Les Russes d`Ukraine : un enjeu Lié à la définition de l

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Les Russes d`Ukraine : un enjeu Lié à la définition de l
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Les Russes d’Ukraine : un enjeu Lié à la dénition de
l’identité nationale
Denis Dafon
Revue d’études comparatives Est-Ouest / Volume 39 / Issue 01 / March 2008, pp 95 - 120
DOI: 10.4074/S0338059908001058, Published online: 26 February 2009
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Denis Dafon (2008). Les Russes d’Ukraine : un enjeu Lié à la dénition de l’identité nationale. Revue
d’études comparatives Est-Ouest, 39, pp 95-120 doi:10.4074/S0338059908001058
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Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2008,
vol. 39, n° 1, pp. 95-120
Les Russes d’Ukraine :
un enjeu lié à la définition de l’identité nationale
Denis DAFFLON
Chercheur à la Swiss Academy for Development (SAD ; www.sad.ch), responsable des projets en Russie ([email protected])
Résumé : Contrairement aux craintes formulées par de nombreux observateurs au
moment de l’indépendance, l’Ukraine n’a pas connu de conflit interethnique depuis
1991. La proximité des cultures russe et ukrainienne a favorisé l’intégration des
Russes qui représentent aujourd’hui près de 20 % de la population. À l’exception
de la Crimée, les revendications des Russes ont été peu nombreuses en Ukraine.
Toutefois, l’opinion publique est divisée à propos du statut de la langue russe. Ce
débat, très émotionnel, est lié à la définition de l’identité nationale et à la question
de l’orientation « occidentale » ou « orientale » du pays. La classe politique l’a bien
compris et instrumentalise le débat linguistique à des fins électorales, conduisant
à une polarisation de l’électorat.
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Introduction
Si les craintes d’un conflit interethnique telles que formulées par certains
au moment de l’indépendance de l’Ukraine en 1991 ne se sont pas matérialisées, il n’en demeure pas moins que la question des Russes d’Ukraine a été
et reste un sujet de discussion dans le pays. Cependant, contrairement aux
autres États de l’ex-URSS dans lesquels réside une forte communauté russe,
le débat sur la minorité russe en Ukraine ne s’est pas tant focalisé sur les
modalités du processus d’intégration d’une population autrefois dominante
socialement que sur des aspects ethnolinguistiques liés à la construction de
la nation ukrainienne qui comportent une forte dimension symbolique. La
situation des Russes d’Ukraine se distingue en effet à bien des égards de
celle des Russes du Caucase, d’Asie centrale ou des pays baltes. La singularité du cas ukrainien tient en premier lieu à la nature des liens historiques et
culturels qu’entretiennent la Russie et l’Ukraine. En raison de la proximité
des deux cultures, nul ne s’interroge sur les difficultés des Russes d’Ukraine
à s’adapter à un pays où ils se sentiraient étrangers du point de vue religieux,
linguistique ou culturel. Si la question des Russes demeure importante dans
l’Ukraine contemporaine, c’est en raison, d’une part, de leur proportion
significative au sein de la population ukrainienne et, d’autre part, de leur
rôle fondamental dans la définition de la nation ukrainienne.
L’objectif de cet article est double. Dans un premier temps, il s’agira de
présenter la situation des Russes en Ukraine aujourd’hui, d’en relever les
spécificités et d’aborder, sous la forme d’un bilan, les questions relatives à
leur nombre, leur intégration et leurs revendications. Les autorités ukrainiennes ont su, au cours des seize dernières années, préserver l’harmonie
et la stabilité nationales en évitant de s’appuyer sur une idée de la nation
purement ethnique et en octroyant, en matière linguistique notamment,
des droits étendus aux « Russes » et « russophones », une distinction sur
laquelle nous reviendrons. Toutefois, l’absence de tensions aiguës entre
groupes ethniques n’a pas empêché l’existence d’un débat nourri sur la
question linguistique. S’il est en effet un enjeu qui, depuis l’indépendance,
anime la vie politique ukrainienne et concerne les Russes au premier plan,
c’est bien celui du statut de la langue russe qui fera ici l’objet d’une analyse détaillée. Bien qu’une majorité de citoyens ukrainiens ne qualifie pas
la situation linguistique de potentiellement conflictuelle, la considérant
même comme une préoccupation secondaire, le statut du russe constitue,
paradoxalement, un thème de campagne récurrent capable de mobiliser
les électeurs. Notre objectif sera dès lors de nous interroger sur les raisons
de ce paradoxe. En nous efforçant d’identifier les différents acteurs pré. Selon un sondage réalisé par le Centre d’études économiques et politiques Razumkov
de Kiev à la fin de l’année 2001, cette question n’est que secondaire pour les Ukrainiens :
sur une liste de 33 problèmes énumérés, la question linguistique n’occupe que la 24ème place
(« People’s attitude to the language situation in Ukraine », 2003, pp. 36-39).
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sents dans le débat sur la défense de la langue russe en Ukraine, nous tenterons de comprendre les motifs de leur engagement. Dans quelle mesure
la question de la langue n’est-elle pas instrumentalisée afin de servir des
intérêts qui la dépassent de beaucoup ? Au terme de l’analyse, nous verrons en effet que l’enjeu ne se réduit pas à un simple choix linguistique.
Afin de bien comprendre les implications de la problématique des
Russes et des russophones en Ukraine aujourd’hui, il est essentiel d’en
rappeler le contexte. Elle est intimement liée à celles de l’identité nationale et de la construction de la nation. Lorsque le pays accède à l’indépendance en 1991, beaucoup d’observateurs, notamment russes, doutent de
l’opportunité d’une telle décision, présentant l’Ukraine comme un État
artificiel dont la légitimité leur paraît des plus discutable. Ce débat éminemment politique s’inscrit dans une lecture de l’histoire selon laquelle
l’Ukraine est considérée comme le berceau de la Russie et non comme
une nation apte à disposer d’un État qui lui soit propre. Dans ce contexte,
l’identité nationale ukrainienne a été définie à deux niveaux : d’une part,
en valorisant des traits distinctifs, en particulier la langue ukrainienne, qui
permettent aux Ukrainiens de penser leur singularité et, d’autre part, en
confrontant l’identité ukrainienne à un groupe extérieur incarné par les
Russes. La formation de l’identité ukrainienne repose donc, traditionnellement, sur un processus à la fois d’exclusion et d’inclusion. Or l’exercice
consistant à construire son identité par une prise de distance progressive
avec la Russie s’apparente à un défi dans la mesure où la présence massive
de citoyens ukrainiens de nationalité russe invite à débattre de la place de
ces derniers dans la société ukrainienne et remet en question le rôle de ce
que l’on peut appeler « l’ukrainité » dans le projet national ukrainien.
1. Les Russes d’Ukraine depuis 1991 : quel bilan ?
Une première difficulté, lorsque l’on cherche à quantifier la présence
russe en Ukraine, vient de ce que l’ethnicité ne constitue pas le critère le
plus probant pour comprendre les spécificités de la société ukrainienne.
En effet, il est nettement plus pertinent de la diviser selon des critères
ethnolinguistiques qui reflètent bien mieux que le seul critère ethnique la
réalité culturelle et sociale du pays. Les deux principaux groupes que l’on
tend à opposer en Ukraine ne sont généralement pas les Ukrainiens et les
Russes mais les ukrainophones et les russophones. Ce phénomène s’explique par le fait qu’un grand nombre d’Ukrainiens « ethniques » (environ
. Le terme de nationalité doit être interprété ici dans le sens d’ethnicité. On distinguait à
l’époque soviétique la citoyenneté (soviétique pour l’ensemble des habitants de l’URSS) de
la nationalité (appartenance ethnique).
. C’est-à-dire une conscience très marquée des spécificités de la langue, de la culture, de
l’histoire et du peuple ukrainiens.
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un tiers) considèrent le russe comme leur langue maternelle ou de communication. En raison des politiques d’assimilation menées d’abord par le
régime tsariste, puis par le régime soviétique, la plupart d’entre eux revendiquent une culture davantage russe qu’ukrainienne et ont par conséquent
plutôt tendance à penser comme des « Russes ethniques » que comme des
« Ukrainiens ». Il n’est donc pas toujours aisé de distinguer la situation des
Russes ethniques de celle des russophones en général et les deux groupes
seront souvent associés ici. Il s’avère néanmoins que les premiers possèdent certaines particularités qu’il convient de cerner dans la partie initiale
de cet article.
1.1. Une présence pluriséculaire
À la différence de l’Asie centrale et du Caucase, la présence russe en
Ukraine est fort ancienne. Sans revenir sur la discussion relative à la question des origines des trois peuples slaves et leur éventuelle cohabitation
dans la Rus’ de Kiev qui attesterait de la présence de Russes sur le sol
ukrainien dès le Xe siècle, on peut situer l’arrivée d’un grand nombre de
Russes à la fin du XVIIe siècle, suite au partage de l’Ukraine entre la Russie
et la Pologne-Lituanie. En progression constante depuis le début du XVIIIe
siècle, la proportion de Russes ethniques dans la population de l’Ukraine
s’est toutefois rapidement accrue au cours du XXe siècle, passant de 9 % en
1926 à 17 % en 1959, puis 22,1 % en 1989 (Chinn & Kaiser, 1996, pp. 80-81).
