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Café d’histoire du 21 septembre 2012.
Le patriciat strasbourgeois de 1789 à 1830.
Par Laure Hennequin-Leconte, professeure agrégée d’histoire.
Mme Hennequin-Leconte est l’auteure de Le patriciat strasbourgeois 1789-1830 : destins croisés et
voix intimes (2012, PUS). Elle enseigne au lycée Marc Bloch, Bischheim.
Plusieurs années durant, je me suis concentrée sur l’histoire de ces familles patriciennes
protestantes, sous la direction de M. Michelot, avec l’aide dévouée de la documentaliste du lycée
Marc Bloch. J’ai analysé les quelques grandes familles de l’espace rhénan ; surtout les familles de
Turckheim et de Dietrich.
J’ai décidé, pour vous parler ce soir, d’illustrer ma démarche en m’attachant à une personne qui
traverse l’Ancien et le nouveau Régime : Guillaume de Turckheim. Sa trajectoire n’est pas linéaire ;
il a pris des chemins de traverse, par rapport à son père banquier et maire de la ville, et sa mère,
éphémère fiancée de Goethe.
Né à Strasbourg le 18 octobre 1785, il va se tourner vers la carrière militaire, combat sous la
Révolution et l’Empire, sera décoré de la Légion d’honneur par Napoléon à Moscou. Il épouse une
demoiselle de Dietrich : Guillaume est au cœur d’une comédie humaine. C’est un personnage de
roman ou de théâtre.
 Ne jamais m’écarter du beau chemin dans lequel je vois mes parents s’avancer avec une telle
fermeté. On a de lui un poème, non daté, pour la fête de papa : il est rédigé en français, très
cérémonieux qui devait montrer son évolution dans les humanités. Dans un environnement très
codifié, les parents se montrent fiers de leurs enfants : cela signifie la solidité de la famille. Dans
le poème, le fils exprime respect et reconnaissance au père, qui est le héros, présenté à la 3 ième
personne. Il y a comme une relation entre le Père divin et le père humain, lequel apparaît
comme un don du ciel
 Guillaume, étudiant à Goettingen, n’est pas comme ses frères, docile et obéissant. Dans sa
correspondance, il exprime respect à ses parents, mais il fait un peu ce qu’il veut. De ses écarts
ou errements estudiantins beaucoup d’éléments semblent avoir été gommés pour donner une
image cohérente à la postérité. Il réclame, par exemple, des airs de musique, en disant que la
musique est sa seule récréation dans ses études. Il est souvent ironique sur sa nature
indisciplinée : Je vous demande mille pardons pour le désordre de ma lettre…, je ne suis pas
homme à être ordonné, ni à combattre mon destin. Le père finance quand même – largement –
ses études pendant que lui se dit être une nature de désir et pas seulement de raison, tout en
essayant d’avoir une certaine sobriété dans ses dépenses, sobriété qu’il ne respecte pas vraiment.
 Le conseil d’un père à son fils. Non seulement le père surveille les études, il lui dresse un plan
d’études détaillé en 1803. Il y a l’importance des Allemagnes pour l’apprentissage de l’histoire
et des méthodes. Guillaume devra étudier le Droit public, qui est du droit romain, puis la
législation française. Il doit être rompu à la conversation française, allemande et anglaise. Le
père met en garde son fils contre sa fougue, en matière politique surtout, en temps de Révolution
 La mère de Guillaume : Lilly. Conserver la noble ambition du bien. Elle n’arrête pas de lui
rappeler le devoir de respect de la religion, en même temps elle est persuadée de la bonté de la
nature humain, à la manière de Rousseau. Elle ne cesse de lui réaffirmer son amour, en
associant le frère de Guillaume. Elle dit ses inquiétudes, fait ses recommandations, formule ses
exigences. Mais il y a toujours une ouverture au-delà du cercle familial. La sociabilité est
favorable à l’épanouissement moral. L’amour des autres est à la source du contentement
personnel. Elle est soucieuse des détails matériels de la vie de son fils. Elle rappelle que son seul
bonheur est celui d’être mère.
 Essayer le rude passage de l’âge adolescent à l’âge viril, et d’abord l’exil en Allemagne. Son
précepteur Arnold le suit et le presse. Il l’initie à l’importance des réseaux. Pourtant Guillaume
essaie d’avoir une philosophie de vie équilibrée, en dosant études, souci de soi, développement
corporel, et bien à faire aux autres : ces recommandations il les donnera à son neveu, sur la base
de son expérience.
 La carrière (de fonctionnaire), de l’avis de tout le monde, ne mène à rien du tout ! Guillaume
fait un passage au Ministère à Paris. Si Paris est la ville de tous les dangers pour les parents,
pour Guillaume elle le confronte à ses lacunes : il ne maîtrise pas très bien la langue de Molière.
Mais surtout la fonction publique n’a pas l’aura souhaitée pour Guillaume, et il la quitte
rapidement : l’appel des armes est bien plus fort pour lui. Il estime qu’il doit faire quelque chose
de grandiose. Il s’engage en 1806 et devient l’aide de camp de Rapp jusqu’à la fin de l’Empire.
Il sillonne l’Europe, participe à beaucoup de campagnes et en profite pour améliorer ses
connaissances linguistiques, et même l’italien ‘avec beaucoup de brio’.
 Nous nous devons aux autres plus qu’à nous-mêmes. Il est le gendre précieux de la maison de
Dietrich. Il épouse en 1818 Amélie de Dietrich, malgré une grande différence d’âge. C’était en
même temps un mariage qui sauvait la maison de Dietrich, car Guillaume va y jouer un rôle
essentiel, notamment en participant en 1827 à la transformation du statut des Forges. Mais il est
aussi un mari heureux ; les deux époux partagent l’amour de la nature, ils achètent le domaine
de Truttenhausen, au pied du Mont Sainte Odile ; ce qui les distingue des autres patriciens
strasbourgeois. Guillaume pense absolument comme moi, écrira Amélie.
Guillaume était un grand ami du général Rapp, parrain d’un de ses enfants. Il a rempli l’objectif fixé
par son précepteur : réussir sa vie à force d’épreuves !
Questions – Réponses.
M. Spiesser suggère d’utiliser des lettres des de Turckheim et de Dietrich pour illustrer de façon
renouvelée nos livres d’histoire.
Si les courriers de famille ont parfois un caractère convenu, les lettres de la fratrie ou entre amis
montrent une grande liberté. Et notamment l’amitié masculine entre Guillaume et Rapp.
Guillaume est-il représentatif du patriciat strasbourgeois ? Il est vraiment à part, indiscipliné. Or,
dans la tradition patricienne, les parents aiment leurs enfants, mais les enfants doivent être
conformes à l’attente des parents, sinon ils sont « laminés ». Dans l’ensemble les enfants
réussissaient parce qu’ils avaient intériorisé l’attente et les exigences des parents.
Nous fêtons aujourd’hui l’anniversaire de la proclamation de la Première République :21 septembre
1792 !
Notes R. Kriegel.

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