Présence et Action Culturelles Points de vue

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Présence et Action Culturelles Points de vue
Présence et Action Culturelles
Points de vue
De la plage de 68 aux insurrections des années 2000 (I)
Aurélien Berthier
Présence et Action Culturelles
En janvier 2006, le projet de loi instituant
le Contrat Première Embauche (CPE) suivi de son
passage en force à l’Assemblée visibilise et institue
la précarisation des conditions de travail en
France, processus jusqu’alors rampant. Cette loi
amène des dizaines de milliers de personnes dans
la rue de février à avril 2006. Ils sont étudiants,
lycéens mais aussi chômeurs et travailleurs
précaires et contestent violemment cette mesure
jusqu’à aboutir à son retrait.
Depuis lors, certains mots d’ordre de cette
« révolte du précariat » du printemps 2006 se
recomposent dans d’autres mouvements ou dans
des brochures diffusés sur le net. En ces temps de
commémorations, quelle marque les mots de Mai
68 ont-ils sur ces mouvements alors qu’actions
hors des sentiers de la contestation professionnelle
des syndicats, slogans poétiques qui se multiplient
sur les murs des villes françaises, violences et
combats avec la police sont autant de trait qui
évoquent irrésistiblement les évènements de Mai ?
Envahissants l’espace public, écrits à la main « à la
manière de 68 » ou taggés façon 2000 sur les murs
ou le mobiliers urbains, présents sur des affiches
ou dans des brochures à télécharger sur Internet1,
1
Cette analyse se base sur un corpus d’environ 200 slogans récoltés sur
des brochures politiques récentes, des sites Internet et blogs, des
photographies de manifestations et de slogans bombés ou taggés sur les
murs au cours du printemps 2006. Les sites suivants ont notamment été
largement consultés :
www.bopsecrets.org/recent/france2006.graffiti.htm,
que nous révèlent ces nouveaux mots d’ordre sur
l’état des luttes actuelles ?
Le nouvel optimisme : l’offensive a déjà
commencé
« L'avenir nous appartient » ou
l’énigmatique « We are winning » (« Nous
sommes en train de gagner ») sont deux slogans
qui laissent transparaître une bien curieuse
confiance à notre époque pourtant rompue au
pessimisme militant (« Un autre monde est possible »
ne donnait par exemple qu’une simple probabilité
de réussite). Alors même que le rouleau
compresseur néo-libéral semble plus proche que
jamais d’une victoire totale, ces slogans nous
indiquent que le combat, toujours en cours, va être
gagné. En un sens, ils disent que la globalization, le
mouvement d’extension du capitalisme marchand
à toutes les sphères de l’économique, du social et
du culturel, n’est peut-être finalement qu’un
« Tigre de papier », que non seulement les mauvais
jours finiront mais que cela va se produire plus
rapidement qu’on ne le pensait. Ce désir de
victoire et d’utopies sociales se retrouvent dans des
slogans comme « Dans Grève il y a Rêve. » ou
l’appel à un « Rêve Général », « Utopie ? On y
travaille » ou « Utopie ou rien » et se remarquent
www.flickr.com/photos/44272383@N00/,
www.flickr.com/photos/alainbachellier, www.indymedia.fr,
www.rebellyon.info, www.infokiosque.net, http://infos.samizdat.net/,
1
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8, rue Joseph Stevens - 1000 Bruxelles - Tél : 02/545 79 11 - Site : www.pac-g.be
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également dans les reprises de slogans
situationnistes (popularisés par Mai 68) comme
« Nous voulons vivre. », « Je ne veux pas
mourir avant d’avoir vécu. », « Que rien ne soit
plus comme avant » ou encore, plus agressif,
« Cessons d’être raisonnable ».
