Le rôle du marketing est d`anticiper l`avenir

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Le rôle du marketing est d`anticiper l`avenir
ENTRETIEN M. BADOC
16/05/05
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L’ENTRETIEN
MICHEL BADOC
« LE RÔLE DU
MARKETING
EST D’ANTICIPER
L’AVENIR ».
Quel sera le marketing bancaire de demain ? C’est la question que se pose
Michel Badoc, professeur de marketing à HEC, qui a interrogé 250 dirigeants,
collaborateurs marketing et réseaux de grandes banques européennes.
Le contenu est restitué dans son dernier ouvrage « réinventer le marketing
de la banque et de l’assurance* ».
Propos recueillis par Sandrine L’Herminier
anque &Informatique -Vous semblez préoccupé
par le capital image des banques que vous ne
trouvez pas assez « différenciant ».
Michel Badoc - Les banques n’ont pas vraiment une
image de marque distinctive en France. Au delà de la
simple notoriété, ce problème d’identité est un sérieux
handicap pour la pertinence des actions marketing et
un réel danger face aux outsiders. Car tout échec dans
la politique de marque risque d’orienter les consommateurs vers les enseignes les mieux implantées ou
les moins coûteuses. Je l’écris dans mon livre, nous
assistons à la vente de produits et services financiers
dans un nombre accru de canaux diversifiés. Je cite un
B
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dirigeant de Citibank NY qui dit « Sears Roebuck possède davantage de comptes de cartes de crédit de particuliers qu’American Express alors que General Motors est
déjà la plus grande banque de prêts aux Etats-Unis ». Le
danger vient donc des nouveaux entrants –supermarchés, agences immobilières, réseaux de franchisés,
concessionnaires automobiles - qui ont des structures
de coûts et des pratiques commerciales différentes et
qui peuvent déstabiliser les institutions financières.
Le Crédit Mutuel Alsace-Lorraine réfléchit actuellement sur cette problématique en se demandant « comment être une mutualité moderne ». La Société Générale
mène aussi une réflexion. Il s’agit notamment de véri-
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Classe Affaires
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Cartographies
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Nominations
Etude
Initiatives
fier l’attrait de ces établissements auprès de différents
segments de clientèle.
B&I - Justement, que pensez vous de la segmentation
clients concoctée par les banques ?
M.B. - Je leur recommande de réfléchir à de nouvelles
typologies de segmentations. Je pense à un assureur
aux Etats-Unis –USAA- spécialiste de la vente directe
auprès des des vétérans de l’armée. L’entreprise a
demandé à son service marketing de trouver de nouvelles niches de clientèle rentables. En croisant et
« moulinant » les données clients, ils ont trouvé un
segment de population attractif : les collectionneurs de
voitures anciennes qui payaient des primes d’assurances élevées avec taux de sinistre très faible. L’ouvrage de Bernard Préel « Le choc des générations** »
s’avère dans ce registre assez instructif. L’auteur
montre que chaque génération a ses valeurs, ses
signes de reconnaissance, sa manière de travailler et
de consommer. Il a établi de nouveaux critères de segmentation à partir des grands événements sociétaux
traversés par les générations. La guerre d’Algérie, Mai
68, la chute du mur de Berlin, Internet… Les familles
qui ont connu la guerre d’Algérie sont plutôt fidèles et
stables dans leurs choix de consommation. La génération de Mai 68, confrontée à l’infidélité, au divorce, aux
licenciements, jouit de revenus plutôt importants, mais
s’avère être peu fidèle. La génération Internet ne croit
plus aux instances organisées, ni au couple, encore
moins à l’entreprise et plébiscite une consommation
très court terme. Les services études doivent faire
preuve d’innovation en traduisant ce type d’informations en actions marketing pour les banques.
B&I - Les grands chantiers CRM génèrent-ils aujourd’hui une vision 360 ° du client ?
M.B. - Les établissements financiers
ont mis en place des usines à gaz,
des projets surdimensionnés qui
fonctionnent assez mal. On assiste
au retour de projets plus simples et
opérationnels. Une réflexion s’impose face aux enjeux du multicanal
autour d’une question clé : quels
sont les besoins essentiels de mes
clients ? C’est l’agence qui doit
piloter cette requête et non Internet et encore moins le centre
« Un nouveau
marketing prône
la personnalisation
et l’interactivité
alors que les NTIC
sont désormais
placées au cœur du
management. »
Dossier
Tendance
Métiers
Expertises
Solutions
d’appel. D’ailleurs je prône un retour de l’humain
dans la politique de marketing relationnelle des
banques. On le voit déjà outre-Atlantique. Si la qualité
des interlocuteurs est revalorisée, la vente dans les
centres d’appels se limite désormais aux produits
basics et discountés. Les établissements ne doivent
pas se focaliser uniquement sur la baisse des coûts en
déshumanisant le contact client. Il faut harmoniser les
canaux technologiques en synergie avec les réseaux de
distribution classiques.
B&I - Comment percevez vous l’évolution de la fonction
marketing ?
M.B. - La plupart des experts outre-atlantique estiment qu’un « reengineering » de cette discipline s’impose conduisant à l’avènement d’un nouveau marketing ou néomarketing qui prône la personnalisation et
l’interactivité alors que les NTIC sont désormais placées au cœur du management. On ne va plus demander au marketing de se justifier mais d’apporter des
solutions. Aujourd’hui on l’interroge sur le comportement des clients. Demain la réussite de cette discipline
reposera moins sur un discours technique (les études)
que sur sa force de persuasion. Le marketeur ne
pourra pas se contenter de déclarer les attentes des
clients. Il lui faudra initier les transformations nécessaires pour que toute l’entreprise réponde ces attentes.
Si les directions générales affirment s’organiser autour
du client, cette affirmation reste encore au niveau du
discours. Car cet objectif nécessite deux changements
majeurs. D’une part, le directeur marketing devra travailler en étroite collaboration avec les autres services
pour initier une réflexion globale et créer de la valeur.
La fonction doit aujourd’hui passer d’un centre de
coût à un centre de profit. C’est un vrai défi car les
banques souffrent d’une organisation pyramidale et en
silos. D’autre part, il est indispensable que la fonction
soit représentée au comité de direction et travaille sur
des missions clés. Or, les banques vivent une contradiction fondamentale en donnant au marketing des
objectifs stratégiques avec une rentabilité sur le court
terme. C’est une erreur. Le rôle de cette discipline est
d’anticiper l’avenir avec un plan stratégique qui doit
s’échelonner sur trois ans.
* Réinventer le marketing de la banque et de l’assurance. Michel
Badoc/Elodie Trouillaud. Revue Banque Edition.
** Le choc des générations. Bernard Préel. Editions d’organisation.
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