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La biologisation de quoi ?
Appel à contribution pour la Revue Genre, sexualité & société
Depuis les années 1990, les études sur le genre et la sexualité ont renouvelé leurs objets et se sont
aventurées dans le domaine des « sciences naturelles », cherchant d’une part à prendre au sérieux les
questionnements de la biologie et d’autre part à en critiquer certains résultats. La question du « sexe biologique »
peut à cet égard être considérée comme le paradigme de cette critique, permettant à la fois de revendiquer une
série d’objets auparavant « réservés » aux sciences de la nature, et de questionner à nouveaux frais les cadres
conceptuels sur lesquels les études sur le genre avaient construit leurs premières épistémologies (sexe naturel vs.
genre social). Terme polysémique par excellence, le sexe reste au cœur des controverses scientifiques et connaît
des déplacements incessants, recherchant tantôt son plus petit commun dénominateur du côté des sciences
naturelles, ou sa meilleure définition au-delà du clivage nature/culture dans les sciences sociales (Gardey &
Löwy, 2000 ; Löwy & Rouch, 2003 ; Rouch, Dorlin & Fougeyrollas, 2005 ; Hoquet, 2013).
La critique de la « biologisation du social » parfois portée par les sciences sociales, a-t-elle eu des effets
sur les sciences « de la nature » ? De quelle façon les recherches en biologie et en médecine entendent-elles
l’idée du social et incorporent éventuellement dans leurs travaux les critiques des sciences sociales ? Quels
impacts les conceptions biologiques du sexe ont-elles sur l’analyse et l’organisation du social ?
Loin d’inviter à la clôture des débats, ce numéro de la revue Genre, sexualité & Société propose de
multiplier les angles exploratoires afin de permettre un état des lieux des nouvelles approches consacrées aux
rapports entre sciences biologiques et sciences sociales autour de la question du sexe et de la sexualité. Si
l’idéologie de la nature passe par la perpétuation de l'idée selon laquelle le sexe dit biologique est un donné, il
vaut la peine de poursuivre l’enquête sur les différentes définitions du sexe : d’une part, en portant d’avantage
d’attention aux contextes disciplinaires où ces définitions sont établies et à l’historicité des catégories mobilisées
pour les poser ; d’autre part, en analysant les discours et les pratiques qui fondent la différence sexuée comme
telle, leurs effets sur les traitements, les prises en charge et les interventions médicales sur les corps. De
nombreux domaines de recherches s'ouvrent alors :
Un premier axe interrogera les savoirs et les théories contemporaines de la différence sexuée et de la
sexualité. Depuis les années 1990, de nombreux travaux en études féministes des sciences ont mis en évidence la
présence de métaphores genrées, de biais androcentriques et hétéro-normatifs dans les représentations
scientifiques du sexe et de la sexualité (Fox Keller, 1995 ; Haraway, 1991 ; Martin, 1991 ; Weils, 2006).
La naturalisation des comportements sexués et sexuels se joue de plus en plus dans les études
scientifiques en quête d’explications de type biologique – principalement dans les études néo-darwiniennes, les
travaux en génétique ou les recherches neuro-endocriniennes. Ainsi, les tentatives d’expliquer par des facteurs
biologiques des supposées différences cognitives entre les sexes, de trouver une origine génétique aux désirs
sexuels ou aux identifications psychiques, posent à nouveaux frais le problème des prismes sociaux à travers
lesquels ces questions sont posées, les protocoles d’enquête établis, leurs résultats interprétés et diffusés,
notamment via l’édition scientifique de vulgarisation.
Dans quelle mesure ces enquêtes constituent-elles le dernier avatar de la naturalisation des identités
sociales, au moment même où celles-ci sont réinvesties politiquement ? Ces recherches et ces théories
participent-elles uniquement à la légitimation et à la validation scientifiques des inégalités entre les sexes, ou
pourraient-elles également servir d'argument scientifique pour contester l'origine biologique de ces inégalités ?
Un deuxième axe questionnera les implications de l’usage de la catégorie de sexe – comme catégorie
médicale – dans la médecine clinique et/ou expérimentale contemporaine, ce qu'on nomme en anglais le « sexbased biology » ou « gender-specific medicine ».
Depuis la fin des années 1980, un mouvement en faveur de la diversification des populations dans les
études de santé a conduit à l’inclusion des femmes et des minorités – auparavant sous-représentées dans ces
études. Or, tandis que le « profilage ethno-racial » a rapidement suscité de nombreuses critiques et controverses
arguant qu’aucune catégorie ethno-raciale ne peut se fonder sur des différences qualitatives, uniformes et stables,
mais uniquement sur des différences statistiques et variables, le « profilage sexué » a, semble-t-il, été plus
facilement accepté (Epstein, 2007).
Compte tenu de la complexité qu’il y a à distinguer biologiquement deux sexes, quelles sont les tensions
que soulève le recours à la catégorie de sexe comme catégorie médicale dans les champs de la santé ? Quels sont
les effets d’une prise en charge différenciée des individus selon leur sexe ? Dans quelle mesure ce profilage
sexué contribue-t-il à la réification des catégories hommes/femmes ?
Enfin, un troisième axe portera sur la façon dont les savoirs et les pratiques biomédicales
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contemporaines fabriquent du sexe à proprement parler.