« Ils précarisent, on s’organise ! » ou
« Ils défendent leurs intérêts, défendons les
nôtres. » ainsi que les emprunts à 68 « Le droit
de vivre ne se mendie pas, il se prend » et
« Nous n’aurons que ce que nous saurons
prendre. » invitent à sortir de l’apathie et à
rejoindre la lutte. Ils énoncent le besoin de
reprendre un chemin offensif plutôt que
simplement défensif (obtenir de nouveaux acquis
plutôt que lutter contre le détricotage des acquis
actuels), changer la vie plutôt que l’adapter à la
« Réalité » (du néolibéralisme). « Nos désirs font
désordre », exprime quant à lui que tout cela ne
pourra pas se faire sans heurts.
Certains slogans révèlent à cet égard de
nouveaux choix dans les méthodes d’action
comme l’opération éphémère revendiquée comme
stratégie, suivant le modèle théorique de la zone
autonome temporaire que résume bien « Les
mouvements sont faits pour mourir », inscrit
sur une banderole d’une Sorbonne occupée symbole soixante-huitard s’il en est. Brochures et
livres théoriques, signés de noms collectifs,
montrent aussi un choix pour l’anonymat afin de
limiter autant que possible les deux écueils de la
contestation : la répression et la récupération. Par
ailleurs, certains slogans expriment un rejet de la
démocratie représentative : « Les élections c’est
l’alternance, la rue c’est l’alternative. » qui n’est
pas sans rappeler un certain « Elections, piège à con »
d’autant qu’on a pu relire sur les murs que « Mon
bulletin de vote est un pavé, mais il ne rentre
pas dans l’urne. » et un appel au radicalisme car,
comme en 68, négocier ou « Céder un peu, c’est
capituler beaucoup. »
Questionner le travail ou la réapparition de
l’approche libertaire
et peut se lire comme l’une des première
insurrection
de
masse
du
« précariat »,
regroupement d’individus déclassés de plus en plus
large, produit directement par les politiques
économiques et sociales néolibérales que connaît
l’Europe depuis la fin des années 70. On peut
cependant distinguer deux tendances qui
traversent le mouvement : d’un côté des slogans
qui revendiquent un plein emploi et la sécurité du
contrat, et de l’autre, des slogans qui défendent un
refus du travail tel qu’il est conçu dans notre
société.
Dans le premier cas, il s’agit
d’amélioration ou de la défense des conditions de
travail ou de l’accès au travail : « CDI pour tous »,
« Travailler moins pour vivre plus. » ou des
études « Il est interdit d'interdire aux étudiants
d'étudier », « On veut étudier…pour pas voter
UMP ».
Dans le second cas, il s’agit d’interroger
plus profondément et de remettre en cause la
valeur travail « A bas le salariat », « A bas le
travail » ou reprenant Guy Debord « Ne
travaillez jamais ». Il s’agit de se demander pour
quoi on se bat, « Un boulot de merde est-il plus
supportable en CDI ou en CPE ? », « CPE, on
s'en fout, on ne veut pas bosser du tout. »,
« Ni CPE, ni CDI », « CPE ou CDI, c’est
toujours le STO2 ». Le développement de cet
aspect libertaire donne à lire des mots d’ordre qui
refusent de perpétuer l’idée selon laquelle avoir un
travail est une chance, proposition vécue comme
un argument patronal pour accepter la baisse de la
qualité de vie au travail. Ils tranchent dans notre
société besogneuse où règne le culte de la
performance,
nouveau
stakhanovisme
du
néolibéralisme et correspond à la revendication
émergente d’un revenu universel et de la
généralisation à tous du statut d’intermittent du
travail.
En parallèle à des revendications
concernant l’instabilité de l’emploi se sont ainsi
ajoutés à l’occasion de ce mouvement, des
2
Le mouvement dit « anti-CPE » traitait en
réalité la nouvelle donne des conditions de travail
STO ou Service du Travail Obligatoire, réquisition de travailleurs
français imposée par l’occupant nazi entre 1942 et 1944 pour participer à
l’effort de guerre allemand.
2
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questionnements vis-à-vis de l’insatisfaction au
travail.
