer dans les matières relevant d'une
juridiction qui ne comporte pas de juge des requêtes
 Pas compétent lorsque le litige pour la solution duquel sont
requises les mesures d'instruction relève d'une autre juridiction.
Exemple : Conseil de Prud’hommes
Existence d’un motif légitime
 Pertinence et utilité
 Le motif légitime s’apprécie par le juge saisi de la requête au
regard notamment de la pertinence d’une action au fond.
(Cass.Com, 12 mai 2015, n° 13-28.419)
 Pour que la demande de mesure soit accueillie, il faut que la
prétention ultérieure au fond ne soit pas manifestement
irrecevable.
 Pour que le motif de l'action soit légitime, encore faut-il aussi
que la mesure soit pertinente et qu'elle ait pour but d'établir
une preuve dont la production est susceptible d'influer sur la
solution d'un litige futur, ce dont le juge des requêtes ou
référés doit s'assurer (Cass. 2e civ., 15 nov. 2007, n° 0619.300 ).
Existence d’un motif légitime
Pas d’étude du litige au fond
 Le juge de l'article 145 ne doit cependant pas préjuger
le litige au fond, mais simplement vérifier qu'un litige
ultérieur est effectivement susceptible de s'élever qui
n'est pas purement artificiel. (Cass. 2e civ., 24 janv.
2008, n° 07-13.514
Mesures légalement admissibles
 Toutes les mesures d'instruction prévues et réglementées par les
articles 179 et suivants du Code de procédure civile.
 Le juge peut ainsi, par exemple:
 ordonner une expertise ( Cass. 2e civ., 3 févr. 2011, n° 1014.070. )
 Désigner un huissier de justice pour pénétrer dans un
appartement ou une entreprise et procéder à un constat
(Cass. 2e civ., 6 mai 2010, n° 09-15.199), pour se faire
remettre des documents à l’huissier.
 la mesure d'instruction sollicitée ne peut pas :
 Servir de moyen de pression de l'une des parties sur l'autre
(Cass. 2e civ., 26 juin 2014, n° 13-18.319 )
Mesures légalement admissibles
 Constituer une mesure de saisie. Jugé qu'une ordonnance ne
pouvait autoriser un huissier de justice, en cas de refus de
communication de pièces, à appréhender toutes les pièces se
trouvant dans les locaux d'une entreprise, dès lors que cette
mission générale méconnaissait les règles de la confiscation ou
de la saisie (Cass. 2e civ., 16 juin 1998 : D. 1998, inf. rap. p. 179) ;
étant précisé que le juge des référés aurait parfaitement pu
ordonner la communication sous astreinte.
 Conférer à l’Huissier sous le seul contrôle de la requérante une
mission d’investigation générale et un pourvoir d’enquête
(C.A. Paris 14éme Ch., sect. A, 14 novembre 2001
Secret des affaires et vie privée
 Secret des affaires
 le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à
l’application de l’article 145, dès lors que la mesure d’instruction
sollicitée procède d’un motif légitime et qu’elle est nécessaire à la
protection des droits du requérant.(Cass. Com. 19 mars 2013.1213880)
 Vie privée
 Le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en luimême un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du
Code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les
mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont
nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées.
(Cass. soc. 10 juin 2008 n° 06-19.229)
 Les courriels et fichiers intégrés dans le disque dur de l'ordinateur mis
à disposition du salarié par l'employeur ne sont pas identifiés comme
personnels du seul fait qu'ils émanent initialement de la messagerie
électronique personnelle du salarié. (Cass. soc. 19 juin 2013, n° 1212.138 . )
Absence de tout procès au fond
 Simple pour procédure au fond classique : pas d’instance au fond
engagée.
 Quid d’une procédure pénale : l'ouverture d'une information
judiciaire n'est pas de nature à exclure la compétence du juge
des référés (CA Paris, 2 mars 1979 : Gaz. Pal. 1980, 1, p. 4,
note Renard)
 Quid arbitrage : l'article 1449 du Code de procédure civile
prévoit à présent expressément la possibilité de recourir au
juge de l'article 145, tant que le tribunal arbitral n'est pas
constitué et sans que la condition d'urgence soit requise
 Date d’appréciation
 La condition d'absence de saisine préalable des juges du fond
s'apprécie au jour de la saisine du juge, puisque c'est une
condition de recevabilité de la demande, et non pas au jour où
le juge des référés statue.( Cass. 2e civ., 20 déc. 2007, n° 0712.536. – Cass. soc., 30 janv. 2008, n° 06-45.904.)
