La santé au travail et la santé pour tous
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La santé au travail et la santé pour tous
Cahier spécial Santé et travail DÉVELOPPEMENT Le développement durable est un concept très fédérateur, soulignons-nous très souvent (cf. en particulier, l’entretien avec Simon Charbonneau, p. 7), qui s’étend bien au-delà des enjeux environnementaux. Son application aux questions de santé est ici étudiée avec finesse par Émile Phan Chan The. Après avoir souligné que les questions de santé ne sauraient être vues sous l’angle de mécanismes génétiques distincts des mécanismes environnementaux, il présente un état des lieux rigoureux de la santé au travail en France et en Europe et des données de la prévention Démographie médicale, développement durable, pluridisciplinarité, santé durable, santé environnementale, santé globale, santé publique, santé au travail 1re partie La santé au travail et la santé pour tous L’HOMME fait partie intégrante de son environnement avec lequel il est en interaction permanente. Les propositions pour un deuxième « plan national santé-environnement » (PNSE2) 20092013 répondent donc à un engagement de l’ensemble des parties prenantes lors des tables rondes du Grenelle Environnement des 24, 25 et 26 octobre 2007. La réduction des pathologies à fort impact sur la santé passe par une amélioration de la qualité des milieux et notamment par une réduction des expositions aux substances CMR en milieu du travail. É. Phan Chan The est médecin du travail et chargé d’enseignement à l’Université Pierre-et-MarieCurie – Paris VI Par ailleurs, comme l’indique le rapport de l’expertise collective de l’INSERM, Cancer et environnement, commanditée par l’Afsset, « une séparation trop tranchée entre mécanismes génétiques et environnementaux semble cependant particulièrement réductrice de nos jours, puisque les polymorphismes génétiques pourraient expliquer partiellement la susceptibilité individuelle aux effets 1. INSERM (expertise collective pour l’Afsset), Cancer et Environnement. Paris, 2008, 889 p. (http://ist.inserm. fr/basisrapports/cancerenvir2008.html). 78 Préventique Sécurité - N° 107 - Septembre-octobre 2009 toxiques des polluants »1. La santé au travail a donc tout intérêt à investir le champ développé dans le futur PNSE2 concernant le monde du travail en termes de santé environnementale et de développement durable. S’intéresser au concept du développement durable est une manière élégante de se préoccuper du sort de l’environnement de son prochain. Professionnels de santé et/ou de la prévention, nous donnons toutes et tous un sens au terme et concept de « santé », ce « bien supérieur » des économistes… tout en espérant que cette santé « durable » ne restera pas qu’un simple vœu pieux. Le terme « durable », très utilisé actuellement, est associé à divers autres concepts (développement durable, prévention durable, etc.) car consciemment ou non, nous percevons bien que tout « ça » pourrait ne pas « durer »… La santé durable Il est à rappeler que M me Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, a ainsi présenté au conseil des ministres du 22 octobre 2008 son projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoires » comme un projet de santé durable pour nos concitoyens. La thématique de santé durable préoccupe donc également nos plus hautes autorités sanitaires. Le développement durable de la santé au travail passe aussi par la qualité de la formation des professionnels intervenant dans le monde du travail (médecins du travail…) et leur nombre suffisant, comme cela est évoqué dans le rapport sur Le bilan de réforme de la médecine du travail des Prs Conso et Frimat (2007) ou dans le projet actuel des partenaires sociaux en vue d’un futur « protocole d’accord sur la modernisation de la médecine du travail ». Ce projet qui appelle également les services de santé au travail (SST) à constituer autour du ou des médecins du travail une équipe de santé au travail, en vue de renforcer l’efficacité de l’action de l’équipe pluridisciplinaire des SST interentreprises, avec un pilotage et une gouvernance rénovés. Une trentaine d’enseignants du Collège national des enseignants de médecine et santé au travail ont rédigé Douze