Une autre façon d`être avocat ?
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Une autre façon d`être avocat ?
Une autre façon d’être avocat ? Le prochain colloque d’AVOCATS.BE met clairement en avant l’impérieuse nécessité de repenser notre profession. Il le fera en abordant le sujet au travers d’une dizaine de thèmes, allant de l’avocat salarié, à l’avocat en entreprise, l’avocat financé, l’avocat dématérialisé, voire même « éclaté ». Certes, notre profession est évidemment multiple et les raisons de craindre une atteinte progressive à notre secteur d’activité, pouvant aller jusqu’à la disparition même1 de notre profession sont nombreuses. On connaît bien sûr la concurrence des experts comptables et fiscaux, des cabinets de réviseurs, des cabinets d’affaires internationaux, sans parler des brèches ouvertes dans le monopole de la plaidoirie, tel que le droit accordé aux délégués syndicaux ou aux fonctionnaires du ministère des finances de représenter leurs intérêts. Même la promotion et le succès des modes alternatifs de règlement des conflits, tels que la médiation, peut nous inquiéter en ce qu’elle peut mener à ce que des conflits qui auraient auparavant été résolus à l’issue de procédures judiciaires, et donc avec intervention des avocats, puissent se résoudre plus rapidement, en dehors des prétoires, voire même sans l’intervention des avocats2. Mais ne sommes-nous malheureusement pas en grande partie responsables de cette situation ? Un point me paraît mériter particulièrement l’attention, c’est celui du désamour de notre profession auprès du grand public, qui perçoit généralement les avocats comme des fauteurs de trouble à l’origine de conflits longs, destructeurs et coûteux. Un exemple facile est le suivant : Imaginez que vous apprenez que deux de vos amis proches, eux-mêmes très liés, sont en conflit ? Quelle sera alors votre réaction la plus probable ? La réponse la plus fréquente est que chacun essaierait d’abord de comprendre comment il est possible que deux amis soient désormais en conflit et aurait ensuite l’élan d’essayer de contribuer à les réconcilier. Pourtant, lorsque nous sommes consultés par des conjoints en difficulté, un associé en conflit avec l’un de ses co-associés, un commerçant en dispute avec l’un de ses cocontractants, nous autres avocats perdons bien souvent le contact avec cette humanité profonde qui est en nous. C’est comme si nous avions été formatés pour nous couper de nos émotions, nous couper de ce qui, tout simplement, en tant qu’être humain, nous lie à l’autre, qu’il s’agisse ici, au demeurant, de notre client ou de la partie dite adverse. 1 Voir le mot du Président dans La Tribune du 26 mars 2015 2 On n’insistera jamais assez sur le fait que, pour obtenir des avocats qu’ils soutiennent effectivement la médiation, il est indispensable de leur y laisser un rôle important et également de revaloriser leur intervention, ce qui ne peut passer que par l’abandon une fois pour toutes du système du tarif horaire, qui ne rend compte en aucune façon de la qualité de conseils donnés et qui peut mener à des raisonnements à court terme privilégiant la poursuite d’une procédure longue à la recherche d’un accord rapide. Publié dans la Tribune d’AVOCATS.BE n°73 du 21 mai 2015 Nous devenons alors des êtres froids, calculateurs, analytiques, cherchant simplement à retrouver, au travers de l’histoire qui nous est confiée, quelle est la règle de droit qui pourrait être invoquée pour que, par un raisonnement syllogistique implacable, nous puissions, du moins nous l’espérons, obtenir d’un juge qu’il applique la loi dans toute sa rigueur. Nous nous transformons alors en un être étrange, sorte de brillant technicien sans cœur, parfois de mercenaire sans état d’âme, suivant sans trop de discussion les instructions de son client. Nous nous retranchons, lorsqu’on nous propose de négocier, derrière la phrase « j’ai essayé, mais le client ne veut pas », quand, dans le pire des cas, nous ne contribuons pas à aggraver le conflit. Pourquoi ne pourrions-nous, tout simplement, essayer de comprendre les raisons profondes de ce conflit, nous dire que, qu’il s’agisse de conjoints, d’associés ou de partenaires commerciaux, nous sommes avant tout en présence d’êtres humains qui, à un certain moment, se sont suffisamment aimés ou fait confiance que pour vivre ou travailler ensemble ? Pourquoi ne pas ensuite essayer de comprendre pourquoi cette relation d’amour et de confiance s’est rompue, et voir comment il est possible de la restaurer ? Pourquoi ne pas concevoir le recours à la « force » que de la même façon que le recours à la légitime défense, c’est-à-dire comme un dernier et non un premier recours, et dans la limite de ce qui est nécessaire à la sauvegarde des intérêts menacés ? Thich Nath Han, un des grands auteurs bouddhistes contemporains, dit que lorsque l’on commence à comprendre son « ennemi », on n’a plus d’ennemi. Marshall Rosenberg, le père de la Communication Non Violente, décédé il y a quelques semaines, avait quant à lui développé un processus de communication et de prise de conscience de soi qui s’est répandu à travers le monde et a changé la vie de milliers de personnes. Certaines de ses convictions pouvaient surprendre : il enseignait ainsi que l’élan naturel de l’homme est de contribuer au bien-être de ses semblables ou que la violence et l’agressivité ne sont que l’expression désespérée de besoins non satisfaits et que la simple reconnaissance mutuelle de ses besoins pouvait mener à l’émergence de solutions harmonieuses, respectueuses des intérêts et besoins de chacun et préservant la qualité de la relation. En tant qu’avocats, nous avons, me semble-t-il, une chance extraordinaire et une responsabilité aussi grande qui en découle. Nous sommes bien souvent le premier interlocuteur du client au moment où celui-ci entre en conflit. A ce moment, nous avons réellement un choix entre les deux façons de procéder que j’ai énoncées ci-dessus. Je suis personnellement convaincu que, en choisissant cette seconde voie, chacun d’entre nous peut, à sa place, contribuer à restaurer l’image de notre profession et, à notre modeste place, contribuer à faire de ce monde un monde meilleur. Patrick Kileste, Avocat au barreau de Bruxelles Publié dans la Tribune d’AVOCATS.BE n°73 du 21 mai 2015