La santé au travail et la santé pour tous

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La santé au travail et la santé pour tous
Cahier spécial
Santé et travail
DÉVELOPPEMENT
Le développement durable est un concept très fédérateur, soulignons-nous très souvent
(cf. en particulier, l’entretien avec Simon Charbonneau, p. 7), qui s’étend bien au-delà des
enjeux environnementaux. Son application aux questions de santé est ici étudiée avec
finesse par Émile Phan Chan The. Après avoir souligné que les questions de santé ne sauraient être vues sous l’angle de mécanismes génétiques distincts des mécanismes environnementaux, il présente un état des lieux rigoureux de la santé au travail en France et en
Europe et des données de la prévention
Démographie médicale, développement durable, pluridisciplinarité, santé durable, santé environnementale, santé
globale, santé publique, santé au travail
1re partie
La santé au travail et la santé pour tous
L’HOMME fait partie intégrante de son
environnement avec lequel il est en
interaction permanente. Les propositions pour un deuxième « plan national
santé-environnement » (PNSE2) 20092013 répondent donc à un engagement
de l’ensemble des parties prenantes lors
des tables rondes du Grenelle Environnement des 24, 25 et 26 octobre 2007. La
réduction des pathologies à fort impact
sur la santé passe par une amélioration
de la qualité des milieux et notamment
par une réduction des expositions aux
substances CMR en milieu du travail.
É. Phan Chan
The est médecin
du travail et chargé
d’enseignement
à l’Université
Pierre-et-MarieCurie – Paris VI
Par ailleurs, comme l’indique le rapport
de l’expertise collective de l’INSERM,
Cancer et environnement, commanditée par l’Afsset, « une séparation trop
tranchée entre mécanismes génétiques
et environnementaux semble cependant
particulièrement réductrice de nos jours,
puisque les polymorphismes génétiques
pourraient expliquer partiellement la
susceptibilité individuelle aux effets
1. INSERM (expertise collective pour l’Afsset), Cancer et
Environnement. Paris, 2008, 889 p. (http://ist.inserm.
fr/basisrapports/cancerenvir2008.html).
78 Préventique Sécurité - N° 107 - Septembre-octobre 2009
toxiques des polluants »1. La santé au
travail a donc tout intérêt à investir le
champ développé dans le futur PNSE2
concernant le monde du travail en termes de santé environnementale et de
développement durable. S’intéresser au
concept du développement durable est
une manière élégante de se préoccuper
du sort de l’environnement de son prochain. Professionnels de santé et/ou de la
prévention, nous donnons toutes et tous
un sens au terme et concept de « santé »,
ce « bien supérieur » des économistes…
tout en espérant que cette santé « durable » ne restera pas qu’un simple vœu
pieux. Le terme « durable », très utilisé
actuellement, est associé à divers autres
concepts (développement durable, prévention durable, etc.) car consciemment
ou non, nous percevons bien que tout
« ça » pourrait ne pas « durer »…
La santé durable
Il est à rappeler que M me Roselyne
Bachelot-Narquin, ministre de la santé,
de la jeunesse, des sports et de la vie
associative, a ainsi présenté au conseil
des ministres du 22 octobre 2008 son
projet de loi « Hôpital, patients, santé et
territoires » comme un projet de santé
durable pour nos concitoyens. La thématique de santé durable préoccupe
donc également nos plus hautes
autorités sanitaires.
Le développement durable de la santé
au travail passe aussi par la qualité de
la formation des professionnels intervenant dans le monde du travail (médecins
du travail…) et leur nombre suffisant,
comme cela est évoqué dans le rapport
sur Le bilan de réforme de la médecine du
travail des Prs Conso et Frimat (2007)
ou dans le projet actuel des partenaires sociaux en vue d’un futur « protocole d’accord sur la modernisation de
la médecine du travail ». Ce projet qui
appelle également les services de santé
au travail (SST) à constituer autour du ou
des médecins du travail une équipe de
santé au travail, en vue de renforcer l’efficacité de l’action de l’équipe pluridisciplinaire des SST interentreprises, avec un
pilotage et une gouvernance rénovés.
