tribunal de commerce de bordeaux
Transcription
tribunal de commerce de bordeaux
Document n° LawLex20080000186JBJ Jugement du 08-02-2008 TRIBUNAL DE COMMERCE DE BORDEAUX 7e CHAMBRE n° 2007F01420 Demandeur : Auto 24 (SARL) Défendeur : Division de FMC Automobiles Land Rover France (SAS) Composition : Président de chambre M. Savatier Juges MM. Barbier, Dargelos Avocats Mes Bénichou, Vogel Décision Les faits & la procédure La société FMC Automobiles SAS exploite la Division " Land Rover France " qui a distribué les véhicules de cette marque par un réseau de concessionnaires jusqu'en 2003 et les distribue actuellement par un réseau de distributeurs agréés. La société Auto 24 SARL est une entreprise de distribution d'automobiles installée à Périgueux. Elle a été concessionnaire exclusif "Land Rover" par l'effet d'un contrat conclu en 1994 remplacé ensuite par un contrat du 31 mars 2000. Ce contrat est résilié à son échéance du 1er octobre 2004, date à laquelle la société Auto 24 SARL devient réparateur agréé de cette marque. Le 10 février 2003, préalablement à la fin du contrat de concession, la société Auto 24 SARL présente sa candidature pour devenir distributeur agréé. L'examen de cette candidature par la société Land Rover France a été jugée discriminatoire par un jugement du Tribunal de commerce de Versailles du 28 octobre 2006 qui condamne la société Land Rover France au paiement de 100 000 euro de dommages et intérêts. La société Auto 24 SARL fait à nouveau acte d'une candidature à la distribution agréée de Land Rover à Périgueux le 2 janvier 2006. Elle est à nouveau refusée par lettre du 19 janvier au motif que le numerus clausus ne prévoit pas de représentation de véhicules neufs dans cette ville. La société Auto 24 SARL répond en maintenant sa candidature dans l'hypothèse où Land Rover France reviendrait sur sa décision de ne pas avoir de distributeur à Périgueux. En octobre 2006, la société Pericaud, distributeur agréé "Land Rover" à Limoges, ouvre un établissement à Trélissac, en périphérie de Périgueux, qui vend des véhicules " Land Rover " neufs. La société Auto 24 SARL assigne alors la société Land Rover France devant le Tribunal de commerce de Périgueux le 4 janvier 2007. Son adversaire soulève l'incompétence dudit tribunal et la société Auto 24 SARL se désiste de son instance pour la reprendre devant le présent tribunal par exploit du 16 août 2007 en application des dispositions de l'article L. 420-7 du Code de commerce qui ne donnent pas compétence au tribunal premier saisi pour connaître des pratiques anticoncurrentielles mais la réserve au présent tribunal. Aux termes de ses conclusions développées à la barre la société Auto 24 SARL demande au tribunal, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et du règlement CE n° 1400-2002 de la Commission du 31 juillet 2002, de : - dire et juger que la SAS Division FMC Automobiles Land Rover France a engagé sa responsabilité en désorganisant la société Auto 24 SARL et en l'empêchant définitivement d'être maintenue et en tout état de cause, de devenir distributeur agréé sur le secteur de Périgueux par le refus d'examen de sa candidature du 2 janvier 2006, - en réparation, condamner la société défenderesse à payer à la société Auto 24 SARL la somme de 1 274 416 euro à titre de dommages et intérêts, - la condamner en outre au paiement d'une indemnité de 5 550 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution, - condamner la société défenderesse aux entiers dépens, De son côté, la société Land Rover France demande au tribunal: A titre principal, Sur le fondement du règlement CE n° 1400-2002 de la Commission du 31 juillet 2002 : - débouter la société Auto 24 SARL de ses demandes, - donner acte à la société Land Rover France du fait que son numerus clausus ne prévoit aucun distributeur agréé à Périgueux et que l'installation d'un point de vente à Trélissac résulte de la liberté de localisation offerte aux distributeurs agréés d'un réseau de distribution sélective, - dire et juger que le refus d'agréer la société Auto 24 SARL sur le fondement du numerus clausus est licite, que la prétendue désorganisation de la société Auto 24 SARL n'est pas imputable à la société Land Rover France, En conséquence, dire et juger que la société Land Rover France n'a commis aucune faute à l'égard de la société Auto 24 SARL A titre subsidiaire, Vu l'article 1351 du Code civil, - dire et juger que les demandes indemnitaires de la société Auto 24 SARL sont irrecevables eu égard à l'autorité de la chose jugée qui s'attache à la décision du Tribunal de commerce de Versailles en date du 28 octobre 2005, - dire et juger en tout état de cause, que le préjudice invoqué n'est pas établi pas plus que ne l'est le lien de causalité entre les prétendues fautes alléguées et le préjudice invoqué, A titre infiniment subsidiaire, Dans l'hypothèse où le Tribunal de commerce de Bordeaux entrerait en voie de condamnation à l'encontre de la société Land Rover France, dire n'y avoir lieu à exécution provisoire, En tout état de cause, Si le Tribunal de commerce de Bordeaux ordonnait l'exécution provisoire, - dire et juger que la société Auto 24 SARL devra fournir préalablement à tout exécution, une caution bancaire au bénéfice de la société Land Rover France couvrant la totalité des condamnations