N`y a-t-il d`instincts que chez les animaux ?

Transcription

N`y a-t-il d`instincts que chez les animaux ?
N’y a-t-il d’instincts que chez les animaux ?
Remarques liminaires : a) ce qui suit n’est qu’un plan détaillé, et non une dissertation complète : lors de la rédaction finale, il
conviendra surtout de ne pas se contenter de juxtaposer les arguments, et de développer certainement davantage ; b) tout ce qui figure
ici entre crochets droits, toute indication correspondant à la démarche suivie, comme les numéros des paragraphes, devront
disparaître dans un devoir.
[Introduction]
[Pourquoi cette question ?]
Certains comportements humains donneraient à penser qu’une certaine part d’animalité subsisterait en l’homme, en
dépit du remarquable tournant évolutif caractéristique de notre espèce, ayant permis l’émergence de l’esprit, de la
culture et de la socialisation. En effet, ne nous arrive-t-il pas d’obéir à certaines impulsions spontanées issues de notre
nature, qui nous détermineraient à produire certains actes non choisis et irréfléchis ? De telles impulsions peuvent-elles
être considérées comme des instincts, au même titre que les instincts des animaux ?
[Position du problème]
Les instincts sont-ils caractéristiques des différentes espèces animales exclusivement, ou bien les hommes ne
pourraient-ils pas parfois agir instinctivement eux aussi ? L’espèce humaine serait-elle au cours de son évolution
devenue à ce point distincte des animaux que la rupture la plus totale serait désormais consommée entre l’animalité et
l’humanité ?
[Annonce du plan]
À quels caractères reconnaît-on l’instinct proprement animal ?
Mais l’habitude, spécifiquement humaine, n’est-elle pas d’essence distincte de celle de l’instinct ?
En définitive, ne serait-ce pas la capacité à produire des actes libres qui distinguerait radicalement l’homme de
l’animal ?
[1ère partie]
À quels caractères reconnaît-on l’instinct proprement animal ?
1) L’instinct est, par définition même – ensemble de réactions extérieures, déterminées, héréditaires, communes à tous
les individus d’une même espèce, et adaptées à un but non conscient –, aveugle. L’araignée lorsqu’elle construit sa
toile, ou les abeilles lorsqu’elles confectionnent les rayons de cire à l’intérieur de la ruche, ne savent pas qu’elles
produisent des figures régulières caractéristiques d’une géométrie parfaite. L’oiseau qui fait son nid au milieu d’un
arbre n’a pas conscience que la hauteur parfois insuffisante expose sa progéniture à toutes sortes de prédateurs. Et ce
sont déterminés par leurs instincts que certains animaux marins viennent parfois s’échouer sur le rivage, ou encore se
précipitent en masse tout au fond du chalut.
2) L’instinct est aussi infaillible, uniforme et invariable. Le prédateur se jettera toujours de la même manière sur la proie
qui lui est offerte. Les ruminants s’attacheront toujours au même type de nourriture, en dépit de la très grande variété
des espèces végétales qui leur seraient offertes. Les hirondelles, les cigognes ou les oies cendrées suivent depuis
toujours les mêmes routes au cours de leurs migrations et hivernent dans les mêmes zones de peuplement,
caractéristiques de chaque espèce. De même que les baleines suivent toujours les mêmes voies maritimes. Le
comportement des abeilles de nos jours, butinant les fleurs ou recueillant leur miel n’est en rien différent de celui que
nous ont décrit les auteurs antiques. L’instinct détermine à agir inéluctablement, sans essais ni erreurs, et au niveau de
l’espèce, d’où son immuabilité et l’absence de progrès qui le caractérisent.
3) L’instinct a encore pour caractère la spécialisation, ce qui l’oppose à la raison, cet « instrument universel qui peut
servir en toutes sortes de rencontres [= de circonstances, de situations] », écrivait Descartes dans son Discours de la
méthode. Le paon qui fait la roue, ou bien le mâle dominant de la harde qui est déterminé à combattre tous ses rivaux
pour jouir seul du privilège de pouvoir s’accoupler avec toutes les femelles disponibles, ne font pas preuve d’un
comportement spécialement adapté aux situations, lesquelles peuvent être des plus diverses. Mais l’enfant qui vient de
naître, et qui tête spontanément le sein de sa mère, sans avoir eu besoin d’apprendre quoi que ce soit encore, ou qui
esquisse spontanément le réflexe de la marche, ne serait-il pas mû lui aussi par l’instinct ?
[Conclusion partielle]
L’instinct caractérise indiscutablement le comportement animal. Dans le cas particulier du nourrisson, rien n’interdirait
a priori de le considérer d’abord comme un animal humain qui aurait à refaire individuellement tout le chemin parcouru
par l’espèce humaine au cours de son évolution. Mais il resterait encore à distinguer l’habitude d’une part, le réflexe
d’autre part, de l’instinct.
[2ème partie]
L’habitude, spécifiquement humaine, n’est-elle pas d’essence distincte de celle de l’instinct ?
1) On a pu définir l’instinct comme une habitude devenue héréditaire, en se transmettant de génération en génération,
