sainte-anne d`auray - Union des Cercles Légitimistes de France

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sainte-anne d`auray - Union des Cercles Légitimistes de France
FÉDÉRATION BRETONNE LÉGITIMISTE
BP 10307 35703 RENNES CEDEX 7
CCP RENNES 361322 N
N° ISSN 1282-6669
CPPAP N° 0908 G 82360
Bimestriel, le N° : 3 € - Abonnement 1 an : 15 €
N° 62 – septembre - octobre 2007
SAINTE-ANNE D'AURAY
29 ET 30 SEPTEMBRE 2007
95E PÈLERINAGE DES LÉGITIMISTES
Plus qu'un symbole, une prière et un hommage
- l'hommage qui affermit les repères
- la prière, préalable à une action forte et soutenue
UN RENDEZ-VOUS À NE PAS MANQUER
(voir programme page 20)
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
1
EN BREF
EN BREF
EN BREF
EN BREF
Quand la République multiplie les privilèges
"Ce n'est pas normal que 24 % de la population active soit
fonctionnaire. C'est le record mondial." Le nouveau secrétaire d'État
chargé de la Fonction publique pourra-t-il mener à bien les réformes
annoncées par Nicolas Sarkozy pendant sa campagne électorale ?
www.lefigaro.fr/magazine/20070803 a publié un dossier sur
les privilégiés de la République. "Cent trente régimes spéciaux de
retraites, plusieurs centaines de milliers de logements de fonction, des
allocations datant du régime de Vichy, un fouillis de primes et
gratifications diverses, sans oublier la garantie de l'emploi à vie : jamais le
statut des 5 millions d'agents de l'État et assimilés n'a paru aussi
déconnecté de la vie économique réelle."
Coopération britto-québécoise ?
Selon le journal canadien "Les Affaires", d'ici cinq ans, La Poste
(de France) intégrerait plus de 10.000 fourgonnettes électriques à son
parc.
Un premier appel d'offres porterait sur 500 véhicules à livrer
en 2008. Si huit soumissionnaires se disputent le marché, deux,
installés au Québec, auraient une longueur d'avance : le groupe
Technologie d'Hydro-Québec et Bathium Canada. Les deux utilisent
le système Cleanova, conçu par la Société de Véhicules électriques
(SVE, filiale du Groupe Dassault). Depuis peu Bathium Canada
appartient au Groupe Bolloré qui a annoncé la construction d'une
usine en Bretagne pour équiper ses véhicules, une usine qui ne sera
prête qu'en 2009. La production des premières batteries à l'échelle
industrielle se ferait donc au Québec.
Le Festival Interceltique de Lorient (FIL)
Le FIL a encore rassemblé les foules cette année. 650.000
visiteurs ont envahi Lorient pour sa 37e édition qui avait pour invité
d'honneur l'Écosse. En 2008, ce sera le tour du Pays de Galles et en
2009 la Galice. Il est désormais dirigé par un Asturien, Lisardo
Lombardia.
Le classement des bagadou a vu Briec prendre la 1ère place en
catégorie 1, devant Cap Caval et Quimper tandis que Perros-Guirrec
se retrouve en tête de la 2ème catégorie et Landivisiau de la 3ème.
Vers le monopole absolu?
Le quotidien Ouest-France (édition du 30 août 2007) nous a
appris que Publihebdos (Groupe SIPA / Ouest-France), premier
SOMMAIRE
Sainte-Anne d'Auray ...............................................
En bref ..................................................................... Henri Linon
Regards sur le drame algérien ................................. Pierre Valancony
Les Pages de notre Histoire :
Protestations… par Monsieur de Botherel (I) .......... Michel Duval
Le Saint Empire germanique, la fille aînée de
l'Eglise et leurs relations avec la papauté................. Jean-Michel Bocquet
La Contre-révolution en œuvre
L'embarquement pour Jersey (III) ............................ André Couillard
Carnet ......................................................................
Messes pour la France et le Roi...............................
Activités ...........................................................................
p. 1
p. 2
p. 4
p. 5
p. 9
p. 15
p. 19
p. 19
p. 19
EN BREF
EN BREF
groupe français de presse
hebdomadaire régionale, va
acquérir quatorze titres du
Groupe Hersant Media, plus
deux autres titres à Meaux et
Vitré. Avec un total de 56
titres, le nouvel ensemble
pèsera quelque 80 millions
d'euros de chiffre d'affaires
pour un tirage de 516.000
exemplaires. Il représentera
29
%
de
la
presse
hebdomadaire
régionale
française,
une
presse
globalement en crise alors que
Publihebdos
affiche
une
progression constante de sa
diffusion depuis 2003, et a
enregistré en 2006 un résultat
net de 2,3 millions d'euros
pour un chiffre d'affaires brut
de 56 millions d'euros. Cette
dynamique s'est poursuivie
en 2007, avec une progression
des ventes de 1,7% depuis le
début de l'année.
Vent de satanisme
Depuis un an le nombre
de profanations a augmenté
de 60 % en France. Nous
avons déjà dénoncé ici (LA
BLANCHE HERMINE N° 60) le
vandalisme en Bretagne qui
s'attaque aux chapelles, aux
calvaires et aux cimetières. Le
magazine Famille chrétienne a
publié dans son édition du 14
juillet une vaste enquête sur
cette vague : "Des églises
incendiées comme en Bretagne,
des cimetières vandalisés et des
tabernacles profanés par dizaines
: la France semble être devenue
l'un des terrains de jeu
privilégiés du Malin. Le
satanisme séduit notamment de
plus en plus de jeunes, en quête
de spiritualité et de sens à leur
vie."
"Depuis quatre ans, je ne
compte plus les églises profanées
dans notre diocèse", s'inquiétait
l'archevêque d'Avignon, Mgr
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
2
Cattenoz, au début de l'année, sur le site Internet diocésain. Les
hosties consacrées se vendraient plusieurs dizaine d'euros sur
Internet, pour des messes noires.
La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les
dérives sectaires (Miviludes) a publié un document d'alerte en
octobre 2006 sur les dangers d'Internet : Les satanistes favorisent les
contacts individuels et utilisent avec profit les facilités que leur offre
l'anonymat des contacts sur le Web. Internet, écrit Benjamin Coste dans
le dossier de Famille Chrétienne, est devenu l'un des principaux
vecteurs de diffusion des idées satanistes en France. Les jeunes, grands
consommateurs de cyberculture, y accèdent facilement. Et plus inquiétant,
y adhèrent.
L'implication du satanisme dans les viols, la pédophilie et les
meurtres n'est pas prouvée en France mais le nombre et la qualité
des personnes fréquentant des milieux occultistes rendraient très
difficile, et délicate pour les autorités, toute enquête approfondie sur
cette question. En revanche, ce phénomène explique nombre de
suicides. "de nombreux suicides en France ont un lien direct avec le
satanisme. Ces jeunes font de la nécromancie, du spiritisme, ont des unions
sexuelles de type orgiaque, participent à des messes noires, visitent les
cimetières… Ils ressortent traumatisés, complètement désespérés". En
conclusion de ce dossier, Famille Chrétienne publie le témoignage de
la sœur aînée d'un jeune qui s'est donné la mort en janvier 2006 : "un
joyeux bout-en-train, toujours prêt à faire rire les copains (.) depuis
septembre, il avait confié à sa sœur avoir du mal à trouver le
sommeil. "Il me disait qu'il voyait des démons, qu'il se sentait comme
possédé. Il avait peur." Après sa mort "on a découvert qu'il fréquentait un
groupe de gothiques. L'un d'eux pratiquait des rituels de type satanique. Il
avait d'ailleurs affirmé que mon frère était possédé." La sœur découvre
aussi que la passion de son frère pour Marilyn Manson lui avait été
transmise au collège par son professeur d'anglais, lui-même fan de
la star, icône antichrétienne auprès de la jeunesse mondiale. "La salle
de classe était tapissée de posters de Manson, (.) En cours, le professeur
traduisait des chansons de ces groupes et en dehors, aux élèves qui le
souhaitaient, il faisait visionner des extraits de concerts."
Qui est Marilyn Manson ?
C'est d'abord un individu, de son vrai nom : Brian Hugh
Warner. Il a emprunté le prénom de l'actrice sulfureuse Marilyn
Monroe et le nom d'un américain condamné à la prison à vie,
Manson, fondateur de la secte "The family" responsable de
nombreux crimes en 1969 et 1970. Durant son procès, Manson
arborait une svatiska qu'il s'était gravé sur le front.
C'est aussi le nom du groupe dont Brian Hugh Warner est le
fondateur et le chef. Les membres du groupe portent presque tous le
prénom d'une starlette et le nom de famille d'un tueur en série.
À la création de chaque album, Marilyn Manson associe un
concept qui s'incarne en un personnage auquel le chanteur
s'identifie : l'Antéchrist pour l'album Antichrist Superstar . Il s'est
raconté dans son autobiographie Les Mémoires de l'enfer. Anton
Lavey, fondateur de l'Église de Satan, a nommé Marilyn Manson
Révérend de son Église.
"Marilyn manson à tro
déchiré au festoche !!! Cété le
meilleur !!! "(extrait d' "un
blog de Bretagne" )
"La Bretagne, cette terre
de festivals" titrait Ouest-France
le 3 juillet dernier et Michel
Troadec, l'auteur de l'article,
précisait : "Avec les Vielles
Charrues et Bobital, la Bretagne
possède les deux plus importants
festivals musicaux français."
Bobital, commune aux portes
de Dinan, avec près de 150
000 personnes en trois jours a
battu son record. Ils étaient
60.000
pour
applaudir
Marilyn
Manson.
Mais
d'autres groupes ont tenté de
rivaliser, 40.000 fans ont frôlé
l'hystérie pour le groupe
allemand "Tokio Hotel".
Simple fait de société ?
Dans la nuit du 11 au 12
avril dernier, soixante-dixsept tombes du cimetière de
Léhon, commune aux portes
de Dinan, ont été vandalisées.
Des croix ont été retournées et
plantées à l'envers. "Nous
n'avons jamais eu à déplorer
d'acte de racisme sur la
commune. Aucun étranger n'est
enterré là. On se pose des
questions. Pourquoi ? Dans quel
but ? On dirait plutôt un rite…"
déclarait le maire de cette
commune.
(dans
Famille
Chrétienne du 14 juillet)
Thank You Satan (du
titre
phare
du
groupe
Dionysos, présent à Bobital en
2006.
Chez
les
Grecs,
Dionysos était le dieu du vin,
des orgies, des excès. Il a eu
pour équivalent Bacchus chez
les Latins. Son culte serait
réapparu depuis peu. Il existe
ainsi plusieurs thiases aux
États-Unis et en Europe.)