Le régime soviétique a donc favorisé l’arrivée des Russes et a contribué à
leur forte implantation sur le sol ukrainien. Ce n’est qu’avec l’indépendance que la tendance s’inverse et que l’on observe une baisse de la proportion
des Russes. En effet, lors du recensement réalisé en 2001, seuls 17,3 % des
citoyens ukrainiens se déclaraient de nationalité russe, contre 22,1 % lors
du recensement précédent de 1989. En chiffres absolus, ils sont ainsi passés
de 11,3 millions à 8,3 millions, soit une baisse de plus de 25 %, mais restent
néanmoins la communauté russe la plus nombreuse des quatorze républiques postsoviétiques. Bien que cette baisse spectaculaire survienne dans un
contexte de crise démographique généralisée, cette dernière ne constitue
pas une explication satisfaisante dans la mesure où la population totale de
l’Ukraine n’a diminué « que » de 6,1 % entre 1989 et 2001.
Les mouvements migratoires des Russes vers la Russie ne semblent être,
eux aussi, qu’une cause marginale de ce phénomène. Le solde migratoire
entre la Russie et l’Ukraine n’est en effet, selon les données officielles, que
de 366 000 personnes en faveur de la Russie entre 1990 et 2003 alors qu’il
est, par exemple, de 1,6 million pour le Kazakhstan et de près d’un million
pour la Transcaucasie (Tinguy, 2004, p. 373). Il convient cependant de noter
. Dans ces deux autres régions, la présence russe est certes également ancienne, mais elle
s’est surtout limitée à une présence militaire entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle.
. Les données du recensement peuvent être consultées sur le site http://www.ukrcensus.gov.ua/
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que, depuis le milieu des années 1990, la part des travailleurs migrants
ukrainiens employés en Russie a fortement augmenté. Cette migration
économique, souvent limitée dans le temps, est néanmoins difficile à quantifier dans la mesure où ces migrants ne sont généralement pas enregistrés et, partant, n’apparaissent pas dans les statistiques officielles. Force
est toutefois de constater que peu de Russes d’Ukraine ont ressenti, en
1991, le besoin d’émigrer de façon définitive. La grande majorité d’entre
eux se considèrent comme des indigènes au vu de leur présence pluriséculaire sur le territoire ukrainien, ce qui leur permet de se différencier des
Russes de Russie et de se considérer comme des citoyens ukrainiens à part
entière. La décision des autorités ukrainiennes d’accorder la citoyenneté
ukrainienne à l’ensemble des personnes résidant sur le territoire national a
largement contribué au choix des Russes de demeurer en Ukraine.
L’écart observé entre les recensements de 1989 et 2001 est essentiellement dû à un phénomène de réidentification ethnique. Si la proportion des
citoyens ukrainiens se déclarant de nationalité russe est passée de 22,1 %
à 17,3 % entre 1989 et 2001 et, à l’inverse, celle des citoyens se déclarant
de nationalité ukrainienne de 72,7 % à 77,8 %, c’est principalement en
raison du prestige rehaussé de la nationalité ukrainienne. Il semble effectivement qu’un grand nombre de personnes s’étant déclarées de nationalité russe en 1989 aient choisi, lors du recensement de 2001, de s’identifier
comme ukrainiennes. Les politiques visant, depuis l’indépendance, à mettre en valeur la culture et la langue ukrainiennes ne sont pas étrangères à
cette tendance. Le chercheur Stephen Rapawy prévoyait, dans un article
paru en 1997 (Rapawy, 1997, p. 6), que ce phénomène concernerait avant
tout les individus issus de mariages mixtes russo-ukrainiens, particulièrement nombreux dans l’Est et le Sud du pays. À la lecture des résultats du
recensement de 2001, les hypothèses de Rapawy semblent s’être confirmées puisque le sentiment d’appartenance à l’Ukraine et l’identification
à celle-ci se sont précisément intensifiés dans les régions très russifiées
que constituent l’Est et le Sud du pays ; c’est ainsi du moins que l’on peut
interpréter la hausse du nombre de citoyens s’y déclarant de nationalité
ukrainienne. Les régions de l’Ouest et du Centre constituent depuis fort
longtemps des bastions traditionnels de l’ukrainité et le sentiment national
y est par conséquent déjà beaucoup plus développé.
. Un vif débat oppose les chercheurs sur le découpage régional de l’Ukraine (lire par
exemple Arel, 2006). Il porte sur la pertinence de la diviser en quatre, cinq ou huit régions.
Dans le cadre de cet article, nous nous appuyons sur une division en quatre régions qui sont
les régions du Centre (oblasti de Kiev, Tchernihiv, Jytomyr, Tcherkassy, Poltava, Vinnytsia,
Kirovohrad), de l’Ouest (oblasti de Rivne, Volhynie, Khmelnytskyi, Lviv, Ivano-Frankivsk,
Ternopil, Tchernivsti, Transcarpathie), de l’Est (oblasti de Kharkiv, Soumy, Donetsk,
Lougansk, Dniepropetrovsk, Zaporijia) et du Sud (oblasti d’Odessa, Mykolaïv, Kherson et
République autonome de Crimée).
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Cette distinction régionale permet de mettre en exergue l’hétérogénéité
de la répartition des Russes sur le territoire ukrainien. S’ils forment près
de 20 % de la population au plan national, leur proportion est inférieure
à 5 % dans la majorité des régions de l’Ouest et du Centre alors que, dans
l’Est et le Sud, elle oscille entre 14,1 % (oblast’ de Kherson) et 39 % (oblast’
de Lougansk). À l’exception de la Crimée, où ils représentent 58,3 % de la
population, les Russes ne sont majoritaires dans aucune des vingt-sept divisions administratives du pays. Leur répartition actuelle s’explique essentiellement par des raisons historiques, le Sud et l’Est ayant été intégrés dans
l’Empire russe dès le XVIIe siècle.
Bien que les Russes ne soient pas majoritaires dans l’Est et le Sud, ces
régions constituent pourtant des bastions russophones au sein desquels la
population, et les Russes notamment, affichent une identité supranationale plus forte que dans le reste du pays. Résidents d’un espace ayant connu
un fort brassage ethnique depuis le milieu du XIXe siècle en raison du
développement de l’industrie minière, les Russes de l’Est de l’Ukraine ont
tendance à minimiser la barrière identitaire entre Russes et Ukrainiens,
au point que l’on pourrait évoquer à leur propos une identité « slave de
l’Est ». L’identité soviétique, elle aussi, y est encore bien présente. Toujours
est-il que, depuis l’indépendance, beaucoup se sont interrogés sur le rapport que les Russes entretenaient, au sein des régions russophones, à la
nation et à l’État ukrainiens. Si la question a été posée, c’est parce que,
pour certains, l’identité des Russes et des russophones induit une faible
loyauté envers l’État ukrainien dans la mesure où ils ne sont pas porteurs
du marqueur identitaire principal de la nation ukrainienne, à savoir la langue ukrainienne. Peut-on être ukrainien tout en étant ethniquement russe
ou en déclarant le russe comme sa langue maternelle ou de communication ? Aucune enquête menée à ce sujet depuis l’indépendance n’a permis
de remettre en question l’attachement de la majorité des Russes et des
russophones à l’État ukrainien. Il demeure cependant un noyau dur de
citoyens, dans l’Est du pays, favorables à un État commun russo-ukrainien.
D’autre part, nombre de nationalistes ukrainiens éprouvent des difficultés
à admettre l’existence d’une double appartenance identitaire.
. L’Ukraine est divisée en 24 oblasti, une république autonome (la Crimée) et deux villes à
statut spécial (Kiev et Sébastopol).
. Lire, par exemple, à ce propos Shulman, 2002.
. Par mouvements nationalistes, nous entendons ceux qui se sont mobilisés pour
l’indépendance à la fin des années 1980 et qui, sans être radicaux, défendaient l’idée d’une
Ukraine indépendante de l’URSS et de la Russie ainsi que la mise en valeur de la langue et
de la culture ukrainiennes, au détriment de la langue et de la culture russes. Le qualificatif
de nationalistes pour définir ces mouvements, dont le principal se nomme Rukh, est
contesté par certains dans la mesure où il est connoté négativement et englobe également
des groupuscules plus radicaux. Afin de distinguer les mouvements ukrainiens modérés des
groupuscules extrémistes, certains nomment les premiers « nationaux-démocrates ». Lire à
ce sujet Kuzio, 2002.
