Cours en ligne ouverts et massifs de Shawn Graham Perdrons

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Cours en ligne ouverts et massifs de Shawn Graham Perdrons
Cours en ligne ouverts et massifs
de Shawn Graham
Perdrons-nous tous nos emplois? Est-ce que les médias numériques feront à l'éducation ce
qu'ils ont fait aux journaux et à la musique? Y aura-t-‘il, d’ici cinquante ans, seulement dix
universités subsistantes dans le monde entier? 1
C'était une prédiction audacieuse à faire. Face à ce battage médiatique, il semblerait que l'idée
d'un MOOC (Massive Online Open Course) - que l'on appelle cours en ligne ouvert et massif –
ait été parachevée en 2012 et sa domination paraissait assurée. Ses disciples les plus célèbres
sont Sebastian Thrun, professeur en intelligence artificielle à Stanford et fondateur de Udacity
(et prophète de l’anéantissement des universités), et Daphne Koller ainsi que Andrew Ng,
également professeurs en intelligence artificielle à Stanford et co-fondateurs de Coursera.
Ce que nous appelons tous des « MOOC » ont d’abord été développés au Canada et ils étaient
alors des créations très différentes. Normalement, on peut différencier deux types de MOOC xMOOC et cMOOC. Les cMOOC (style connectiviste) ont retenu une certaine attention, jusqu'à
ce qu'ils soient éclipsés par les xMOOC, les versions qui visent à valider les compétences
acquises en octroyant un certificat de réussite, au point où très peu de gens se souviennent de
la première version des MOOC. En 2008 George Siemens et Stephen Downes ont élaboré un
cours à l'Université du Manitoba basé sur une philosophie connectiviste de l'enseignement
permettant aux élèves de créer des environnements personnels d'apprentissage à partir
d'outils en ligne, qui étaient par la suite incorporés dans un écosystème en ligne (le contenant
du cours). Cela a permis d’élargir le nombre d’élèves à l’Université du Manitoba inscrits au
cours, environ 2000 personnes. L'histoire de l'émergence des cMOOC et de leur éclipse par les
xMOOC est décrite par Audrey Watters, un observateur bien connu des tendances clés en
enseignement supérieur, dans son allocution à la conférence de l'innovation Ed -Tech en
Alberta. 2
Que réaliseraient ces xMOOC nouveau style? Mais ils résoudraient les problèmes d'accès à
l'université bien sûr! Ils recruteraient les meilleurs superprofesseurs (occidentaux) pour donner
des conférences vidéo à l’échelle de la planète! Les élèves s’éduqueraient eux-mêmes! Mais le
plus important, d'un point de vue administratif, on économiserait de l'argent :
1
Leckart, Steven, ‘The Stanford Education Experiment Could Change Higher Learning Forever’ Wired March 20
2012. http://www.wired.com/wiredscience/2012/03/ff_aiclass/3/
2
Watters, Audrey. ‘Ed-Tech #Edinnovation’ Hack Education 4 May 2013. http://hackeducation.com/2013/05/04/edtech-argo-f-k-yourself/
Comment cela peut-il mener à des diminutions de coûts? Les économies peuvent s'accumuler
rapidement s’il y a une inscription massive au cours et si certaines sections sont enseignées par
des personnes moins bien rémunérées, ou si le cours dure plusieurs années et les concepteurs et
le professeur responsable peuvent être payés graduellement. 3
Ces nouveaux xMOOC sont une sorte de solutionisme techno, où la question clé n'est pas de
savoir ‘comment pouvons-nous utiliser la technologie pour aider les élèves à apprendre’, mais
plutôt ‘comment puis-je ériger une plate-forme capable d'évoluer à une plus grande échelle’. Ils
semblent naturellement être une excellente solution au problème des coûts, problème pour
lequel nous employons des administrateurs afin de le résoudre et la raison pour laquelle les
administrateurs sont beaucoup plus enthousiastes envers les xMOOC que ceux qui enseignent.
Mais ces plates-formes ne sont pas axiologiquement neutres et ils concrétisent certaines
relations de pouvoir. Ils façonnent les élèves à la technologie plutôt que d’agencer la
technologie aux besoins des élèves. Ils transforment littéralement les étudiants en
consommateurs passifs. Il y a aussi un parfum de colonialisme dans la suggestion que les
superprofesseurs occidentaux (quels qu'ils soient : qui décide ?) transmettront leur sagesse aux
masses reconnaissantes du monde entier.