HENRI LINON
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
3
REGARD SUR LE DRAME ALGERIEN
"Vous êtes tombés au moment où, s'il faut en croire les discours, nous ne savons plus pour quoi nous mourrons…"
Paroles prononcées par le Père Louis Delarue, aumônier militaire, devant les
cercueils de Légionnaires morts pour la France, le 15-11-1960
La Guerre d'Algérie a jeté sur la mémoire de toute une génération –celle qui avait vingt ans au
milieu des années cinquante- un voile de deuil et des souvenirs amers. Au nombre déjà considérable des
victimes européennes et musulmanes, s'est ajoutée la honte des multiples trahisons ayant provoqué la
défaite française. Tristesse d'autant plus compréhensible que depuis la fin du conflit, les discours
officiels n'ont cessé de discréditer notre action passée sur la terre d'Afrique. Loin de s'apaiser avec le
temps, cette condamnation a pris d'ailleurs de l'ampleur. Aujourd'hui, non seulement on fustige la "sale
guerre" mais on réprouve aussi notre présence dans cette partie du Maghreb depuis 1830. La conscience
de gauche, gardienne de la morale, oublie en l'occurrence, le rôle essentiel joué par les politiciens
"républicains" dans le développement du colonialisme 1.
Mais revenons à l'Algérie, territoire qui, avant même notre arrivée avait accueilli, de gré ou de
force, tant de colonisateurs 2. Et, dans cette succession de dominations, le poids de la France ne fut pas le
plus lourd. Un jeune appelé, "Français de souche nord-africaine", me disait un jour que, dans les
campagnes, les ouvriers agricoles préféraient souvent travailler pour un colon plutôt que pour un
propriétaire indigène. Ce dernier, au jugement de mon interlocuteur, se montrait plus rude et exigeant
envers ses ouvriers.
Nul n'ignore, depuis qu'on écrit l'Histoire, que le passé de tous les peuples, sans aucune exception,
est fait d'ombres et de lumières. Le respect de la vérité se trouve fréquemment sacrifié aux préférences
idéologiques. Actuellement, au-delà même du cas de la France, c'est tout l'Occident qui se voit remis en
cause. Et ceci avec la complicité, consciente ou non, de la majorité des Européens. En effet, depuis le
siècle dernier qui marque le début de notre déclin, nombre de nos contemporains se complaisent dans le
dénigrement, l'auto flagellation et la repentance. Il y a toujours quelque lâcheté à battre sa coulpe sur la
poitrine de ceux qui sont morts, parfois depuis longtemps. Cela évite sans doute de se préoccuper des
misères et des injustices de notre époque.
Me trouvant en Algérie pour raison de service militaire, dans les années 56-58, j'ai été amené à
m'occuper, au sein d'une unité d'instruction, de l'incorporation bimestrielle des appelés débarquant de
métropole. Du fait de cette fonction, je recevais régulièrement la visite des aumôniers militaires israélite
et protestant venus s'inquiéter de l'identité et des conditions de vie de leurs corréligionnaires. Par contre,
j'avoue n'avoir jamais rencontré l'aumônier catholique, sauf un jour où contrairement au règlement, je
regagnais Alger en auto-stop !
Il est vrai que nous avions la possibilité de nous rendre à la paroisse proche desservie, si ma
mémoire est bonne, par des prêtres de la Mission de France. La hiérarchie militaire mettait un car à la
disposition des intéressés, ce qui était un louable effort. Cependant, le malheur voulut que les
ecclésiastiques concernés travaillaient plus pour le FLN que pour la France et la gloire de Dieu. Cette
"trahison des clercs", nouvelle version, réduisit notablement le nombre des pratiquants 3.
Le général Massu, alors commandant de la zone "Nord-Algérie", admettait que "la plus grave"
opposition à sa mission de purification "résidait dans l'attitude de Mgr Duval et de certains prêtres…". Dans
la lettre qu'il jugea bon d'envoyer, avec quelque naïveté, au pape Pie XII, le chef militaire renouvela son
accusation. Il fit état de "l'attitude surprenante de [l']archevêque Mgr Duval ainsi que de certains de ses
collaborateurs…" Il ajoutait : "Le point de vue de Mgr Duval, précisé par lui dans ses écrits aux prêtres de ses
paroisses et affirmé dans ses conversations, diffère totalement de celui que Votre Sainteté a bien voulu donner à
tous les chrétiens dans sa lettre de Noël 1956…" La réponse romaine, tardive, s'avéra tout à la fois banale et
prudente 4.
Ces derniers mois, le bulletin "Il est ressuscité", publication de "La Contre-Réforme Catholique au
XXIè siècle" (10260 Saint-Parres-les-Vaudes) présente une étude très intéressante touchant au problème
algérien. La livraison de juin évoque, à son tour, la position ambiguë du prélat algérois qui, "depuis
1956… en accord avec Rome, préconisait "l'autodétermination" du peuple algérien et son accession à
l'indépendance"5. Ce n'était pas, il faut le souligner, l'option de tous les religieux, réguliers ou séculiers, de
la province. La preuve, ce qu'écrivait le Père Schrung, aumônier de l'hôpital civil Mustapha au
responsable du diocèse : "Comme vous allez vite à liquider les chrétiens d'Afrique du Nord pour promouvoir
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
4
l'Islam et ouvrir la porte au communisme…" Un demi-siècle après, on peut constater les dégâts causés par
notre politique d'abandon.
Malgré quelques déclarations courageuses, pour l'honneur, on était loin des grandes voix qui, à
l'instar du bienheureux Père de Foucauld, avaient, en leur temps, appelé à la nécessaire christianisation
du pays. La conversion des musulmans paraissait à ces observateurs lucides autant qu'hommes de foi,
une condition essentielle au maintien du Maghreb dans le giron français. Ce ne fut jamais, par contre,
une préoccupation de la République.
La "trahison des clercs" contribua largement à déstabiliser l'armée et à la faire douter de sa mission.
Mais ce ne fut pas l'unique raison de notre échec, les politiques y prirent une large part. Nous le verrons
par la suite.
_______________________
PIERRE VALANCONY
1
L'exemple indochinois est significatif. Au rang des gouverneurs de cette lointaine colonie, on relève les noms de Jules Ferry,
Paul Doumer, Paul Bert, Albert Sarraut… Personnalités qui, à coup sûr, ne sont pas de notre paroisse !
2 L'Algérie "fut une terre d'invasions venues de partout. Carthaginois, Romains, Vandales, Arabes, voisins marocains et
tunisiens, Turcs et Français –pour ne citer que les principaux- se sont succédés sur son sol (cf. "La guerre d'Algérie –
genèse et engrenage d'une tragédie" par Pierre Montagnon – Pygmalion Editeur – 1984. Cette citation suffirait à elle-seule à
justifier l'affirmation de Ferhat Abbas datant de 1936 ; Je ne mourrai pas pour la patrie algérienne parce que cette patrie
n'existe pas. J'ai interrogé l'histoire, j'ai interrogé les vivants et les morts, personne ne m'en a parlé…" (rapporté dans la
Nouvelle Revue d'Histoire N° 8 – septembre-octobre 2003).
3 Voir sur le sujet l'article de Raymond Muelle : "Les porteurs de valises" Nouvelle Revue d'Histoire, op. cité.
4 cf "La vraie bataille d'Alger" par le général Jacques Massu, Plon, 1971 et : "Histoire militaire de la Guerre d'Algérie" par
Henri Le Mise - Albin Michel, 1982.
5 Mgr Léon Duval (1903-1996) prit la nationalité algérienne en 1965. La même année, le pape Paul VI le créa cardinal, marque
d'approbation de la position du prélat. Signalons enfin que durant la guerre, le comportement de Mgr Duval fit qu'on
envisagea de l'inculper (cf. R. Muelle, op. cité).
LES PAGES DE NOTRE HISTOIRE
Histoire de Bretagne : Une oraison funèbre pour la Bretagne
Avant de reprendre le récit des événements qui ont marqué l'histoire de la Bretagne pendant la Révolution
française, nous avons cru bon, en accord avec le rédacteur de cette rubrique, de publier ici de larges extraits d'un
1
2
document important : "Les protestations adressées au Roi et au public" de Monsieur de Botherel , Procureur
Général Syndic des États de Bretagne. La lecture de ce témoignage, véritable oraison funèbre de la Bretagne, est
très utile pour comprendre le passage entre deux mondes radicalement opposés, celui de la Monarchie et celui de
la Révolution.
«Messieurs,
«Dans le moment où par un oubli malheureux de ses droits et prérogatives le peuple breton égaré
semble s'aveugler sur ses propres intérêts, nous qu'il honora de sa confiance ne pouvons trahir nos
devoirs, et nous osons seul lutter contre la séduction dont nos malheureux concitoyens sont les victimes.
Les Bretons peuvent méconnaître leurs prérogatives, mais nous devons les leur rappeler parce qu'elles
sont le gage de leur bonheur. C'est à ce titre que nous avons cru devoir faire la protestation 3que nous
vous adressons, c'est au nom de nos concitoyens, qui nous ont confié la défense de leurs droits, que nous
vous conjurons de faire connaître aux habitants de votre paroisse cette réclamation ; notre zèle ne doit
pas vous être suspect. Homme des trois ordres nous sommes également attachés à chacun d'eux et notre
plus ardent désir c'est de pouvoir vous rendre vos droits tels que vous nous les avez confiés, de rétablir
dans la province la concorde que des gens mal intentionnés ont troublée et de faire, s'il se peut, cesser
des divisions dont le malheur public est le déplorable effet.
«Au Plessix Botherel, le 13 mai 1791
___________________________
1 Le document complet a été publié par Michel de Mauny dans son ouvrage Traité d'Union de la Bretagne à la France
Intrigues, forfaitures, violations. p. 153 et suivantes (Dernière édition par BRITTIA, mars 2000)
2 Dans son ouvrage "Messieurs les Syndics aux États de Bretagne", Michel Duval s'est longuement arrêté sur l'action de René
de Botherel du 6 novembre 1786, date de son élection à la charge de Procureur Général Syndic, jusqu'en 1791. L'auteur
dédicacera son livre au pèlerinage de Sainte-Anne d'Auray.
3 Ce document a été rédigé le 13 février 1790
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
5
Protestations adressées au Roi et au public
par Monsieur de Botherel
Procureur Général Syndic des États de Bretagne
«Malgré mon attachement à la patrie et
mon dévouement pour mes concitoyens, peutêtre me serais-je condamné au silence, peut-être
serais-je parvenu à dévorer dans moi-même le
chagrin dont me pénètre la désolation de mon
pays, si je n'avais pas été un homme public, mais
la nation Bretonne a confié à ma vigilance la
conservation de ses droits les plus précieux et
me taire serait les trahir. Jamais la perfidie
n'approchera de mon cœur, jamais aucun motif,
aucune considération ne me rendra parjure et ne
me fera trahir l'intérêt du peuple breton.