Les interventions sur les individus intersexués, les opérations de réassignation de sexe pour les
personnes trans, les reconstructions du clitoris post-excision ou les opérations d’élargissement du pénis sont des
exemples d’interventions chirurgicales exprimées tantôt dans les termes d’un besoin médical (correction,
réparation), tantôt dans les termes d’un droit à disposer de son corps et de le transformer. Quels sont les
problèmes actuels que pose cette clinique du sexe : entre demande motivée par les personnes concernées et
imposition normative produite par l’institution médicale ?
Au-delà des aspects anatomiques et chirurgicaux, la fabrique du sexe s’effectue de façon croissante par
la voie de substances moléculaires. L’usage des hormones dans différents contextes - la pilule contraceptive
(Watkins 2001), les « traitements hormonaux de substitution », les « hormonothérapies », mais aussi les
substances telles que le viagra - constituent tout autant des pratiques de régulation sexuelle et sexuée qui
transforment des corps et des identités. Cependant, depuis quelques années, ces substances échappent au
monopole médical à travers leur mise en circulation sur les marchés officiels et officieux. Comment dès lors
appréhender les multiples réappropriations et détournements dont font l’objet ces technologies, contribuant à la
fabrique de corps et de subjectivités hors normes (bodybuilders, corps trans, dopage, etc.) ?
Les axes sont présentés à titre indicatif et n’ont pas vocation à épuiser le sujet. À partir de ces différents
questionnements, ce numéro entend croiser les approches disciplinaires et méthodologiques afin de garder
ouverte la possibilité d’un dialogue critique entre sciences de la vie et sciences sociales autour de la question du
sexe et de la sexualité. Nous invitons par conséquent les contributeurs/trices à proposer des articles s’inscrivant
dans ces perspectives de recherche. Les travaux empiriques (s'appuyant sur des sources diverses ; archives,
ethnographie, analyse de littérature scientifique etc.) seront particulièrement les bienvenus.
Calendrier :
Les propositions d’articles, d’environ 5000 signes, doivent inclure un titre, une présentation de l’article, de ses
objets et ses méthodes, ainsi que les nom, prénom, statut, rattachement institutionnel et email de l’auteur.e. Elles
doivent être envoyées avant le 31 janvier 2014 aux coordinateurs/trices du numéro (Alexandre Jaunait,
[email protected], Michal Raz, [email protected] et Eva Rodriguez, [email protected]) et
au comité de rédaction ([email protected]). Les auteur.e.s seront avisé.e.s par mail des propositions retenues au
cours du mois de février 2014. Les articles devront être envoyés le 30 mai 2014 au plus tard. Selon la charte
déontologique de la revue, chaque article fera l’objet d’une double évaluation anonyme. À noter donc que
l’acceptation de la proposition ne signifie pas acceptation automatique de l’article.
Bibliographie indicative:
BUTLER Judith, Défaire le genre, Paris, Amsterdam, 2006.
DORLIN Elsa, Sexe, genre et sexualité, Paris, PUF, 2008.
EPSTEIN Steven, Inclusion : The Politics of Difference in Medical Research, Chicago and London, The
University of Chicago Press, 2007.
FAUSTO-STERLING Anne, Corps en tous genres, Paris, La Découverte, 2012 [2000].
FOX-KELLER Evelyn, Refiguring Life: Metaphors of Twentieth-century Biology, New York, Columbia
University Press, 1995.
GARDEY Delphine et Ilana LÖWY (dir.), L'invention du naturel. Les sciences et la fabrication du féminin et du
masculin, Paris, Archives Contemporaines, 2000.
HARAWAY Donna, Des singes, des femmes et des cyborgs. La réinvention de la nature, Arles, Actes
Sud/Editions Jacqueline Chambon, 2009 [1991].
HOQUET Thierry, Le sexe biologique. Anthologie historique et critique. Volume 1. Femelles et Mâles ? Histoire
naturelle des (deux) sexes, Paris, Hermann, 2013.
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KRAUS Cynthia, « Études critiques du cerveau sexué ». Revue d’anthropologie des connaissances, 7(3) : 693–
716, 2013.
LAQUEUR Thomas, La fabrique du sexe : essai sur le corps et le genre en Occident, Paris, Gallimard, 1992
[1990].
LÖWY Ilana et Hélène ROUCH (dir.), Cahiers du Genre, n° 34, « La distinction entre sexe et genre – Une
histoire entre biologie et culture », Paris, L'Harmattan, 2003/1.
MARTIN Emily, « The Egg and the Sperm : How Science Has Constructed a Romance Based on Stereotypical
Male-Female Roles ». Signs, 16 :485-501, 1991.
ROUCH Hélène, Elsa DORLIN et Dominique FOUGEYROLLAS (dir.), Le Corps entre sexe et genre, Paris,
L’Harmattan, 2005.
SCHIEBINGER Londa, Has Feminism Changed Science ?, Cambridge, Harvard University Press, 2001.
TOURAILLE Priscille, « L’indistinction sexe et genre ou l’erreur constructiviste », Critique, 764-765 : 87-99,
2011(1).
WATKINS Elizabeth Siegel, On the Pill: A Social History of Oral Contraceptives, 1950-1970, Baltimore, Johns
Hopkins University Press, 2001.
WIELS Joëlle, « La différence des sexes : une chimère résistante » in Féminin Masculin – Mythes et idéologies
(dir : C. Vidal), Paris, Belin, 2006.
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