« Emeute-toi ! » ou la violence assumée
Le mouvement anti-CPE suit de près les
émeutes des quartiers populaires français de
novembre 2005. Ces émeutes ont eu deux effets
sur la pensée et les pratiques du mouvement
étudiant du printemps 2006.
D’abord,
pour
une
partie
des
manifestants, qui font une interprétation politique
de novembre 20053, ces émeutes ont visibilisé une
guerre sociale en train de se jouer et à laquelle il
conviendrait de prendre part (« Nous avons vécu
l’état d’urgence et la répression des émeutes
d’octobre-novembre 2005 passifs. Cela
n’arrivera
plus. »).
Cela
entraîne
le
développement d’une volonté de jonction des
luttes qui opposeraient des précaires face aux
mêmes ennemis. Cette idée s’incarne notamment
par la reprise d’une citation de Nicolas Sarkozy,
précédé de l’avertissement « Quand l’ennemi nous
donne la méthode », qu’on retrouve très souvent
en exergue de brochures ou sur des affiches: « S’il
y avait connexion entre les étudiants et les
banlieues, tout serait possible. Y compris une
explosion généralisée et une fin de
quinquennat épouvantable. »4. Si cette
rencontre a pu se produire occasionnellement, au
cours de combats de rue contre la police, ou dans
des demandes de libérations des émeutiers (les
amnisties étaient demandées à la fois pour ceux de
Novembre 2005 et ceux du CPE), elle reste, à
l’instar de la rencontre mi-figue, mi-raisin entre la
3
Et dont le caractère politique, toujours nié par les autorités françaises et
peu repris par les médias, est de plus en plus défendu par certains
sociologues comme Michel Kokoreff ou Loïc Wacqant Cf. « On ne cesse
de dépolitiser les émeutes », Interview de M. Kokoreff in Libération du 1617 février 2008 ainsi que son ouvrage Sociologie des émeutes : « Il s’agit de
considérer que l’on a affaire à des formes d’action politique non conventionnelles.
Evidemment, brûler des voitures n’est pas un acte politique en soi mais il dit quelque
chose. L’émotion collective, la colère, la rage traduisent à la fois un désir de confrontation
et une capacité à interpeller l’Etat (…) On a beaucoup dit et répété que les émeutiers
n’avaient pas de revendications. Certes. Pourtant on sait ce que vit une partie non
négligeable des jeunes qui habitent ces cités dégradées : le déni de citoyenneté, des
humiliations ordinaires qui vont du délit de faciès au délit d’adresse. Bref, c’est un
profond sentiment d’injustice et de mépris. D’où une demande d’égalité des droits, de
reconnaissance, de respect. »
4 Nicolas Sarkozy, dimanche 12 mars 2006, cité dans "La grande peur de
Sarko", en page 2 du Canard enchaîné, n°4455, 15 mars 2006.
jeunesse ouvrière et la jeunesse étudiante de 68, à
élaborer.
Ensuite, Novembre 2005 a réactivé l’idée
selon laquelle l’action et la confrontation directes
pouvaient constituer des stratégies possibles pour
établir un rapport de force dans le cadre d’un
combat politique. Tout se passe donc comme si on
redécouvrait que la violence pouvait avoir un rôle
à tenir en parallèle ou à la place d’une activité
militante classique de défilé. Surtout si cette
dernière semble inaudible. De nos jours, la
violence dans le cadre d’une confrontation
politique est devenue une forme de manifestation
jugée souvent illégitime voire inacceptable5. On a
en effet assisté, depuis les lois anticasseurs en
France (1970), votées pour éviter un nouveau Mai
68, à un effacement progressif du lien entre
violence et question sociale dans les interprétations
des mouvements sociaux. La violence est ainsi
souvent réduite à une simple expression de
« colère » ou qualifiée de « gratuite » voire non
relayée par les médias pour, selon eux, ne pas
« jeter de l’huile sur le feu ». En 2006, la critique de
la casse par les médias et les syndicats s’est
construite
dans
le
couple
d’opposés
« manifestants » versus « casseurs ». C’est-à-dire
ceux qui respectent les règles de la protestation
contre ceux qui ne jouent pas le jeu de la
contestation ordinaire, ces derniers étant le plus
souvent décrits comme « issus des banlieues »6.