Cahier spécial Santé et travail DURABLE et santé au travail propositions et réflexions pour une santétravail rénovée qu’ils ont adressées le 8 juin 2009 aux partenaires sociaux 2. Dans cette note, ils insistent sur la place et sur le rôle de la santé-travail dans les politiques de santé et réaffirment que le médecin du travail, aidé par une équipe d’intervenants en prévention, est le spécialiste unique des interactions entre conditions de travail et santé en entreprise. On peut également y lire ceci : « Le métier de médecin du travail passe par la spécialité obtenue par le diplôme d’études spécialisées (DES, ndlr) suite à l’examen classant national (un nombre suffisant de postes ouverts devrait être demandé par les différents partenaires). En dehors de la formation initiale, il est impératif que le DES de médecine du travail puisse être obtenu dans le cadre de la formation professionnelle (passerelle). Dans tous les cas, la formation devra respecter la maquette pédagogique nationale alliant formation théorique et pratique. […] Pour l’exercice de la santé-travail, afin de répondre à l’approche pluridisciplinaire, au besoin de santé des entreprises et mieux utiliser les compétences de spécialiste des différents acteurs, il est proposé la création d’équipes santé-travail qui fonctionneraient comme des unités fonctionnelles dont le médecin du travail devrait être le responsable ou le coordonnateur selon les cas. » L’arrêté du 3 juillet 2009 fixant le nombre de postes offerts aux épreuves classantes nationales en médecine par interrégion et par discipline ainsi que leur répartition par subdivision d’internat au titre de l’année universitaire 2009-2010 (cf. JORF n°0155 du 7 juillet 2009, p. 11433, texte n° 29 et www.legifrance.gouv.fr) confirme une augmentation globale de 8,5 % de postes entre l’année universitaire 2008-2009 et 2009-2010. Certaines spécialités ont enregistré une augmentation notable telle que la discipline « médecine du travail » qui est passée de 54 postes à 105 postes pour l’année universitaire 20092010. Cependant, ce nombre correspond à peu près à celui de postes proposés il y a cinq ans avant les « coupes sombres » D’après photo Groupe Préventique par Émile Phan Chan The de 2005 (cf. www.sante-durable.fr/telechargement/CdP_Sante_Durable.pdf). Les premières causes de mortalité En 2004, 509 408 décès de toutes causes sont survenus en France métropolitaine. Les 3 premières causes sont respectivement et par ordre décroissant : les tumeurs (30 %), les maladies cardiovasculaires ou MCV (28,9 %) et les accidents – transports ou autres – (4,8 %). Une origine professionnelle est suspectée dans 4 à 8,5 % des cas de tumeurs, soit entre 12 800 et 27 200 nouveaux cas par an. Cette hiérarchie des causes varie selon le genre et l’âge. Chez les femmes, les MCV arrivent en tête. Quel que soit le genre, chez les 15-24 ans, les morts violentes (accidents de transport et suicide) sont les causes de décès les plus fréquentes. Chez les hommes et en 2004, la 1re cause de décès est le suicide entre 25 et 44 ans et le cancer du poumon de 45 à 64 ans. Chez les femmes, les tumeurs prédominent dès 25-44 ans et le cancer du sein est la 1re cause de décès entre 45 et 64 ans. À partir de 65 ans, les MCV sont la 1re cause de décès chez les hommes et chez les femmes. L’analyse économique des coûts du cancer en France, par l’Institut national du cancer en 2007, les chiffre à 12 milliards (Mds) d’euros en termes de dépense globale, dont 10 Mds pour les soins. 780 millions (M) d’euros ont été investis pour la recherche, 350 M pour les dépistages et 120 M pour la prévention, dont plus de 100 M pour la lutte contre le tabagisme et la consommation excessive d’alcool. D’après l’enquête Sumer 2003, l’exposition des salariés à la plupart des risques et pénibilités du travail a eu tendance à s’accroître entre 1994 et 2003. Les contraintes organisationnelles se sont globalement accrues (23 % des salariés se déclarent en situation de job strain, le stress professionnel), les pénibilités physiques également (plus de 3 M de salariés sont exposés à un bruit supérieur à 85 dB (A), près de 7,5 M de salariés doivent soulever ou déplacer des « charges lourdes », 17 % des salariés sont exposés aux gestes