«Dans des circonstances difficiles, l'accord
unanime des citoyens assura le succès de mes
démarches, leur approbation fut ma récompense
et leurs applaudissements retentissent encore à
mon cœur. Des circonstances plus difficiles
renaissent, mon zèle est le même, mais mes
moyens ne sont plus égaux ; ce ne sont plus mes
concitoyens qui soutiennent mes efforts, une
partie égarée est trompée sur ses vrais intérêts et
se laisse entraîner aux impressions étrangères
des ennemis du bonheur de la Bretagne ; une
autre partie bien plus nombreuse tombée dans
un accablement léthargique ne fait que gémir
sur les maux où l'aveuglement et la prévention
ont entraîné une province naguère si florissante,
qui par ses droits et ses libertés avait si souvent
repoussé loin d'elle l'oppression du despotisme
ministériel (.) C'est la patrie qui est en péril,
sauvons la patrie. (.) Ma devise est toujours celle
de la province dont je défends les droits, potius
mori quam foedari,
«…. Ce n'est ni ma cause que je défends, ni
pour moi que je parle, c'est pour ma patrie, c'est
pour le peuple breton ; mais je dois prévenir que
les raisons, si mes réponses ne parviennent pas
c'est qu'elles auront été interceptées et qu'on
aura redouté de voir la vérité dans tout son jour.
«Au milieu des débris qui l'environnent de
toutes parts, le Français encore attaché à son
pays cherche avec regret quelques traces de ce
gouvernement ancien qui, pendant près de
quatorze siècles, avait résisté aux efforts
combinés des peuples voisins et fait la
prospérité de la France, tout est nouveau pour
lui et jusqu'au nom même des provinces de ce
florissant empire tout est changé.
«Tous les pouvoirs sont déplacés ou
anéantis, l'ancienne constitution de la monarchie
est détruite jusque dans ses moindres parties,
Un Roi gouvernant absolument d'après des lois
fixes et déterminées auxquelles il déclarait luimême être dans l'heureuse impuissance de rien
changer, dans le moment même où, cédant aux
vœux de ses cours, il annonce vouloir consulter,
écouter ses fidèles sujets, s'éclairer de leurs
lumières et recevoir leurs avis sur le bien
commun, se voit dépouillé de tous ses droits,
enchaîné dans son palais et contraint d'accepter
de prétendues lois auxquelles il ne lui est permis
ni de concourir, ni de s'opposer. Sa sanction est
forcée, réduite à une vaine formule et la loi
vacillante au gré des passions devient le produit
de la haine, de l'intrigue et de la corruption.
«Contraint d'étouffer dans son âme
jusqu'aux sentiments de la nature, un monarque
bienfaisant à qui l'on refuse même la satisfaction
de laisser apercevoir la douleur dont il est la
victime, la faible consolation de déclarer que son
cœur est déchiré en voyant les erreurs où l'on
entraîne un peuple jusqu'à présent idolâtre de
ses rois, la religion nationale florissante dans les
Gaules avant l'établissement de la monarchie
indignement outragée, ou plutôt anéantie et
sacrifiée aux sectes rivales, les marches du trône
ensanglantées, tous les corps, ces antiques et
essentiels appuis de la monarchie, dégradés,
anéantis, les propriétés violées, l'autel dépouillé,
un peuple bon enhardi aux forfaits, l'intérêt de
l'État sacrifié aux spéculations avides de
capitalistes intéressés, le trésor public devenu la
proie de vils agitateurs, les droits des provinces
méconnus, indignement trahis, les contrats
annulés, les capitulations anéanties pour
prévenir toute réclamation, les provinces ellesmêmes morcelées, une multitude de petites
administrations indépendantes substituées à cet
enchaînement utile et nécessaire de tous les
pouvoirs qui se correspondaient, se balançaient
entre eux et venaient par un dernier anneau
s'attacher au trône d'où ils recevaient en vertu
de la loi leur mouvement et leur détermination :
partout l'inquiétude, la défiance, la misère et
l'effroi. Tel est le désolant tableau que présente
la malheureuse France à l'Europe étonnée.
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
6
«Unie à la France par des traités solennels
et jamais conquise, la Bretagne a ressenti cet
ébranlement général dont sa constitution
particulière devait la garantir. Par son union
vivement désirée, sollicitée par les États
généraux de la France, consommée à leur prière
et sur leurs représentations, la province de
Bretagne donna à la France un poids immense
dans la balance de l'Europe, et pour tous ces
avantages elle ne se réserva que les droits dont
elle jouissait sous ses souverains particuliers,
elle stipula qu'elle ne serait assujettie qu'aux
impositions qu'elle consentirait, que nul
établissement, nulle loi n'aurait de force dans
son étendue qu'après l'adoption unanime des
trois ordres, que nul changement ne se ferait
dans son administration que de son
consentement et que jamais pour aucune cause
ses citoyens ne seraient traînés en justice hors de
leur pays, et ces conditions, clauses expresses du
contrat, acceptées, garanties, avouées par le
monarque, par les États généraux de France, on
prétend les annuler et envelopper dans la ruine
commune la constitution particulière de la
province qui la met à l'abri des entreprises
étrangères.
«Dans cette circonstance fâcheuse, le
citoyen à qui la patrie accorda sa confiance ne
doit point s'isoler et se borner à gémir, son
devoir s'étend plus loin ; il doit de tous ses
efforts résister aux progrès du mal, arrêter, s'il se
peut, la ruine de ses concitoyens, les éclairer sur
leurs vrais intérêts et périr s'il le faut, victime de
son dévouement à sa patrie, de son amour pour
la règle, l'honneur et l'équité.
«Cette obligation porte encore plus
essentiellement sur le procureur général syndic
d'une grande province. Nous avons juré de la
remplir.
«Spécialement chargé par la province de
Bretagne, légalement et constitutionnellement
assemblée dans ses États, de veiller à ce que la
chose publique ne souffrit aucun dommage,
nous avons juré de pourvoir à la conservation des
constitutions de la province consignées dans ses
anciens contrats, ses franchises et libertés conservées
par tous ceux passés avec MM. les Commissaires du
Roi en chaque tenue, à ce qu'il ne soit introduit dans
les cours souveraines de la province aucuns édits qui
attaqueraient ses droits, nous avons juré de nous
opposer partout où besoin sera à tout ce qui serait
contraire aux droits, franchises et libertés de la
province, aux formes usitées, aux droits, prérogatives
et conservation des tribunaux chargés d'administrer
la justice, à la conservation des propriétés des gens de
l'ordre ecclésiastique, de la noblesse et du peuple,
enfin à toute levée de deniers non consentie par les
États.
«Voilà notre serment civique, celui que
nous avons prêté aux États généraux de
Bretagne lors de notre entrée à notre ministère
dont nous ne pouvons être dégagé que par ceux
mêmes à qui nous l'avons prêté. Nous le
répétons aujourd'hui, ce serment, et nous jurons
d'être fidèle au Roi, à la loi, à notre patrie et de
défendre et maintenir de tout notre pouvoir la
religion catholique et romaine, ainsi que la
constitution bretonne dont la garde nous a été
confiée, laquelle a été librement sanctionnée et
jurée par le Roi et ses augustes prédécesseurs de
deux ans en deux ans depuis notre union à la
couronne, nous jurons de nous opposer à ce qu'il
soit introduit aucune loi nouvelle tant au fait de
l'Église que de la noblesse et du peuple, nous
jurons de nous opposer, autant qu'il sera en
nous, à toutes les levées de deniers dont on veut
le surcharger, ce serait nous rendre coupables
du crime de lèse-nation bretonne, ce serait nous
rendre parjure, trahir notre patrie et manquer à
l'honneur, à tout ce qu'il y a de plus sacré que de
céder en ce moment à aucune considération,
d'être arrêté par aucun égard particulier.
«Pour remplir l'obligation qui nous était
imposée nous formâmes, en 1788, avec
l'acclamation générale de la province,
opposition à l'édit désastreux du timbre, à
l'établissement d'un impôt territorial qui se
serait perçu en nature à la cinquième gerbe,
nous protestâmes contre les édits du mois de
mai qui tendaient à changer la forme de la
justice et notre résistance, nos efforts furent
soutenus par tous les corps de la province.
«Les trois ordres, les cours souveraines, les
autres tribunaux chargés d'administrer la justice,
les municipalités, les corporations tout se réunit
à nous et leurs protestations libres et dégagées
de toute suggestion vinrent se joindre à la nôtre
et l'appuyer. Nous les joindrons ici, ces
protestations, monument authentique de
l'approbation générale, tous réclamèrent ces
mêmes droits, ces mêmes contrats auxquels on
veut nous faire déroger, et que le peuple exempt
de tout prestige étranger reconnaissait, alors,
être la sauvegarde et son bonheur.
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
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«Par quelle fatalité cet heureux accord de
tous les membres de la patrie à soutenir l'intérêt
commun s'est-il ralenti ? Des émissaires secrets
ont égaré les meilleurs esprits, ils ont promis un
meilleur ordre des choses et, voilant sous des
apparences
mensongères
des
intérêts
personnels, ils ont entraîné des hommes qu'ils
avaient trompés par leurs promesses : des gens
que depuis on a vus au nombre des députés,
sont accourus du sein de la capitale en une
province qui leur est absolument étrangère, ils y
ont publié des libelles incendiaires, ils l'ont
déchirée par des factions, ils y ont semé des
haines, des préventions et criminellement
empêché le rapprochement des ordres qui eut
certainement opéré un réunion et la satisfaction
générale.
«Des envoyés de sénéchaussées et de
diocèses se sont portés aux États généraux
comme députés du peuple breton et là, infidèles
à leurs mandats comme ils l'avaient été à la
constitution de leur province, ils n'ont pas rougi
de tromper et trahir leurs commettants, ni même
de violer leurs serments, ils ont, au nom d'un
peuple qui, quelques mois auparavant,
réclamait ses libertés et son union à une
monarchie, cherché à consommer la ruine de nos
immunités et contribué à détruire en France tous
les caractères, toutes les traces de la monarchie.
«Indignés de ces attentats et fidèles à nos
serments, nous protestâmes dès le mois de
décembre 1789 contre une assemblée qui, de
mandataire s'instituant elle-même nationale,
s'arrogeait tous les pouvoirs, détruisait tout et
ne pouvait faire autorité dans une province qui,
se gouvernant par ses propres lois, ne fut jamais
soumise à un régime étranger qui, d'ailleurs, n'y
a point de représentant et ne peut, et ne doit
adopter ses établissements qu'après en avoir
délibéré dans l'assemblée des gens des trois
états.
«Nous la répétons aujourd'hui, cette
protestation, et n'appartenant par nos fonctions
à aucun ordre, mais également à tous, chargé
même par la nature de notre commission, pour
un mandat exprès, par notre serment de n'obéir
jamais aux commandements que nous
recevrions d'un seul ordre contre le vœu des
deux autres, mais de veiller aux intérêts de tous,
nous déclarons solennellement nous opposer au
nom et pour le bonheur du peuple breton à tous
les actes de la soi-disant assemblée nationale,
comme
illégalement
constituée,
comme
contraire à la constitution et aux droits et
franchises de la Bretagne, comme tendant à
surcharger cette province d'impositions dont les
autres parties du Royaume voudraient alléger
leur fardeau, nous adhérons formellement à
toutes autres protestations contraires aux actes
de la dite assemblée, et nous adoptons toutes les
précautions prises et à prendre pour, les
annuler, rétablir la Majesté du trône et conserver
à la province des droits qu'aucune autorité ne
peut détruire et dont elle ne pourrait être
dépouillée que par l'injustice et la mauvaise foi.