Face à cette déformation, le slogan « S.O.,
collabos » pointe la complicité tacite des services
d’ordres syndicaux (S.O.) parfois zélés, dans leur
coopération avec la police tandis que « Y’a pas de
méchants casseurs, y’a pas de gentils
manifestants, y’a que des jeunes qui ont la
rage. » ou encore le mot d’ordre « Nous sommes
tous des casseurs. »7 indiquent l’inanité de la
5 Au point qu’on en arrive à des situations surréalistes où d’anciens
soixante-huitards –habitués des plateaux télé- en viennent à critiquer les
violences des mouvements plus récents (2006) comme Henri Weber et
Daniel Cohn-Bendit : « Nous au moins, on ne cassait pas les vitrines des magasins
». Ripostes, France 5, 2 mars 2008
6 Ce que démentent les statistiques sur les arrestations et condamnations
effectuées lors des manifestations violentes de 2006.
7 Il est important de préciser que ces slogans sont quasiment tous écrits de
manière « dégenrée » à savoir qu’à chaque fois que la marque du masculin
doit se faire, on lui surajoute celle du féminin (« étudiant-e-s »,
« manifestant-e-s », « travailleur-euse-s ») de sorte que, par exemple,
« Nous sommes tous des casseurs » s’écrira le plus souvent « Nous
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réduction opérée par la presse, « Un mois ferme,
deux mois ferme , trois mois ferme, nous
sommes tous des casseurs du système » et
« Nous soutiendrons tout le monde, même les
innocents » semblent dire la généralisation de
cette pratique aussi bien que l’arbitraire des
arrestations, « Libérez les émeutiers » la
solidarité tandis que « Les barricades n’ont que
deux côtés… » invite à choisir son camp.
De nombreux slogans sont autant d’appels
à la confrontation directe (notamment avec la
police) et font preuve d’une violence assumée :
« Emeute-toi ! », « Nous ne sommes pas des
pacifistes. Nous livrons la guerre au
capitalisme. », « Ici désormais émeutes tous
les soirs. », « Vive l’insurrection. », ou
défendent un aspect romantique de la violence
« Détruire, rajeunir », « Parfois insurrection
c’est résurrection ». Ces combats de rue, qui
suivent souvent la stratégie du vol d’étourneaux
(déplacements urbains
en forme de vol
d’étourneaux, se divisant pour se protéger puis se
regroupant pour immobiliser ou pour frapper) ont
plus à voir avec la guérilla urbaine façon Quartier
Latin en 68 qu’aux « pépères » cortèges syndicaux.
IIème PARTIE
Comme en 68, les manifestants font
preuve d’un certain courage physique lors de
batailles rangées contre les CRS : barricades,
caillassage, pavés, parfois cocktails molotov,
contre lacrymo, matraques et flashball que ce soit
en débordant les « Journées d’action contre le
CPE ! » intersyndicales ou au cours de
nombreuses
manifestations
sauvages
(notamment nocturnes). La casse touche en
premier lieu la voiture qui reste l’un des
principaux symboles de notre société de
consommation. Les manifestants profitent
sommes tou-te-s des casseur-e-s ». Par soucis de concision (et peut-être
d’une conscience rétrograde du rédacteur) je ne les ferais figurer que dans
leur version « masculine ». Notons tout de même que cette volonté
égalitariste dans l’expression, qui prend place dans un mouvement plus
large de modification du vocabulaire dans la langue française, tranche avec
un certain machisme dans la lutte que d’aucuns ont pu reprocher aux
évènements de Mai-Juin 68 (Cf. « Le steak d’un révolutionnaire est-il plus
long à cuire que celui d’un bourgeois ? »).
