Taux faibles et comportement d`épargn

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Taux faibles et comportement d`épargn
Allemagne
Taux faibles et comportement d’épargne des ménages
 Allemagne : enquêtes sur les ménages de 50 à 64 ans
■ Les taux d’intérêt constituent un important canal de
transmission de la politique monétaire.
■ Les données macroéconomiques suggèrent que le repli
des taux pèse sur le potentiel d’épargne.
■ Selon les données microéconomiques, la baisse des taux
ne modifie guère les comportements d’épargne.
─ Epargne à présent ▬ Taux du Bund 10 ans, % (é.d.)
La très grande faiblesse des taux d’intérêt nominaux et ses effets
préjudiciables sur l’épargne ont donné lieu à des débats animés
dans la zone euro et, en particulier, en Allemagne. Les critiques de
hauts responsables politiques étaient telles que la Banque centrale
européenne a dû réagir et expliquer que si les taux d’intérêt sont bas,
c’est pour une raison et une seule : la croissance est trop faible et
son mandat (objectif d’inflation) est on ne peut plus clair 1 . Le
plongeon du rendement du Bund à 10 ans en territoire négatif, le 14
juin dernier, est venu rappeler, si besoin était, ce pénible épisode.
Les rendements nominaux des échéances rapprochées sont négatifs
depuis plus longtemps ; à l’heure actuelle, 70 % des obligations
d’Etat allemandes sont assorties de rendements négatifs.
Rendements obligataires et transmission de la politique
monétaire
Les rendements obligataires sont un canal de transmission majeur
de la politique monétaire. La baisse des rendements des obligations
d’Etat peut avoir plusieurs effets : affaiblir la monnaie et stimuler
ainsi les exportations ; déclencher un rééquilibrage du portefeuille au
profit d’actifs générant un rendement attendu supérieur mais assortis
d’un risque plus élevé. Cela crée des effets de richesse et abaisse le
coût de financement pour les entreprises, tout au moins dans la
mesure où la prime demandée de risque de crédit ou de risque sur
capitaux propres n’augmente pas. Un tel reflux des rendements peut
également favoriser les dépenses des ménages en baissant le coût
d’opportunité d’une hausse des dépenses et d’une baisse de
l’épargne. Cependant, sur ce dernier point, on peut aussi imaginer le
scénario inverse : soucieux de ne pas s’exposer davantage au risque
d’investissement, les ménages peuvent éprouver le besoin
d’épargner davantage pour leur retraite devant la baisse du revenu
de leurs placements financiers et le ralentissement de l’accumulation
de la richesse financière. Un scénario qui, s’il se vérifiait, serait
préjudiciable à la transmission de la politique monétaire.
« Nous avons pour mandat de chercher à atteindre la stabilité des prix pour toute la
zone euro, pas seulement pour l’Allemagne. Ce mandat a été fixé aux termes du
Traité, de la loi européenne. Nous obéissons à la loi, pas aux politiques, parce que
nous sommes indépendants. De fait, tout cela s’applique à tous les pays, à tous les
responsables politiques de la zone euro ». Déclaration introductive à la conférence de
presse (avec Q-R), Mario Draghi et Vítor Constâncio, 21 avril 2016 (source : BCE)
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Graphique 1
Sources : Commission européenne, Thomson Reuters
Taux d’intérêt et
macroéconomiques
comportements
d’épargne :
données
On peut a priori considérer que l’effet net du repli des taux doit être
de soutenir la consommation ne serait-ce que parce que, dans le cas
contraire, cela signifierait que les banques centrales ne doivent pas
abaisser les taux pendant une récession, en tout cas pas dans le but
de favoriser la consommation. Les questions détaillées des enquêtes
de la Commission européenne auprès des ménages permettent d’en
savoir plus à ce sujet, tout au moins au niveau macroéconomique.
Le graphique 1 présente l’évolution du rendement du Bund à 10 ans
(un proxy des conditions globales des taux d’intérêt pour les
épargnants) et la manière dont les ménages allemands évaluent
l’environnement actuel de l’épargne. Il s’agit ici, en l’occurrence, des
réponses de la tranche d’âge des 50-64 ans qui ont en général
remboursé (la majeure partie) de leur crédit immobilier et qui
épargnent en vue de leur retraite 2 . Comme l’indique la courbe
descendante, les ménages sont de plus en plus nombreux à
considérer que ce n’est pas le bon moment pour épargner. La
corrélation avec les taux d’intérêt à long terme montre que cette
opinion est très sensible aux taux d’intérêt3.
L’appréciation des ménages sur les conditions de l’épargne
influence-t-elle les comportements d’épargne? Le graphique 2 vise à
faire la lumière sur ce point.
La question sur « l’épargne dans les 12 prochains mois » évalue la
probabilité d’épargne des ménages. Les réponses, qui varient
sensiblement, présentent une certaine corrélation avec la croissance
du revenu disponible réel : comme il fallait s’y attendre, lorsque la
conjoncture s’améliore, les ménages prévoient d’épargner davantage.
L’« état de la situation financière » montre dans quelle mesure les
Les comportements d’épargne des diverses tranches d’âge sont en fait très corrélés.
