Eros Center : le « non » féministe

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Eros Center : le « non » féministe
Le Soir, 17/06/2011, page/bladzijde 9
Société / Le Conseil des femmes francophones contre le projet de Liège et Seraing
Eros Center : le « non » féministe
Pour
L’ESSENTIEL
● Le projet de centre
de prostitution à Liège
devrait être examiné
par le conseil communal d’ici peu.
● Les féministes et
le CDH sortent du bois.
● « Pure idéologie ! »,
s’indigne l’ASBL Isatis,
porteuse du projet.
● Le bourgmestre
Demeyer (PS) tempère.
on aux Eros Centers ! ».
Le Conseil des femmes
francophones de Belgique vient de rendre avis négatif
concernant la création, à Liège et
à Seraing, d’un « centre de la
prostitution ». Le CFFB y voit
« un marché du sexe soutenu par
les pouvoirs publics » et s’engage
« à mettre en œuvre toutes les démarches utiles, et le cas échéant, à
poursuivre judiciairement toute
initiative en ce sens ».
Trois jours plus tôt, le bureau
du CDH, poussé par la députée
bruxelloise Céline Frémaut, s’opposait, lui aussi, à l’ouverture
d’un tel centre et annonçait son
intention de lutter « de manière
drastique contre la prostitution ». Hasard du calendrier ?
Pas sûr. Car si le collège échevinal de Seraing (PS) a déjà pris
une décision de principe, la Ville
de Liège (PS-CDH), elle, doit encore se prononcer. Et le point
pourrait être mis à l’ordre du jour
du prochain conseil communal
fixé ce 27 juin. « Cet avis sera versé au dossier et examiné sereinement », réagit le bourgmestre,
Willy Demeyer (PS).
Ce projet est en gestation depuis 2009. Porté par l’ASBL Isatis (Initiative sociale d’aide aux
N
Quand la
LE FUTUR CENTRE DE PROSTITUTION devrait être installé rue Varin, à Liège. L’objectif : offrir aux
prostituées un cadre de travail sûr et des services sociaux et sanitaires. © MICHEL TONNEAU
travailleurs indépendants du
sexe), il vise à ouvrir un centre de
la prostitution comprenant une
cinquantaine de salons situés rue
Varin, à Liège. La Régie Foncière, propriétaire du terrain, céderait celui-ci pour l’euro symbolique à l’ASBL Isatis. La Ville se
porterait garante pour un prêt
bancaire (entre 4 et 5 millions
d’euros).
Ce projet a fait l’objet d’un consensus (parquet, police, associations de terrain, prostituées…).
Et va au-delà de la simple location de salons (aide socio-sanitaire, promotion de la santé, lutte
contre l’exclusion sociale…).
Avec un dispositif très large (sécu-
rité, plan d’affaire, etc.).
« Il faut arrêter de réduire la
prostitution à un acte d’oppression de la femme. Toutes ne sont
pas contraintes ou victimes de réseaux, insiste Michaël Dantinne,
A un an des élections
communales, la Ville de Liège et
sa voisine Seraing vont donc
devoir prendre une décision.
docteur en criminologie à l’ULg
et administrateur d’Isatis. Ce projet permet de sortir les pratiques
d’une zone grise, dangereuse. Il offrira aux prostituées les garanties d’un exercice libre de leur activité. Qu’il s’agisse de dignité d’hy-
Santé publique /
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giène, de sécurité, sans oublier la
protection contre le proxénétisme
hôtelier ». L’Eros Centre liégeois
s’inspire, notamment, de la Villa
Tinto, à Anvers, ouverte depuis
plus de 10 ans. Seule différence :
la gestion est assurée par un entrepreneur privé. « Ici, il s’agit
d’une association sans but lucratif, insiste Luc Helin, de l’association Icare, partenaire du projet.
Et nous aurons une politique globale et intégrée ».
Le Conseil des femmes francophones ne l’entend pas de cette
oreille. Pour lui, il s’agit d’un
« lieu institutionnalisé » qui
« consacre la prostitution ».
« C’est insensé, réagit Michael
Contre
Sécurité
renforcée
Trop « élitiste »,
trop coûteux
– Tous les salons sont regroupés dans un seul lieu.
Celui-ci est conforme aux
règles d’urbanisme et d’hygiène. Avec un encadrement sanitaire (prévention, dépistages, soins) et
une assistance sociale, administrative et juridique.
– Il permet de lutter contre le proxénétisme et
protéger les personnes
prostituées contre les pratiques abusives en matière
de loyers (proxénétisme
hôtelier).
– Les travailleuses sont
davantage en sécurité
(système de surveillance,
services de police à proximité…).
– Ce type de centre permet de créer une certaine
cohésion sociale entre les
locataires des salons.
– Il permet d’offrir aux
clients un lieu totalement
professionnalisé, qui a pignon sur rue.
H. DO.
– Ce type de centre ne
s’occupe que d’une seule
forme de prostitution (dite « de salon »). Les autres
activités (racolage en rue,
sur internet…) ne sont pas
prises en compte.
– Il vise un certain profil
de personnes prostituées
(qui ont les moyens ; qui
acceptent de se plier aux
règles en vigueur, etc.).
– Les occupantes des salons doivent verser une location d’environ 50 à
60 euros par période de
12 heures. Cela représente un certain budget comparé aux prix de location
de certains salons dans le
privé (600 euros/mois,
dans certains cas). H. DO.
Dantinne (ULg). Préfère-t-on
voir croupir ces personnes dans
des salons glauques et dangereux ? Ce projet ne fait en rien
l’apologie de la prostitution ! Il se
veut réaliste et pragmatique. Les
intéressées sont demandeuses. Il
est un peu désobligeant de voir
certains affirmer avec aplomb ce
qui est bon pour elles. C’est une vision purement idéologique qui ne
tient pas compte de la réalité de
terrain ».
A Seraing, aussi, les arguments
vont dans ce sens : offrir aux prostituées (et aux clients) un cadre
propre et sécurisant, loin des salons malfamés d’aujourd’hui ;
permettre un contrôle plus grand
du trafic ; permettre aux associations (Icar, Espace P, Thaïs…)
d’accompagner au mieux les travailleuses du sexe, etc.
A un an des élections communales, la Ville de Liège et sa voisine Seraing vont donc devoir prendre une décision. « Il faut avancer ! », insiste-t-on au sein d’Isatis. Avec quatre partis (PS-CDHEcolo-MR) relativement unanimes au niveau local, malgré certaines divergences de vues. Emanant de féministes, notamment.
« Il faut arrêter d’être dans l’idéologie pure, conclut un élu. Il y a
un besoin, il faut y répondre. Et
arrêter l’hypocrisie et la démagogie ». ■
HUGUES DORZÉE