Spiritualité et travail social Entretien avec Jean−Marc

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Spiritualité et travail social Entretien avec Jean−Marc
Spiritualité et travail social
Entretien avec Jean−Marc Simonin, directeur du Centre−Espoir, Genève
Le Centre−Espoir, institution de l’Armée du Salut, offre une centaine de places
d’hébergement ainsi que des places de travail à des personnes en situation de handicap
psychique. Son directeur répond aux questions d’Actualité sociale sur les interactions entre
sa foi, la mission du centre et le travail social.
Actualité sociale – En tant que salutiste, vous portez un costume. Vous avez une manière de vous
présenter qui est bien identifiée.
Jean−Marc Simonin – Je pourrais être directeur de cette maison sans avoir à porter l’uniforme,
même si je suis salutiste. J’ai une petite spécialité: ma cravate. Il y est écrit les paroles d’un chant,
Amazing grace, qui pour moi est un rappel, quand je m’habille le matin, que c’est une chance, une
grâce d’être en bonne santé, de pouvoir monter sur mon vélo pour venir travailler, de respirer les
odeurs de la nature qui se réveille et d’avoir les yeux ouverts sur les gens que je croise. Cela me
rappelle que je vais pouvoir seulement apporter ce que j’ai reçu. Parce que j’ai été enrichi par
d’autres, je peux donner plus loin. Je me considère comme un canal.
– Quelle part de ce que vous recevez vient de la Bible?
– Je suis un très mauvais lecteur de la Bible, je la lis très rarement. J’ai eu une époque dans mon
chemin de foi où j’ai été extrêmement studieux. Je pouvais réciter une quantité de versets par
cœur, citer les paraboles des Evangiles, etc. Il y avait la Vérité, il fallait chaque jour lire la Bible,
prier, aller à la rencontre des autres, témoigner. Ces pratiques étaient fortement ancrées en moi. Et
puis, plus j’ai grandi et vieilli et plus j’ai réalisé qu’en fait, j’avais besoin de ces certitudes parce
qu’elles me donnaient une contenance, une assise. Et au fur et à mesure de mon cheminement
spirituel, j’ai été vers plus de dépouillement. J’ai compris qu’en fait ce qui importait, c’est plutôt
comment ma foi donne du sens à ma vie. La foi c’est quelque chose d’intime, de personnel. Je ne
peux pas vous la peindre, dire «c’est comme ça, la foi».
– Comment appréhendez−vous l’évangélisation au Centre−Espoir?
– En accompagnant des personnes en situation de détresse et de faiblesse, nous avons une règle
à laquelle je ne déroge pas: l’offre spirituelle que nous pouvons leur proposer doit rester une offre.
Cela veut dire que je ne vais pas tolérer le fait qu’on force les pensionnaires à assister à des
événements religieux ou qu’on leur induise des pratiques religieuses. Une telle attitude peut coûter
son poste de travail. Voilà ce que je dis aux candidats, lors des entretiens d’embauche: «Si vous
voulez évangéliser, que cela se traduise par vos actes, par votre manière de saluer les personnes
quand vous arrivez le matin, par votre façon de les écouter, de leur donner de l’attention vraie, dans
la manière dont vous allez traiter un conflit avec eux. C’est dans votre humanité vis−à−vis de l’autre
que vous allez pouvoir traduire votre foi.»
– Est−ce que les collaborateurs doivent être salutistes ou du moins chrétiens?
– C’est une question qui s’est posée longtemps. Lorsqu’on mettait une annonce dans la presse,
nous indiquions que le Centre−Espoir est dans «un contexte d’inspiration chrétienne». On vérifiait
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lors de l’entretien que la personne avait un engagement dans une communauté et qu’elle en portait
les valeurs. Puis au fil du temps, nous avons réalisé que les valeurs telles que l’attention, le respect,
la tendresse et l’accueil n’étaient pas une exclusivité des chrétiens. L’Eglise ne peut pas mettre de
copyright sur ces valeurs. Ce qui importe plutôt, c’est la manière dont elles sont mises en œuvre.
Sur environ cent personnes qui travaillent ici aujourd’hui, il y a une dizaine de salutistes, une
cinquantaine d’autres chrétiens (évangéliques, protestants, catholiques), quelques musulmans, des
bouddhistes, des athées,?…
Le critère principal lors de l’engagement ce sont les compétences professionnelles et, à
compétences égales, l’engagement chrétien peut faire une différence mais parfois, c’est le
contraire. Je vous raconte une anecdote: lors d’un entretien avec un candidat, celui−ci répétait
souvent le mot «toujours». Pendant un quart d’heure j’ai compté le nombre de fois où le mot avait
été prononcé. Je lui ai dit: «Je vais faire quelque chose de pas très sympathique pour vous: j’ai
compté le nombre de vos ‹toujours› et il y en a trente. Cela me pose un problème. Vous allez entrer
dans un milieu où vous travaillerez avec l’incertitude, le ‹je ne sais pas›, des questions comme
‹est−ce que telle ou telle pensée est adéquate?›, ‹est−ce que la personne viendra au
rendez−vous›, etc. Ici, on travaille avec de l’incertitude, de l’inconnu, du peut−être, mais pas du
toujours, pas avec du sûr, rarement avec du concret.»
– Comment vivez−vous ces incertitudes alors que nous cherchons justement à nous raccrocher à
des certitudes?
– Plus jeune, j’étais bourré de convictions et de principes. Aujourd’hui, il ne me reste qu’une seule
conviction: Dieu regarde l’être humain avec tendresse et bienveillance, donc il me regarde de cette
manière−là. Dans la vie, quand il y a du stress et des tensions, ou des choses qui ne vont pas
comme on veut, on se trouve facilement remis en question, souvent déstabilisé. Comme je sais que
je suis regardé avec bienveillance, cela m’aide à mettre de la distance avec ce qui m’arrive et, de
façon surprenante, cela enrichit plutôt mon existence.
Avant, j’étais un homme de réponses. Maintenant, c’est les questions et les doutes qui me
maintiennent en vie. Ma foi est plus habitée de doutes que de certitudes et ma vie est plus habitée
de questions qui m’animent que de réponses.
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