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1.2. Une loyauté incontestable envers l’État
Pour les nationalistes ukrainiens, particulièrement actifs sur la scène politique nationale au début des années 1990, l’octroi de la citoyenneté ukrainienne
aux Russes établis sur le territoire posait problème. Ils ne leur reconnaissaient
aucune légitimité historique sur le territoire du fait que leur migration n’avait
pas été volontaire mais qu’elle résultait de la politique impériale russe. Pour
eux, les Russes d’Ukraine se caractérisent par une attitude pro-impérialiste et
anti-étatique (Shulman, 1998, p. 620) symbolisée par leur volonté de renforcer
les liens de l’Ukraine avec la Russie. Or il s’avère que si les Russes d’Ukraine
sont attachés à la culture russe, ils n’ont en principe pas de liens particulièrement forts avec la Fédération de Russie. Une majorité d’entre eux sont nés en
Ukraine et beaucoup ne se rendent qu’occasionnellement en Russie, d’où l’absence chez eux d’un réel conflit de loyauté entre l’Ukraine et la Fédération de
Russie. Certes, le facteur ethnique n’est pas inexistant dans l’identité des Russes
d’Ukraine mais il est supplanté par d’autres éléments : dans une étude réalisée
en 2001 auprès de Russes ethniques invités à se prononcer sur leur identité,
57 % des personnes interrogées indiquaient que le terme qui correspondait
le mieux à la perception qu’elles avaient d’elles-mêmes était celui de citoyen
ukrainien, loin devant celui de Russe ethnique10. Une enquête plus récente,
menée par le Centre d’études économiques et politiques Razumkov de Kiev
en 2005 et publiée en 2006 (« Common Identity of Ukrainian Citizens », 2006,
p. 9), indique que, dans l’Est du pays, 91,4 % des citoyens ukrainiens considèrent l’Ukraine comme leur patrie alors même que la proportion de Russes au
sein de la région est supérieure à 30 %. Seule la région du Sud présente, selon
la même source, une différence majeure puisque 81,8 % de la population seulement y considèrent l’Ukraine comme leur patrie. L’explication est toutefois
simple puisque l’enquête englobe la République autonome de Crimée, seule
région où les Russes sont majoritaires et où la population reste très attachée à
la Russie11. C’est effectivement dans cette région que s’est longtemps concentrée la majorité des revendications de la population russe d’Ukraine.
1.3. Des revendications centrées sur la Crimée
La Crimée, qui a été au cœur de vives tensions depuis 1991 entre Kiev
et Moscou, constitue un cas particulier sur l’échiquier politique ukrainien
pour trois raisons au moins. Premièrement, il s’agit d’un territoire historiquement russe n’ayant été cédé à l’Ukraine qu’en 1954 lors des célébrations
du 300e anniversaire du traité de Pereïaslav. L’intégration de la Crimée
dans l’Ukraine indépendante en 1991 a été d’autant plus douloureuse pour
10. L’identité ethnique fut choisie par 34 % des personnes interrogées. Les autres termes
proposés étaient ceux de citoyen de Russie (rossijanin), Russe de l’étranger proche,
russophone et européen (Barrington, 2001).
11. Selon cette même étude, 74 % seulement des résidents de la Crimée considèrent
l’Ukraine comme leur patrie (« Common Identity of Ukrainian Citizens », 2006, p. 23).
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Moscou que la péninsule abrite la base militaire de Sébastopol qui pose la
délicate question du partage de la flotte de la mer Noire. Deuxièmement,
il s’agit de la seule région d’Ukraine où les Russes ethniques sont majoritaires12. Enfin, la Crimée dispose du statut particulier de république autonome qui lui garantit des institutions propres, notamment un parlement.
La problématique spécifique de la Crimée se cristallise, dès l’indépendance, autour de la question de la défense des Russes et de leur droit à l’autodétermination. Car si, à l’instar du reste de l’Ukraine, la population de la
Crimée soutient l’indépendance lors du référendum de décembre 1991, on y
enregistre le pourcentage de votes favorables le plus faible (54 %) et le taux
d’abstention le plus élevé (32,5 %). Un référendum organisé au début de
l’année 1991, mais dont le résultat n’est pas reconnu officiellement en raison
de l’absence d’une loi sur les référendums en Crimée13, montre à vrai dire que
93,3 % des électeurs approuvent la création d’une république socialiste autonome de Crimée au sein de l’URSS (Kolstoe, 1995, p. 190). Ce relatif manque
d’enthousiasme pour l’indépendance et la revendication d’une autonomie
territoriale pousse d’emblée la Russie à s’immiscer dans cette affaire et à user
de son pouvoir d’influence dans une région peinant à s’identifier à l’Ukraine.
Il encourage également l’émergence d’une force politique pro-russe, préconisant le rattachement de la Crimée à la Russie et l’octroi de la double citoyenneté (Armandon, 2006, p. 57). Emmené par Iouri Mechkov, le
« Mouvement républicain de Crimée » (Respublikanskoe Dviženie Kryma)
va marquer la vie politique de la Crimée du début des années 1990 et obtenir le soutien d’une grande partie des Russes de la région, favorables à une
sécession de la péninsule. Côté russe, des hommes politiques influents tels
qu’Alexandre Routskoï ou l’ancien maire de Saint-Pétersbourg, Anatoli
Sobtchak, profiteront de la popularité du mouvement sécessionniste pour
faire valoir les droits de Moscou sur la péninsule, au nom de l’histoire et de
la défense des « compatriotes ». En avril 1995, Boris Eltsine déclare ainsi
qu’aucun accord sur la Crimée ne peut être signé tant que le problème des
Russes n’y serait pas résolu (Wydra, 2003, p. 351). C’est pourtant à partir de
cette même année 1995 que les forces sécessionnistes perdent en influence,
notamment en raison de l’incapacité de Iouri Mechkov à améliorer la situation économique de la région (Armandon, 2006, p. 58). Si les tensions entre
Kiev et Moscou à propos de la Crimée demeurent, elles sont dès lors moins
liées à des questions ethniques ou d’orientation politique qu’à des crises circonstancielles (crise de Touzla, par exemple, ou différends relatifs à la flotte
12. Selon le recensement de 1989, les Russes représentaient 65,6 % de la population et les
Ukrainiens 26,7 %. Selon celui de 2001, ils représentent respectivement 58,3 % et 24,3 %.
Cette baisse est notamment due au retour d’un grand nombre de Tatars de Crimée (12,1 %
en 2001 contre 1,9 % en 1989).
13. Le résultat est néanmoins reconnu implicitement par le Parlement ukrainien dans la
mesure où il vote, le mois suivant, en faveur de l’instauration de la République autonome
de Crimée.
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de la mer Noire). L’année 1995 marque donc, selon Emmanuelle Armandon,
« la fin de la période sécessionniste en Crimée et (…) le début de son retour
sous la juridiction ukrainienne » (Armandon, 2006, p. 58).
Dans le reste du pays, les revendications des Russes et l’ingérence de la
Russie ont été bien moins fortes. Même dans l’Est où le sentiment d’identification des Russes à l’État ukrainien est beaucoup plus marqué, la question
ethnique n’a été qu’un enjeu mineur, notamment parce que ces derniers n’y
sont pas victimes de discrimination à l’embauche dans la fonction publique, contrairement à une pratique courante dans d’autres ex-Républiques
soviétiques. Si certains partis politiques se sont formés sur des bases ethniques (cf. infra), leur influence est restée extrêmement marginale hors de la
Crimée. L’ethnicité ne constituant pas un marqueur essentiel de l’identité
chez les Russes de l’Est et du Sud, la question de la double citoyenneté
n’a pas été aussi vivement débattue que dans d’autres pays de l’ex-URSS.
Cette question est au programme de certaines forces politiques ukrainiennes, dont le Parti communiste, mais elle est surtout mise en avant par la
Russie. L’octroi de la double citoyenneté aux Russes d’Ukraine pourrait
servir en effet à Moscou de moyen de pression non négligeable sur les
autorités ukrainiennes car la Russie bénéficierait de la sorte d’un levier
d’influence considérable au nom de la défense de ses concitoyens. Le parlement ukrainien l’a bien compris puisque la Rada suprême s’est gardée
de voter toute loi sur la double citoyenneté14 et a même inclus à l’article 4
de sa Constitution de 1996 le principe de la citoyenneté unique.
Le peu de mobilisation que suscitent des débats tels que celui sur la
double citoyenneté se reflète dans la faible visibilité des associations de
défense de la culture russe. Leur nombre est difficile à évaluer avec précision parce qu’il s’agit pour la plupart de microstructures qui ne sont pas
enregistrées ou qui ne le sont qu’à l’échelon régional ou local (Büscher,
2004, p. 250). Un grand nombre de ces associations ne comportent que
quelques membres et sont animées par un cercle restreint d’activistes fortement ancrés dans une région ou une ville en particulier15. On recense
néanmoins quelques associations d’envergure nationale parmi lesquelles
on peut citer l’« Union russo-ukrainienne » (Russko-Ukrainskij Sojuz),
l’association « Pour une Rus’ unie » (Za Edinuju Rus’) ou encore l’« association russe d’Ukraine » (Russkaja obščina Ukrainy) qui disposent d’antennes dans la plupart des régions du pays. L’association la plus importante
reste le « Mouvement russe d’Ukraine » (Russkoe Dviženie na Ukraine),
14. Il s’avère toutefois que la nouvelle loi de 1991 sur la citoyenneté prévoyait une disposition
autorisant la double citoyenneté mais elle fut supprimée à deux voix près puisque 224
députés l’approuvèrent alors qu’il en fallait 226 pour qu’elle soit incluse dans le texte.