Mais ils ont déjà échoué. « En plus d’avoir des taux d'attrition élevés »; disent les adeptes,
« nous n’avions tout simplement pas la bonne sorte d’étudiants ». 4 « Non, vous ne pouviez pas
avoir les réponses aux questions parce que je ne pouvais pas réutiliser ces questions. 5 En effet,
de nombreux étudiants qui s'inscrivent aux MOOC ont déjà des diplômes universitaires et n'ont
pas vraiment besoin de diplôme qu’un MOOC puisse offrir.6
En termes de pédagogie ou d'utilisation de la technologie, les MOOC, tel que nous les
connaissons depuis 2012, n’offrent rien d’uniquement « nouveau ». Toutefois, lorsqu'il est
utilisé correctement, je suis d’avis qu’un MOOC est plus un défi pour les éditeurs que pour les
enseignants. Il est plus juste de concevoir un MOOC comme étant un manuel à multiples
modalités. Comme les manuels, un certain pourcentage de la population les utilise pour
apprendre. Mais la plupart des élèves ont besoin de beaucoup plus qu'un manuel, plus que de
3
Runte, Roseanne. ‘Education on the computer model: faster, more efficient, customized’ 4 June 2013 Globe and
Mail .
4
Kolowich, Steve. ‘San Jose State U. Puts MOOC Project with Udacity on Hold’ The Chronicle of Higher
Education July 19, 2013. http://chronicle.com/article/San-Jose-State-U-Puts-MOOC/140459/ They didn’t have
access to computers or the internet, for one thing.
5
Rivard, Ry. ‘No Right Answers’. Inside Higher Ed. July 5 2013.
http://www.insidehighered.com/news/2013/07/05/one-mooc-professor-wont-let-students-know-right-answers
6
Kolowich, Steve. ‘A University’s Offer of Credit for a MOOC Gets No Takers’ The Chronicle of Higher Education
Sept 27 2013. http://chronicle.com/article/A-Universitys-Offer-of-Credit/140131/
vidéos préemballées ou de questions à choix multiples corrigées par une machine. Les maisons
d’édition comme Pearson se lancent dans la sphère des MOOC pour une raison. 7 En dépit de
leur prétendue ouverture, les MOOC négligent quiconque ne peut apprendre de cette façon. En
termes de technologie, les MOOC ne créent rien de novateur que ne le font les organismes à
but lucratif en ligne tels que l'Université de Phœnix ou la Grand Canyon University (où j'ai déjà
travaillé) depuis des années.
Nous n’avons pas à insister sur les lacunes pédagogiques résultant d’un nombre massif
d'étudiants qui sont « éduqués » par une tête parlante dans une vidéo sur You Tube, des
questions à choix multiples et des forums de discussion non modérés dans des cours nonévalués, 8 surtout pour quelqu'un qui a passé du temps dans une salle de classe. Le rejet du
MOOC de Harvard créé pour l’enseignement sur la justice sociale par le département de
philosophie de la San Jose State University publié dans une lettre ouverte au printemps dernier,
était une répudiation éloquente non seulement de l’« éducation » des MOOC, mais aussi de
leurs fondements philosophiques. Dans une tournure ironique, pour un cours sur la justice
sociale, les auteurs de la lettre ont écrit,
« [...] Nous craignons que deux classes d'universités soient créées: l’une composée de collèges et
d’ universités bien financés où les étudiants privilégiés obtiennent leur propre professeur réel,
l'autre, composée d’universités privées et publiques en difficulté financière où les élèves
regardent un tas des conférences sur bande vidéo et interagissent, si toute interaction est
possible sur leur campus ou à la maison, avec un professeur que ce modèle d'éducation a
transformé en un assistant d'enseignement exalté ».
Comme le souligne Jonathan Rees, professeur d'histoire à Colorado State University et critique
acerbe de MOOC, même ses plus ardents partisans tentent d'atténuer le battage médiatique à
la lumière de la réaction négative sur les MOOC, en se référant au cycle du battage médiatique
de Gartner. 9 Il poursuit en disant que,
« Lorsque les administrations donnent aux membres du corps professoral la liberté d'innover et
d’enseigner comme ils l'entendent, de grandes choses ont vu le jour. Lorsque cela ne s’est pas
7
Watters, A. ‘Top Ed-Tech Trends of 2012: MOOCs’ Hack Education 3 December 2012
http://hackeducation.com/2012/12/03/top-ed-tech-trends-of-2012-moocs/.
8
Sans parler de la tricherie.
9
Rees, Jonathan. ‘The MOOC hype cycle is older than you think.’ More or Less Bunk 19 September 2013.
http://moreorlessbunk.wordpress.com/2013/09/19/the-mooc-hype-cycle-is-older-than-you-think/
produit, les usines à diplômes numériques de David Noble 10 persistent. Ce qui sépare le premier
scénario du deuxième, c'est le pouvoir ».
Le pouvoir. C'est pourquoi nous devons, en tant que discipline, s’initier à qui se passe dans le
monde de l'éducation en ligne. Mes propres étudiants me disent souvent, « j’ai choisi de faire
des études en histoire pour ne pas utiliser d’ordinateurs! ». Mais de faire ainsi serait
d’abdiquer notre responsabilité aux entreprises de médias numériques, départements de
sciences informatiques et administrateurs qui cherchent une solution.