Une trentaine d’enseignants du Collège
national des enseignants de médecine
et santé au travail ont rédigé Douze
Cahier spécial
Santé et travail
DURABLE et santé au travail
propositions et réflexions pour une santétravail rénovée qu’ils ont adressées le
8 juin 2009 aux partenaires sociaux 2.
Dans cette note, ils insistent sur la place
et sur le rôle de la santé-travail dans les
politiques de santé et réaffirment que le
médecin du travail, aidé par une équipe
d’intervenants en prévention, est le spécialiste unique des interactions entre
conditions de travail et santé en entreprise. On peut également y lire ceci : « Le
métier de médecin du travail passe par la
spécialité obtenue par le diplôme d’études
spécialisées (DES, ndlr) suite à l’examen
classant national (un nombre suffisant de
postes ouverts devrait être demandé par
les différents partenaires). En dehors de
la formation initiale, il est impératif que
le DES de médecine du travail puisse être
obtenu dans le cadre de la formation professionnelle (passerelle). Dans tous les cas,
la formation devra respecter la maquette
pédagogique nationale alliant formation
théorique et pratique. […] Pour l’exercice
de la santé-travail, afin de répondre à
l’approche pluridisciplinaire, au besoin de
santé des entreprises et mieux utiliser les
compétences de spécialiste des différents
acteurs, il est proposé la création d’équipes
santé-travail qui fonctionneraient comme
des unités fonctionnelles dont le médecin
du travail devrait être le responsable ou le
coordonnateur selon les cas. » L’arrêté du
3 juillet 2009 fixant le nombre de postes
offerts aux épreuves classantes nationales en médecine par interrégion et par
discipline ainsi que leur répartition par
subdivision d’internat au titre de l’année
universitaire 2009-2010 (cf. JORF n°0155
du 7 juillet 2009, p. 11433, texte n° 29 et
www.legifrance.gouv.fr) confirme une
augmentation globale de 8,5 % de postes entre l’année universitaire 2008-2009
et 2009-2010. Certaines spécialités ont
enregistré une augmentation notable
telle que la discipline « médecine du travail » qui est passée de 54 postes à 105
postes pour l’année universitaire 20092010. Cependant, ce nombre correspond
à peu près à celui de postes proposés il y
a cinq ans avant les « coupes sombres »
D’après photo Groupe Préventique
par Émile Phan Chan The
de 2005 (cf. www.sante-durable.fr/telechargement/CdP_Sante_Durable.pdf).
Les premières causes
de mortalité
En 2004, 509 408 décès de toutes causes
sont survenus en France métropolitaine.
Les 3 premières causes sont respectivement et par ordre décroissant : les
tumeurs (30 %), les maladies cardiovasculaires ou MCV (28,9 %) et les accidents
– transports ou autres – (4,8 %). Une origine professionnelle est suspectée dans
4 à 8,5 % des cas de tumeurs, soit entre
12 800 et 27 200 nouveaux cas par an.
Cette hiérarchie des causes varie selon le
genre et l’âge. Chez les femmes, les MCV
arrivent en tête. Quel que soit le genre,
chez les 15-24 ans, les morts violentes
(accidents de transport et suicide) sont
les causes de décès les plus fréquentes.
Chez les hommes et en 2004, la 1re cause
de décès est le suicide entre 25 et 44 ans
et le cancer du poumon de 45 à 64 ans.
Chez les femmes, les tumeurs prédominent dès 25-44 ans et le cancer du
sein est la 1re cause de décès entre 45 et
64 ans. À partir de 65 ans, les MCV sont
la 1re cause de décès chez les hommes et
chez les femmes.