Dérogation au principe du contradictoire
 Motiver la dérogation au principe de la contradiction
 Conformément aux articles 493 et 875 du Code de procédure
civile, le juge ne peut pas faire droit à une requête sans avoir
recherché et constaté que la mesure sollicitée supposait une
dérogation au principe de la contradiction. (Cass. 2e civ., 17
octobre 2013, n° 12-24.935, Cass. 2e civ., 11 mai 2006, n° 0417.399 )
 L’auteur de la requête doit rapporter la preuve de l’existence
de cette condition ; dans le cas contraire la requête doit être
déclarée irrecevable et la mesure demandée ne peut être
obtenue que par la voie d'un référé, c'est-à-dire après un
débat contradictoire. (CA Paris, Chb. 8, Pôle 5, 2 Juin 2015,
N° 15/08900 ; Cass. 1re civ., 10 févr. 1993 : D. 1993, inf. rap.
p. 63)
Dérogation au principe du contradictoire
 Simple affirmation du Juge des requêtes ne suffit pas à justifier la
dérogation à la contradiction. Le juge ne doit pas se borner à
constater que la mesure d'instruction serait inopérante si les
personnes visées par la requête en étaient avertis. Il doit préciser
les circonstances qui lui permettent de déroger à la procédure
contradictoire. (Cass. 2e civ., 7 juin 2012, n° 11-20.934 : JurisData
n° 2012-012420)
 Une simple allégation laconique est ainsi insuffisante pour déroger
au principe du contradictoire. La Cour de cassation exige une
démonstration et une prise en compte des éléments propres au
cas d’espèce, afin de solliciter une mesure de constat non
contradictoire. (Cass. 2e civ., 19 mars 2015, n° 14-14.389 :
JurisData n° 2015-005848
 Le caractère vague et général d’une simple assertion, telle que «
afin d'éviter la déperdition de preuves » ne peut suffire à justifier la
dérogation à la règle de la contradiction. (CA Lyon, 2 juillet 2015,
N° 15/02291, SASU EKIUM c. SASU OLLEAN ENERGY)
Exécution de la mesure
 Absence de nécessité que la mesure d'instruction vise le
défendeur potentiel au fond
 Il importe peu, pour l'application de l'article 145 du Code de
procédure civile, que celui qui devra subir la mesure ne soit pas celui
contre lequel le procès sera dirigé. Cass. 2e civ., 27 févr. 2014, n° 1310.013
 La mesure peut donc viser tout tiers
 Mais l’ordonnance et la requête devront être signifiées à
l’intéressé préalablement à l’engagement du procès au fond.
Difficultés d’exécution de l’ordonnance
 Concours force publique
 Pas toujours accordé par les magistrats, particulièrement si sont visées
des personnes physiques.
 Le concours de la force publique nécessite une réquisition préalable par
l’Huissier à la préfecture
 Dès lors que l'huissier de justice doit user personnellement de violence
pour pénétrer au domicile d'une personne contre son gré, il doit arrêter sa
mesure d'exécution et se retirer pour requérir le concours de la force
publique.
 Selon la Chambre criminelle, « lorsque les huissiers de justice se
trouvent en présence d'une résistance, ils ne sont pas juges de
l'opportunité d'une exécution par la force susceptible de troubler l'ordre
public (...). Dans cette situation ils peuvent seulement requérir, comme le
prévoit la formule exécutoire (...) l'assistance de la force publique »
(Cass. ass. plén., 16 déc. 1974, no 73-92.495, Bull. ass. plén. no 4).
Recours contre l’ordonnance
 Article 496 alinéa 2 du CPC
 “s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au
juge qui a rendu l'ordonnance”.
 Le juge compétent : celui qui a rendu l'ordonnance, saisi
comme en matière de référé
 Le juge de la rétractation doit se placer au jour où il statue
pour apprécier le bien-fondé, en fait et en droit, de la requête
et non au jour de l'ordonnance querellée (Cass. 3e civ., 2 oct.
2001, n° 99-12.382 )
 Le juge de la rétractation peut rétracter ou modifier
l'ordonnance querellée (Cass. com., 23 sept. 2014, n° 1320.535)
 Aucun délai n'existe pour assigner en référé aux fins de
rétractation (Cass. 2e civ., 17 févr. 2011, n° 10-16.737), le
demandeur pouvant agir même si un juge du fond est saisi
(Cass. 3e civ., 2 oct. 2001, n° 99-12.382)
Conséquences de la rétractation
Conséquences de la rétractation:
 Annulation du rapport dressé en exécution de l’ordonnance :
« Ayant rétracté les ordonnances sur requête ayant ordonné la
mesure d'instruction, ce dont il résultait que le rapport du
technicien établi en exécution de ces décisions ne pouvait
produire aucun effet, la cour d'appel a légalement justifié sa
décision d'annuler le rapport d'expertise (Cass. 2e civ., 4 juin
2015, n° 14-17.699).
 Annulation ou pas du procès verbal de constat : beaucoup de
décisions d’annulation (CA Lyon 13 mai 2015, Chambre 8,
Jurisdata n° 2015-012207 - CA LYON , chambre 8, 16 juin
2009, jurisdata n°2009-007666, CA Versailles 24 septembre
2015 Chambre 14, Jurisdata n° 14/06675 )