15. On peut citer à titre d’exemple le « Centre culturel russe de la ville de Lvov » ou encore
le « Mouvement pour l’égalité des droits culturels et linguistiques » de Kharkov.
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présent, si l’on en croit ses dirigeants, dans les 24 oblasti du pays et dans
plus de 300 villes et villages.
L’action de ces associations s’inscrit dans la défense des droits aussi bien
des Russes ethniques que des russophones et de toute personne s’estimant
de culture russe. L’engagement de la majorité d’entre elles s’articule surtout autour de la défense des droits linguistiques dont le centre de gravité
est le statut de la langue russe. Selon la Constitution (art. 10), l’ukrainien
est la seule langue d’État reconnue. Les mouvements pro-russes revendiquent pour la langue russe un statut similaire à celui de l’ukrainien au nom
du respect des plus de 50 % de citoyens ukrainiens se considérant comme
russophones. De même, ils dénoncent le recul, depuis 1991, de la langue
russe dans les domaines de l’enseignement ou de la justice. Toutefois, les
associations pro-russes ne sont guère soutenues par la population russe et
russophone et ce, pour deux raisons au moins. Premièrement, la majorité
d’entre elles s’appuient sur une rhétorique nationaliste et donc un discours
plutôt extrémiste qui les décrédibilisent et les marginalisent aux yeux de
l’opinion publique. Deuxièmement, si l’ukrainien est favorisé dans certains
secteurs, le russe n’est pas formellement écarté ou menacé, loin s’en faut.
Au cours des seize dernières années, la situation linguistique a certes évolué au profit de l’ukrainien mais le russe est demeuré la langue dominante.
Cette question à forte dimension symbolique n’a jamais quitté le devant
de la scène dans l’Ukraine contemporaine.
2. La situation linguistique de l’Ukraine
Longtemps tenu par le régime tsariste pour un simple dialecte du russe
et non pour un idiome propre, l’ukrainien joue un rôle clé dans le processus
de construction nationale en Ukraine. À l’époque soviétique, son usage était
confiné à la sphère privée en raison du peu de prestige que lui accordaient
les autorités. Qualifiée de langue inférieure et rurale, la langue ukrainienne
a, au cours des XIXe et XXe siècles, fait les frais d’une politique de russification intense visant à l’assimilation des Ukrainiens. Les autorités ukrainiennes ont donc cherché, dès l’indépendance, à encourager l’usage de la langue
nationale afin de développer le sentiment d’appartenance au nouvel Étatnation. Cette politique aurait pu rencontrer la désapprobation massive de la
population russe et russophone. Tel n’a pourtant pas été le cas.
2.1. Une situation de bilinguisme
Le manque de mobilisation des Russes et des russophones s’explique
d’abord par la situation de bilinguisme quasi généralisé qui règne dans le
pays. Si l’on a tendance à diviser, sur le plan linguistique, l’Ukraine entre,
d’une part, l’Ouest ukrainophone et, d’autre part, l’Est et le Sud russophoVOLUME 39, mars 2008
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nes, ce découpage est bien trop imprécis et n’est surtout pas représentatif des réalités langagières du pays. Bien que l’on puisse distinguer deux
extrêmes dans lesquels une seule langue prévaut, la grande majorité des
citoyens ukrainiens comprend à la fois l’ukrainien et le russe. La proximité
des deux langues et leur contact permanent ont même donné naissance au
suržyk, langue mixte russo-ukrainienne, pratiquée en particulier dans le
centre du pays16. La maîtrise souvent égale des deux langues n’est d’ailleurs
pas sans poser certains problèmes car elle remet en cause la notion même
de langue maternelle. Fait-elle référence à la langue pratiquée dans son
enfance dans le cercle familial ou à celle le plus couramment utilisée dans
la vie quotidienne ? Ce point soulève de vives controverses dans le cadre
du recensement de 2001, la carte linguistique de l’Ukraine étant fort différente selon la formulation de la question. La langue maternelle est en
général considérée par les répondants comme une confirmation de leur
appartenance ethnique. Ainsi 85,2 % des Ukrainiens ethniques déclarent
l’ukrainien comme leur langue maternelle en 2001 bien qu’ils soient nombreux (au moins 30 %) à désigner le russe comme leur langue de communication privilégiée. Si, à l’instar du recensement effectué en Biélorussie,
la notion de langue maternelle avait été remplacée par celle de langue de
conversation, la proportion aurait été bien inférieure. La formulation de
la question répondait donc à des objectifs politiques visant à mettre en
exergue la large diffusion de l’ukrainien, mais les résultats du recensement
ne correspondent pas à la réalité linguistique de l’Ukraine. Un sondage
réalisé en 2000 indiquait par exemple que 62,6 % des habitants de Kiev
désignaient l’ukrainien comme leur langue maternelle alors même que
« seuls 15,6 % parlaient au sein de leur famille exclusivement ukrainien »
(Besters-Dilger, 2002, p. 70).
2.2. Un cadre législatif relativement favorable au russe
La situation de bilinguisme qui prévaut en Ukraine a conduit les autorités à adopter un cadre législatif assez favorable au russe, du moins en
comparaison avec d’autres pays de l’ex-URSS où les autorités ont mené
une politique de promotion radicale de la langue titulaire au détriment de
la langue russe. Des mesures favorisant le développement et la diffusion
de l’ukrainien ont certes été prises, mais on ne peut dire qu’elles visaient
expressément l’élimination de la langue russe de la sphère publique. Si
toutefois une partie des Russes et des russophones qualifient aujourd’hui
encore le régime linguistique de l’Ukraine d’anti-russe, c’est parce que la
langue russe ne dispose plus du statut de langue d’État ou de langue offi-
16. Selon un sondage réalisé avant les élections présidentielles de 1999, 45 % des personnes
interrogées répondaient en russe, 39-40 % en ukrainien et 15-16 % en suržyk (BestersDilger, 2002, p. 50).
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cielle17 et qu’elle a par conséquent perdu une valeur symbolique importante. En effet, la Constitution de l’Ukraine stipule dans son article 10 que
« (…) la langue d’État est l’ukrainien ». Il est toutefois précisé que « (…)
le libre développement, l’emploi et la protection du russe et d’autres langues de minorités nationales de l’Ukraine sont garantis ». Cette référence à la langue russe témoigne de la prise de conscience des autorités du
caractère pluriethnique de l’État ukrainien et de la nécessité de veiller au
respect des droits de la communauté russe. Pour nombre d’observateurs, il
faut plutôt parler de dérussification que d’ukrainisation dans la mesure où
l’objectif de la politique linguistique a simplement consisté à rééquilibrer
les pratiques linguistiques en Ukraine en accordant quelques privilèges
à la langue ukrainienne et en institutionnalisant son rôle symbolique. En
tout état de cause, il aurait été irréaliste, dans les premières années de l’indépendance, de chercher à faire passer une loi visant une ukrainisation
radicale ; elle n’aurait pas eu la moindre chance d’être votée par la Rada
suprême car les communistes et autres forces de gauche, de même que les
partis pro-russes, y détenaient alors la majorité et n’auraient guère eu de
difficulté à empêcher son adoption (Stepanenko, 2003, p. 116).
La loi sur les langues de 1989 garantit, elle aussi, la large diffusion du
russe. Il est notamment stipulé dans son article 4 que l’ukrainien, mais également le russe et d’autres langues, peuvent constituer les langues de communication interethnique dans la république. L’article 5 garantit aux citoyens
la possibilité de s’adresser à l’État, aux organes et institutions publiques en
ukrainien, en russe ou dans une autre langue acceptable pour les deux parties. La loi sur les langues accorde par ailleurs au russe un statut identique
à celui de l’ukrainien dans les domaines technique (art. 13) et scientifique
(art. 30). De même, elle impose la rédaction en russe et en ukrainien des
actes de naissance, de décès et de mariage, ainsi que des diplômes et passeports (art. 14). En outre, l’absence de mécanisme de sanction et de contrôle
a joué en faveur du russe. Les premières années de l’indépendance ont ainsi
conforté le statu quo de l’époque soviétique, malgré un degré de tension
assez élevé entre ukrainophones et russophones. La situation de l’ukrainien
s’est modifiée depuis mais elle ne correspond pas encore, en 2007, à ce qu’ambitionnait l’intelligentsia ukrainienne au début des années 1990. Beaucoup
pensaient qu’un rééquilibrage du russe et de l’ukrainien pourrait être rapidement obtenu. Nombre d’intellectuels estimaient que le temps jouerait en
faveur de la langue ukrainienne et qu’en l’espace de quelques années, une
dizaine peut-être, celle-ci deviendrait la langue principale de l’Ukraine. En
analysant la situation linguistique dans la sphère publique, l’éducation et les
médias, on s’aperçoit que l’on est aujourd’hui loin du compte.
