SÉQUENCE - LE ROMAN RÉALISTE ÉVALUATION FINALE

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SÉQUENCE - LE ROMAN RÉALISTE ÉVALUATION FINALE
Français 2nde
SÉQUENCE - LE ROMAN RÉALISTE
ÉVALUATION FINALE
TEXTE A - Lamartine, Graziella, incipit (1849)
I
À dix-huit ans, ma famille me confia aux soins d’une de mes parentes que des affaires appelaient en Toscane , où elle allait accompagnée de son mari. C’était une occasion de me faire voyager et de m’arracher à cette
oisiveté dangereuse de la maison paternelle et des villes de province, où les premières passions de l’âme se corrompent faute d’activité. Je partis avec l’enthousiasme d’un enfant qui va voir se lever le rideau des plus splendides scènes de la nature et de la vie.
Les Alpes, dont je voyais de loin, depuis mon enfance, briller les neiges éternelles, à l’extrémité de
l’horizon, du haut de la colline de Milly2 ; la mer dont les voyageurs et les poètes avaient jeté dans mon esprit
tant d’éclatantes images ; le ciel italien, dont j’avais, pour ainsi dire, aspiré déjà la chaleur et la sérénité dans les
pages de Corinne3 et dans les vers de Gœthe4 :
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Connais-tu cette terre où les myrtes fleurissent ?
les monuments encore debout de cette antiquité romaine, dont mes études toutes fraîches avaient rempli ma
pensée ; la liberté enfin ; la distance qui jette un prestige sur les choses éloignées ; les aventures, ces accidents
certains des longs voyages, que l’imagination jeune prévoit, combine à plaisir et savoure d’avance; le changement de langue, de visages, de mœurs, qui semble initier l’intelligence à un monde nouveau, tout cela fascinait
mon esprit. Je vécus dans un état constant d’ivresse pendant les longs jours d’attente qui précédèrent le départ.
Ce délire, renouvelé chaque jour par les magnificences de la nature en Savoie, en Suisse, sur le lac de Genève,
sur les glaciers du Simplon, au lac de Côme, à Milan et à Florence, ne retomba qu’à mon retour.
1. Région d’Italie. 2. Village où vit le narrateur. 3. Roman de Mme de Staël. 4. Très célèbre écrivain allemand.
TEXTE B - Maupassant, Mont-Oriol, incipit (1887)
Les premiers baigneurs, les matineux déjà sortis de l'eau, se promenaient à pas lents, deux par deux ou solitaires, sous les grands arbres, le long du ruisseau qui descend des gorges d'Enval.
D'autres arrivaient du village, et entraient dans l'établissement d'un air pressé. C'était un grand bâtiment dont
le rez-de-chaussée demeurait réservé au traitement thermal, tandis que le premier étage servait de casino, café et
salle de billard.
Depuis que le docteur Bonnefille avait découvert dans le fond d'Enval la grande source, baptisée par lui
source Bonnefille, quelques propriétaires du pays et des environs, spéculateurs1 timides, s'étaient décidés à construire au milieu de ce superbe vallon d'Auvergne, sauvage et gai pourtant, planté de noyers et de châtaigniers
géants, une vaste maison à tous usages, servant également pour la guérison et pour le plaisir, où l'on vendait, en
bas, de l'eau minérale, des douches et des bains, en haut, des bocks2, des liqueurs et de la musique.
On avait enclos une partie du ravin, le long du ruisseau, pour constituer le parc indispensable à toute ville
d'eaux ; on avait tracé trois allées, une presque droite et deux en festons ; on avait fait jaillir au bout de la première une source artificielle détachée de la source principale et qui bouillonnait dans une grande cuvette de ciment, abritée par un toit de paille, sous la garde d'une femme impassible que tout le monde appelait familièrement Marie. Cette calme Auvergnate, coiffée d'un petit bonnet toujours bien blanc, et presque entièrement couverte par un large tablier toujours bien propre qui cachait sa robe de service, se levait avec lenteur dès qu'elle
apercevait dans le chemin un baigneur s'en venant vers elle. L'ayant reconnu elle choisissait son verre dans une
petite armoire mobile et vitrée, puis elle l'emplissait doucement au moyen d'une écuelle de zinc emmanchée au
bout d'un bâton.
Le baigneur triste souriait, buvait, rendait le verre en disant : "Merci, Marie !" puis se retournait et s'en allait. Et Marie se rasseyait sur sa chaise de paille pour attendre le suivant.
1. Un spéculateur est quelqu’un qui investit de l’argent (par exemple dans des terrains) en espérant que ce qu’il a acheté
va lui rapporter beaucoup d’argent. 2. Verres de bière.