Les ménages participant à l’enquête avaient le choix entre les réponses suivantes :
un très bon moment pour épargner/un assez bon moment/pas un bon moment/un très
mauvais moment/ne sait pas.
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William De Vijlder
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ménages considèrent qu’ils épargnent beaucoup ou qu’ils
s’endettent 4 . A l’exception des années 2002-2003, cette série a
enregistré une tendance à la hausse et tout particulièrement après
2003 : de plus en plus de ménages allemands, entre 50 et 64 ans,
déclarent épargner davantage. Cela ne s’explique pas
nécessairement par la baisse des taux d’intérêt. D’autres facteurs
pourraient également jouer un rôle, comme le vieillissement de la
population.
Des études récentes de la BCE donnent un aperçu de la manière
dont l’évolution des taux d’intérêt dans la zone euro affecte les
ménages dans leur ensemble, c’est-à-dire toutes tranches d’âge
confondues. En Allemagne et en France, le repli des versements
d’intérêts et celui des intérêts reçus, suite à la baisse des taux, sont
quasiment les mêmes. En Italie, en revanche, les produits d’intérêt
ont plus reculé que les charges en raison du faible endettement des
ménages et du pourcentage élevé d’actifs portant intérêt détenus par
les ménages en pourcentage du revenu disponible. En Espagne, les
intérêts versés accusent une plus forte baisse que les intérêts
perçus5.
Taux d’intérêt et
microéconomiques
comportements
d’épargne :
données
La situation est en fait plus complexe car le « ménage moyen »
n’existe pas : ceux qui ont souscrit un crédit immobilier bénéficient
de la baisse des taux ; d’autres, qui ont un portefeuille défensif de
titres à revenu fixe, doivent, lorsque les obligations arrivent à
échéance, investir dans des instruments assortis d’un rendement
inférieur. D’autres encore détiennent un portefeuille bien fourni
d’actions qui peuvent, parfois, bénéficier du repli des rendements
obligataires. De plus, l’exposition nette aux taux d’intérêt n’est pas la
même selon les tranches d’âge. En 2015, la Deutsche Bundesbank a
réalisé une étude très détaillée (Panel on Household Finances) selon
laquelle « seul un petit nombre de foyers indiquait en 2014 avoir
adapté leur comportement d’épargne en fonction de la baisse des
taux d’intérêt »6. Plus de 75 % ont déclaré n’avoir « rien changé »,
15 % ont abaissé leur taux d’épargne et 7 % se sont tournés vers
des placements différents. De plus, « le pourcentage de foyers qui
ajustent leur comportement d’épargne augmente avec la taille du
patrimoine ». Le comportement varie, par ailleurs, avec l’âge : les
épargnants âgés (55 ans ou plus) sont plus nombreux que les plus
jeunes à déclarer qu’ils épargnent moins qu’auparavant, tandis que
les jeunes épargnants ont tendance à se tourner plus souvent vers
d’autres types de placement. Peut-être ce comportement s’expliquet-il par un horizon d’investissement plus lointain entraînant une
propension plus forte à la prise de risque.
 Allemagne : enquêtes sur les ménages de 50 à 64 ans
Epargne dans les 12 prochains mois et situation financière
▬ Epargne dans les 12 mois à venir ▬ Situation financière
▬ Revenu disponible réel des ménages, g.a. % (é.d.)
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Graphique 2
Sources : Commission européenne, Thomson Reuters
l’épargne. De plus, lorsque impact il y a eu, il a été conforme à
l’objectif de la BCE qui visait soit un recul du taux d’épargne, soit un
transfert vers d’autres types de placements (assortis, comme on peut
le supposer, de risques plus élevés). Dans les deux cas, cela va
dans le sens de la transmission de la politique monétaire. Au niveau
macroéconomique, nous tablons, en dépit d’un environnement de
taux très bas, sur une nouvelle hausse du taux d’épargne en 2016 à
10 % du revenu disponible contre 9,5 % en 2015. Une prévision en
partie liée à la forte croissance du revenu disponible (réel) qui n’est
pas intégralement et immédiatement dépensé. De plus, la tranche
des 50-64 ans, dont la propension à l’épargne est relativement
élevée, ne cesse de croître. Enfin, les ménages pourraient sousestimer leur épargne qui englobe aussi leurs cotisations aux régimes
de retraite professionnelle, ce qu’ils ignorent souvent.
Pour résumer, ces différents éléments montrent que la baisse des
taux d’intérêt est, certes, une source d’inquiétude pour les ménages
mais que son impact est resté limité sur le comportement de
Les ménages participant à l’enquête avaient le choix entre les réponses suivantes :
nous épargnons beaucoup / nous épargnons peu / nous faisons en sorte de joindre
les deux bouts avec le revenu que nous avons / nous devons prélever sur notre
épargne / nous nous endettons / nous ne savons pas.
5 Faiblesse des taux d’intérêt et produits net d’intérêt des ménages, Encadré 3,
Bulletin économique de la BCE, Numéro 4 2016.
6 Comportement des ménages allemands en matière d’épargne et de placement dans
un contexte de taux d’intérêt bas, Rapport mensuel de la Deutsche Bundesbank,
octobre 2015.
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economic-research.bnpparibas.com
William De Vijlder
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