(.)
«Par sa
constitution
la
Bretagne
s'administre elle-même, elle ne supporte de
dettes, elle ne connaît d'impôts, elle n'admet de
réformes et de changements que ceux qu'elle a
consentis. Mais à cet égard aucun ordre n'a le
droit, ni le pouvoir de déterminer rien sans le
concours des deux autres, et quand nos députés
ont paru et traité à la cour, aux États généraux
de France ce n'a jamais été comme députés de
l'un ou de l'autre des ordres, toujours ils ont
parlé, agi, comme députés de tous, devant
rendre compte à tous et ne s'obligeant qu'autant
qu'ils seraient approuvés par tous.
«Quatre fois la Bretagne a été convoquée
par le monarque à ses États généraux : en 1576,
en 1588, en 1614 et 1653. Mais en chacune de ces
circonstances,
fidèle
à
ses
formes
d'administration, ce fut dans ses États
constitutionnellement assemblés que la province
choisit ses députés, et ce fut comme chargés des
pouvoirs de la Bretagne, et non comme députés
d'aucun ordre, qu'on les vit agir et qu'ils
concoururent aux intérêts généraux. C'est
comme tels qu'on les eut vu s'opposer à toute
innovation, qu'on eut voulu essayer soit dans
l'administration, soit contre les droits de la
province, c'est comme tels aussi que les ont
redoutés les ennemis de la chose publique, ces
hommes jaloux de la prospérité bretonne, ce
ministre surtout qui, dès ses premiers pas dans
l'administration, avait annoncé le projet formel
de ruiner les ordres, renverser les grands corps,
d'abolir les droits et capitulations des provinces,
et c'est pour y réussir que, substituant à des
usages garants de la sûreté publique
une représentation partielle, il est parvenu par
des séductions dont lui-même a été la victime à
arracher une renonciation illusoire à des
immunités et franchises qui n'étaient point des
privilèges, mais des droits, conditions expresses
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
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du contrat d'union et auxquelles, par la raison
même qu'elles sont du plus grand intérêt pour la
province, la génération présente ne peut
renoncer, parce que c'est une substitution
perpétuelle établie en faveur des générations à
venir, à qui elle assure la liberté d'accepter ou de
rejeter ce qui leur paraîtra avantageux ou
nuisible à leurs pays. «
à suivre
"Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu". La distinction entre le pouvoir temporel
et le pouvoir spirituel a toujours été un problème épineux. Les relations entre ces deux pouvoirs ont
pourtant rencontré en France de longues périodes pacifiques. Le sujet a souvent été abordé dans La
Gazette Royale et dans LA BLANCHE HERMINE, notamment par Louis Brekilien ("Bref historique des
relations entre l' église et l'état en France" LA BLANCHE HERMINE numéro 47 mars-avril 2005).
Dans la brève étude présente, Jean-Michel Bocquet, après avoir examiné les relations conflictuelles qui
ont opposé le Saint Empire à la papauté, revient sur les difficultés majeures qui ont momentanément mis
à mal l'exemplarité de l'alliance du trône et de l'autel.
LE SAINT EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, LA FILLE AÎNÉE DE L'ÉGLISE
ET LEURS RELATIONS AVEC LA PAPAUTÉ
« Le pouvoir a été donné d’En-Haut aux
empereurs sur tous les hommes, pour aider ceux qui
veulent faire le bien, pour ouvrir plus largement la
voie qui mène au Ciel, pour que le royaume terrestre
soit au service du Royaume des Cieux ».
C’est en ces termes et dans une
perspective éminemment Catholique que
s’adresse le Pape saint Grégoire le Grand (590604) à l’Empereur Maurice. Patricien, ancien
Préfet de Rome, saint Grégoire a un sens élevé
de sa mission de Pontife ; c’est à la fois un
religieux car il est moine du Mont Coelius et un
ancien administrateur de haut niveau qui se
substitue aux autorités de Constantinople qui
gouvernent la péninsule de la future Italie. Sujet
de l’Empire, le Pape fait preuve de loyauté
envers le souverain, mais il lui rappelle ses
devoirs envers Dieu, envers ses sujets et à
l’égard de l’Église, étant entendu que César,
reste soumis à Dieu et à l’Église y compris dans
sa façon de gouverner : en d’autres termes, il ne
peut s’affranchir de la loi divine. Saint Grégoire
s’inspire de la pensée de saint Augustin pour
qui les « royaumes sans justice ne sont que de
vastes brigandages » ; aussi insiste-t-il sur le fait
que cette justice humaine doit être le reflet de
celle de Dieu et que les empereurs et les rois
doivent faire régner cette justice : « être roi, cela
n’a rien en soi de merveilleux, puisque d’autres le
sont. Ce qui importe, c’est d’être un roi catholique »
écrit saint Grégoire à Childebert . Le décor est
planté !
Bien plus les trois pouvoirs que sont selon
saint Augustin l’« officium imperandi » ou office
de commandement, l’« officium providendi » ou
office de prévoyance pour ses sujets et
l’« officium consulendi » ou office de conseil
pour son peuple doivent être fondés sur des
principes catholiques : en effet le Christ est le
roi des nations et aucun monarque, aucun pape
n’a le droit de Le découronner par quelque
moyen que ce soit et c’est là une doctrine
constante dans l’Église jusqu’au début du
XXème siècle ! C’est pourquoi il assure et
défend la prééminence du spirituel sur le
temporel et lutte énergiquement contre la
simonie ou trafic dans les fonctions sacrées et
saintes et bien sûr contre le nicolaïsme ou
concubinage des clercs. C’est encore lui qui
refuse la collation des évêchés par les
monarques d’occident et les appelle à combattre
le paganisme qui sévit encore. Son pontificat est
marqué par la conversion des peuples vivant sur
l’archipel
britannique,
l’abjuration
de
l’arianisme par les Lombards et l’influence de
l’Église sur les souverains temporels qu’il
pousse à collaborer de manière durable avec
elle.
Pourtant l’Empereur du Saint Empire
édictera des règles aux clercs, laissant ainsi
croire qu’il jouit d’un pouvoir autonome et
même supérieur à celui du Pape : les
capitulaires ou ordonnances de Charlemagne
sont de véritables immixtions du souverain dans
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
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les affaires de l’Église (charité des prêtres et des
évêques, prédication, compréhension des saintes
écritures, édification des fidèles qui doivent
abandonner les superstitions). Par ailleurs
l’Empereur donne les mêmes conseils au Pape ;
aussi Nicolas Ier (858-867) proclame-il très vite
la supériorité du Vicaire du Christ sur les
souverains dans le domaine spirituel et n’hésite
pas à leurs faire des remontrances dans le
domaine temporel, plus particulièrement à
l’égard de l’exercice de leur pouvoir. « Rendez à
César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à
Dieu » signifie qu’il existe bien deux autorités
distinctes, mais ne signifie pas, contrairement au
principe de laïcité (principe délétère de toute vie
divine) que César n’est pas soumis à Dieu dans
tous les actes qu’il peut poser ; en d’autres
termes César est bien soumis à la loi divine et sa
législation doit être conforme à cette dernière.
C’est là toute la complexité des relations entre
les chefs d’état et le Souverain Pontife qu’il
convient d’évoquer ici et la question se pose de
savoir qui au dernier jour triomphera.
Il appert de ces considérations que les
différends et les tensions ne manqueront pas
entre le Saint Empire et la Papauté (I) de même
qu’entre cette dernière et la Fille aînée de
l’Église (II).
I LES RELATIONS TUMULTUEUSES ENTRE LE SAINT EMPIRE ET LA PAPAUTÉ
(XI EME-XIII EME SIÈCLES)
Ces relations tumultueuses ne sont pas le
fruit du hasard et mettent en relief deux
conceptions différentes des relations entre le
temporel et le spirituel : celle de la Papauté ou
de saint Bernard et bien sûr la doctrine
impériale qui aura des conséquences d’une
extrême gravité pour la Chrétienté qu’elle se
situe dans le monde germanique ou dans le
reste de l’Europe.
La conception de la Papauté et de saint Bernard
Selon saint Bernard, il existe deux glaives :
le glaive spirituel et le glaive temporel ; tous les
deux sont détenus par Pierre, mais comme il
n’appartient pas à celui qui détient des fonctions
sacerdotales de s’en servir même si la cause est
juste, le glaive temporel doit être confié à
l’Empereur qui ne peut le tirer du fourreau que
sur l’ordre du Pape. Les papes feront leur cette
doctrine et ce, pour des raisons évidentes ! C’est
d’ailleurs en vertu de cette théorie que les
Pontifes ont pu ordonner des départs en
croisade, mettre fin à des conflits armés,
réglementer ces derniers dans le cadre du « jus
ad bellum » (droit à la guerre) et du « jus in
bello » (droit dans la conduite de la guerre).
Cette théorie qui n’a jamais été érigée en dogme
ne pouvait qu’être battue en brèche par les
empereurs germaniques qui voient dans le Pape
l’un de leurs sujets (comme d’ailleurs ils le font
pour les autres souverains d’Occident).
Successeurs non seulement de Charlemagne,
mais aussi des empereurs romains qui
régissaient les moindres détails de la cité et de
l’Empire, ils tiennent eux aussi à avoir une
action sur l’organisation de l’Église. Par ailleurs
les états pontificaux se trouvent sur leur
territoire : ils ne peuvent donc, selon eux, se
désintéresser des nominations des évêques et de
celle du Vicaire du Christ. Les empereurs
d’Allemagne vont donc forger une doctrine « sui
generis » (de son genre propre) de manière à
exercer un droit de regard sur le fonctionnement
de l’Église sur leur territoire (notion importante
que l’on retrouvera développée en France et en
Angleterre).
La doctrine impériale : une doctrine qui a de
graves conséquences
Elle tire son origine de la puissance de
Charlemagne (1) qui apparaît comme un très
grand souverain qui s’est taillé un vaste empire ;
législateur pour les peuples et pour les
territoires conquis, il fait de la Foi Catholique un
véritable ciment qui unit ses peuples et établit
une unité morale et politique : l’ensemble
constituant ce qu’il est convenu d’appeler la
Chrétienté. Cette façon d’agir qui mélange le
religieux et le politique se poursuivra dans
l’esprit et surtout
dans l’œuvre de ses
successeurs : qu’il y ait un jour une pomme de
discorde entre le Pape et l’Empereur et c’est
l’affrontement entre ces deux autorités. La
querelle des investitures et la lutte du sacerdoce
et de l’Empire en sont la manifestation
éclatante !
La Querelle des Investitures :
(1)
Rappelons que c'est Charlemagne qui a créé les États
pontificaux dans le but de rendre le Souverain Pontife
plus indépendant des puissances temporelles.
