les réfugiés irakiens en Egypte

Transcription

les réfugiés irakiens en Egypte
54
Les réfugiés irakiens en Egypte
RMF 29
Les réfugiés irakiens en Egypte
par Lynn Yoshikawa
L’Egypte accueille environ 150 000 réfugiés irakiens.
Ils sont arrivés initialement avec beaucoup d’espoir de
réinstallation, mais leurs ressources sont épuisées, ils ne
peuvent pas trouver de travail, leurs enfants ne vont pas à
l’école et leur communauté est fracturée par des divisions.
Pour fuir les menaces de mort, les
enlèvements, la torture et les attaques
par les militaires, des milliers d’Irakiens
se sont installés dans les banlieues du
Caire, d’Alexandrie et de plus petits
gouvernorats. Les quelques réfugiés
irakiens qui étaient arrivés en Egypte
depuis 2001 sont vite devenus une
masse à la suite des attentats à Samara
en février 2006. Les premiers arrivants
après la chute de Saddam étaient pour
la plupart des Sunnites, mais on trouve
maintenant des nombres importants
de Chrétiens et de Shiites irakiens.
Certains sont passés par la Jordanie et la
Syrie, en continuant dans l’espoir que le
coût de la vie serait inférieur en Egypte.
Ils espéraient tous que l’Egypte ne serait
qu’une étape de transit. Les trafiquants
de personnes ont commencé à exploiter
la situation désespérée des Irakiens, leur
faisant payer 14 000 dollars par personne
pour les mener en Europe, dit-on. Le
HCR et les ONG existantes pour les
réfugiés en Egypte étaient mal préparés
pour cette arrivée en masse inattendue
et les demandeurs d’asile irakiens ont
été renvoyés et priés d’attendre.
Signataire de la Convention de
Genève de 1951 et de la Convention
de l’Organisation de l’Union africaine
(OUA) de 1969, l’Egypte n’autorise pas
les réfugiés à travailler sans permis
et l’accès aux services est strictement
limité. Il devient plus difficile pour les
Irakiens d’entrer en Egypte parce que
des entrevues en personne sont exigées,
et ne sont possibles qu’à Amman ou
Damas. Ce changement des restrictions
de visas ont séparé des familles et ont
empêché des Irakiens de retourner pour
toucher des salaires ou pour vendre
leurs biens afin de se suffire en exil.
En général, les Egyptiens considèrent
les Irakiens comme des professionnels
aisés, instruits et de haute formation, une
impression renforcée par le nombre de
restaurants irakiens, de cafés et de cafés
Internet dans les quartiers de la Cité du
6 octobre (à une vingtaine de kilomètres
au sud-ouest du Caire). Cependant, les
ressources s’amenuisent et quelques
familles ont décidé de retourner en Irak,
malgré les risques énormes. L’incapacité
des réfugiés de travailler légalement cause
une grande détresse parmi les Irakiens.
La seule niche relativement importante
dans le marché du travail non déclaré
en Egypte est le travail domestique,
une chose à laquelle leurs femmes ne
sont pas accoutumées du tout à faire
pour les autres. Bien que les décrets du
gouvernement autorisent l’accès à la
scolarité aux réfugiés, la plupart d’entre
eux sont empêchés d’aller dans des écoles
publiques. Comme l’éducation privée
coûte cher, beaucoup d’enfants irakiens ne
reçoivent pas de scolarité. Les quelques
fonds que les Irakiens possédaient lors de
leur arrivée au Caire disparaît vite dans
l’économie très inflationniste de l’Egypte.
Les tensions sectaires dans leur pays
se sont étendues à la communauté
irakienne en Egypte. La méfiance entre
les sections de la population irakienne fait
obstacle au développement de réseaux
d’autosuffisance qui représentent des
moyens de survie pour les nombreuses
autres communautés de réfugiés en
Egypte. Entre les enfants sans scolarité,
les parents dans l’incapacité de trouver
des emplois et de pourvoir pour leurs
familles, et les souvenirs si vivides des
violences subies en Irak, les problèmes
de santé mentale se multiplient.
Les Irakiens sont arrivés avec de grands
espoirs de réinstallation. Cependant la
stratégie de réinstallation du HCR donne
la priorité aux cas vulnérables dans
le besoin immédiat de soins et-ou de
protection. En septembre 2007, le HCR a
recensé 9 562 Irakiens. Reconnus de prima
facie, il leur est donné une ‘carte jaune’
qui leur accorde le droit de séjour légal
en Egypte mais qui doit être renouvelé
tous les six mois. Le HCR les dirige vers
Caritas et les Services d’aide Catholique,
deux partenaires de réalisation, où ils
reçoivent des soutiens financier, médicaux
et éducationnels limités. Le HCR et ses
partenaires font face à des restrictions
budgétaires lors de leur réponse aux
besoins des réfugiés. Le HCR a ramené
l’attente pour l’enregistrement à deux mois,
mais le bureau reste à court d’employés
et le personnel est débordé de travail.
En général, la population locale s’est
montrée positive envers les réfugiés
irakien et sympathique à leur détresse.
Leur capacité à s’incorporer a facilité
leur adaptation à la société égyptienne
comparé aux groupes de réfugiés africains,
mais certains rapports font état de
discrimination religieuse. Par exemple, il
est interdit aux Shiites de participer aux
prières dans des mosquées Sunnites, et
le gouvernement, qui ne reconnaît pas
leur secte, leur interdit de construire
leur propre mosquée. En Egypte, les
étrangers paient généralement des
loyers plus élevés que les autochtones
et le stéréotype que les Irakiens sont
riches a mené certains à leur rendre
responsables des taux d’inflation élevés.
La Syrie et la Jordanie ont endossé la
majeure part des mouvements de réfugiés
causés par l’invasion de 2003 sans recevoir
beaucoup de soutien de la part des états
qui en étaient responsables. Le risque
existe que les Irakiens accueillis par la
Turquie, le Liban et l’Egypte soient ignorés.
La Ligue Arabe a rejeté les demandes
d’aide aux Irakiens dans la région, citant
‘l’absence de consensus’. L’ambassade
irakienne au Caire n’a toujours pas
fourni d’aide à ses ressortissants malgré
des promesses de 25 millions de dollars
du Ministère des affaires Etrangères.
La crise en Irak a causé le plus grand
déplacement au Moyen-Orient depuis
1948 et mérite une action concertée de
la part de tous les intervenants pour
le maintien des droits des réfugiés.
Lynn Yoshikawa (lynn.yoshikawa@
gmail.com) est chercheuse associée
auprès du Département de Migrations
forcées et d’Etudes des Réfugiés
(Forced Migration and Refugee
Studies Department) à l’Université
Américaine au Caire. Elle achève sa
thèse de Maîtrise en Aide Humanitaire
Internationale à l’Université d’Uppsala.