L’analyse économique des coûts du cancer en France, par l’Institut national du
cancer en 2007, les chiffre à 12 milliards
(Mds) d’euros en termes de dépense globale, dont 10 Mds pour les soins. 780 millions (M) d’euros ont été investis pour la
recherche, 350 M pour les dépistages et
120 M pour la prévention, dont plus de
100 M pour la lutte contre le tabagisme
et la consommation excessive d’alcool.
D’après l’enquête Sumer 2003, l’exposition des salariés à la plupart des risques
et pénibilités du travail a eu tendance
à s’accroître entre 1994 et 2003. Les
contraintes organisationnelles se sont
globalement accrues (23 % des salariés
se déclarent en situation de job strain,
le stress professionnel), les pénibilités
physiques également (plus de 3 M de
salariés sont exposés à un bruit supérieur
à 85 dB (A), près de 7,5 M de salariés doivent soulever ou déplacer des « charges
lourdes », 17 % des salariés sont exposés
aux gestes répétitifs…). L’exposition à
des agents biologiques est restée stable
2. Collège national des enseignants de médecine et santé
au travail, Douze propositions et réflexions pour une
santé-travail rénovée. Note adressée le 8 juin 2009 aux
partenaires sociaux (7 p.), cf. www.istnf.fr/_admin/
Repertoire/Fichier/2009/12-090609061830.pdf).
Septembre-octobre 2009 - N° 107 - Préventique Sécurité 79
Cahier spécial
Santé et travail
Les inégalités sociales
Les inégalités sociales de mortalité
entre groupes sociaux pris au sens
large peuvent résulter principalement
de différences en termes de comportements et modes de vie, et/ou en termes
d’exposition aux risques professionnels,
les deux pouvant par ailleurs être interdépendants. Mourir avant 60 ans semble
être ainsi le destin de 12 % des hommes
et 5 % des femmes d’une génération de
salariés du privé, dans l’étude en 2008
de Bouhia. D’après cette étude, 6,7 %
des hommes nés entre 1940 et 1946 et
cadres dans le secteur privé à 36 ans sont
décédés avant 60 ans, contre 14,3 % de
ceux employés ou ouvriers non qualifiés.
Son étude analyse les risques de décès
précoce (entre 35 et 60 ans) d’une génération de salariés du privé par catégorie
socioprofessionnelle (CSP) détaillée. Elle
apporte des résultats statistiques permettant d’étayer l’hypothèse d’un rôle
des conditions de travail dans la formation des inégalités sociales de mortalité.
Elle montre qu’à milieu social donné,
où les comportements et modes de vie
peuvent être considérés comme homogènes, apparaissent des écarts significatifs de mortalité précoce entre les CSP
détaillées, qui semblent renvoyer aux risques spécifiques de chaque profession.
Plus encore, elle met en évidence un
lien entre le risque de décès et les caractéristiques d’emploi comme la taille de
l’entreprise, le fait d’être ou non à temps
complet et le secteur d’activité.
Cependant, l’exposition à certains
risques professionnels associés à la
consommation de tabac se traduit par
une multiplication des risques et non par
une simple addition de ceux-ci. Ainsi la
fréquence des broncho-pneumopathies
chroniques obstructives chez des sujets
soumis à un empoussiérage chronique
(céréaliers, fondeurs, etc.) est beaucoup
plus élevé chez les fumeurs. De même,
si le risque de cancer bronchique chez
les employés non fumeurs exposés à
l’amiante est de 5 (un sujet non fumeur
non exposé à l’amiante ayant un risque
de cancer bronchique de 1), le risque
est de 10 chez le fumeur non exposé et
d’environ 50 chez le fumeur exposé à
l’amiante. Cette potentialisation multiplicative existe pour d’autres expositions
professionnelles : radon, fer, arsenic, bischlorométhyléther, goudrons, chrome,
nickel. Par ailleurs, l’étude « 3T » (ou
« Tabac – territoires – travail ») 3, une
initiative des Laboratoires Pierre Fabre
Santé, et menée par le Pr Dautzenberg,