17. À vrai dire, seul le terme de « langue d’État » figure dans la Constitution mais les hommes
politiques ukrainiens et la presse emploient l’un et l’autre. Bien que certaines différences
existent entre les deux notions, il faut les entendre comme des synonymes.
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2.3. Quelle place pour la langue russe dans la sphère publique,
l’éducation et les médias ?
Dans la sphère publique, le russe bénéficie d’une position relativement
favorable. Une attitude de réserve, héritage de l’époque soviétique, persiste
encore à l’égard de l’ukrainien, même si la situation tend à s’équilibrer progressivement. Le russe demeure ainsi la langue la plus usitée dans le domaine des affaires et joue à ce titre le rôle de langue véhiculaire. L’ukrainien
connaît surtout des difficultés pour s’implanter dans les régions russophones
et dans les institutions publiques locales de celles-ci. Dans les organes locaux
et régionaux, l’emploi du russe y est très largement répandu, en violation de
l’article 3 de la loi sur les langues qui n’autorise l’emploi d’une autre langue
que l’ukrainien que si un autre groupe ethnique est majoritaire. Or la seule
région répondant formellement à ce critère est la Crimée. Toutefois, en 2001,
la municipalité de Kharkov n’a pas hésité à s’appuyer sur cet article pour
justifier la décision prise en 1996 de considérer le russe comme langue officielle. Quant à l’obligation des fonctionnaires de maîtriser à la fois l’ukrainien et le russe, conformément à l’article 6 de la loi sur les langues, elle ne
fait pas l’objet de contrôles et de sanctions. Il s’avère ainsi que nombre de
fonctionnaires russophones ont une connaissance rudimentaire de l’ukrainien et s’abstiennent de le parler, autant par méconnaissance de la langue
que par principe. Si l’ukrainien est davantage pratiqué sur l’ensemble du
territoire qu’il y a seize ans et son prestige progressivement rehaussé, il reste
peu employé dans l’Est et le Sud du pays. On peut faire le même constat
dans le domaine de l’éducation.
Selon l’article 26 de la loi sur les langues, l’ukrainien constitue la langue
d’enseignement obligatoire dans les jardins d’enfants et les écoles maternelles. D’autres langues sont néanmoins admises dans des zones où vit
un nombre important de membres d’une autre nationalité. La part des
enfants fréquentant des écoles maternelles ou des jardins d’enfants de
langue ukrainienne est ainsi passée de 50,8 % en 1991 à 74,3 % en 1998
(Besters-Dilger, 2002, p. 60), 78 % en 2000 (Besters-Dilger, 2005, p. 62) et
84 % en 2005 (Simon, 2007, p. 9). Dans l’enseignement primaire et secondaire, la part de l’enseignement en ukrainien a également augmenté. Si en
1991-1992, seuls 49,3 % des jeunes citoyens suivaient une instruction en
ukrainien, ils étaient 57 % en 1994-1995, 65 % en 1998-1999 (Stepanenko,
2003, p. 125) et 78 % en 2005 (Simon, 2007, p. 9).
Ces données appellent toutefois plusieurs commentaires. Premièrement,
les chiffres susmentionnés doivent être maniés avec prudence car le nombre
des écoles de langue ukrainienne tend à être surestimé. En effet, dans l’Est et
le Sud du pays, les établissements où seule une partie des cours est dispensée
en ukrainien sont souvent inclus parmi les établissements de langue
ukrainienne afin de gonfler les statistiques et de permettre aux autorités
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régionales de faire montre de leurs efforts de promotion de la langue
ukrainienne (Stepanenko, 2003, p. 124). Deuxièmement, si dans l’ensemble,
l’enseignement en ukrainien a progressé, force est de constater qu’à l’instar
de la sphère administrative, la différentiation régionale est très forte et qu’elle
s’est même accrue depuis 1991 : en Crimée par exemple, 1,2 % seulement
des enfants fréquentaient un jardin d’enfants ou une école maternelle de
langue ukrainienne en 1998 (Besters-Dilger, 2002, p. 61), tandis que les
Ukrainiens ethniques représentaient, selon le recensement de 2001, 24,3 %
des habitants de la Crimée et que 40,4 % d’entre eux indiquaient l’ukrainien
comme langue maternelle. Dans les régions de l’Est, à Donetsk et Lougansk
notamment, l’enseignement est toujours prodigué majoritairement en russe
alors même que les Russes y sont minoritaires. Dans les régions de l’Ukraine
occidentale, au contraire, les écoles de langue russe ont pratiquement disparu :
« en 1998, 100 % des enfants de la région de Ternopil, 99,6 % des enfants de
Lvov et 100 % de ceux de la région d’Ivano-Frankivs’k fréquentaient des
jardins d’enfants de langue ukrainienne » (Besters-Dilger, 2002, p. 61). Cette
disparité est décelable à tous les niveaux d’enseignement. Ainsi, loin d’opérer
un rééquilibrage linguistique dans l’enseignement, les autorités centrales ont
surtout accentué la polarisation linguistique. En 1991, le gouvernement s’était
fixé pour objectif de rétablir la place de l’ukrainien dans l’enseignement d’ici
à l’an 2000 en faisant en sorte que chaque citoyen ait une bonne maîtrise
de la langue d’État et l’emploie dans sa vie quotidienne (Stepanenko, 2003,
p. 124) mais cet objectif, certainement trop ambitieux, n’a pas été atteint. De
même, dans le supérieur, l’enseignement en ukrainien a globalement augmenté mais le russe y occupe encore une place importante, notamment en
raison de l’absence de personnel ukrainophone qualifié, du moins dans les
premières années qui ont suivi l’indépendance. En 2005 toutefois, 82 % des
étudiants étaient instruits en ukrainien (Simon, 2007, p. 9). Pourtant, là aussi,
d’énormes disparités régionales subsistent.
Le secteur des médias, quant à lui, reste dominé par la langue russe. Dans
le domaine télévisuel, les chaînes publiques diffusent majoritairement en
ukrainien, mais les chaînes privées sont plutôt de langue russe. Deux grandes chaînes nationales, « 1+1 », qui diffuse principalement en ukrainien, et
« Inter », qui diffuse en russe, dominent le marché audiovisuel. Elles sont
toutefois fortement concurrencées, depuis quelques années, par l’essor
considérable des chaînes commerciales, généralement russophones. En raison du caractère privé de la plupart des groupes médiatiques, les capacités
d’intervention de l’État sont limitées et son pouvoir d’influence se réduit à
un rôle de régulation et de contrôle. La place prépondérante du russe dans
le secteur est par ailleurs renforcée par la présence, dans les régions russophones, des chaînes de télévision russes, soutenues financièrement par
Moscou. Le marché de la radio est lui aussi dominé par les stations privées
russophones, particulièrement en raison de leur pouvoir d’attraction auprès
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des annonceurs (Shevchenko, 2003, p. 257), ces stations disposant d’une diffusion nationale, contrairement à la plupart des stations ukrainophones.
Dans l’édition, la situation est à peu près similaire. Le marché de la presse
et du livre ukrainiens a subi un net recul depuis l’effondrement de l’URSS.
Entre 1991 et 1993, la proportion de journaux en ukrainien a chuté de
60 % à 27 % (Kuzio, 1998, p. 193). Sous la présidence de Leonid Koutchma
(1994-2005) paradoxalement, la situation s’est légèrement améliorée puisqu’on enregistrait 39,1 % de journaux en ukrainien en 1996, 39,6 % en
1998 et 36,8 % en 2002 (Masenko & Zalizniak, 2001, p. 46 ; Besters-Dilger,
2006, p. 10), chiffre toutefois bien en deçà de la répartition linguistique
du pays. Pour ce qui est de l’édition, les publications en ukrainien sont
passées de 50,3 % de l’ensemble du marché national en 1985 à 59,6 % en
1996, 54,5 % en 1998 et 62,5 % en 2002 (Masenko & Zalizniak, 2001, p. 45 ;
Besters-Dilger, 2006, p. 9). Ces pourcentages sont toutefois trompeurs car
ils ne prennent en compte que les livres produits en Ukraine. Sont exclus
de ces statistiques les livres importés de Russie, qui représentent la très
large majorité des ouvrages distribués. C’est toutefois dans le domaine des
revues et magazines que la part de l’ukrainien a connu la plus forte chute.
Alors qu’en 1985, 88,8 % des revues étaient publiées en ukrainien, elles ne
représentaient plus que 60 % en 1996, 17,5 % en 1998 et 30,9 % en 2002
(Masenko & Zalizniak, 2001, p. 45 ; Besters-Dilger, 2006, p. 9).
