Plan succinct pour une lecture analytique du poème « Les Assis
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Plan succinct pour une lecture analytique du poème « Les Assis
Plan succinct pour une lecture analytique du poème « Les Assis » Présentation du texte : Il s'agit de la description monstrueuse de créatures mi-hommes mi-chaises qui symbolisent pour Rimbaud l'immobilisme, le conformisme et le matérialisme d'un société bourgeoise honnie. Problématique : En quoi la description monstrueuse des « assis » est-elle porteuse d'une dénonciation de la société bourgeoise des années 1870 ? I. La description de créatures monstrueuses … a) Des créatures à l'aspect repoussant – R. procède à une description très complète et presque clinique des « assis » : le vocabulaire anatomique est très représenté et le plus souvent associé à un lexique dégradant : « yeux cerclés », « doigts boulus », « sinciput plaqué de hargnosités vagues », « fantasque ossature », « squelettes noirs », « peau » percalisée, « genoux au dents », « caboches » (terme familier), « reins boursouflés », « têtes chauves », « pieds tors », « grappes d'amygdales », « mentons chétifs », ... – Le vocabulaire emprunte aussi au domaine médical pour dresser le portrait de créatures malades et malsaines : « loupes », « grêlés », « lépreuses », « épileptiques », « rachitiques », « tremblement », ... – Difformité toujours dans la description du corps des assis : extrême maigreur de créatures semblant se réduire à un squelette (le corps est désigné par métonymie : « fémurs », « ossature », « squelettes », « barreaux rachitiques », « ouvrant […] leurs omoplates ») associée à des protubérances, des bosses, un relief hideux du corps (cf. « des singularités qu'il faut voir à la loupe » dans Vénus anadyomène) : « loupes », « doigts boulus », « reins boursouflés », « des grappes d'amygdales […] s'agitent à crever » – Le corps hideux semble la proie de mouvements spasmodiques, de contractions, de convulsions frénétiques : leurs amours sont « épileptiques », les assis sont « tremblant[s] du tremblement douloureux du crapaud » (notez l'allitération en [r] + le polyptote). – Ces spasmes sont aussi lisibles aussi dans la forme-même du poème, dans la versification : voir dans la strophe 2, les enjambements, le rejet du v7, la césure placé sur des mots grammaticaux aux vers 5 et 8 (« des » / « les »). b) Des êtres maléfiques – Ce sont des créatures de l'ombre (l'obscurité est associée au Mal, le vert est souvent relié à la décomposition) : prédominance de couleurs sombres dans la description (« noirs de loupe », « bagues / vertes », « squelettes noirs », « brun », « verts pianistes », « murs sombres », « fond des corridors », « venin noir », « entonnoir ») – Ce sont des créatures contre nature : le soleil provoque leur transformation en montres (v.10 « Sentant les soleils vifs percaliser leur peau »), le lexique de la nature, et notamment des fleurs, est détourné et se colore négativement : oxymore « floraisons lépreuses », les neiges (blancheur immaculée symbolisant la pureté) « se fanent », les « épis » sont évoqués par le terme « fermentaient » qui suggère la décomposition, les « fleurs d'encre » crachent, ... – Aspect maléfique aussi par les comparaisons animales avec le « crapaud » (qui rime avec « peau »), animal associé à la sorcellerie et à la laideur, avec un « chat giflé » (symbole là-aussi négatif), allusion potentielle au serpent avec « venin noir » (créature démoniaque dans la Bible, responsable de la chute de l'Homme) – Plus discret mais néanmoins présent : le champ lexical de la mort (« une main invisible qui tue », « venin », « crever ») c) Des monstres mi-hommes mi-chaises – Des verbes traduisent la fusion, l'assimilation de l'homme et de la chaise : « ils ont greffé », « s'entrelacent », « ont toujours fait tresse » => les « assis » font corps avec leur chaise. – La silhouette recroquevillée, tassée, repliée de l'homme évoque la forme d'une chaise : « doigts boulus crispés à leurs fémurs », « genoux au dents », « rassis » – Si l'homme semble transformé en objet, de son côté la chaise suit le mouvement inverse de personnification : « les Sièges leur ont des bontés » (notez la majuscule + attribution d'un sentiment humain), « la paille cède » comme si elle était douée de volonté, les « tresses d'épis » ont un semblant d'âme, Rimbaud joue sur le mot « bras » (de siège) au vers 38, le terme « emmaillotée » du vers 15 évoque un nouveau-né, la descendance des « assis » est qualifiée de « vrais petits amours de chaise en lisière » qui « seront bordés » comme les nourrissons, l'expression « barbe d'épis » v44 participe au même effet. – Le recours aux néologismes (« boulus », « hargnosités », « percaliser ») indique la nécessité d'une nouvelle langue pour décrire ces créatures monstrueuses mi-hommes mi-chaises. II. Symboles d'une société bourgeoise que dénonce Rimbaud. a) L'intériorité des « assis » – La description des « assis » est majoritairement physique mais on devine que l'intériorité des « assis » est à l'image de leur aspect extérieur (l'expression « le sinciput plaqué de hargnosités vagues » suggère un rapprochement entre intériorité / extériorité). Ceux-ci ne semblent pas réellement doués de conscience, leurs sentiments semblent réduits et se limitent à une colère sourde et haineuse avec les termes « hargnosités vagues » v3 et « rage » v23. La rage se traduit aussi dans les mouvements de leurs corps levés (participes présents « grondant », « ouvrant », « cognant », – – « plaquant et plaquant » : notez les échos internes qui miment le déplacement des « assis »), dans l'expression « prunelles fauves » évoquant une lueur féroce et meurtrière, et dans les mouvements des amygdales qui « s'agitent à crever ». Cette hargne est dirigée contre ceux qui interrompent le cours monotone de leur existence morose et les font se lever ! La strophe 5 transforme les « assis » en une parodie de pianiste et de gondolier. On sent poindre un lyrisme qui est immédiatement déprécié par le lexique (le chant n'est que « rumeurs », les barcarolles « clapot[ent] », le terme « caboche » est familier et prosaïque). Nulle beauté ici, nulle possibilité d'élévation, d'ailleurs le mouvement de la strophe (musicalité, régularité et harmonie des vers 16 à 20) est immédiatement brisé au vers 21 par le prosaïsme de l'interjection et le rythme (« Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage... » - 1/7/4) => Les assis sont incapables de s'élever... à l'image de la bourgeoisie honnie. Les deux dernières strophes nous permettent d'accéder aux rêves des « assis » : leurs aspirations sont là encore bien prosaïques / matérialistes puisque ce sont des « chaises » qui peuplent leurs rêves. Notons l'ironie féroce de l'association des termes « vrais petits amours / de chaises » (terme faussement hypocoristique compte-tenu de la description qui précède + notez l'effet de surprise induit par la césure sur la dernière syllabe du mot « amours ») et de l'adjectif dans « fiers / bureaux » (même effet de surprise avec le terme « bureaux » placé après la césure). b) La provocation comme arme de dénonciation Rimbaud choisit la provocation pour choquer et condamner l'ordre bourgeois des années 1870 où le corps, le désir, la sensualité sont hypocritement réprouvés. L'ordre bourgeois est une fois de plus contre nature. – On trouve de nombreuses allusions sexuelles. La copulation de l'homme et de la chaise est mise en scène de manière évidente. Les « amours épileptiques » sont bien charnels et obscènes : une « fantasque ossature » s'accouple à des « squelettes noirs », des « pieds » s'unissent à des « barreaux ». Le mot « rein » (siège du désir charnel et symbole de la puissance procréatrice de l'homme) revient à deux reprises (associé la seconde fois à l'adjectif « boursouflé »). Les sièges sont « fécondés ». Le dernier vers (mis en évidence par le tiret) est une allusion directe au sexe masculin. – On peut aussi noter des allusions scatologiques1 indirectes : notez l'expression « culottée / de brun » (effet de surprise induit par le rejet), le terme « siège » possède le double sens de « chaise » et de postérieur. Le « calice » est à la fois une coupe sacrée à fonction religieuse, une partie de la fleur et une partie du bassin. c) Une remise en cause de l'ordre bourgeois – L'énonciation (usage du pronom « vous » + démonstratif « Ces vieillards ») permet d'impliquer le lecteur, notamment celui des années 1870. Les monstres décrits font partie de son actualité : les « assis » ont des référents réels (au premier chef, sans doute le bibliothécaire de Charleville qui renâclait à lui apporter les livres qu'il demandait, mais plus largement tous les « bureaux » et les bourgeois, dont il dresse un autre portrait satirique dans le poème « A la musique »). – Les « assis » sont le symbole de cet ordre bourgeois que vomit Rimbaud et qui se caractérise par : – un immobilisme, conservatisme et conformisme moral et artistique : peur de l'inconnu, peur de la nouveauté et de l'originalité, peur du changement, et volonté de reproduire à l'infini les même modèles (en témoigne le rêve d'enfantement de « chaises » nouveaux-nés ) – une rigueur morale dominée par la religion qui réprouve (hypocritement, le poème en est la preuve) le corps, les désirs, la sensualité. – un matérialisme (la transformation des hommes en objet en est l'illustration) qui interdit toute aspiration vers des idéaux, vers une élévation de l'homme et de l'âme (l'incapacité des « assis » à se lever est significative) – Ces « assis » représentent les forces aliénantes du passé qui refusent l'avenir (expression « ces vieillards » + adverbe « toujours » au v9 + double sens du mot « rassis » : à nouveau « assis » ou desséché, racorni) Conclusion (à rédiger) 1 Scatologie : ensemble d'écrits ou propos grossiers qui traitent des excréments; caractéristique de tels écrits, de tels propos.