TEXTE C – Maupassant, Boule de Suif (1880)
Cette très longue nouvelle raconte le voyage en diligence de quelques habitants de Rouen fuyant les Prussiens pendant la guerre de 70. À un relais, un officier prussien empêche la diligence de repartir : il veut que
l’une des voyageuse, une prostituée surnommée Boule de Suif, couche avec lui. Celle-ci refuse, par patriotisme ; mais elle finit par se laisser persuader par les autres voyageurs, exaspérés d’être bloqués dans cette misérable auberge. L’officier prussien, satisfait, laisse repartir la diligence.
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Au bout de trois heures de route, Loiseau1 ramassa ses cartes : « Il fait faim », dit-il.
Alors sa femme atteignit un paquet ficelé d’où elle fit sortir un morceau de veau froid. Elle le découpa
proprement par tranches minces et fermes, et tous deux se mirent à manger.
— Si nous en faisions autant, dit la comtesse1.
On y consentit et elle déballa les provisions préparées pour les deux ménages. C’était, dans un de ces
vases allongés dont le couvercle porte un lièvre en faïence, pour indiquer qu’un lièvre en pâté gît audessous, une charcuterie succulente, où de blanches rivières de lard traversaient la chair brune du gibier,
mêlée à d’autres viandes hachées fin. Un beau carré de gruyère, apporté dans un journal, gardait imprimé :
« faits divers » sur sa pâte onctueuse.
Les deux bonnes sœurs1 développèrent un rond de saucisson qui sentait l’ail ; et Cornudet1, plongeant les
deux mains en même temps dans les vastes poches de son paletot-sac2, tira de l’une quatre œufs durs et de
l’autre le croûton d’un pain. Il détacha la coque, la jeta sous ses pieds dans la paille et se mit à mordre à
même les œufs, faisant tomber sur sa vaste barbe des parcelles de jaune clair qui semblaient, là dedans, des
étoiles.
Boule de Suif, dans la hâte et l’effarement de son lever, n’avait pu songer à rien ; et elle regardait, exaspérée, suffoquant de rage, tous ces gens qui mangeaient placidement3. Une colère tumultueuse la crispa
d’abord, et elle ouvrit la bouche pour leur crier leur fait avec un flot d’injures qui lui montait aux lèvres ;
mais elle ne pouvait pas parler tant l’exaspération l’étranglait.
Personne ne la regardait, ne songeait à elle. Elle se sentait noyée dans le mépris de ces gredins honnêtes
qui l’avaient sacrifiée d’abord, rejetée ensuite, comme une chose malpropre et inutile. Alors elle songea à
son grand panier tout plein de bonnes choses qu’ils avaient goulûment dévorées4, à ses deux poulets luisants de gelée, à ses pâtés, à ses poires, à ses quatre bouteilles de Bordeaux ; et sa fureur tombant soudain,
comme une corde trop tendue qui casse, elle se sentit prête à pleurer. Elle fit des efforts terribles, se raidit,
avala ses sanglots comme les enfants, mais les pleurs montaient, luisaient au bord de ses paupières, et bientôt deux grosses larmes, se détachant des yeux, roulèrent lentement sur ses joues. D’autres les suivirent
plus rapides, coulant comme des gouttes d’eau qui filtrent d’une roche, et tombant régulièrement sur la
courbe rebondie de sa poitrine. Elle restait droite, le regard fixe, la face rigide et pâle, espérant qu’on ne la
verrait pas.
Mais la comtesse s’en aperçut et prévint son mari d’un signe. Il haussa les épaules comme pour dire :
«Que voulez-vous, ce n’est pas ma faute.» Mme Loiseau eut un rire muet de triomphe et murmura : « Elle
pleure sa honte. »
Les deux bonnes sœurs s’étaient remises à prier, après avoir roulé dans un papier le reste de leur saucisson.
1. Personnage(s) participant au voyage en diligence. 2. Sorte de manteau très ample. 3. Tranquillement. 4. Au début
du voyage, dans la panique du départ, personne n’avait pensé à emporter des provisions… sauf Boule de Suif, qui
avait partagé les siennes avec tout le monde.
QUESTIONS
1/ Montrez que les textes A et B n’appartiennent pas au même mouvement littéraire. 4pts
2/ Le texte B remplit-il les fonctions de l’incipit ? 4pts
TRAVAIL D’ÉCRITURE 12pts
Faites le commentaire littéraire du texte C en vous aidant du parcours de lecture suivant :
Axe I Vous montrerez que ce texte est la dénonciation d’une certaine société.
Axe II Vous étudierez la focalisation choisie par l’auteur et vous en montrerez l’intérêt.