Plusieurs éléments permettent d’expliquer la faiblesse de la langue ukrainienne dans la presse écrite et le livre. Si le marché du livre est dominé à
plus de 90 % par des ouvrages russes à bas prix, c’est notamment parce
qu’ils sont souvent importés de Russie sans taxes douanières et fabriqués
à des coûts nettement inférieurs aux livres en ukrainien. Cette hégémonie
de la presse et du livre en russe tient aussi à l’absence totale de soutien
étatique aux publications en langue nationale, ce qui suscite d’ailleurs l’incompréhension des intellectuels ukrainiens. Pour Juliane Besters-Dilger,
« la culture ukrainienne (surtout la culture de masse) semble jouir au sein
de la population de peu d’estime. Elle est surtout considérée comme une
culture du passé. L’information, la culture actuelle et la culture de masse
sont liés à la culture et à la langue russes » (Besters-Dilger, 2005, p. 68).
Aussi, sans une intervention de l’État dans le champ médiatique, qui pourrait se traduire, entre autres, par la taxation des livres russes à l’importation,
le soutien financier aux publications ukrainiennes ou un contrôle plus strict
de la langue de diffusion des chaînes de télévision et des stations de radio, le
déséquilibre linguistique n’a guère de chance de s’inverser et la situation de
prépondérance de la langue russe va perdurer. La place de la langue russe
dans les médias s’explique donc pour beaucoup par la passivité des autorités centrales et leur manque de volonté d’agir dans ce domaine. Peut-on
pour autant parler d’un échec de la politique linguistique de l’Ukraine ?
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2.4. La politique linguistique de l’Ukraine : un échec ?
Bien que l’emploi de l’ukrainien se soit globalement renforcé, la politique
menée n’a pas contribué, malgré certains succès, à une augmentation substantielle de l’usage de la langue ukrainienne dans les zones russophones du
pays, de même qu’elle n’est pas devenue la principale langue de communication. Le russe jouit encore dans le pays d’un prestige supérieur. Cette réalité
fait dire à Tatiana Zhurzhenko que « ce qui distingue l’Ukraine des autres
anciennes républiques soviétiques telles que les pays baltes est l’étendue et
la domination de la langue russe dans les domaines de la culture, des affaires, des sciences, etc. (à l’exception peut-être de la politique) » (Zhurzhenko,
2002, p. 8). On assiste à vrai dire à un phénomène de diglossie puisque chaque langue domine dans certaines sphères : le russe dans la communication
quotidienne, la culture, les médias, les sciences, l’économie, l’armée ; l’ukrainien dans la vie politique et l’éducation (Besters-Dilger, 2005, p. 69). Les
domaines clés dans lesquels la langue ukrainienne prime ne lui ont, étonnamment, pas permis de se développer et de faire évoluer les pratiques dans
la vie quotidienne. En l’absence d’un soutien financier massif de l’État à
la culture ukrainienne, à la presse et aux médias de langue ukrainienne, le
russe continuera à jouir d’un statut supérieur et à constituer la langue privilégiée. Au vu de cette présentation de la situation linguistique de l’Ukraine,
les Russes ne sont donc guère victimes de pratiques discriminatoires.
Le relatif échec de la promotion de l’ukrainien et la position privilégiée
dont jouit la langue russe jusqu’ici s’explique partiellement par le sentiment
d’infériorité qu’une partie des Ukrainiens éprouve à l’égard des Russes.
Pour le chercheur ukrainien Mykola Riabtchouk, « en Crimée, et dans le
Donbass, et à Kharkov, et à Odessa, ils [les ukrainophones] demeurent
encore une minorité raillée et humiliée, dédaignée socialement, marginalisée économiquement et discriminée culturellement » (Riabtchouk, 2003,
p. 74). L’ukrainien reste ainsi une langue secondaire dans le pays. L’État
ukrainien peut être défini, pour reprendre les termes de Riabtchouk, comme un État post-colonial créole, ses élites n’ayant pas réussi, pour l’instant,
à développer une identité dénuée d’un sentiment d’infériorité par rapport
à l’« occupant » russe. Cet auteur évoque également l’existence d’une
« mentalité petite-russienne », toujours très répandue, qui rejette les spécificités de la culture ukrainienne ou, du moins, ne cherche pas à les encourager (Riabtchouk, 2006, p. 50). Pour lui, aussi longtemps que ce concept
d’État post-colonial créole s’appliquera à l’Ukraine, l’État ukrainien sera
dysfonctionnel. Or le seul moyen de remédier au dysfonctionnement de
l’État est de mener une politique d’ukrainisation graduelle. La mise en
œuvre d’une telle politique est toutefois vigoureusement contestée par un
certain nombre d’acteurs.
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3. La question de la langue russe dans le débat politique
Au vu de ce qui précède, il n’est guère étonnant de constater que la situation linguistique préoccupe peu les citoyens ukrainiens. Selon une enquête
réalisée par le Centre d’études économiques et politiques Razumkov de
Kiev (Chaly & Pashkov, 2003, p. 49), 80,2 % des Ukrainiens estimaient
en novembre 2002 que les besoins culturels de la population russophone
étaient entièrement ou partiellement satisfaits dans le pays. Il n’y a donc
pas, a priori, d’argument suffisamment convaincant pour que la question
linguistique mobilise politiquement les Ukrainiens en général et les russophones en particulier. Pourquoi, dans ce cas, le statut de la langue russe
constitue-t-il, depuis l’indépendance, un thème de campagne récurrent
dans le programme de la plupart des candidats se présentant aux élections
législatives ou présidentielles ? Ignoré par les milieux politiques en dehors
des périodes électorales, ce débat resurgit en effet dès lors que se profilent
des élections. La langue russe jouissant d’un statut relativement favorable,
on peut s’interroger sur les raisons qui incitent certains acteurs à faire de
sa défense le cheval de bataille de leur engagement civique ou politique.
Une analyse de leur discours permet d’émettre certains doutes sur la sincérité de cet engagement : il semblerait que leur combat pour la langue
russe s’inscrive dans un cadre plus large que la seule défense des droits
individuels ou collectifs des Russes et des russophones.
3.1. Les défenseurs de la langue russe
On peut distinguer trois types d’acteurs engagés dans la défense de la
langue russe en Ukraine : les associations russes, les partis politiques et
la Russie elle-même par l’intermédiaire de diverses institutions (Douma,
gouvernement, Mairie de Moscou, etc.).
Les associations russes sont, nous l’avons vu, marginalisées en Ukraine.
Si la plupart de leurs militants affirment défendre sincèrement et sans parti
pris idéologique la langue, la culture et le monde russes, il est indéniable que
leur discours est fortement imprégné de nationalisme et relève d’une logique d’opposition à l’État ukrainien, voire de contestation de sa légitimité18.
Ce faisant, les activistes russes s’appuient sur une interprétation de l’histoire
ukrainienne léguée par la tradition historiographique tsariste et soviétique.
Les activistes les plus virulents considèrent les Ukrainiens comme d’anciens
Russes, victimes malheureuses des politiques d’assimilation hongroise et
polonaise. De même, ils sont peu enclins à accepter la réalité de la langue et
de la culture ukrainiennes, y voyant plutôt des « sous-branches » de la langue et de la culture russes. Leur discours adhère à une vision impérialiste du
rôle de la Russie qui rejette l’idée d’une spécificité ukrainienne. Beaucoup
de nationalistes russes doutent de la pertinence des frontières actuelles et
18. Des entretiens ont été réalisés par l’auteur auprès de diverses associations en avril 2005.
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remettent en cause l’indépendance de l’Ukraine en tant qu’État. Autrement
dit, les revendications des associations vont bien au-delà d’une simple défense des droits linguistiques des Russes et des russophones, bien que cet aspect
ne doive aucunement être négligé. Elles reposent sur une vision particulière
de l’Ukraine en tant qu’État et de ses relations avec la Russie. La question de la langue se trouve ainsi étroitement mêlée à celle de l’histoire de
l’Ukraine et de son orientation géopolitique.
La défense de la langue russe trouve également un écho favorable
auprès de certains partis politiques, que l’on peut regrouper en trois catégories : les partis pro-russes, les partis d’extrême gauche et certains partis
centristes19. Si leurs orientations sont a priori très différentes les unes des
autres, leurs positions et leur discours se rejoignent sur la question linguistique, en tous cas pour ce qui est des deux premières catégories. À l’instar
des associations russes, leur perception de l’Ukraine en tant qu’État et
que nation détermine leur conduite. Conscients de l’influence que peut
exercer la politique linguistique sur la stabilité nationale, ils sont persuadés
que la langue russe, si elle demeure dominante dans le pays, est en mesure
de consolider l’identité slave ou soviétique d’une partie des Ukrainiens
(Shevel, 2002, p. 406).