répétitifs…). L’exposition à des agents biologiques est restée stable 2. Collège national des enseignants de médecine et santé au travail, Douze propositions et réflexions pour une santé-travail rénovée. Note adressée le 8 juin 2009 aux partenaires sociaux (7 p.), cf. www.istnf.fr/_admin/ Repertoire/Fichier/2009/12-090609061830.pdf). Septembre-octobre 2009 - N° 107 - Préventique Sécurité 79 Cahier spécial Santé et travail Les inégalités sociales Les inégalités sociales de mortalité entre groupes sociaux pris au sens large peuvent résulter principalement de différences en termes de comportements et modes de vie, et/ou en termes d’exposition aux risques professionnels, les deux pouvant par ailleurs être interdépendants. Mourir avant 60 ans semble être ainsi le destin de 12 % des hommes et 5 % des femmes d’une génération de salariés du privé, dans l’étude en 2008 de Bouhia. D’après cette étude, 6,7 % des hommes nés entre 1940 et 1946 et cadres dans le secteur privé à 36 ans sont décédés avant 60 ans, contre 14,3 % de ceux employés ou ouvriers non qualifiés. Son étude analyse les risques de décès précoce (entre 35 et 60 ans) d’une génération de salariés du privé par catégorie socioprofessionnelle (CSP) détaillée. Elle apporte des résultats statistiques permettant d’étayer l’hypothèse d’un rôle des conditions de travail dans la formation des inégalités sociales de mortalité. Elle montre qu’à milieu social donné, où les comportements et modes de vie peuvent être considérés comme homogènes, apparaissent des écarts significatifs de mortalité précoce entre les CSP détaillées, qui semblent renvoyer aux risques spécifiques de chaque profession. Plus encore, elle met en évidence un lien entre le risque de décès et les caractéristiques d’emploi comme la taille de l’entreprise, le fait d’être ou non à temps complet et le secteur d’activité. Cependant, l’exposition à certains risques professionnels associés à la consommation de tabac se traduit par une multiplication des risques et non par une simple addition de ceux-ci. Ainsi la fréquence des broncho-pneumopathies chroniques obstructives chez des sujets soumis à un empoussiérage chronique (céréaliers, fondeurs, etc.) est beaucoup plus élevé chez les fumeurs. De même, si le risque de cancer bronchique chez les employés non fumeurs exposés à l’amiante est de 5 (un sujet non fumeur non exposé à l’amiante ayant un risque de cancer bronchique de 1), le risque est de 10 chez le fumeur non exposé et d’environ 50 chez le fumeur exposé à l’amiante. Cette potentialisation multiplicative existe pour d’autres expositions professionnelles : radon, fer, arsenic, bischlorométhyléther, goudrons, chrome, nickel. Par ailleurs, l’étude « 3T » (ou « Tabac – territoires – travail ») 3, une initiative des Laboratoires Pierre Fabre Santé, et menée par le Pr Dautzenberg, apporte un éclairage sur les habitudes Tableau 1. Le « top 3 » des MP les plus fréquemment reconnues en 2006 (Source : Eurogip, 2009) Pays No 1 No 2 No 3 Allemagne Surdités Asbestoses et plaques pleurales Mésothéliomes Autriche Surdités Maladies de la peau Asthmes bronchiques allergiques Maladies ostéo-articulaires Paralysie des nerfs due à la pression Surdités Maladies de la peau TMS Surdités Espagne TMS Maladies de la peau Surdités France TMS Maladies de l’amiante Lombalgies Italie TMS Surdités Maladies respiratoires Maladies infectieuses Asbestoses Canal carpien Portugal TMS Surdités Maladies respiratoires Suède TMS Surdités Pathologies psychosociales Suisse Surdités Maladies infectieuses Maladies de la peau Belgique (2005) Danemark (2005) Luxembourg 80 Préventique Sécurité - N° 107 - Septembre-octobre 2009 D’après photo Groupe Préventique (15 % des salariés), mais l’exposition aux produits chimiques a progressé (près de 7 M de salariés ont été exposés à au moins un produit chimique, lors de la dernière semaine travaillée précédant l’enquête). Dans l’ensemble, les risques et pénibilités ont davantage augmenté pour les ouvriers et les employés, ainsi que dans l’agriculture et la construction. du tabagisme sur le lieu du travail, le rapport avec la hiérarchie, la prévalence des arrêts de travail et des accidents de conduite. L’originalité de cette évaluation « 3T » réside dans le fait que par sa