Y a-t-il une loi naturelle ? Quand on parle de loi, on envisage
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Y a-t-il une loi naturelle ? Quand on parle de loi, on envisage
Y a-t-il une loi naturelle ? Quand on parle de loi, on envisage communément deux notions différentes. Il y a les règles que les hommes se donnent pour organiser leur vie en société : ce sont les lois juridiques. Et il y a les mécanismes auxquels la nature semble obéir ; ce sont les lois scientifiques. Comme dans toutes les cultures que nous connaissons les juristes ont toujours précédé les scientifiques, il y a lieu de considérer que l’acception première de l’expression est celle du droit. Or on ne connaît guère de loi naturelle entre les hommes. Et c’est précisément parce qu’il n’y en a pas que, pour pouvoir vivre ensemble, il faut qu’ils en élaborent. Par essence la loi est un phénomène culturel. Il convient de garder cela en tête. Mais qu’en est-il des lois scientifiques ? On est très tenté d’accorder qu’elles existent en soi. Il y faudrait cependant un peu plus de précaution : quand j’affirme que si je lâche ce caillou il va tomber, je le fais parce que tous les cailloux qu’on lâche tombent toujours (ou plutôt qu’on n’en a jamais vu qui s’envolent). Le problème est que, pour la nature, l’expression « tous les cailloux » n’a pas de sens : la nature ne connaît que ce caillou et cet autre caillou. C’est l’homme qui crée la catégorie « caillou », d’où il résulte que la loi physique elle aussi est d’abord un phénomène culturel. Cela n’empêche certainement pas qu’il y ait un substrat objectif, indépendant du regard de l’observateur, au mode de fonctionnement du réel, mais cela demande prudence dès lors qu’il s’agit de l’interpréter. Et comme si cela ne suffisait pas, il convient aussi de réfléchir à cette opposition, si fréquemment mise en avant, entre nature et culture. Quelques secondes suffisent pour flairer que la culture fait partie de la nature de l’homme, et que le concept de nature, en tant qu’il sert à pointer les liens complexes entre l’humain et son environnement, est purement culturel. Du coup, qu’en est-il d’une « loi naturelle » ? On voit tout de suite la difficulté : si on veut dégager quelque chose qui mérite ce nom il faut prendre soin d’en évacuer tout ce qui est culturel. On aura du mal. En effet, on ne peut accepter comme « loi naturelle » que des éléments qui auraient l’objectivité et l’absoluité de lois scientifiques (laissons de côté les réserves que nous avons faites). Or quand on en appelle à la « loi naturelle », c’est dans l’immense majorité des cas, précisément, pour des situations qui ne vont pas de soi. Un exemple suffira : la loi naturelle associe sexualité et procréation. C’est vrai, moyennant une précision : cette loi, c’est l’homme qui la constate, et il la constate parce qu’il inscrit sa réflexion dans le temps, ce qui est l’exemple même du processus culturel ; c’est quand on observe les suites de l’acte sexuel qu’on peut constater qu’il a partie liée avec l’engendrement. Mais au niveau des phénomènes physiques, c’est tout autre chose qui a lieu. Ce que nous observons, et ceci dans toutes les espèces, c’est que le lien entre sexualité et procréation est tout sauf évident, à telle enseigne que c’est par l’existence d’un lien entre sexualité et plaisir que se trouve garantie au mieux la survie de l’espèce. Ce qui est naturel, c’est que les animaux s’accouplent pour le plaisir, car il n’y a guère de raison décisive pour penser que l’animal qui s’accouple sait qu’il va engendrer. Et l’homme ne fait nullement exception. On a tort de dire que la sexualité humaine diffère en ce qu’elle ne connaît pas le rut, car ce n’est pas ce qui importe. Cette singularité lui permet certainement de concevoir sa sexualité autrement, mais c’est là, de toute évidence, affaire de culture : dans les faits de nature, tous les animaux sont logés à la même enseigne, mais l’humain a les moyens de penser sa sexualité autrement. Si donc on veut parler de loi naturelle, la seule qui fasse sa preuve est que les animaux qui s’accouplent le font en raison du plaisir engendré par l’acte. Et cela tranche du même coup la question de l’homosexualité, dont tous les enfants de la campagne savent qu’elle n’est nullement une particularité de l’espèce humaine. C’est donc avec une grande prudence qu’il faut non seulement manipuler la notion de « loi naturelle » mais qu’il faut même envisager son existence. On ne pourrait d’ailleurs le faire que de deux manières : Soit en dégageant un corpus de notions sur lesquels, relativement à cette loi, tous les hommes se sont toujours accordés. On peut prévoir ici quelques difficultés. Soit en considérant que la loi naturelle ne peut être décrite qu’en termes scientifiques, ce qui revient à s’en remettre aux découvertes de la science. Il n’est pas sûr que les tenants de la « loi naturelle » y soient prêts. Et dans l’un et l’autre cas on serait évidemment très vite contraint d’admettre que cette loi naturelle n’est rien d’autre qu’un processus culturel. Michel Cavey