Les partis ethniques pro-russes qui se vouent quasi exclusivement à la
défense des Russes et des russophones sont très peu nombreux en Ukraine
et font figure de nains politiques puisqu’aucun n’a, lors du scrutin législatif
de 2002, attteint le seuil électoral de 4 %20. Le principal d’entre eux, le Bloc
russe (Russkij blok), n’a ainsi recueilli que 0,73 % des voix dans l’ensemble
du pays (4,76 % en Crimée) (Lytvynenko, 2004). Grâce à son ralliement au
Parti des régions de Viktor Ianoukovitch pour les législatives de 2006, un de
ses membres, Aleksandr Černomorov, qui appartient aujourd’hui à la fraction du Parti des régions, est élu député. Malgré leur faible représentativité,
le discours de ces partis mérite néanmoins d’être analysé. Leur programme
est axé sur quelques thèmes centraux, dont la défense de la langue russe,
l’octroi de la double citoyenneté aux Russes et la création d’une union de
l’Ukraine avec la Russie et la Biélorussie. Là encore, la défense de la langue
19. Dans les systèmes de partis des pays issus de l’ex-URSS, la notion de « centre » n’évoque
pas nécessairement les mêmes réalités et les mêmes orientations qu’en Europe occidentale.
Dans sa classification des partis politiques ukrainiens, Oxana Shevel distingue les partis qui
accordent une valeur essentielle à l’idée nationale et à l’indépendance ukrainienne (elle les
nomme les « partis à tendance nationale » [national parties]) et ceux bâtis dans une logique
de remise en cause de l’État ukrainien (les « partis à tendance non nationale » [non-national
parties]). « La plupart des partis centristes (à la tête desquels se trouvent des oligarques
ou des membres du gouvernement) représentent ce que l’on peut appeler des partis de
tendance nationale modérée [soft national parties], opposés aux partis de tendance nationale
plus radicale [hard national parties] situés au centre-droite ». Ce sont les premiers que nous
appellons les partis centristes ; Shevel, 2002, p. 398.
20. Ce seuil a été réduit à 3 % après la présidentielle de l’hiver 2004-2005.
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russe n’est donc qu’un instrument parmi d’autres visant au rapprochement
de l’Ukraine et de la Russie. Loin de militer pour le bilinguisme, ces partis
cherchent à consolider la domination de la langue russe tout en poursuivant
une logique de dissolution de l’État ukrainien au sein d’un ensemble plus
vaste (Shevel, 2002, pp. 406-407). On peut lire ainsi dans le programme du
Russkij blok que « la renaissance de l’Ukraine en tant qu’État n’est possible
que par une union avec la Russie et la Biélorussie et par le rétablissement de
l’unité traditionnelle des trois peuples slaves21 ».
Les partis d’extrême gauche, en particulier le Parti communiste ukrainien, dirigé par Piotr Symonenko, et le Parti socialiste progressiste d’Ukraine (PSPU), animé par Natalia Vitrenko, partagent des idées similaires au
travers de la défense de la langue. Leur idéologie s’apparente toutefois
moins à un ethnonationalisme qui considère les Ukrainiens comme une
partie intégrante de la nation russe qu’à l’affirmation d’une « méta-identité (slave de l’Est, soviétique ou slave orthodoxe) dans laquelle se fond
l’identité ukrainienne » (Shevel, 2004, p. 7). Le concept d’identité slave de
l’Est est très présent dans leur discours et la réunification des peuples slaves accompagne en permanence leurs revendications au sujet de la langue
russe (Goujon, 2004). Celle-ci est pour eux un symbole de la culture et de
l’unité slaves et constitue à ce titre un enjeu bien plus important que la
défense des droits linguistiques des russophones. Outre ces raisons d’ordre idéologique, des motivations plus pragmatiques expliquent également
l’engagement des partis d’extrême gauche en faveur de la langue russe.
L’électorat du parti communiste et du PSPU est principalement formé de
nostalgiques de l’époque soviétique, de retraités et de vétérans issus de
l’Est du pays. Cet électorat, très attaché à son identité soviétique et dont
le sentiment national est, à l’opposé, peu développé, est particulièrement
sensible à tout ce qui touche au statut de la langue russe et à l’unité slave et
se montre favorable au rétablissement de la situation qui prévalait à l’époque de l’URSS. La question de la langue russe a ainsi son utilité pour les
forces de gauche puisqu’elle leur permet d’attirer une partie importante
des franges les plus âgées de la population. Même si la position d’un parti
sur ce point ne constitue certainement pas l’élément décisif dans le choix
des électeurs, elle peut néanmoins les influencer. Notons toutefois que
l’électorat de l’extrême gauche s’amenuise constamment depuis quelques
années : si le Parti communiste comptait encore 121 députés au Parlement
en 1998-2002, ils n’étaient plus que 66 en 2002-2006 et 27 en septembre
200722. Quant à Natalia Vitrenko, sa popularité a elle aussi fortement chuté
21. Voir le programme du Russkij blok sur http://www.rdu.org.ua/news.php?content=106060
0878&path=arc&subpath=2003.8
22. Soit 5,38 % des voix. Les élections de septembre 2007 ont été convoquées suite à la
dissolution, par le Président Iouchtchenko, du Parlement élu en mars 2006. Le Parti
communiste avait alors obtenu 3,66 % des voix (21 députés). Le changement du mode de
scrutin – passage à la proportionnelle pure, appliquée pour la première fois en 2006 – n’a fait
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puisqu’elle n’a obtenu que 1,5 % des voix lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2004 contre 11 % en 1999. Aux élections législatives
de 2002 et 2006, son parti – le PSPU – n’a, avec respectivement 3,2 % et
2,9 % des suffrages, même pas atteint le seuil des 4 %23.
Les partis centristes, au rang desquels figure en premier lieu le Parti des
régions du premier ministre Viktor Ianoukovitch, sont également favorables
au renforcement du statut de la langue russe en Ukraine mais ils mobilisent
un autre registre qui ne repose pas sur des a priori idéologiques. Soucieux
de consolider sa très forte implantation dans l’Est et le Sud du pays, le Parti
des régions est conscient de l’impact positif que peut avoir son positionnement dans le débat linguistique ; il lui permet notamment d’empiéter sur les
plates-bandes d’un Parti communiste en pleine déliquescence comme les
élections de 2004, 2006 et 2007 l’ont amplement montré.
Quant à la Russie, elle use de la question linguistique pour s’immiscer
dans les affaires intérieures ukrainiennes. Par l’intermédiaire de son ministère des Affaires étrangères, elle dénonce régulièrement les violations des
droits linguistiques des Russes d’Ukraine et en appelle fréquemment à
l’intervention du Conseil de l’Europe ou de l’OSCE face à la réduction
du nombre d’écoles russes en Ukraine. Cette question inquiète vivement
les autorités comme le révèle la lecture du « Rapport sur la langue russe
dans le monde » (Russkij jazyk v mire, 2003) du ministère des Affaires
étrangères ; il y est indiqué qu’« une des tendances les plus préoccupantes
de la langue russe dans l’espace postsoviétique consiste dans le démantèlement du système d’enseignement dans cette langue. (…) En Ukraine, où la
moitié de la population considère le russe comme sa langue maternelle, le
nombre d’écoles de langue russe a diminué de moitié depuis l’indépendance ». Bien évidemment, les autorités russes profitent plus particulièrement
des périodes électorales en Ukraine pour soulever et instrumentaliser la
question linguistique .
3.2. Un débat instrumentalisé
La question de la langue participe symboliquement de l’orientation
occidentale ou orientale de l’Ukraine. Des forces politiques s’en servent
pour attiser les tensions entre différents groupes et attirer des électeurs
(Besters-Dilgers, 2005, p. 80). L’observation de la vie politique ukrainienne
depuis l’indépendance permet en effet d’affirmer que la question linguistique peut se réduire à un instrument stratégique visant à s’assurer le soutien
de certaines franges de la population. Comme l’écrit Tatiana Zhurzhenko,
« ce ne sont pas les différences linguistiques qui sont des sources de tension
qu’accélérer la chute des communistes.
23. Le score du PSPU est, avec 1,3 % des voix, plus faible encore lors des élections de
l’automne 2007.
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et de conflit mais, au contraire, les forces politiques (et l’État) qui usent de
ces différences pour influencer les groupes linguistiques. Elles font malheureusement en sorte de déclencher leur hostilité et leur exclusion mutuelles
et insistent sur l’incompatibilité du développement libre et simultané des
deux langues » (Zhurzhenko, 2002, p. 8). Les campagnes présidentielles de
1994 et 2004 ainsi que les législatives de 2002 et 2006 en sont l’illustration
même. L’élection présidentielle de 1994 est ainsi marquée par une extrême
polarisation, non seulement régionale mais aussi linguistique. Au sortir des
urnes, Leonid Kravtchouk n’obtient la majorité dans aucun oblast’ de l’Est
et du Sud tandis que Leonid Koutchma ne remporte pas un seul des douze
oblasti de l’Ouest (Khmelko & Wilson, 1998, p. 70). La répartition du vote
correspond à la division linguistique du pays, Leonid Kravtchouk rassemblant 71 % des ukrainophones et Leonid Koutchma 77 % des russophones
(Khmelko & Wilson, 1998, p. 76).