méthodologie aucun territoire n’est négligé, artisans, professions libérales, salarié du privé ou du public sont représentés dans cette évaluation à hauteur de leur poids respectifs dans la société française (méthode des quotas, Institut CSA Santé, cf. encadré, p. 82). En 2003, le nombre d’années vécues avec ou sans incapacité varie selon la catégorie socioprofessionnelle : un homme cadre de 35 ans peut espérer vivre encore 47 ans dont 34 indemne de toute incapacité, un ouvrier, 41 ans dont 24 ans sans incapacité. En 2007, 43 832 maladies professionnelles (MP) sont reconnues (dont 420 avec décès), soit une hausse de 3,6 % par rapport à 2006 (42 306 MP réglées). Les maladies professionnelles en Europe Eurogip publie les résultats d’une nouvelle étude sur les MP dans 13 pays européens : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, 3. Dautzenberg B., Osman J. et Taieb C. « Résultats de l’étude “ 3T ” : Tabac, territoires, travail ». In : Entretiens de Bichat (atelier). Paris, le 17 septembre 2009. Cahier spécial Santé et travail Tableau 2. Coûts directs des MP et accidents du travail en 2006 (Source : Cramra) IP Coût (€) Syndrome canal carpien 9% 11 537 Traumatisme du pouce* 14 % 52 904 Surdité 24 % 88 669 Perte de la vision complète d’un œil 30 % 113 556 Amputation de la main dominante 70 % 418 358 600 367 Décès * correspondant à la perte de la phalange unguéale de la main dominante 64 ans représentatives des 38,3 millions d’individus en âge d’activité Portugal, Suède et Suisse. Concernant les MP déclarées en 2006, le Danemark, la France et la Suède arrivent en tête avec respectivement 626, 401 et 349 pour 100 000 assurés. Pour ce qui est des cas reconnus, la plupart le sont au titre des listes nationales de MP, lesquelles différent sensiblement selon les pays. La France et la Suède sont les deux pays qui en reconnaissent le plus (respectivement 282 et 267 cas pour 100 000 assurés en 2006). L’évolution des demandes de reconnaissance et des cas reconnus entre 2002 et 2006 est à la hausse en Espagne, France, Luxembourg et Portugal, notamment par la « généreuse » prise en compte des troubles musculo-squelettiques (TMS) dans ces pays. Les MP les plus fréquentes en 2006 sont souvent les mêmes d’un pays à l’autre, à l’exception notable des TMS. Ils représentent 85 % des cas reconnus de MP en Espagne et 80 % en France, mais ne sont pas cités parmi les MP les plus fréquentes en Allemagne et en Autriche (cf. tableau 1). Le coût global des TMS est considérable et avoisinerait, selon l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail, 1,5 % du PIB européen. D’après l’enquête générale en 2007 sur la force de travail dans l’Union européenne (UE) des vingt-sept, 8,6 % des travailleurs avaient eu au cours des douze mois précédant l’enquête un problème de santé lié à leurs conditions de travail, soit 8,53 % des hommes et 8,59 % des femmes (De Norre B., Eurostat 2009). Le secteur de l’agriculture, de la chasse et de la forêt présente des conditions de travail particulièrement nocives pour la santé au travail des salariés (13,47 % de femmes et 10,47% d’hommes de ce secteur ont eu un problème de santé lié au travail). Des chiffres élevés sont ainsi retrouvés respectivement pour les hommes dans la communication, les mines et carrières, le stockage et dans les transports ; et pour les femmes dans le secteur de la santé et les services sociaux. Les TMS affectent en premier lieu les salariés du BTP tandis que les problèmes de santé liés aux risques psychosociaux (stress, anxiété et dépression) concernent d’abord ceux travaillant l’intermédiation financière. Dans une autre enquête menée en 2002, conduite par le ministère chargé du travail et l’Insee, portant sur la perception du retentissement du travail sur la santé : 20 % des personnes en âge d’activité signalant un problème de santé, l’attribuent à leur travail (accident ou maladie), soi près de 1,7 millions de personnes. Un cadre sur 3 attribue ses dépressions et autres troubles psychologiques à son travail. Cette proportion passe à 40 % pour les problèmes du dos ou des membres, notamment par les agriculteurs et les ouvriers (cf. Dares, Premières Informations et Premières synthèses - mai 2004). Cette enquête portait sur 38.324 