apporte un éclairage sur les habitudes
Tableau 1. Le « top 3 » des MP les plus fréquemment reconnues en 2006 (Source : Eurogip, 2009)
Pays
No 1
No 2
No 3
Allemagne
Surdités
Asbestoses
et plaques pleurales
Mésothéliomes
Autriche
Surdités
Maladies de la peau
Asthmes bronchiques
allergiques
Maladies
ostéo-articulaires
Paralysie des nerfs
due à la pression
Surdités
Maladies de la peau
TMS
Surdités
Espagne
TMS
Maladies de la peau
Surdités
France
TMS
Maladies de l’amiante
Lombalgies
Italie
TMS
Surdités
Maladies respiratoires
Maladies infectieuses
Asbestoses
Canal carpien
Portugal
TMS
Surdités
Maladies respiratoires
Suède
TMS
Surdités
Pathologies
psychosociales
Suisse
Surdités
Maladies infectieuses
Maladies de la peau
Belgique (2005)
Danemark (2005)
Luxembourg
80 Préventique Sécurité - N° 107 - Septembre-octobre 2009
D’après photo Groupe Préventique
(15 % des salariés), mais l’exposition aux
produits chimiques a progressé (près
de 7 M de salariés ont été exposés à au
moins un produit chimique, lors de la
dernière semaine travaillée précédant
l’enquête). Dans l’ensemble, les risques
et pénibilités ont davantage augmenté
pour les ouvriers et les employés, ainsi
que dans l’agriculture et la construction.
du tabagisme sur le lieu du travail, le
rapport avec la hiérarchie, la prévalence des arrêts de travail et des accidents de conduite. L’originalité de cette
évaluation « 3T » réside dans le fait que
par sa méthodologie aucun territoire
n’est négligé, artisans, professions libérales, salarié du privé ou du public sont
représentés dans cette évaluation à
hauteur de leur poids respectifs dans la
société française (méthode des quotas,
Institut CSA Santé, cf. encadré, p. 82).
En 2003, le nombre d’années vécues
avec ou sans incapacité varie selon la
catégorie socioprofessionnelle : un
homme cadre de 35 ans peut espérer
vivre encore 47 ans dont 34 indemne
de toute incapacité, un ouvrier, 41 ans
dont 24 ans sans incapacité.
En 2007, 43 832 maladies professionnelles (MP) sont reconnues (dont 420 avec
décès), soit une hausse de 3,6 % par
rapport à 2006 (42 306 MP réglées).
Les maladies
professionnelles en Europe
Eurogip publie les résultats d’une nouvelle étude sur les MP dans 13 pays
européens : Allemagne, Autriche,
Belgique, Danemark, Espagne, Finlande,
France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas,
3. Dautzenberg B., Osman J. et Taieb C. « Résultats de
l’étude “ 3T ” : Tabac, territoires, travail ». In : Entretiens
de Bichat (atelier). Paris, le 17 septembre 2009.
Cahier spécial
Santé et travail
Tableau 2. Coûts directs des MP et accidents du travail en 2006
(Source : Cramra)
IP
Coût (€)
Syndrome canal carpien
9%
11 537
Traumatisme du pouce*
14 %
52 904
Surdité
24 %
88 669
Perte de la vision complète
d’un œil
30 %
113 556
Amputation de la main
dominante
70 %
418 358
600 367
Décès
* correspondant à la perte de la phalange unguéale de la main dominante
64 ans représentatives des 38,3 millions
d’individus en âge d’activité
Portugal, Suède et Suisse. Concernant
les MP déclarées en 2006, le Danemark,
la France et la Suède arrivent en tête
avec respectivement 626, 401 et 349
pour 100 000 assurés. Pour ce qui est
des cas reconnus, la plupart le sont au
titre des listes nationales de MP, lesquelles différent sensiblement selon
les pays. La France et la Suède sont les
deux pays qui en reconnaissent le plus
(respectivement 282 et 267 cas pour
100 000 assurés en 2006). L’évolution
des demandes de reconnaissance et
des cas reconnus entre 2002 et 2006 est
à la hausse en Espagne, France, Luxembourg et Portugal, notamment par la
« généreuse » prise en compte des troubles musculo-squelettiques (TMS) dans
ces pays. Les MP les plus fréquentes en
2006 sont souvent les mêmes d’un pays
à l’autre, à l’exception notable des TMS.