également du désordre ambiant pour s’attaquer à
des symboles de la précarisation du travail ou à
des lieux de domination : Chambres de
commerce, bureaux du MEDEF (syndicat
patronal français), agences immobilières,
magasins de chaînes multinationales comme les
fastfood, ANPE, banques, agences d’intérim,
locaux de partis politiques (ceux du parti
conservateur UMP comme ceux du PS),
bâtiments d’Etat comme des Palais de Justice,
Hôtels des Impôts, Préfectures… En plus des
blocages qui touchent notamment les universités
(près des ¾ d’entre elles) et les lycées (plusieurs
centaines) et dont l’occupation donnent parfois
lieu à des pratique d’autogestion, la pratique du
hard blocking, conçu comme une tentative
d’arrêter la machine économique, se dit dans les
slogans « Investissez dans le blocage, une
“action” qui grimpe. » ou « Le blocage, une
s’incarne dans
idée qui circule ». Il
l’obstruction de trains, d’autoroutes ou de voie
d’accès importantes (périphériques parisiens,
ponts, entrées des villes), des opérations péages
gratuits, l’occupation de gares SNCF, d’ANPE,
de bâtiments administratifs, blocage de
supermarchés ou de centres commerciaux, lockout (lorsque les manifestants obligent les
commerçants à baisser leurs rideaux). Notons
aussi
les
nombreuses
opérations
de
ravitaillement des lieux occupés au moyen de
« réquisitions » de nourriture effectuées dans des
supermarchés par mobilisation-éclair. Toutes ces
actions ne se déroulent pas uniquement lors des
grandes journées d’actions syndicales mais
auront au contraire lieu de manière quotidienne,
tout au long du mouvement, jour et nuit, dans
toute la France.
« Carrément Pas Envisageable » : l’humour
et le tonus dans la lutte
Ces actions ne sont pas forcément
dénuées d’humour ou de poétique comme en
témoigne des « Ils nous jettent à la rue,
chacun son tour. » inscrits sur les murs de
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bureaux locaux de l’UMP ou du MEDEF dont
le mobilier avait été entièrement déménagé sur la
voie publique lors d’interventions éclair. De
nombreuses interventions ironiques (comme des
défilés d’esclaves ou les interventions des
célèbres brigades de clowns). Un humour
présent également dans les mots avec par
exemple la justification par l’absurde des
bombages « Le mobilier est payé par nos
impôts, les flics aussi, tant qu'on pourra pas
écrire sur les flics, on écrira sur le mobilier. »
ou des jeux de mots poétiques comme « Le
train-train quotidien va dérailler… », le
paradoxal « À bas les slogans. » ou l’autoparodique « Lutte sociale, tous à poil ». Des
jeux sur les initiales CPE (« Contrat Première
Émeute », « Contrat Premier Esclavage »,
« Chômeurs Précaires Énervés », « Cadeau
au
Patronat
Encore », « Capitalisme,
Précarité, Exploitation », « Carrément Pas
Envisageable », « Cocktail, Pavé, Émeute »
ou encore « Le CPE nuit gravement à
l’avenir » directement inspiré des messages de
préventions inscrit sur les paquet de cigarettes.