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
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Elle apparaît sous le pontificat de Grégoire
VII (1073-1085) : ce dernier se contente de
notifier son élection à l’Empereur et lutte avec
vigueur contre la simonie et le nicolaïsme dans
toute l’Europe au point que des hommes
d’Églises menacés de sanctions canoniques
s’exclament au Concile de Mayence : « Si des
hommes ne lui suffisent pas pour gouverner les
Églises particulières, que le Pape s’arrange pour se
procurer des anges !» Très vite le Pape comprend
que l’investiture laïque par la crosse et l’anneau
est la cause de ces désordres qui scandalisent les
fidèles ; aussi signe-t-il le décret de 1075, pris à
l’occasion d’un synode romain de la même
année interdisant à tout clerc de recevoir une
Église des mains d’un laïc sous peine
d’excommunication
des
deux
hommes.
L’Empereur Henri IV n’en tient pas compte et en
1076 il réunit les évêques de son empire à
Worms et leur enjoint un acte de déposition du
Pape ; son argument est qu’il est sacré
Empereur, qu’il ne doit être jugé que par Dieu, à
moins qu’il ne soit hérétique, ce qu’il n’est pas !
C’est la Lutte du Sacerdoce et de l’Empire qui
commence !
La Lutte du Sacerdoce et de l’Empire :
Grégoire VII dépose l’Empereur, le frappe
d’anathème et délie ses sujets du serment de
fidélité prononcé à son égard. La situation est
difficile pour Henri IV qui demande pardon au
pape à Canossa dans le seul et unique but de
recouvrer ses pouvoirs et aussi il faut bien le
dire de poursuivre ses investitures ! En 1080 il
est de nouveau condamné, bataille pour prendre
Rome qu’il conquiert et où il place un antipape
Innocent III (1084). Grégoire VII s’exile à
Salerne : il y meurt en 1085. Plus tard, Frédéric
Barberousse de même que son successeur et
petit fils Frédéric II poursuivront la lutte : le
premier contre Adrien IV et Alexandre III, le
deuxième contre Innocent III, Grégoire IX et
Innocent IV. Énergique et parfois violent,
Frédéric Barberousse profite des dissensions
entre clercs et le roi des Deux Siciles pour
s’imposer et se faire couronner à Rome (1155),
montrant ainsi qu’il est bien un successeur de
Charlemagne !
De retour chez lui, ce successeur de
Charlemagne apparaît comme le grand gagnant
de cette querelle ! Mais Adrien IV meurt en
1153 ; lui succède un pape courageux en la
personne d’Alexandre III qui déplait à
l’Empereur qui lui préfère le cardinal Octavien,
clerc plus souple et dont il fait le pape Victor IV !
Alexandre refuse cet abus de pouvoir,
excommunie l’Empereur ainsi que l’antipape
Victor IV. En outre Alexandre a des arrièrespensées politiques : il profite de l’occasion pour
s’allier avec les ligues du nord de la péninsule et
avec le roi des Deux Siciles pour s’opposer à
l’action de Frédéric Barberousse. Les protégés
du Pape battent les Impériaux à Legnano (1176)
Frédéric demande pardon au Pape qui le relève
de l’excommunication : nous sommes en 1177 !
Dix ans plus tard, il meurt, laissant le trône à
son petit fils Frédéric II qui grâce aux alliances
faites par sa famille possède l’Empire, le nord de
la péninsule et le royaume des Deux-Siciles : les
Impériaux enserrent bien les possessions du
Pape ! D’un strict point de vue temporel les
Hohenstauffen sont les
vainqueurs de ce
combat acharné !
Le pouvoir de ce nouvel Empereur n’est
pas une coquille vide pour lui et il reprend les
habitudes de ses ancêtres qui, à l’évidence ont
fait école. C’est surtout avec un canoniste qui
porte le nom d’Innocent IV qu’il aura maille à
partir au point qu’il envisage d’assiéger la ville
de Rome. La tentative est déjouée par le Pape
qui doit pourtant se réfugier à Gênes puis à
Lyon : Frédéric sera alors excommunié et perdra
ses titres par la volonté d’un clerc puissant et
inflexible ! Mais il n’est pas le seul car
l’excommunication s’étend à ceux qui
continuent à faire acte d’allégeance à lui en lui
donnant ses anciens titres ! Leurs descendants
sont eux
aussi frappés d’anathème et si
l’Empereur a mis en garde les autres monarques
d’Europe contre une prétendue hégémonie
intellectuelle et morale du Pape, ce dernier incite
les sujets mécontents à lutter contre Frédéric II
jusqu’à la fin de son pontificat (1250). Dix huit
ans plus tard le petit fils de Frédéric sera
décapité sur ordre du roi des Deux-Siciles : les
Hohenstauffen disparaissent ainsi que leurs
prétentions abusives dans le domaine spirituel.
La théorie des deux glaives et surtout la grâce de
Dieu ont montré leur efficacité « au Vicaire de
Celui dont le royaume n’a pas de limites » selon
les mots d’Innocent III. Le Pape apparaît donc
comme le grand vainqueur de cette lutte ! Le
sera-t-il face à la Fille aînée de l’Église ?
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II LA FILLE AÎNÉE DE L’ÉGLISE ET LA PAPAUTÉ (XIII EME-XVII EME SIÈCLES)
« Le Roy n’est pas pur lay » disait-on sous
la Monarchie Capétienne : en d’autres termes,
par l’onction du Sacre, il n’est pas un laïc comme
les autres ! Forts de cette considération et de
cette réalité surnaturelle Philippe le Bel, puis les
robins et les hommes d’Église gallicans et à leur
suite Louis XIV tenteront de résister au Saint
Siège.
Philippe le Bel fils turbulent de la Sainte
Eglise
Lorsque l’on aborde cette question : il est
courant d’invoquer le différend de 1296 entre
Boniface VIII et Philippe le Bel, différend
concernant un impôt extraordinaire que
souhaitait faire payer le roi au clergé de France :
c’est en effet l’une des premières pommes de
discorde, mais ce n’est rien à côté de la
déclaration du 20 avril 1297, déclaration faite à
Creil à deux légats du Pape qui demandent
qu’une trêve soit conclue avec le roi
d’Angleterre. Philippe affirme sans ambages et
sans ambiguïté « que le gouvernement temporel
de son royaume appartient à lui seul et qu’il ne
reconnaît dans cette matière (la matière
temporelle) aucun supérieur », mais qu’il reste
dans le domaine spirituel soumis au Souverain
Pontife. Il est donc « disposé à recevoir
humblement les avertissements du Saint Siège »
comme peut le faire n’importe quel fils de
l’Église. Il fait donc une distinction subtile pour
l’époque entre la personne privée soumise au
Vicaire du Christ et la personne publique qui
mène la politique qu’il entend mener sans avoir
à rendre de comptes à qui que ce soit !
Cette conception s’explique par l’influence
des légistes, hommes « pétris de droit romain »
qui voient non seulement dans l’État, mais aussi
dans le Monarque une personne publique qui
jouit de pouvoirs exorbitants au droit commun
et que l’on appelle désormais en droit
administratif des prérogatives de puissance
publique ! C’est ici un véritable corps de
doctrine qui va se constituer et qui va permettre
aux souverains d’Europe de résister à une
hégémonie réelle ou supposée du Pape. C’est
aussi le problème de ces Flamands qui luttent
contre le roi de France (2) et qui dans leurs
suppliques au Pape lui rappellent qu’il est lui,
Boniface VIII, « souverain du royaume de
France au spirituel et au temporel » ! Mais c’est
surtout la décision du Pape de 1295 (antérieure
donc au différend et à la déclaration cités plus
haut) qui avait décidé, pour des raisons
administratives, d’ériger la région de Pamiers en
diocèse qui sera à l’origine du conflit et de
nommer pour évêque un abbé du nom de
Bernard Saisset ; ce clerc
aux tendances
antifrançaises est soupçonné de vouloir détacher
la région des Pyrénées du Royaume. Philippe le
Bel le fait arrêter au motif qu’il injurie le Roi, le
Pape et que son enseignement est hérétique. Cet
événement va permettre d’ouvrir un conflit
doctrinal.
Le conflit doctrinal et ses conséquences :
Il concerne alors le roi et ses légistes
(primauté de l’ État y compris dans la collation
des fonctions et bénéfices ecclésiastiques) d’un
côté et Rome de l’autre (primauté du Saint-Siège
dans l’organisation interne de l’Église de
France). Il dure deux ans : (1301-1303). Le Pape,
dans sa bulle Ausculta fili, somme le roi de
libérer l’évêque et de se présenter à un concile
qui se tiendrait à Rome ! La bulle n’est pas
publiée aux régnicoles (habitants du royaume) ;
en revanche des documents attentatoires au
Souverain Pontife circulent en France ainsi que
des libelles outranciers contre le Saint-Siège.
Boniface VIII riposte en tenant son concile à
Rome et en promulguant une nouvelle bulle : la
bulle Unam Sanctam qui condamne une nouvelle
fois Philippe le Bel et Guillaume de Nogaret son
légiste. Les deux hommes ne le supportent pas :
Nogaret devenu chancelier a des mots très durs
pour le Pape qui serait immoral et douteux dans
sa foi ! Ainsi la convocation d’un concile qui le
déposerait serait justifiée ! Le 7 septembre 1303,
600 cavaliers
et 1500 fantassins prennent
possession d’Anagni, ville dans laquelle le Pape
avait trouvé refuge. Nogaret somme ce dernier
de convoquer un concile, ce que refuse Boniface
VIII (3) ! La révolte des habitants d’Anagni fait
fuir les Français et des soldats romains ramènent
le Pape à Rome. Un mois plus tard Boniface
meurt. Son successeur lève l’excommunication à
l’encontre du roi. Ce conflit a été un conflit
(3)
(2)
Dans cette affaire, le pape soutient ouvertement le
comte de Flandres, parjure, et l'Empereur.
L'histoire de la gifle donnée au pape par Nogaret n'est
qu'une pure invention de Renan, destinée à détacher les
catholiques de la monarchie.
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
12
d’hommes dans lequel la papauté n’a pas été
vainqueur cette fois-ci. Les siècles suivants
verront une doctrine beaucoup plus pernicieuse
et des pratiques juridiques contestables forgées
par des robins jaloux de l’autorité du Saint-Siège
à l’égard des monarques : c’est en France le
Gallicanisme puis cette habitude de traiter
d’égal à égal avec le Pape en signant des
concordats.
Le Gallicanisme, ses fruits empoisonnés et le
concordat subséquent (XIVème-XVI ème siècles)
Ce sont au premier abord les évêques qui
s’opposent à toute mesure qui pourrait porter
atteinte à leur statut qui revendiquent ce que
l’on appelle les libertés de l’Église Gallicane,
qui sont les grands bénéficiaires de cette
doctrine (autant que les monarques qui
l’encouragent). Cette doctrine consiste en ceci :
si l’Église est catholique, c'est-à-dire universelle,
si le Pape exerce son autorité dans le domaine
de la Foi et nul n’est autorisé à la lui contester, il
appartiendrait au Roi de France d’exercer son
pouvoir dans le domaine du temporel et de la
discipline ecclésiastiques ; en d’autres termes le
Roi comme les souverains d’Europe cherchent
non seulement à échapper au contrôle du SaintSiège mais aussi à contrôler l’organisation de
cette portion d’Église située dans leur royaume.