Ils représentent 85 % des cas reconnus
de MP en Espagne et 80 % en France,
mais ne sont pas cités parmi les MP les
plus fréquentes en Allemagne et en
Autriche (cf. tableau 1).
Le coût global des TMS est considérable et avoisinerait, selon l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au
travail, 1,5 % du PIB européen.
D’après l’enquête générale en 2007 sur
la force de travail dans l’Union européenne (UE) des vingt-sept, 8,6 % des
travailleurs avaient eu au cours des
douze mois précédant l’enquête un
problème de santé lié à leurs conditions
de travail, soit 8,53 % des hommes et
8,59 % des femmes (De Norre B., Eurostat 2009). Le secteur de l’agriculture,
de la chasse et de la forêt présente des
conditions de travail particulièrement
nocives pour la santé au travail des
salariés (13,47 % de femmes et 10,47%
d’hommes de ce secteur ont eu un
problème de santé lié au travail). Des
chiffres élevés sont ainsi retrouvés respectivement pour les hommes dans la
communication, les mines et carrières, le
stockage et dans les transports ; et pour
les femmes dans le secteur de la santé
et les services sociaux. Les TMS affectent
en premier lieu les salariés du BTP tandis que les problèmes de santé liés aux
risques psychosociaux (stress, anxiété
et dépression) concernent d’abord
ceux travaillant l’intermédiation financière. Dans une autre enquête menée
en 2002, conduite par le ministère
chargé du travail et l’Insee, portant sur
la perception du retentissement du travail sur la santé : 20 % des personnes en
âge d’activité signalant un problème de
santé, l’attribuent à leur travail (accident
ou maladie), soi près de 1,7 millions de
personnes. Un cadre sur 3 attribue ses
dépressions et autres troubles psychologiques à son travail. Cette proportion
passe à 40 % pour les problèmes du dos
ou des membres, notamment par les
agriculteurs et les ouvriers (cf. Dares,
Premières Informations et Premières
synthèses - mai 2004). Cette enquête
portait sur 38.324 personnes de 15 à
Daubas-Letourneux et al. ont fait une
approche comparée des parcours professionnels de malades atteints de cancer en Seine-Saint-Denis et d’enquêtés
Sumer 2003 identifiés comme exposés à
au moins un cancérogène. Ils constatent
que des types de parcours comparables
se retrouvent dans les deux groupes :
ceux ayant déjà un cancer et les salariés
enquêtés de Sumer 2003 qui n’en ont
pas encore. Ces résultats apportent plus
de questions que de réponses.
Comment faire progresser
la prévention ?
Pour faire progresser la prévention, il
semble essentiel d’identifier des facteurs
de vulnérabilité dans le 1er groupe (polyexposition et comportements à risques
associés, indice de masse corporelle (IMC)
élevé, facteurs de prédisposition génétique, etc. ?) et des facteurs de protection
dans le second groupe (meilleure hygiène
de vie, activité physique régulière,
polymorphisme génétique, etc. ? ).
Renehan et al. (2008) ont montré via une
méta-analyse qu’un gain de 5 points de
l’IMC (IMC ≥ 30) augmente les risques
pour plusieurs cancers (thyroïde, colon,
œsophage et rein pour les hommes ; utérus, vésicule biliaire, œsophage et rein
pour les femmes). Il serait intéressant
d’approfondir et valider nos connaissances sur la relation éventuelle entre le
stockage de certaines substances chimiques toxiques lipophiles dans notre tissu
lipidique à long terme et la survenue de
certaines maladies chroniques graves
tels que certains cancers.