D’une manière globale, les observateurs
ont remarqué la joie, le tonus d’un mouvement
dont les protagonistes, pour qui c’est souvent la
première expérience d’engagement, prenaient
plaisir dans la lutte. Une certaine gaieté qui n’est
pas sans rappeler un certain « sourire de Mai » et
qu’évoquent
des
slogans
comme
« Villepin,[Ministre à l’origine de la loi] prend
ton temps, on s’amuse énormément . » ou
« Retour, retour, retour du CPE, avant on
s’amusait mieux. » peu de temps après le
retrait de la loi. Le tonus se remarque également
dans une forte
détermination : « On ne
désarmera pas. », « Il faudra plus qu’un
retrait pour avoir la paix ! », « On n’est pas
fatigué » ou, sur une bannière de la Sorbonne
occupée, « On reste. Continuez! », et, en
référence directe à 68, « Il n’y aura pas de
retour à la normale. »
« Médias, casse-toi »
Le mouvement du printemps 2006 se
caractérise par un large refus des médias. Celuici s’incarne dans des slogans comme « Médias,
casse-toi », « Medias partout, infos nullepart » ou encore « L’information veut être
libre », mais aussi dans le refus de la présence
de journalistes au sein des A.G. et des manifs,
par leurs ridiculisation (entartrage), leur
agressions, le vol de leur micros ou caméras, ou
par des actions violentes contre des locaux
abritant les médias. A ceci deux raisons :
D’abord, le développement depuis une
quinzaine d’années d’un réseau d’information
indépendant sur Internet porté par le
mouvement « L’information veut être libre » né
d’une forte méfiance des médias traditionnels,
jugés trop liés aux partis politiques aux manettes
et/ou aux forces du marché. Ainsi, cette
génération sait se renseigner et communiquer via
Indymedia, infokiosques.net, rue89.com, par la
circulation de vidéos qui ne passeront jamais à la
télévision, par des échanges sur des forums, par
des témoignages sur des blogs ou tout
simplement par des tracts, des journaux
politiques, et par la rencontre directe et
l’échange de paroles sur le terrain.
Ensuite, une certaine lassitude par
rapport à ce qui est jugé comme de la
désinformation ou des déformations réalisées
par les médias « traditionnels » vis-à-vis des
mouvements sociaux : ringardisation, caricature,
instrumentalisation,
décrédibilisation
des
revendications. Il n’est alors plus question
d’ « utiliser » les médias pour toucher « l’opinion
publique », une utilisation qui finit toujours par
se retourner contre ses instigateurs, mais au
contraire de fermer l’accès de l’organisation des
évènements aux journalistes et de s’appuyer sur
le réseau d’information alternatif puisque de
toute manière, « La révolution ne sera pas
télévisée ».
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Bref, méfiance de longue date, existence
d’un réseau alternatif pour informer de leurs
actions et conscience de la nécessité de changer
de stratégie vis-à-vis de la presse et de la
télévision entraînent une nouvelle pratique des
médias : leur évacuation.
L’insubordination : de 68 à 2006
Comme en 68, on a noté un net refus
des syndicats, jugé trop frileux, et partis
politiques de gauche auxquels on préfère une
forme d’organisation moins bureaucratique et
qui ne soit pas suspecte de vouloir récupérer le
mouvement. Cette auto-organisation, plus
locale, plus spontanée et plus volatile fonctionne
par émulation et en réseau à l’échelle nationale.
L’insubordination aux leaders traditionnels
d’une large partie des manifestants se dit par un
« Soyons incontrôlables » et s’observe dans un
refus récurrent des consignes de dispersion des
syndicats et une méfiance envers les
coordinations
étudiantes,
dans
des
manifestations de rue qui ne se tiennent pas à
l’itinéraire prévu par les autorités (qu’elles soient
syndicales ou d’Etat), dans une pratique des
actions violentes que ne tolèrent pas le syndicats
et qui entraîne une animosité forte envers les
S.O. de ces derniers, mais aussi dans une
pratique quotidienne des manifestations
sauvages, un refus du leadership de quelques uns
s’érigeant en chef de grève, dans la volonté de
sortir d’une routine contestataire (« A.G.,
manif, dodo »), dans un désir de s’amuser tout
en luttant ou encore dans une large pratique de
l’autogestion des lieux occupés. On peut ajouter
à ces caractéristiques l’expression d’une forte
méfiance des médias, la pratique du bombage de
slogans, le développement d’actions spontanées
et/ou spectaculaires, une forte dose de
créativité, d’humour, le développement de
revendications qualitatives et poétiques, le
volonté de tenir tête aux forces de l’ordre…
Cela fait beaucoup de traits qui rappellent dans
la forme et dans les pratiques le mouvement de
Mai-68 mais façon années 2000. Comme en 68,
une large partie de ces slogans n’énoncent pas
forcément de revendications concrètes mais ils
sont néanmoins compris de tous en ce qu’ils
touchent à des aspects d’un vécu commun. En
ce sens, ils sont hautement politiques. On y
observe un fort accent sur la méthode plutôt que
sur les buts (« comment faire » plutôt que « que
faire ») qui indique peut-être une recherche en
cours, que la mise en place d’un autre monde ne
se décide pas à l’avance mais se construit au fur
et à mesure.