qui seraient mises à la charge de la société Land Rover France, - condamner la société Auto 24 SARL à verser à Land Rover France la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, C'est ainsi que par l'assignation ci-dessus rappelée l'affaire vient à l'audience. Les motifs La société Auto 24 SARL fonde sa demande sur la responsabilité quasi-délictuelle définie par les dispositions de l'article 1382 du Code civil. Elle soutient qu'au regard du règlement européen n° 1400-2002 du 31 juillet 2002 relatif aux accords verticaux et aux pratiques concertées dans le secteur automobile, la société Land Rover France a commis une faute en lui refusant l'agrément sur des motifs mensongers et sur des critères qui n'étaient ni objectifs ni transparents. Cette faute lui cause un préjudice constitué par la désorganisation de l'entreprise et la perte de la marge attachée à la distribution de véhicules neufs. Pour s'opposer à ces moyens la société Land Rover France soutient n'avoir commis aucune faute. Elle expose que son refus n'est pas mensonger, mais fondé sur des critères quantitatifs définis et uniformément appliqués. Elle expose que le règlement européen invoqué l'empêche de refuser toute implantation d'un satellite d'une entité déjà agréée (opération d'essaimage), quel qu'en soit le lieu, sous réserve que les critères qualitatifs de la marque soient respectés. Ainsi, le numérus clausus opposé à la société Auto 24 SARL ne pouvait pas l'être à la société Pericaud, déjà agréée à Limoges et dont la décision d'implantation s'imposait donc à elle. Sur ce, LE TRIBUNAL, La société Land Rover France exerce son activité au moyen d'un réseau de distribution sélective d'automobiles. Elle doit donc sélectionner ses distributeurs sur des critères quantitatifs et qualitatifs conformément aux dispositions du règlement européen n° 14002002. Elle a refusé à la société Auto 24 SARL de l'agréer comme distributeur en se fondant sur le numérus clausus qu'elle a établi le 8 avril 2005 et qui prévoit 72 contrats pour 109 sites, décrits dans un tableau des contrats et des sites où Périgueux ne figure pas. Le tribunal estime que ce tableau de numerus clausus constitue un critère quantitatif précis. Il ne varie pas en fonction des candidats. Il est donc objectif. Or le constructeur n'a pas à justifier du bien-fondé des critères ou des raisons qui l'ont amené à fixer le critère objectif constitué par le tableau du numerus clausus. L'argument de la société Auto 24 SARL consistant à regarder le numerus clausus comme vague et incertain ne peut donc pas être retenu. Le tribunal juge également que le constructeur n'a le devoir d'examiner la conformité d'un candidat aux critères qualitatifs que si l'application des critères quantitatifs laisse une ou plusieurs possibilités d'implantation. En l'espèce, le numerus clausus ne permettant aucune installation nouvelle, le non-examen de la qualité du candidat ne lui fait pas grief et n'est pas fautif. Par ailleurs, la société Auto 24 SARL reproche à la société Land Rover France d'avoir énoncé ce critère de façon mensongère alors qu'elle avait connaissance de l'implantation proche d'un satellite de la société Pericaud à Périgueux, l'application de la clause d'essaimage supposant l'aval du constructeur. Mai le tribunal constate que la société Land Rover France ne pouvait pas s'opposer à l'essaimage dès lors que son bénéficiaire présentait la conformité requise aux normes qualitatives. Ainsi, l'essaimage vient atténuer les effets de l'application des critères quantitatifs qui restreignent l'entrée de nouveaux partenaires mais n'a nullement pour conséquence l'invalidation de ces critères ou l'attribution d'un caractère mensonger à cette application. Il résulte de ce qui précède que la société Land Rover France a défini des critères quantitatifs objectifs et précis selon une méthode dont elle n'a pas à justifier le bien-fondé, qu'elle les a appliqués de façon licite à la candidature présentée par la société Auto 24 SARL et que l'essaimage auquel elle ne pouvait s'opposer ne constitue pas une circonstance fautive et ne confère pas à son refus un caractère mensonger. Le tribunal dira donc que la société Land Rover France n'a pas commis de faute en refusant d'agréer la société Auto 24 SARL dans son réseau de distribution sélective. En conséquence, la société Auto 24 SARL sera déboutée de toutes ses demandes. Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Land Rover France l'intégralité de ses frais irrépétibles non compris dans les dépens. Le tribunal accueillera donc en son principe sa demande sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile mais en réduira le quantum à la somme de 2 500 euro que la société Auto 24 SARL sera condamnée à lui payer. Aucune autre condamnation n'étant prononcée, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire. Succombant à l'instance, la société Auto 24 SARL sera condamnée aux entiers dépens; Par ces motifs, LE TRIBUNAL, Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, Déboute la société Auto 24 SARL de toutes ses demandes, Condamne la société Auto 24 SARL à payer à la société FMC Automobiles SAS la somme de 2 500 euro (deux mille cinq cents euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire ; Condamne la société Auto 24 SARL aux entiers dépens.