désormais inscrite dans le patrimoine commun de l’espèce (Charles Darwin, Herbert Spencer, et d’autres
évolutionnistes). Condillac avant eux définissait l’instinct comme une « habitude privée de réflexion » (Traité sur les
animaux, L. II, chap. V). C’est bien par suite d’habitudes que nous sommes capables d’exécuter certains gestes ou
mouvements, par exemple dans la marche ou l’écriture, auxquels nous avons fini par ne plus porter la moindre attention.
Mais l’habitude est une disposition acquise, alors que l’instinct est naturel et spontané.
2) Tout semble par ailleurs opposer l’habitude et l’instinct : là où l’instinct est commun à tous les individus d’une même
espèce, l’habitude sera au contraire particulière à l’individu qui l’aura contractée. Seul le soldat par exemple, à force
d’avoir répété les mêmes gestes cinquante ou cent fois, sera devenu capable de remonter les pièces de son FAMAS les
yeux fermés ou dans la nuit noire, de faire spontanément un roulé-boulé dans une situation de chute, ou bien encore de
tirer sur la cible qu’on lui aura désignée sans prendre le temps de la viser. L’instinct est encore involontaire, là où
l’habitude est de notre fait, ce qui ne nous permet en aucune manière de nous défausser de la responsabilité des actes
qui en découleraient. Et là où l’instinct atteint immédiatement son but, l’habitude ne peut être que progressivement
acquise et développée chez l’individu.
3) Le réflexe ne semble pas être de nature très différente de celle de l’habitude. Lorsque nous projetons par exemple nos
mains en avant pour nous protéger d’une agression au couteau ou en cas de chute dans un escalier, c’est bien le pire que
nous puissions faire, par suite d’une mauvaise habitude déjà acquise, là où on doit réapprendre au contraire à utiliser les
autres possibilités offertes par son corps.
[Conclusion partielle]
Les habitudes de toute manière ne peuvent être conservées que par l’individu les ayant acquises. Les espèces animales
sont quant à elles incapables de tout progrès, comme de toute mémoire. Aucun animal n’a jamais pu inventer quoi que
ce soit qui fut profitable à toute l’espèce.
[3ème partie]
En définitive, ne serait-ce pas la capacité à produire des actes libres qui distinguerait radicalement l’homme de
l’animal ?
1) Les actes instinctifs, on l’a vu, sont irréfléchis, non conscients, aveugles. Nous sommes au contraire tout à fait
capables de réfléchir avant d’agir, même si nous ne le faisons pas toujours, de prendre conscience de ce que nous
faisons, et même de nous rendre maîtres de nos actions – tw'n ga;r praxew'n kuvrioi e[smen, comme l’écrivait Aristote.
2) L’habitude elle-même peut être conçue comme un produit de la liberté qui nous caractérise, devenue chez nous
comme une seconde nature, par opposition à la nature animale avec laquelle nous avons
rompu : w{sper ga;r hJ fuvsi" h]dh to; e[qo" [= l’habitude étant dès lors comme identique à la nature] (Aristote, De la
mémoire et de la réminiscence, II, 425a 28) : nous faisons bien le choix de contracter certaines habitudes, ou bien de
rompre avec d’autres, comme dans le cas du fumeur réellement résolu à cesser de fumer.
3) Il ne faut pas oublier toutefois que le mot même d’instinct est susceptible de bien des usages : employé ordinairement
dans le sens de l’instinct animal, il a pu aussi servir à désigner toute forme d’inclination (« l’instinct du rythme » chez
les Africains, l’« instinct de conservation », le prétendu « instinct maternel » qu’Elisabeth Badinter dans L’Amour en
plus démontrait n’être qu’un mythe, l’« instinct de domination », etc. etc. ), incluant l’instinct vital au sens de Nietzsche
ou la pulsion freudienne. Henri Bergson dans L’Évolution créatrice, pp. 179-193, adoptait cependant l’acception
habituelle du mot en opposant l’instinct à l’intelligence : l’instinct est adapté à la vie ou à la survie, l’intelligence à
l’utilisation des moyens techniques, ceux-là mêmes qui ont rendu les hommes capables de maîtriser les processus
évolutifs et d’orienter eux-mêmes le sens de l’évolution des espèces vivantes.
[Conclusion partielle]
L’homme n’est pas qu’un animal. Et il paraîtrait logique de réserver ainsi l’usage du mot « instinct » à la désignation de
l’instinct animal exclusivement.
[Conclusion]
[Résumé de la démarche suivie]
Dans une première partie, nous avons constaté que l’instinct permettait de spécifier bien des comportements animaux.
Dans la deuxième partie, nous avons pu constater toutefois que, dans le cas de l’homme, une habitude acquise n’était
pas un instinct, purement animal. Et dans la troisième partie, que la liberté seule rendait l’homme capable d’autonomie,
comme de bien des initiatives. Celle-là doit être considérée comme le propre de l’homme, lui ayant permis jusqu’à
s’affranchir de sa propre animalité.
[Réponse à la question initiale, ou solution du problème]
En aucune façon on ne saurait réduire l’homme à un animal comme un autre. Les instincts dont il serait pourvu à la
naissance disparaissent d’ailleurs très vite, à mesure que l’homme conquiert progressivement son autonomie.

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