Refus d’une situation plutôt que
mouvement revendicatif, comme les émeutes de
2005 qui avaient pris comme prétexte une
bavure policière pour exprimer une injustice
plus globale, comme Mai 68 débute le 22 mars
par la demande de libération de manifestants
anti-Vietnam, le mouvement anti-CPE a trouvé
un point d’ancrage, de convergence à l’occasion
du refus de la mesure du CPE, mais exprime une
contestation plus profonde. Ainsi, c’est
notamment sur la question du travail que se
construisent une convergence des luttes tant
recherchée et de nouvelles utopies, signant
l’émergence d’un « précariat » prenant de plus en
plus conscience de lui-même.
L’emprunt au registre de Mai est
étonnant à bien des égards. On a pu constater le
nombre important de slogans repris à la
grammaire de Mai (« Il y a un flic en chacun
d’entre vous. Tuons-le »), leurs détournements
(« Soyons
réalistes,
inventons
les
possibles. »), ou encore l’expression d’une
certaine filiation avec Mai (« Nous sommes
l’inaccompli de 68.) »
On pioche dans le vocable de 68 mais en
reconfigurant les mots, ceux qui disent la
violence et expriment la radicalité ou l’utopie.
On prend aussi beaucoup appui sur des écrits
récents, ceux qui fleurissent sur le net.
Ensemble, ils régénèrent un vocabulaire militant,
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trop souvent réduit à quelques slogans éculés.
Ces nouveaux mots, jeux de mots, mots d’ordre
alliés à de nouvelles pratiques prouvent un
changement de perspective, une forte créativité,
une réactivité et une dynamique retrouvée bien
loin de la dépolitisation supposée des « jeunes ».
Le mouvement du Printemps 2006
français, pris comme un élément d’une séquence
plus longue, nous permet, à travers ses slogans
pris comme sismographes de l’état des luttes,
d’apprécier les combats en cours.
Il nous reste à voir quels pourraient bien
être les points de convergence des mouvements
sociaux, dans ce qui ressemble de plus en plus à
une « crise du consentement à l’ordre établi »,
termes que Boris Gobille utilisent pour qualifier
globalement les évènements de Mai.
Convergence qui s’articule de plus en plus
autour de la question des migrants et de celle des
ripostes face à la précarisation.
Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel
(Dir.), 68, une histoire collective (1962-1981), La
Découverte, 2008
Comité Invisible, L’insurrection qui vient, La fabrique
édition, 2007
Dominique Damamme, Bernard Pudal, Boris
Gobille, Frédérique Matonti (Dir.), Mai Juin 68,
Editions de l’Atelier, 2008
Michel Kokoreff, Sociologie des émeutes, Payot, 2008
Jean-Pierre Le Goff, Mai 68, l’héritage impossible, La
découverte, 1998
Le Jardin s’embrase, Les mouvements sont faits pour
mourir, Tahin Party, 2007
Revue Politique, La précarité, n°46, octobre 2006
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© PAC Editions – Analyses – 2008/5 (I)
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Editeur responsable : Yanic Samzun
Avec le soutien du Service de l’Education permanente du Ministère de la Communauté française Wallonie-Bruxelles et de la Loterie Nationale
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