D’après Bouillet et Descotes (2008),
l’activité physique influence la qualité
Septembre-octobre 2009 - N° 107 - Préventique Sécurité 81
Cahier spécial
Santé et travail
de vie, accroît les capacités physiques,
diminue la fatigue et réduit les symptômes secondaires liés au cancer et
aux traitements. Et que le bénéfice de
l’exercice physique sur la survie à 5 ans
et à 10 ans est respectivement de 4 % et
de 6 %. Pour ces deux médecins cancérologues, la consommation de fruits et de
légumes associée à l’activité physique a
une influence bénéfique sur la mortalité.
Ainsi, manger plus de 5 rations quotidiennes de fruits et de légumes et faire
au moins 30 minutes de marche soutenue par jour réduit de près de 50 % les
risques de rechute de cancer du sein4.
Les MP et les accidents du travail (AT)
ont un coût direct et indirect (cf. tableau
2). D’après le rapport Deriot et Godefroy
(2005), le coût moyen annuel de la prise
en charge des malades du mésothéliome par le régime général de la sécurité
sociale (RGSS) en 2001 peut être estimé
à 56 856 euros par mésothéliome. Le
coût annuel moyen de la prise en charge
des malades de cancers broncho-pulmonaires (CBP) par le RGSS peut être
estimé à 44 226 euros par CBP. Sur cette
base et sous certaines hypothèses de
mortalité, en fourchette basse, le coût
annuel moyen de prise en charge des
CBP est estimé à 71,5 M d’euros. Ainsi, le
coût de la prise en charge des victimes
de CBP attribués à l’amiante et de leurs
ayants droit par les RGSS serait compris,
sur vingt ans, entre 3,3 Mds d’euros en
fourchette basse et 7,4 Mds d’euros en
fourchette haute.
Il est à noter que, depuis plus d’une
décennie, le poids des cancers professionnels (CP) reconnus sur le nombre total des
MP reconnues reste autour de 3 à 4 %.
En 2005, seulement 3,32 % des MP reconnues concernent les CP, soit 1 725 cancers reconnus dans le RGSS contre entre
12 800 à 27 200 nouveaux cas de CP
attendus au total. En 2005, seulement
entre 6,3 % (1 725/27 200) à 13,5 %
(1 725/12 800) des CP attendus ont été
effectivement reconnus en MP dans le
RGSS, soit très approximativement un
cancer professionnel attendu sur dix
a été reconnu en MP en 2005, ce qui
confirme une situation bien connue de
sous-reconnaissance chronique des CP.
Pour Rosental (2007), à la sous-déclaration s’ajoute la sous-reconnaissance,
teintée d’arbitraire : elle varierait de 1
à 12 selon les caisses régionales d’assurance maladie dans le cas du mésothéliome et des cancers de la plèvre,
maladies liées à l’amiante. Presque
70 % de l’ensemble des MP seraient
ainsi « invisibles », avec des variations
régionales allant du simple au double.
L’étude « 3T » (« Tabac – territoires - travail »)
Cette étude, à l’initiative de Pierre Fabre Santé, a été conduite par téléphone sur un échantillon de 1950 personnes (âgées de 18 à 65 ans),
représentatif de la population active française (28 millions de personnes), par des enquêteurs qualifiés (Institut Santé CSA, juin 2009).
Taille des entreprises
24 %
< 10 salariés
20 %
10 – 49 salariés
18 %
50 – 249 salariés
≥ 250 salariés
38 %
* L’inégalité sociale de santé se traduit aussi
par la forte prévalence de fumeurs chez les
ouvriers par rapport aux autres CSP. Cette
différence de prévalence du tabagisme entre
les CSP est statistiquement significative.