Le
Grand
Schisme
(1378-1449)
et
l’affaiblissement de l’Église qui s’en est suivi ont
malheureusement contribué à cette situation à
tout le moins compliquée. Qui plus est un
ouvrage anonyme intitulé Songe du Verger paru
sous Charles V de même que les Libertés de
l’Église Gallicane d’un certain Pierre Pithou vont
donner des arguments à tous ceux (clercs et
laïcs) qui veulent prendre des distances vis-à-vis
de Rome. Ces idées qui sont dans l’air du temps
vont se traduire en actes : ces actes juridiques
sont la Pragmatique Sanction de Bourges de
1438 et bien sûr le Concordat de 1516.
La Pragmatique :
Elle est l’œuvre de Charles VII qui
apparaît ici comme un fin politique. En effet il
cherche à régler les conflits avec le Saint-Siège
par un acte juridique incontestable qu’est
l’Ordonnance royale. Il le fait d’autant plus
aisément que lors du Grand Schisme les
souverains pontifes rivaux ont procédé à des
nominations aux mêmes bénéfices ! Il réunit à
Bourges des évêques qui forment une sorte de
concile français ; ces prélats affirment la
supériorité du Concile sur le Pape
conformément à une théorie défendue par
l’Université de Paris et aux décrets du Concile
de Constance de 1415 (concile convoqué par le
Pape Jean XXIII, pape douteux et par
l’Empereur Sigismond : il faudra d’ailleurs
attendre 1417 et l’élection de Martin V, pape
régulièrement élu pour entrevoir la fin de ces
dérives). Cette Pragmatique prévoit des
restrictions aux taxes perçues par le Pape sur
les clercs de France et donne un droit de regard
au Roi sur la nomination des Abbés et des
Évêques (pression sur les électeurs pour la
collation des bénéfices majeurs détenus par les
Chanoines, les Évêques et les Abbés et
recommandations auprès de ces deux dernières
catégories pour la collation des bénéfices
majeurs). Telle est l’œuvre de ce concile traduit
en ordonnance royale, acte unilatéral contesté
par la Papauté pour des raisons évidentes ; le
Concordat de Bologne tentera de pallier cette
situation qui est détestable pour le Pape.
Le Concordat de Bologne :
Un an après Marignan Léon X et François
Ier signent le Concordat de Bologne qui abroge
les dispositions de la Pragmatique. La collation
des bénéfices mineurs ne change pas (elle est
toujours effectuée par le haut clergé) ; en
revanche celle des bénéfices majeurs est faite par
le Roi, le Pape ne faisant que vérifier l’aptitude
des candidats aux fonctions exercées. En outre
ce dernier qui continue à percevoir des impôts
appelés annates, signe les Lettres de Provision
qui confèrent ces investitures. Cet acte juridique
bilatéral se substitue à l’acte unilatéral de 1438,
mais montre désormais que les monarques fils
très chrétiens de l’Église traitent d’égal à égal
avec le Vicaire du Christ. Ce concordat sera
contesté par l’Université de Paris, par les
Gallicans, par le bas clergé et bien sûr par le
Parlement de Paris qui ne l’enregistrera qu’en
1518 après avoir reçu des lettres de jussion du
Roi (du latin jubere signifiant ordonner, donner
un ordre). Un compromis a été trouvé (4) (nous
sommes loin d’Agnani) qui semble régler les
rapports entre les deux pouvoirs et qui a permis
sous Louis XIII et Louis XIV des évêques et des
abbés de grande qualité. Il ne résoudra pas tous
les problèmes et l’affaire de la Régale sous Louis
XIV est là pour le prouver !
Louis Dieudonné le roi très Chrétien, fils sage
ou prodigue (?) de l’Ecclesia Mater
________________________________________________________________________________________________________________
LA BLANCHE HERMINE N° 62
13
L’affaire de la Régale (1673) : elle est le
fait de Louis XIV qui préfère les règles générales
aux règles particulières et qui décide que non
seulement la régale temporelle (perception des
bénéfices des évêchés vacants), mais aussi la
régale spirituelle (administration des évêchés
vacants et nominations des curés de paroisse et
attribution des dignités ecclésiastiques) seront
étendues à l’ensemble du Royaume. Les évêques
d’Alès et de Pamiers protestent, sont condamnés
par l’archevêque de Toulouse mais soutenus par
Innocent XI qui blâme Louis XIV. Ce dernier
convoque le clergé de France en une « assemblée
générale
extraordinaire
représentant
le
concile » ; nous sommes en 1682 ! C’est cette
assemblée qui va, sous l’influence de JacquesBénigne Bossuet, évêque de Meaux, rédiger la
« Déclaration des quatre articles » ; l’on recon-
naît là l’ancien élève des Jésuites (proche du roi,
il serait de tendance gallicane, ancien élève des
bons pères, il serait ultramontain) qui, par cette
déclaration va éviter le schisme gallican ! Les
premier et troisième articles, en faisant la
distinction entre le domaine temporel et le
domaine spirituel, vont réaffirmer la séparation
entre ces deux pouvoirs ; en outre ils imposent
de façon très subtile, parce que faite à l’autorité
spirituelle du Pape, de respecter les « anciens
canons », enfants chéris bien sûr de l’Église
gallicane (le temporel et la discipline restant
ainsi soumis à l’autorité du roi) ! Quant aux
deuxième et quatrième articles, ils reconnaissent
au Souverain Pontife, la plénitude de puissance,
pourvu qu’il respecte les usages de l’Église et les
canons des conciles œcuméniques ! Le Pape
protestera par un Bref, mais le schisme gallican
ne sera pas consommé, grâce à l’habileté de
Bossuet !
JEAN-MICHEL BOCQUET
Bibliographie :
J. ELLUL – Histoire des Institutions et des Faits sociaux (PUF)
J. IMBERT – G et M SAUTEL – Histoire des Institutions et des Faits Sociaux (PUF)
M. PRELOT – Histoire des Idées Politiques (Dalloz)
DANIEL-ROPS- Histoire de l’Église (Fayard)
Cette brève recension des relations conflictuelles entre les deux pouvoirs nous montre, a contrario,
qu'en France l'alliance du trône et de l'autel a été la règle à peine écornée par quelques exceptions. La
haine que les révolutionnaires ont nourrie et nourrissent encore contre cette alliance en sont une autre
preuve. Il n'en est que plus scandaleux de voir des catholiques la minimiser, voire la passer sous
silence, pour mieux combattre la monarchie. Aujourd'hui ultramontains, demain fervents gallicans,
toujours cinquième colonne efficace de la Révolution, ils amplifient l'importance des accrocs et en
attribuent systématiquement la responsabilité aux rois. Ils font fi des jugements de la divine Providence
qui, dans des interventions dûment authentifiées par l'Église, s'est prononcée à maintes reprises en
faveur de la famille royale de France (15e siècle : sainte Jeanne d'Arc est envoyée par le Ciel vers le
seul prince désigné par les lois fondamentales du royaume pour le faire sacrer à Reims – 17e siècle :
Paray-le-Monial, sainte Marguerite-Marie fait connaître le message qu'elle a reçu le 17 juin 1689 : "Fais
savoir au Fils aîné de mon Sacré Cœur …Ce Fils aîné, c'est alors Louis XIV, sept ans après le blâme
lancé par Innocent XI – Durant des siècles : le don donné à tous les rois légitimes, jusqu'à Charles X
inclus, de guérir des écrouelles.
Faut-il d'autres preuves d'un bilan hautement positif ?
____________________________
(4)
Dans un article, "Que faut-il penser du Concordat de Bologne" publié dans La Gazette Royale (N° 81, octobre-novembredécembre 1999), Louis Brékilien cite des extraits de la lettre "Quod aliquantum" de Pie VI : "Ce changement [introduit par
la Constitution Civile du Clergé], ou plutôt ce renversement de la discipline, offre une autre nouveauté considérable dans
la forme d'élection, substituée à celle qui était établie par un traité mutuel et solennel connu sous le nom de Concordat,
passé entre Léon X et François Ier, approuvé par le cinquième Concile général de Latran, exécuté avec la plus grande
fidélité pendant deux cent cinquante ans, et qui par conséquent devait être regardé comme une loi de la monarchie."
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
14
LA CONTRE-RÉVOLUTION EN OEUVRE
Le comte Joseph de Puisaye en Bretagne en 1793-1794
5e partie : L’embarquement pour Jersey à Saint-Briac le 15 septembre 1794
A l'instigation de ses amis, Joseph
de Puisaye a décidé de se rendre à
Londres.
Il
doit
embarquer
clandestinement dans l'anse du
Guesclin, au nord de SaintCoulomb.
Deux groupes
de
personnes devaient partir sur le
même
bateau,
Malgré
une
préparation minutieuse, l'opération
échoue suite à un accrochage avec
une patrouille ennemie. Avec un
groupe de fidèles, le comte s'est
alors rendu à Saint-Briac d'où il a
pu s'embarquer pour Jersey. Deux
mois plus tard, en décembre,
l'arrestation de compagnons de
Puisaye (Prigent, Briand et Noël) va
permettre aux républicains de
reconstituer en partie le récit de
l'embarquement.
Noël
livre
beaucoup de renseignements.
Le récit de l'arrestation
Ils avaient vu des hommes de Saint-Briac
et d'autres Français, Monsieur Lemoine, prêtre
de Saint-Malo, M. de la Furonnière, prêtre de
Saint-Malo ou des environs, un autre appelé le
curé, ancien recteur de Saint-Malo, M. Gorget,
prêtre de Saint-Lunaire, M. Olivier, prêtre à
Saint-Lunaire, natif de Saint-Briac, qui est mort à
Jersey. Il a vu aussi le recteur de Saint-Lunaire et
un marin, Guillaume Noël, fils d'Etienne Noël,
de Saint-Briac, qui était malade. Il n'était. revenu
en France qu'une seule fois et encore il n'avait
pas pris terre ; lui et les autres hommes avaient
amené quatre hommes armés de fusils et de
pistolets, qui avaient chacun un paquet ; ils les
avaient débarqués près de la Garde Guérin dans
le port de la Garde, à gauche du pavillon ; après
les avoir mis à terre, ils reprirent le large et il
ignore absolument où ils avaient dirigé leur
marche. De retour à Jersey, il a continué le
même métier jusqu'au jour où il s'est embarqué
pour revenir en France. Prigent est venu le
trouver et lui a dit qu'il fallait le conduire en
France ; il n'a fait que lui obéir. Ils s'étaient
embarqués sur un cutter qui comptait quinze
hommes d'équipage et qui transportait sept
passagers qui tous devaient mettre pied à terre.