La polarisation de l’électorat trouve son origine dans le rôle majeur qu’a
joué, pendant la campagne, la question ethnique et linguistique. Leonid
Kravtchouk s’est appliqué à diviser l’électorat autour de la question du
soutien à l’indépendance et s’est présenté comme le chantre de l’unité
nationale et le défenseur de la langue et de la culture ukrainiennes. Leonid
Koutchma, de son côté, a également usé en abondance et avec beaucoup
de pragmatisme de la question nationale et linguistique, s’érigeant en protecteur de la culture et de la langue russes et s’engageant à accorder à cette
dernière le statut de langue officielle, ce qui lui valut l’appui des régions
« majoritairement russophones ». Prônant, au cours de sa campagne, l’idée
d’un rapprochement de l’Ukraine et de la Russie au nom de la tradition
eurasiatique de son pays et prononçant ses discours en russe, il promit de
surcroît l’octroi de la double citoyenneté aux Russes ethniques. Ces promesses n’ayant jamais été tenues, force est de constater que la question
linguistique a tout simplement été instrumentalisée à des fins électorales.
Le jeu s’avère néanmoins dangereux car Kravtchouk et Koutchma, en exacerbant le clivage linguistique, ont profondément et artificiellement accentué les divisions du pays et attisé les dissensions régionales. Pourtant, cette
stratégie a de nouveau servi à plusieurs reprises par la suite.
Le vote est moins polarisé lors des législatives de 1998 et des présidentielles de 1999 qui ont plutôt pour enjeu l’approbation ou le rejet d’un retour
des communistes, mais la question linguistique – et son instrumentalisation – resurgissent à l’occasion des législatives de 2002 et 2006 et, davantage
encore, de la présidentielle de l’hiver 2004. Alors que Viktor Iouchtchenko
est en tête des sondages en septembre 2004, Viktor Ianoukovitch décide de
reprendre à son compte les arguments invoqués en son temps par Leonid
Koutchma : il s’engage en faveur de l’octroi du statut de langue officielle au
russe et de la double citoyenneté aux Russes d’Ukraine et brandit le thème
du rapprochement avec la Russie au nom de l’unité slave tout en critiquant
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vivement l’orientation européenne du candidat Iouchtchenko. Ce changement de stratégie exerce indéniablement une profonde influence sur le vote.
Bien qu’il soit difficile de dire s’il a apporté à Ianoukovitch un grand nombre
de voix, il a en tout cas contribué à la polarisation de l’électorat. Lors du
« troisième tour »24, Viktor Iouchtchenko rassemble en effet sur son nom
76,4 % d’ukrainophones et 23,6 % de russophones et Viktor Ianoukovitch
8,8 % d’ukrainophones et 91,2 % de russophones (Khmelko, 2005, p. 24).
Dans une certaine mesure, l’élection s’est déterminée en fonction de l’orientation pro-russe ou pro-européenne – artificielle au demeurant – des candidats mais elle a surtout permis à Viktor Ianoukovitch de diviser la nation et
de s’imposer très nettement dans l’Est du pays. Une fois le scrutin achevé,
la question linguistique est généralement reléguée à l’arrière-plan de la vie
politique. Négligée pendant plusieurs mois, elle revient, sans surprise, animer
la campagne législative de 2006 au cours de laquelle la polarisation du vote
entre russophones et ukrainophones et entre l’Est et l’Ouest se confirme. Le
Parti des régions (32,14 % au niveau national) remporte entre 39 et 74 %
des suffrages dans les oblasti de l’Est et du Sud, mais moins de 10 % dans la
plupart de ceux de l’Ouest. À l’opposé, les blocs Ioulia Timochenko et Notre
Ukraine, considérés comme pro-européens, obtiennent des scores dérisoires
dans le Sud et l’Est tandis qu’ils triomphent dans le Centre et l’Ouest25.
L’instrumentalisation de la question linguistique et l’exacerbation des différences ethnolinguistiques par les partis politiques ont des répercussions
majeures sur l’électorat. Le critère linguistique constitue-t-il pour autant le
principal facteur explicatif de la fracture Est-Ouest ? Plusieurs études ont été
menées sur ce sujet, en particulier par Dominique Arel et Valeri Khmelko.
Selon le premier, « Ce qui divise territorialement les citoyens ukrainiens est,
en fait, une dimension culturelle que l’on pourrait appeler le “facteur russe” »
(Arel, 2006, p. 16). L’impact de ce « facteur russe », qui s’articule autour de
la question du statut à donner à la langue russe et des relations de l’Ukraine
avec la Russie, est fortement déterminé par la langue de préférence des électeurs. Arel et Khmelko constatent, en effet, sur la base d’études statistiques
réalisées lors des élections de 1994 et 2004, que la langue de préférence est
statistiquement la variable la plus significative du choix électoral, avant l’âge,
le sexe, le niveau d’éducation ou encore la nationalité (Arel, 2006, p. 30). Ils
avancent ainsi, que « seule la langue de préférence apporte une explication
statistique lorsqu’il y a polarisation géographique dans un scrutin » (Arel,
2006, p. 30). Si cette hypothèse est contestée par certains, qui voient dans la
24. Le 3 décembre 2004, la Cour suprême ukrainienne annulait pour fraude le résultat de
l’élection présidentielle et annonçait l’organisation d’un nouveau second tour qui fut fixé
au 26 décembre. Viktor Iouchtchenko l’emporta avec 52 % des suffrages exprimés contre
44,2 % pour Viktor Ianoukovitch.
25. Les résultats des élections peuvent être consultés sur le site de la commission électorale :
http://www.cvk.gov.ua/pls/vnd2006/w6p001e
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variable régionale le principal facteur explicatif de la polarisation du vote,
l’essentiel n’est peut-être pas, au fond, de déceler le facteur le plus influent
mais plutôt d’identifier, comme nous l’avons fait, les raisons qui poussent certaines forces politiques à encourager la polarisation de l’électorat. Aussi longtemps que celles-ci auront intérêt à jouer des divisions, réelles ou factices, de
l’Ukraine, l’instrumentalisation du débat sur la langue russe se poursuivra.
Conclusion
L’effondrement de l’URSS n’a pas été sans conséquences pour les Russes
d’Ukraine. En raison de la grande proximité des cultures russe et ukrainienne,
leur adaptation a été relativement aisée et la présence de plus de huit millions
de « Russes ethniques » au sein de la communauté nationale ne préoccupe
guère la majorité des citoyens ukrainiens. Aucun conflit ethnique n’est venu
opposer Russes et Ukrainiens depuis 1991 et cette bonne harmonie est confirmée par l’émigration assez faible des Russes d’Ukraine vers la Russie. Pour
les milieux nationalistes et nationaux-démocrates ukrainiens qui ont lutté pour
l’indépendance dès les années 1980, la présence sur le sol ukrainien de quelque 20 % de Russes et d’un vaste groupe russophone constitue depuis 1991 un
obstacle à l’unité nationale et un enjeu de taille pour l’identité ukrainienne. La
langue constituant le marqueur identitaire principal de la nation ukrainienne,
les nationaux-démocrates craignaient que la très forte proportion de Russes et
de russophones ne mette en péril l’identité et l’indépendance du pays. Aussi,
une politique de promotion de l’ukrainien a-t-elle été mise en place dès 1991,
avec des résultats toutefois mitigés. Le débat ethnique sur les Russes a de la
sorte rapidement glissé vers un débat linguistique relatif à la place de la langue
russe dans le projet national. Suscitant l’indifférence d’une grande partie de la
population, les polémiques sur la défense de la langue russe ont longtemps été
l’apanage d’associations marginalisées en raison de leur extrémisme. Elles ont
également été alimentées par des forces politiques d’extrême gauche, hostiles
à l’indépendance de l’Ukraine et à son orientation pro-européenne et nostalgiques d’une union avec la Russie. Enfin, la controverse sur le statut de la langue russe a été instrumentalisée, en période électorale, par Moscou et certaines
forces politiques centristes afin de capter une partie de l’électorat. Elle va donc
bien au-delà de simples considérations linguistiques car elle est intimement liée
à la perception qu’ont les acteurs politiques de l’Ukraine en tant qu’État et
nation et des relations qu’elle doit entretenir avec la Russie.
En réalité, comme l’écrit Tatiana Zhurzhenko, « le débat sur la langue
russe et les droits des russophones n’est pas relatif aux droits des minorités
ethniques et linguistiques en Ukraine, mais au concept même d’ukrainité »
(Zhurzhenko, 2002, p. 15). Il confronte donc les autorités ukrainiennes à la
dimension politique de la nation ukrainienne. Aujourd’hui, celles-ci peinent encore à redéfinir l’identité nationale ukrainienne en y incluant les
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spécificités historiques, culturelles et linguistiques des Russes d’Ukraine et
des russophones. Pourtant, elles ne pourront mettre fin à l’instrumentalisation du débat linguistique qu’en déclarant sans détour que les Russes et
les russophones font partie intégrante de la nation ukrainienne au même
titre que les Ukrainiens ethniques. Il deviendra alors plus difficile pour
certaines forces politiques de détourner la question du statut de la langue
russe et d’en faire un instrument politique.
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