Sur les 6 derniers mois
Fumeur **
Ex-fumeur
Non-fumeur
Catégories CSP
Agriculteurs exploitants
Artisans, commerçants et
chefs d’entreprise
Cadres et professions
intellectuelles supérieures
Professions intermédiaires
Employés
Ouvriers*
AT (p < 0,01)
19 %
15,2 %
11,6 %
Taux d’AT
4%
2,8 %
1,8 %
% CSP
3%
% fumeurs
16,67 %
6%
24,3 %
15 %
21,4 %
24 %
29 %
23 %
22,95 %
25,44 %
32,89 %
Accidents de trajet***
1,6 %
1,2 %
0,9 %
** Plus d’hommes (53 %) que de femmes (47 %) fument dans cet échantillon (n = 1950). Avec un tabagisme de 10 cig. /j, près de 50 % des
fumeurs fument au volant. À 20 cig./j, près de 75 % des fumeurs fument au volant. Il existe respectivement un excès d’accidents de voiture
de 13 % chez les « gros fumeurs » (≥ 25 cig. /j) et de 3 % chez les « petits fumeurs » (< 20 cig. /j). La relation entre tabagisme et pause est
linéaire (1 pause pour 2,5 cig./j). Par ailleurs, les différences observées entre les populations « fumeurs », « ex-fumeurs » et « non-fumeurs » sont
statistiquement significatives (p < 0,001) pour les prévalences d’arrêt de travail respectivement de 19 %, 15,25 % et 11,57 %.
*** Près de la moitié des accidents de trajet en plus chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs.
Nous remercions cordialement Pierre Fabre Santé de nous avoir autorisé l’utilisation des résultats de l’étude « 3T » pour illustrer cet article.
82 Préventique Sécurité - N° 107 - Septembre-octobre 2009
Les risques psychosociaux (RPS) en
général et le stress professionnel en
particulier sont peu reconnus en termes
de MP (parfois en AT pour les suicides
en lien avec le travail), mais ils ont
cependant un coût non négligeable.
D’après le rapport Mental Health in
the Workplace (BIT, 2000), les pays de
l’Union européenne consacreraient
entre 3 et 4 % de leur PIB aux problèmes de santé mentale. Pour la France,
cela représenterait environ 60 Mds
d’euros. Aux États-Unis, les dépenses
publiques occasionnées par le traitement de la dépression se situent entre
30 et 44 Mds de dollars. Dans de nombreux pays, l’anticipation du départ à
la retraite pour cause de troubles mentaux est de plus en plus courante, à tel
point que ces troubles sont en train de
devenir le premier motif de versement
des pensions d’invalidité5. Les études
épidémiologiques ont par ailleurs mis
en évidence des relations entre les RPS
et les MCV ou les TMS. Dans le cadre du
projet de recherche Pensare, un colloque a été organisé à Paris le 28/11/08
sur le thème « Pénibilité du travail,
santé et retraite ». L’un des constats
dressés lors de ce colloque est que les
salariés de plus de 50 ans souffrent d’un
manque de reconnaissance au travail,
ce qui les pousserait à partir plus tôt à
la retraite. Ainsi, parmi les salariés quinquagénaires, 57 % souhaiteraient partir
rapidement en retraite.
Il est à rappeler que, dans le cadre de la
stratégie de Lisbonne pour l’emploi en
Europe, l’Union européenne s’est fixée
l’objectif d’atteindre en 2010 un taux
d’emploi de 50 % pour les personnes
âgées de 55 à 64 ans. En 2007, ce taux
est de 44,7% dans l’ensemble de l’Union
européenne à 27, et de 38,3% en France.
Le Rapport sur la détermination, la mesure
et le suivi des risques psychosociaux au travail de M. Nasse et du Dr Légeron, préconise ainsi la construction d’un « indicateur
global de risque psychosocial centré sur le
stress tiré d’une enquête psychosociale »
via un consensus d’approche.
Suite au prochain numéro :
« L’éducation par la santé et la santé
au travail »
Une bibliographie est disponible
sur demande à [email protected].
4. cf. www.semainedescancers93.fr/www.
semainedescancers93.fr/bilan-semaine-des-cancers93-2008/2e-journee-93-cancer-du-sein/014-activitephysique-et-cancer.html.
5. cf. www.ilo.org/public/french/bureau/inf/magazine/37/
costs.htm.