L'armement du cutter se composait de six
pierriers et chaque homme avait son fusil et des
pistolets. Ils avaient quitté le cutter à l'île d'Agot.
Ils étaient descendus tous les quatre dans le
canot qui, à cause de sa petitesse, ne pouvait
contenir que six personnes en comptant les deux
marins qui devaient le manœuvrer et les
conduire à terre. Après avoir débarqué, ils
étaient allés d'abord au village de Macheret chez
Briand. Mais la porte était fermée ; il n'y avait
personne. (Ils ignoraient que la mère de Briand
était emprisonnée). Ensuite, ils allèrent à la Ville
Botée ; ils frappèrent à deux portes. La veuve
Chevalier refusa de leur ouvrir. De là, ils allèrent
au village de la Marche chez un nommé Moinet,
cordonnier de son métier, qui reçut le paquet
assez pesant que portait Prigent, lequel lui dit de
le remettre aux chouans pour qu'ils le fassent
passer au petit qui le ferait tenir à qui il faudrait.
Ils avaient été reconduits à la côte par un marin
qui n'était pas du pays. Ils avaient chacun un
fusil, une espingole et des pistolets. Étant arrivés
sur la côte pour faire rembarquer l'étranger,
l'italien, ils avaient battu le briquet qui était le
signal pour faire venir le canot. Une patrouille
qui passait sur la côte, ayant aperçu du feu dans
le lointain, marcha vers eux. Comme ils se
sauvaient dans les rochers, elle tira sur eux
plusieurs coups de fusil. Ils restèrent cachés
dans le creux d'un rocher, dans l'eau. Au point
du jour, ils furent arrêtés par la patrouille qui les
avait cernés. On les conduisit ensuite à
Saint-Briac, chez la veuve Modeste où logeait
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
15
l'officier qui commandait à Saint-Briac, et où ils
restèrent jusqu'au soir et où sa mère et des
habitants de la commune vinrent le voir. Briand
avait déclaré que seule la veuve Modeste était
entrée pour leur apporter du bois. Le soir, on les
conduisit à la municipalité où la garde nationale
et les soldats stationnés dans le bourg les
gardèrent jusqu'au moment où ils furent
conduits à Saint-Malo.
On l'interroge sur différents points. A
propos des débarquements qui s'effectuaient de
Jersey sur la côte de France, il répond qu'au
moins tous les quinze jours on débarquait et que
le nommé Étienne était un de ceux qui passaient
et repassaient le plus souvent avec Daguin qui
était des environs de Saint-Malo. Le capitaine
Briand est celui qui a été arrêté avec lui ; il avait
été fait capitaine en allant à Jersey. Comme
personne de Saint-Briac, il n'a vu que Guillaume
Noël, surnommé Auguste. Il a connu autrefois le
recteur de Saint-Jacut, mais il ne l'a pas vu
depuis longtemps. Celle qu'on appelle Madame
Sainte-Marie, c'est Marie Chaignon à qui on
avait donné ce nom quand ils avaient été prêts à
partir pour Jersey. Il y avait longtemps qu'il la
connaissait, mais il ne lui avait jamais parlé
d'aucune affaire. Non, il n'a pas su qu'un bateau
avait été enlevé à Saint-Briac pour aller à Jersey
il y a deux mois. Dans le port de Jersey, il y avait
quatre chaloupes canonnières, deux à trois
lougres, trois à quatre petits cutters. Les lougres
ont une vingtaine de canons, d'autres quinze ; il
y en a toujours en croisière. A Jersey, les
subsistances sont abondantes et on avait
aisément du pain et de la viande. La garnison
pouvait compter quinze cents à deux mille
hommes. Les habitants font le service. La côte
est bien gardée ; elle est hérissée de canons et il
ne paraît pas possible que toutes les pièces
fussent servies.
Lecture a été faite à François Noël de
toutes demandes et réponses ; il a déclaré que sa
déclaration était la vérité et qu'il s'y tenait. Il a
déclaré ne savoir ni écrire ni signer.
Les révélations de François Noël
François Noël, jeune homme de 19 ans, n'a
pas montré dans son interrogatoire la prudence
et la retenue dont a fait preuve Michel Briand. Il
a révélé au général Rey le fait essentiel que
Michel Briand, mieux informé de l'importance
de l'événement, a pris soin de lui cacher, qu'il
s'est ingénié à lui taire à tout prix, à savoir, le
départ pour l'Angleterre du général en chef de
l'armée catholique et royale de Bretagne.
Michel Briand prétend qu'il est parti pour
Jersey afin de se soustraire à la conscription, à
l'instigation d'un nommé Tanguy d'Erquy, dont
il donne le signalement avec d'autant plus de
détails que c'est vraisemblablement un
personnage imaginaire qu'on ne pourra pas
retrouver. Il était accompagné, dit-il, de François
Noël, de Saint-Briac, et d'un autre habitant
d'Erquy, un nommé Étienne. Il laisse entendre
que c'est dans la région d'Erquy qu'il a pris la
mer. En outre, si, de même que François Noël, il
indique, comme date de départ, celle du 27
septembre, qui est assez éloignée de la date
exacte, c'est pour qu'elle ne coïncide pas avec
celle de la disparition du bateau qui avait été
pris dans le port de Saint-Briac, et dont on
recherchait les auteurs de l'enlèvement. Il va
même jusqu'à désigner des coupables présumés
dont la rumeur colportait le nom. S'il avait
donné la date exacte, cela aurait été interprété
comme la preuve évidente de sa culpabilité.
François Noël ne dissimule rien de la
vérité. Il décrit comment Marie Chaignon l'a
recruté avec Michel Briand. Le récit de Puisaye,
écrit quelques années plus tard, concorde, sauf
sur quelques points de détail, avec celui de
François Noël. Les deux marins, selon Puisaye,
avaient découvert, abandonné sur la grève, un
canot de onze pieds seulement de quille, que sa
vétusté avait fait croire incapable de servir et
qu'on avait jugé inutile de saisir. Puisaye écrit
qu'ils s'étaient tous activés à coudre les draps de
leurs lits pour en faire une voile qui fut fixée à
une longue perche convertie en mât. François
Noël déclare simplement qu'ils allèrent au port
où ils prirent un bateau
d'environ seize pieds,
quatre avirons et une
voile qu'ils prirent sur
un autre bateau. Au
départ de Saint-Briac, le
bateau avait à son bord,
avec les deux marins, dix
hommes.
Les
deux
marins
auraient-ils
accepté de risquer leur
vie, et celle de leur huit
passagers, pour une
traversée
longue
et
hasardeuse, sur un bateau mis hors de service à
Joseph de Puisaye
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
16
cause de sa vétusté ? Pour Puisaye, qui affrontait
la mer pour la première fois et qui était anéanti
par le mal de mer, la traversée fut très pénible. Il
est vrai que se trouver aussi nombreux en pleine
mer sur ce frêle esquif n'était pas aussi rassurant
qu'à bord d'un bâtiment plus important. Il se
peut que les dangers auxquels ils eurent à faire
face n'excédaient pas ce qui était le lot quotidien
d'un marin pêcheur. Les marins, habitués à
naviguer, n'ont pas noté que la traversée ait été
particulièrement périlleuse.
François Noël, dont le sens de
l'observation était développé, a décrit et nommé
les hommes qui entrèrent avec lui dans le bateau ;
Monsieur Joseph était Puisaye, Étienne était
Dufour, de Saint-Coulomb, Carmagnole ne
pouvait être que Marie-Joseph-Léon Persehais,
de la commune de Clayes, Laurent était Georges
Glédel, le fidèle domestique de Puisaye ; quant à
Désiré et Thomas, c'étaient Baslé et Gouin, de
Saint-Coulomb. Prigent ne cessait, depuis la
Coalition de La Rouërie, d'assurer la
Correspondance avec Jersey.
On
remarque
que
les
autorités
républicaines connaissaient les noms ou les
surnoms des passeurs qui opéraient entre Jersey
et la côte de Bretagne. La police avait leur
signalement, mais elle ne pouvait mettre la main
sur eux. François Noël déclare que les
débarquements sur la côte étaient fréquents.
L'habileté des marins et les complicités sur
lesquelles ils pouvaient compter à terre
assuraient leur régularité et les rendaient
généralement
assez
sûrs.
Quant
aux
renseignements fournis sur la situation
économique, sur la force de la marine et de la
garnison à Jersey, ils n'avaient aucun caractère
exceptionnel ; ils n'apportaient rien d'inédit ; ils
confirmaient ce qui était déjà bien connu par
d'autres sources. Il ne s'agissait en aucune
manière de la livraison de secrets susceptibles
de nuire à la sécurité de l'île.
Les mémoires de Dufour
Quand Puisaye s'est-il embarqué à
Saint-Briac ? Michel Briand et François Noël ont
tous les deux toujours déclaré qu'ils partirent
pour Jersey le 27 septembre 1794. Ils s'étaient
certainement concertés pour donner une date
assez éloignée de la date exacte pour qu'elle ne
corresponde pas avec le jour où ils avaient
enlevé un bateau à Saint-Briac et qu'ils ne se
désignent pas comme les auteurs de sa
disparition. Dufour, qui faisait partie de
l'expédition, obéissait-il au même souci quand il
écrivit dans ses Mémoires : «A onze heures du
soir, le 23 octobre 1794, nous appareillâmes et
sortîmes du port sous une petite brise du S.O. pour
nous rendre à Jersey, à 15 lieues de distance ; mais
déjà éloignés de trois à quatre lieues de terre, la brise
augmenta, la mer devint houleuse : notre frêle
embarcation fit eau de toutes parts. Notre position
devenait critique : nous gouvernions avec un aviron,
ayant l'étoile polaire pour boussole, heureusement
que le temps n'était point couvert. Chacun s'était
placé sur le bord du bateau qui ne présentait pas huit
pouces au-dessus du niveau de la mer, et s'escrimait
à qui mieux mieux pour jeter l'eau par-dessus bord à
l'aide de nos chapeaux.» 1
Après la Révolution alors qu'il n'avait plus
aucune raison de dissimuler la vérité, François
Noël indiquait une autre date. Un certificat,
signé par Victor Collas de la Baronnais,
chevalier de l'ordre royal et militaire de
Saint-Louis, le 2 février 1828, déclarait que «Noël
François Joseph Louis, âgé de cinquante deux ans, né
à Saint-Briac et y demeurant, marin de profession, a
été employé dans l'armée royale de Bretagne pour
passer et correspondre avec les isles de Jersey et de
Guernesey, que le 15 septembre 1794 il passa à Jersey
le général Comte de Puisaye; dénoncé aux autorités
républicaines, il fut obligé de quitter la commune et
travailla comme marin et pilote au Secret Service de
la Correspondance royale; qu'en 1795 il fut pris sur
la côte de Saint-Briac en débarquant poudre et armes,
qu'il a souffert une détention de vingt mois tant à
Saint-Malo qu'à Rennes et qu'il ne dut sa liberté
qu'à l'intérêt qu'il inspira par sa jeunesse» 2
Le 15 septembre a toutes les chances d'être
la date exacte du départ de Saint-Briac. Pour
l'arrivée à Jersey, on suit le récit de Dufour qui a
le caractère d'un reportage pris sur le vif : «Au
bout d'une heure et demie, écrit-il, le calme revint, et
à sept heures et demie du matin, nous apercevions les
Minquiers (îles anglaises à cinq lieues de Jersey).