personnes de 15 à Daubas-Letourneux et al. ont fait une approche comparée des parcours professionnels de malades atteints de cancer en Seine-Saint-Denis et d’enquêtés Sumer 2003 identifiés comme exposés à au moins un cancérogène. Ils constatent que des types de parcours comparables se retrouvent dans les deux groupes : ceux ayant déjà un cancer et les salariés enquêtés de Sumer 2003 qui n’en ont pas encore. Ces résultats apportent plus de questions que de réponses. Comment faire progresser la prévention ? Pour faire progresser la prévention, il semble essentiel d’identifier des facteurs de vulnérabilité dans le 1er groupe (polyexposition et comportements à risques associés, indice de masse corporelle (IMC) élevé, facteurs de prédisposition génétique, etc. ?) et des facteurs de protection dans le second groupe (meilleure hygiène de vie, activité physique régulière, polymorphisme génétique, etc. ? ). Renehan et al. (2008) ont montré via une méta-analyse qu’un gain de 5 points de l’IMC (IMC ≥ 30) augmente les risques pour plusieurs cancers (thyroïde, colon, œsophage et rein pour les hommes ; utérus, vésicule biliaire, œsophage et rein pour les femmes). Il serait intéressant d’approfondir et valider nos connaissances sur la relation éventuelle entre le stockage de certaines substances chimiques toxiques lipophiles dans notre tissu lipidique à long terme et la survenue de certaines maladies chroniques graves tels que certains cancers. D’après Bouillet et Descotes (2008), l’activité physique influence la qualité Septembre-octobre 2009 - N° 107 - Préventique Sécurité 81 Cahier spécial Santé et travail de vie, accroît les capacités physiques, diminue la fatigue et réduit les symptômes secondaires liés au cancer et aux traitements. Et que le bénéfice de l’exercice physique sur la survie à 5 ans et à 10 ans est respectivement de 4 % et de 6 %. Pour ces deux médecins cancérologues, la consommation de fruits et de légumes associée à l’activité physique a une influence bénéfique sur la mortalité. Ainsi, manger plus de 5 rations quotidiennes de fruits et de légumes et faire au moins 30 minutes de marche soutenue par jour réduit de près de 50 % les risques de rechute de cancer du sein4. Les MP et les accidents du travail (AT) ont un coût direct et indirect (cf. tableau 2). D’après le rapport Deriot et Godefroy (2005), le coût moyen annuel de la prise en charge des malades du mésothéliome par le régime général de la sécurité sociale (RGSS) en 2001 peut être estimé à 56 856 euros par mésothéliome. Le coût annuel moyen de la prise en charge des malades de cancers broncho-pulmonaires (CBP) par le RGSS peut être estimé à 44 226 euros par CBP. Sur cette base et sous certaines hypothèses de mortalité, en fourchette basse, le coût annuel moyen de prise en charge des CBP est estimé à 71,5 M d’euros. Ainsi, le coût de la prise en charge des victimes de CBP attribués à l’amiante et de leurs ayants droit par les RGSS serait compris, sur vingt ans, entre 3,3 Mds d’euros en fourchette basse et 7,4 Mds d’euros en fourchette haute. Il est à noter que, depuis plus d’une décennie, le poids des cancers professionnels (CP) reconnus sur le nombre total des MP reconnues reste autour de 3 à 4 %. En 2005, seulement 3,32 % des MP reconnues concernent les CP, soit 1 725 cancers reconnus dans le RGSS contre entre 12 800 à 27 200 nouveaux cas de CP attendus au total. En 2005, seulement entre 6,3 % (1 725/27 200) à 13,5 % (1 725/12 800) des CP attendus ont été effectivement reconnus en MP dans le RGSS, soit très approximativement un cancer professionnel attendu sur dix a été reconnu en MP en 2005, ce qui confirme une situation bien connue de sous-reconnaissance chronique des CP. Pour Rosental (2007), à la sous-déclaration s’ajoute la sous-reconnaissance, teintée d’arbitraire : elle varierait de 1 à 12 selon les caisses régionales d’assurance maladie dans le cas du mésothéliome et des cancers de la plèvre, maladies liées à l’amiante. Presque 70 % de l’ensemble des MP seraient ainsi « invisibles », avec des variations régionales allant du simple au double. L’étude « 3T » (« Tabac – territoires - travail ») Cette étude, à l’initiative de Pierre Fabre Santé, a été conduite par téléphone sur un échantillon de 1950 personnes (âgées de 18 à 65 ans), représentatif de la population active française (28 millions de personnes), par des enquêteurs qualifiés (Institut Santé CSA, juin 2009). Taille des entreprises 24 % < 10 salariés 20 % 10 – 49 salariés 18 % 50 – 249 salariés ≥ 250 salariés 38 % * L’inégalité sociale de santé se traduit aussi par la forte prévalence de fumeurs chez les ouvriers par rapport aux autres CSP. Cette différence de prévalence du tabagisme entre les CSP est statistiquement significative. Sur les 6 derniers mois Fumeur ** Ex-fumeur Non-fumeur Catégories CSP Agriculteurs exploitants Artisans, commerçants et chefs d’entreprise Cadres et professions intellectuelles supérieures Professions intermédiaires Employés Ouvriers* AT (p < 0,01) 19 % 15,2 % 11,6 % Taux d’AT 4% 2,8 % 1,8 % % CSP 3% % fumeurs 16,67 % 6% 24,3 % 15 % 21,4 % 24 % 29 % 23 % 22,95 % 25,44 % 32,89 % Accidents de trajet*** 1,6 % 1,2 % 0,9 % ** Plus d’hommes (53 %) que de femmes (47 %) fument dans cet échantillon (n = 1950). Avec un tabagisme de 10 cig. /j, près de 50 % des fumeurs fument au volant. À 20 cig./j, près de 75 % des fumeurs fument au volant. Il existe respectivement un excès d’accidents de voiture de 13 % chez les « gros fumeurs » (≥ 25 cig. /j) et de 3 % chez les « petits fumeurs » (< 20 cig. /j). La relation entre tabagisme et pause est linéaire (1 pause pour 2,5 cig./j). Par ailleurs, les différences observées entre les populations « fumeurs », « ex-fumeurs » et « non-fumeurs » sont statistiquement significatives (p < 0,001) pour les prévalences d’arrêt de travail respectivement de 19 %, 15,25 % et 11,57 %. *** Près de la moitié des accidents de trajet en plus chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs. Nous remercions cordialement Pierre Fabre Santé de nous avoir autorisé l’utilisation des résultats de l’étude « 3T » pour illustrer cet article. 82 Préventique Sécurité - N° 107 - Septembre-octobre 2009 Les risques psychosociaux (RPS) en général et le stress professionnel en particulier sont peu reconnus en termes de MP (parfois en AT pour les suicides en lien avec le travail), mais ils ont cependant un coût non négligeable. D’après le rapport Mental Health in the Workplace (BIT, 2000), les pays de l’Union européenne consacreraient entre 3 et 4 % de leur PIB aux problèmes de santé mentale. Pour la France, cela représenterait environ 60 Mds d’euros. Aux États-Unis, les dépenses publiques occasionnées par le traitement de la dépression se situent entre 30 et 44 Mds de dollars. Dans de nombreux pays, l’anticipation du départ à la retraite pour cause de troubles mentaux est de plus en plus courante, à tel point que ces troubles sont en train de devenir le premier motif de versement des pensions d’invalidité5. Les études épidémiologiques ont par ailleurs mis en évidence des relations entre les RPS et les MCV ou les TMS. Dans le cadre du projet de recherche Pensare, un colloque a été organisé à Paris le 28/11/08 sur le thème « Pénibilité du travail, santé et retraite ». L’un des constats dressés lors de ce colloque est que les salariés de plus de 50 ans souffrent d’un manque de reconnaissance au travail, ce qui les pousserait à partir plus tôt à la retraite. Ainsi, parmi les salariés quinquagénaires, 57 % souhaiteraient partir rapidement en retraite. Il est à rappeler que, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne pour l’emploi en Europe, l’Union européenne s’est fixée l’objectif d’atteindre en 2010 un taux d’emploi de 50 % pour les personnes âgées de 55 à 64 ans. En 2007, ce taux est de 44,7% dans l’ensemble de l’Union européenne à 27, et de 38,3% en France. Le Rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail de M. Nasse et du Dr Légeron, préconise ainsi la construction d’un « indicateur global de risque psychosocial centré sur le stress tiré d’une enquête psychosociale » via un consensus d’approche. Suite au prochain numéro : « L’éducation par la santé et la santé au travail » Une bibliographie est disponible sur demande à [email protected]. 4. cf. www.semainedescancers93.fr/www. semainedescancers93.fr/bilan-semaine-des-cancers93-2008/2e-journee-93-cancer-du-sein/014-activitephysique-et-cancer.html. 5. cf. www.ilo.org/public/french/bureau/inf/magazine/37/ costs.htm.