Le rôle du marketing est d`anticiper l`avenir
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Le rôle du marketing est d`anticiper l`avenir
ENTRETIEN M. BADOC 16/05/05 17:47 Page 22 L’ENTRETIEN MICHEL BADOC « LE RÔLE DU MARKETING EST D’ANTICIPER L’AVENIR ». Quel sera le marketing bancaire de demain ? C’est la question que se pose Michel Badoc, professeur de marketing à HEC, qui a interrogé 250 dirigeants, collaborateurs marketing et réseaux de grandes banques européennes. Le contenu est restitué dans son dernier ouvrage « réinventer le marketing de la banque et de l’assurance* ». Propos recueillis par Sandrine L’Herminier anque &Informatique -Vous semblez préoccupé par le capital image des banques que vous ne trouvez pas assez « différenciant ». Michel Badoc - Les banques n’ont pas vraiment une image de marque distinctive en France. Au delà de la simple notoriété, ce problème d’identité est un sérieux handicap pour la pertinence des actions marketing et un réel danger face aux outsiders. Car tout échec dans la politique de marque risque d’orienter les consommateurs vers les enseignes les mieux implantées ou les moins coûteuses. Je l’écris dans mon livre, nous assistons à la vente de produits et services financiers dans un nombre accru de canaux diversifiés. Je cite un B 22 Banque & Informatique – Avril 2005 – N°149 dirigeant de Citibank NY qui dit « Sears Roebuck possède davantage de comptes de cartes de crédit de particuliers qu’American Express alors que General Motors est déjà la plus grande banque de prêts aux Etats-Unis ». Le danger vient donc des nouveaux entrants –supermarchés, agences immobilières, réseaux de franchisés, concessionnaires automobiles - qui ont des structures de coûts et des pratiques commerciales différentes et qui peuvent déstabiliser les institutions financières. Le Crédit Mutuel Alsace-Lorraine réfléchit actuellement sur cette problématique en se demandant « comment être une mutualité moderne ». La Société Générale mène aussi une réflexion. Il s’agit notamment de véri- ENTRETIEN M. BADOC Classe Affaires 16/05/05 17:47 Cartographies Page 23 Nominations Etude Initiatives fier l’attrait de ces établissements auprès de différents segments de clientèle. B&I - Justement, que pensez vous de la segmentation clients concoctée par les banques ? M.B. - Je leur recommande de réfléchir à de nouvelles typologies de segmentations. Je pense à un assureur aux Etats-Unis –USAA- spécialiste de la vente directe auprès des des vétérans de l’armée. L’entreprise a demandé à son service marketing de trouver de nouvelles niches de clientèle rentables. En croisant et « moulinant » les données clients, ils ont trouvé un segment de population attractif : les collectionneurs de voitures anciennes qui payaient des primes d’assurances élevées avec taux de sinistre très faible. L’ouvrage de Bernard Préel « Le choc des générations** » s’avère dans ce registre assez instructif. L’auteur montre que chaque génération a ses valeurs, ses signes de reconnaissance, sa manière de travailler et de consommer. Il a établi de nouveaux critères de segmentation à partir des grands événements sociétaux traversés par les générations. La guerre d’Algérie, Mai 68, la chute du mur de Berlin, Internet… Les familles qui ont connu la guerre d’Algérie sont plutôt fidèles et stables dans leurs choix de consommation. La génération de Mai 68, confrontée à l’infidélité, au divorce, aux licenciements, jouit de revenus plutôt importants, mais s’avère être peu fidèle. La génération Internet ne croit plus aux instances organisées, ni au couple, encore moins à l’entreprise et plébiscite une consommation très court terme. Les services études doivent faire preuve d’innovation en traduisant ce type d’informations en actions marketing pour les banques. B&I - Les grands chantiers CRM génèrent-ils aujourd’hui une vision 360 ° du client ? M.B. - Les établissements financiers ont mis en place des usines à gaz, des projets surdimensionnés qui fonctionnent assez mal. On assiste au retour de projets plus simples et opérationnels. Une réflexion s’impose face aux enjeux du multicanal autour d’une question clé : quels sont les besoins essentiels de mes clients ? C’est l’agence qui doit piloter cette requête et non Internet et encore moins le centre « Un nouveau marketing prône la personnalisation et l’interactivité alors que les NTIC sont désormais placées au cœur du management. » Dossier Tendance Métiers Expertises Solutions d’appel. D’ailleurs je prône un retour de l’humain dans la politique de marketing relationnelle des banques. On le voit déjà outre-Atlantique. Si la qualité des interlocuteurs est revalorisée, la vente dans les centres d’appels se limite désormais aux produits basics et discountés. Les établissements ne doivent pas se focaliser uniquement sur la baisse des coûts en déshumanisant le contact client. Il faut harmoniser les canaux technologiques en synergie avec les réseaux de distribution classiques. B&I - Comment percevez vous l’évolution de la fonction marketing ? M.B. - La plupart des experts outre-atlantique estiment qu’un « reengineering » de cette discipline s’impose conduisant à l’avènement d’un nouveau marketing ou néomarketing qui prône la personnalisation et l’interactivité alors que les NTIC sont désormais placées au cœur du management. On ne va plus demander au marketing de se justifier mais d’apporter des solutions. Aujourd’hui on l’interroge sur le comportement des clients. Demain la réussite de cette discipline reposera moins sur un discours technique (les études) que sur sa force de persuasion. Le marketeur ne pourra pas se contenter de déclarer les attentes des clients. Il lui faudra initier les transformations nécessaires pour que toute l’entreprise réponde ces attentes. Si les directions générales affirment s’organiser autour du client, cette affirmation reste encore au niveau du discours. Car cet objectif nécessite deux changements majeurs. D’une part, le directeur marketing devra travailler en étroite collaboration avec les autres services pour initier une réflexion globale et créer de la valeur. La fonction doit aujourd’hui passer d’un centre de coût à un centre de profit. C’est un vrai défi car les banques souffrent d’une organisation pyramidale et en silos. D’autre part, il est indispensable que la fonction soit représentée au comité de direction et travaille sur des missions clés. Or, les banques vivent une contradiction fondamentale en donnant au marketing des objectifs stratégiques avec une rentabilité sur le court terme. C’est une erreur. Le rôle de cette discipline est d’anticiper l’avenir avec un plan stratégique qui doit s’échelonner sur trois ans. * Réinventer le marketing de la banque et de l’assurance. Michel Badoc/Elodie Trouillaud. Revue Banque Edition. ** Le choc des générations. Bernard Préel. Editions d’organisation. N°149 – Avril 2005 – Banque & Informatique 23 Agenda