Nous y arrivâmes un peu avant dix heures. Après un
moment de repos, nous partîmes deux, conduits par
trois matelots, afin d'aller à Jersey demander au
gouverneur une embarcation de guerre pour prendre
le comte de Puisaye et ses officiers. Le gouverneur
accéda de suite à notre demande, et partis des
Minquiers vers les six heures du soir, nous arrivions
1
2
Mémoires de M.J. Dufour, op. cit., pp. 53-54, 74-76.
A.D., I.-et-V., 4 R 7, dossier 12.
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
17
à Jersey, à huit heures. Après quelques jours passés
dans cette île, le comte se rendit à Londres. » Parti de
Saint-Briac, le 15 septembre, à onze heures du
soir, Puisaye aurait débarqué à Jersey le 16
septembre dans la soirée, à huit heures, heure
solaire. En effet, le lendemain, qui était un
mercredi, le gouverneur de Jersey, Balcarres
écrivait au Prince de Bouillon une lettre datée
du 17 septembre, pour lui annoncer l'arrivée de
Puisaye 3 ce qui confirme pleinement le
témoignage de François Noël. Après un court
séjour dans l'île, Puisaye fut envoyé à Londres
dans le plus grand secret.
Les prisonniers sont transférés à Rennes
François Noël et Michel Briand qui avaient
été incarcérés à Saint-Malo, le 2 janvier 1795 -13
nivôse an 3-, « sans savoir pour quelles raisons
», note le relevé d'écrou, furent sortis le 28 mai
-8 prairial an 3-, pour être conduits au Solidor
par ordre du général Rey.4 Le 27 août 1795 -10
fructidor an 3-, de Solidor, quartier général de
l'armée des Côtes de Brest et de Cherbourg, le
général Rey écrit à l'accusateur public près le
tribunal criminel du département d'I.-et-V. qu'il
envoie tous les papiers sur les hommes détenus.4
Le 12 novembre 1795 -10 brumaire an 4-, le
maire, les officiers municipaux, le procureur
syndic de la commune de Saint-Briac certifiaient
que les citoyens François Noël et Michel Briand,
natifs de leur commune, qui étaient détenus
dans les prisons de Rennes, leur déclarèrent, lors
de leur arrestation sur la côte, qu'ils venaient se
rendre pour profiter de l'amnistie du citoyen
Boursault du 26 vendémiaire an 3 -17 octobre
1794- : en foi de quoi ils leur avaient délivré ce
certificat pour leur servir où besoin sera.
Le 7 novembre - 16 brumaire an 4 -,
Toussaint-François Lemoine, accusateur public
près le tribunal criminel du département
d'l.et-V. fait amener de la maison de justice
«deux particuliers, François Noël et Michel Briand, y
détenus depuis longtemps sans que nous ayons pu,
3
4
Balcarres à Bouillon, 17 septembre 1794
British Library, H.O. 69/9/79 - Voir Maurice
Hutt, Chouannerie and Counter-Révolution.
Puisaye the Princes and the British
government in the 1790 s, p. 96 (Cambridge
University Press, 1983).
écrit-il, malgré nos recherches réitérées, parvenir à
nous procurer aucune preuve légale des causes de
leur arrestation.»4 Il procède d'abord à
l'interrogatoire de François Noël qui, âgé de 19
ans, se dit marin pêcheur, de la commune de
Saint-Briac, et qui explique ainsi la cause de son
arrestation. «Je m'étais caché chez ma mère, dit-il,
dans la crainte d'être arrêté, comme beaucoup
d'autres l'étaient sous le règne de Robespierre.
Quand j'eus connaissance de l'amnistie et que je sus
que les lois devenaient plus humaines et plus douces,
je me montrai ; des militaires vinrent me prendre
chez moi et me conduisirent à Port-Malo sans que
j'en aie connu le motif.»
N'avait-il commis aucun délit pour se
cacher ainsi ? - «On voulait me faire faire la
patrouille sur la côte, explique-t-il, mais il me vint
un mal aux jambes. Je voulus m'excuser de faire le
service, tant à raison de mon âge que de mon
infirmité ; on me dit qu'on me ferait mettre en prison
si je ne le faisais pas. La crainte d'être emprisonné me
porta à me cacher chez ma mère et quelquefois j'allais
dans les terres chez mes parents.»
Ne s'est-il pas plutôt soustrait à la
réquisition ? - «Non, il n'était point question de
réquisition dans ce temps-là. Il y a près de douze mois
que je fus arrêté. J'étais allé me présenter à la
municipalité ; il y avait deux jours que je me
montrais librement dans mon bourg lorsque je fus
arrêté.»
N'a-t-il point été arrêté dans des
attroupements de chouans pendant le temps
qu'il dit avoir été caché ? - Il n'a jamais eu aucun
rapport avec les chouans et il n'a pas eu
l'intention de le faire.
N'est-il point passé à Jersey ou Guernesey?
- Il n'est jamais sorti du territoire de la
République. Il allait à la pêche mais il revenait
toujours chez lui et il n'a jamais été sur le
territoire des Anglais.
François Noël a déclaré ne pouvoir signer
ses réponses. 4
ANDRÉ COUILLARD
A.D., I.-et-V., L 2999, dossier n° 592.
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CARNET
Madame Saclier de la Bâtie, née Chantal de Russon, épouse du président de l'Union des
Cercles Légitimistes de France a été rappelée à Dieu le 29 juillet 2007.
Plusieurs présidents et membres des cercles ont pu assister aux obsèques célébrées à Angers le 1er
août.
Des messes et des fleurs ont été offertes tant par les cercles que par des légitimistes.
NAISSANCE :
PAULINE,
PAULINE née le 27 Août 2007, sœur de Guillaume
chez Monsieur et Madame Maurice MICHEL
16e des petits enfants de Monsieur et Madame Michel.
Messes pour la France et le Roi
Depuis 1985, pour obtenir du Ciel que l'aîné de la Maison de France et le Successeur de saint Pierre
réalisent enfin les demandes du Cœur Sacré de Jésus et du Cœur Immaculé de Marie, l'UFUR (Une
France – Un Roi) fait célébrer des messes en l'honneur du Sacré-Cœur et du Cœur Immaculé de
Marie, les premiers vendredi et samedi de chaque mois.
Aidez l'UFUR . Participez vous aussi à cette œuvre essentielle pour le salut de la France et de l'Église.
Les dons sont à envoyer à : UFUR Le Paradis 28250 Louvilliers les Perche
ACTIVITÉS DE LA TRADITION CATHOLIQUE ET DE
LA TRADITION ROYALE EN BRETAGNE ET AU-DELÀ
L’annonce des activités organisées par les cercles est laissée à la diligence de leurs dirigeants.
En cette fin de vacances, à l'heure du bouclage de ce numéro, les cercles légitimistes de Bretagne
n'ont pas arrêté leur programme ou ne l'ont pas encore communiqué au journal.
La liste et les adresses des cercles de Bretagne sont à demander à :
- FBL (BP 10307, 35703 Rennes cedex 7 – 08 71 31 10 40 – [email protected]).
- ou sur le site de l'UCLF (www.uclf.org)
A Rennes, le cercle Arthur de Richemont organise une réunion d'information le jeudi 27 septembre,
de 20 h à 21 h 00 , salle de réunion du Courteline (239 rue de Fougères Rennes – bus : lignes 1 et 30, arrêt
Painlevé)
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Prénom : ........................................... NOM : ..........................................................................................
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: 8 € pour 3 numéros
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
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95E PÈLERINAGE LÉGITIMISTE À SAINTE-ANNE D’AURAY
29 ET 30 SEPTEMBRE 2007
SAMEDI 29 SEPTEMBRE
Accueil à partir de 12 h 00 devant le monument du comte de Chambord (et 11 h 30 en gare
d'Auray pour ceux qui auront signalé leur arrivée par le train) – Repas tiré du sac
14 h 30 : Départ pour Vannes
15 h 15 : Regroupement de tous les pèlerins au parking de la Garenne (Vannes) et départ de la
marche vers Sainte-Anne d'Auray
18 h 45 : Hommage à Mgr de Ségur (cimetière de Pluneret)
19 h 30 : Près du monument du comte de Chambord : Galettes-saucisses,… - Veillée
DIMANCHE 30 SEPTEMBRE
10 h 00 : Messe, chapelle du Champ des Martyrs (Brec'h – Auray)
Renouvellement de la consécration de l'UCLF au Sacré-Cœur
12 h 00 : Dépôt de gerbes au monument du Comte de Chambord
Allocution du président de l’Union des Cercles Légitimistes de France
12 h 30 : Repas (au choix : restaurant La Croix Blanche ou pique-nique)
15 h 00 : Conférence de Hervé Molac
"Le débarquement de Quiberon (juin 1795). Ses conséquences".
Après-midi : nombreux stands
17 h 30
Clôture
Les volontaires ne sont jamais trop nombreux pour assurer le bon déroulement du pèlerinage (nettoyage et
préparation de la chapelle et de l'enclos du monument, préparation du dîner du samedi soir – animation de la
veillée, chorale, etc. - Rendez-vous de toutes les bonnes volontés dès le samedi matin 10 h 00 devant le
monument du comte de Chambord.
Pour vous renseigner
- Cercle Georges Cadoudal (Bro Erec) : 02 97 45 46 80 fax 02 97 66 27 04
- Fédération Bretonne Légitimiste (F.B.L.) : B.P. 10307 35703 Rennes cedex 7
08 71 31 10 40 - [email protected]
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Bulletin d’inscription
à retourner à la F.B.L. (BP 10307 35703 Rennes cedex 7) accompagné du règlement
(pour les lecteurs DE LA BLANCHE HERMINE, la date limite d'inscription est repoussée au lundi 24 septembre)
M. Mme Mlle............................................................................................................................................................
Adresse ....................................................................................................................................................................
Code postal ................................ ville...................................................................... tél. ..........................................
Participera à la marche de pèlerinage le samedi 29 septembre
adulte :
……
enfants de moins de 12 ans :
...…
Participera à la journée du dimanche avec le déjeuner au restaurant La Croix-Blanche
soit
……x 25 €
……..… €
Je désire participer au fonds d'entraide en versant
……..… €
Ci-joint mon règlement par chèque libellé à l'ordre de : F.B.L. CCP 3 613 22 N Rennes
_________________________________
total
= …….. €
Directeur de Publication : P. BODIN – Imprimé par nos soins
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LA BLANCHE HERMINE N° 62
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