Mais c'est une solution à un faux problème. L’accès à l'éducation et la répartition efficace de
ressources financières pour faciliter tout ce que nous faisons en enseignement sont des
questions sérieuses, mais ce ne sont pas problèmes auxquels les MOOC sont plus aptes à
résoudre. Le vrai problème auquel un MOOC pourrait apporter une réponse est de savoir
« comment pouvons-nous amener les gens à participer à notre production universitaire
scientifique? ». Plus pratiquement, comment pouvons-nous convaincre les gens à lire ce que
nous écrivons? L’environnement idéal de la plate-forme de MOOC (et un nouvel acronyme sera
définitivement nécessaire), est à repenser ce que le livre pourrait être.11
Mon collaborateur, Scott Weingart, est un étudiant au doctorat en histoire de la science qui, avec Katy
Börner et David Polley ont utilisé des outils open source de Google pour concocter leur propre plateforme indépendante pour offrir un cours gratuit sur la visualisation d'information. 12 L’opinion de
Weingart, après avoir conçu, construit et géré un MOOC est que :
[...] s'ils sont conçus et utilisés correctement, les MOOC peuvent mener à de plus amples classes
et, en fait, peuvent être conçus de manière à ce qu'ils ne peuvent pas plus être utilisés pour
remplacer les salles de classe que les manuels massivement distribués le peuvent .... Bref, nous
offrons le MOOC comme un manuel libre et ouvert et non pas comme un remplacement de la
classe. Dans la salle de classe, nous l'utilisons comme un outil pour parfaire l’éducation. Pour
ceux qui choisissent de faire des travaux et de bien les réussir avec leurs équipes d'étudiants,
nous reconnaissons leur bon travail avec un écusson plutôt qu'un crédit universitaire. La crainte
que les MOOC automatiseront forcément les enseignants à distance n'est pas plus bien-fondé
qu’est l'idée que les manuels et tests standardisés le feraient; de plus, si les administrateurs
10
Noble, David. Digital Diploma Mills: The Automation of Higher Education (New York: Monthly Review Press,
2001)
11
Fryshman, Bernard. ‘Books are MOOCS, Too’, Inside Higher Ed August 2 2013
http://www.insidehighered.com/views/2013/08/02/let-us-count-ways-books-and-moocs-are-alike-essay
12
Börner, Katy, David Polley, Scott Weingart Information Visualization MOOC Indicana University
http://ivmooc.cns.iu.edu/
choisissent d'utiliser les MOOC à cet effet, ils ne sont pas plus en droit de le faire que s'ils
désireraient remplacer des enseignants avec des manuels scolaires. 13
Quel que soient les capacités additionnelles d’un MOOC, l'éducation en ligne est fermement
inscrite dans l’agenda des administrateurs, avec leur souhait de développer un MOOC une seule
fois, de les offrir et de les oublier par la suite (l’éducation prenant soin d’elle-même tout en leur
permettant de se vanter d’avoir créé un MOOC!). Mais notre discipline doit énoncer clairement
ce que les MOOC peuvent et ne peuvent pas faire et comment ils peuvent être intégrés dans un
écosystème plus large, tout comme Weingart l’a fait. Et si les éditeurs de nos sociétés savantes
publiaient une version en ligne de nos livres et articles qui comporteraient des vidéos des
auteurs qui partageraient leurs idées dans chaque chapitre, chaque section? Et si les forums de
discussion pouvaient être un lieu où les différentes classes d’étudiants qui utilisent le livre - et
le grand public - pouvaient se réunir pour discuter de ces idées? Et si votre livre pourrait
atteindre des milliers de personnes qui sont engagées dans une conversation avec non
seulement l’un et l'autre, mais aussi avec vous? Et si nous prenions les idéaux d'un cMOOC au
sérieux et l’utilisait pour transformer notre discipline? Scott Weingart, Ian Milligan et moimême œuvrons précisément en ce sens et écrivons notre livre sur une plate-forme ouverte en
permettant à nos lecteurs de s'engager avec nous au niveau de chaque paragraphe.14 À titre
d’expérimentation, celle-ci pourrait ne pas fonctionner tel que prévu, mais les technosolutionistes ont raison sur un point: les médias numériques perturbent la façon dont nous
faisions les choses dans le passé. Nous devons devancer cette perturbation pour la guider là où
elle pourrait faire le plus de bien, plutôt que du mal. C’est trop important pour laisser-faire les
administrateurs et les investisseurs en capital-risque.
13
14
Weingart, Scott. ‘On MOOCS’ The Scottbot Irregular http://www.scottbot.net/HIAL/?p=35306
Graham, Shawn, Ian Milligan, Scott Weingart, The Historian’s Macroscope http://themacroscope.org