note de lecture le monde selon monsanto

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note de lecture le monde selon monsanto
NOTE DE LECTURE
LE MONDE SELON
MONSANTO
De la dioxine aux OGM, une multinationale
qui vous veut du bien
par Marie-Dominique Robin, La Découverte,
Arte Editions, 2008
par Alain Tihon, chercheur-associé à Etopia
Août 2008
www.etopia.be
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« Aujourd'hui, alors qu'un vrai débat scientifique, économique et de société agite la France
et l'Europe sur les conséquences sanitaires et environnementales des OGM ainsi que sur
leurs prolongements sur la condition paysanne et le brevetage du vivant, le livre de MarieMonique Robin tombe à pic. Il doit être considéré comme un travail de salubrité publique
et lu à ce titre », écrit Nicolas Hulot pour conclure la préface de l'ouvrage. De fait, il s'agit
d'un livre capital si on veut s'informer et comprendre l' enjeu des OGM.
L'enquête de Marie-Dominique Robin s'appuie sur une masse de documents, y compris
ceux qui proviennent de Monsanto. Le récit est vivant, fourmille d'exemples, de cas
concrets, d'interviews des différents acteurs. Il nous balade dans le monde entier. L'auteure
maîtrise l'art de mettre Monsanto face à ses contradictions en opposant sans cesse à la
réalité des faits l'image que la firme veut donner d'elle-même.
Le livre est divisé en trois parties. La première, intitulée « Un des plus grand pollueurs de
l'histoire industrielle », montre que Monsanto a dissimulé l'extrême toxicité de produits qui
ont fait sa fortune pendant des décennies et leurs conséquences sur la santé et
l'environnement. D'abord viennent les PCB utilisés durant de longues années, notamment
comme liquides réfrigérants dans les transformateurs électriques et les appareils
hydrauliques. Ils sont désormais interdits mais comme ils ont été abondamment utilisés,
ils ont eu le temps d'empoisonner notre environnement et il faut s'en défaire, ce qui n'est
pas simple. Monsanto en connaissait bien les dangers mais les a masqués derrière des
études et des rapports falsifiés. Mise en face de l'évidence, la société a toujours refusé d'en
assumer la responsabilité.
Le second produit est le 2,4,5-T, un herbicide, contenant de la dioxine, qui a donné
naissance a l'agent orange, défoliant abondamment utilisé au Vietnam par l'armée US de
1962 à 1971. Monsanto et Dow Chemicals avaient obtenu du Pentagone des contrats juteux
pour la fabrication du produit. Ici encore la dangerosité de l'agent orange était connue mais
fut cachée, même aux gens du Pentagone. Lorsque les vétérans du Vietnam, victimes de
ses effets, ont essayé d'obtenir réparation, Monsanto a déployé contre eux un arsenal de
manipulations, de pressions, de tentatives de corruption, de rapports mensongers pour
échapper aux conséquences de ses actes. Elle a ainsi amené l'EPA (Environment Protection
Agency) à classer la dioxine en 1988 comme un « cancérigène humain probable ».
L'Agence n'a revu sa copie qu'en 1991 lorsque, devant des preuves accablantes, elle a dû se
résoudre à re-classer la dioxine comme « cancérigène pour l'homme ». Ce n'est qu'au prix
de batailles acharnées que les victimes de l'agent orange ont obtenu des indemnisations
partielles. Quant aux victimes vietnamiennes, elles, sont loin du compte. Monsanto
continue de nier que son défoliant puisse avoir des effets secondaires à long terme.
On retrouve les mêmes processus à l'oeuvre pour l'herbicide total, le Round up, et
l'hormone de croissance bovine (rbGH ou rBST), interdite en Europe. Le Round up, selon
ce qu'en a dit Monsanto lors de son lancement, « respecte l'environnement » est « 100%
biodégradable » et « ne laisse pas de résidus dans le sol ». Il en va tout autrement. Bien
qu'il ait été approuvé par l'EPA, l'herbicide « induit les premières étapes qui conduisent au
cancer » et se révèle être un « tueur d'embryons ». En conséquence, Monsanto a du revenir
sur sa propagande et multiplier les précautions à prendre sur la notice d'emploi du Round
up. Malgré tout, comme l'écrit l'auteure, « grâce à l'indéfectible collusion entre les hommes
politiques, les géants de la chimie et la communauté scientifique internationale, l'usage des
pesticides ne cesse de progresser dans le monde ».
L'hormone de croissance bovine a été produite par manipulation génétique. Elle est censée
doper la production laitière. Malgré les biais des tests commandés par Monsanto pour
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promouvoir le produit, ceux-ci ont montré que l'hormone en question « provoque des
mammites (inflammation des pis), d'où une augmentation de l'utilisation d'antibiotiques,
une baisse de la fertilité des vaches traitées et des changements moyens dans la qualité
nutritionnelle et la composition du lait ». Malgré cela, la FDA (Food & Drugs
Administration), bien dressée par Monsanto, a approuvé la rbGH le 2 mars 1993 en dépit
de tous les avis négatifs: il fallait favoriser la mise sur le marché de cette hormone
transgénique. « La rbGH ... est un produit à visée strictement économique qui ne présente
aucun bénéfice pour les animaux ni pour le consommateur ». Encore une fois, Monsanto a
manipulé les études et fait taire les voix discordantes en les discréditant, en les menaçant
de procès, en les faisant renvoyer de leur travail.
La première partie du livre établit donc Monsanto comme un géant de la chimie dont la
seule loi est celle du dollar, qui met sciemment sur le marché, à grand renfort de rapports
mensongers, des produits dangereux pour la santé et l'environnement, qui manipule et
subvertit les agences gouvernementales pour faire approuver ces produits et qui nie et
échappe à ses responsabilités, même devant l'évidence.
On retrouve ce cocktail à l'œuvre dans les deux autres parties du livre consacrées aux
OGM: « OGM: la grande machination » et « Les OGM de Monsanto à l'assaut du Sud ».
Avec les OGM, Monsanto revêt les habits d'un bienfaiteur de l'humanité prétendant « aider
les paysans du monde à produire des aliments plus sains tout en réduisant l'impact de
l'agriculture sur l'environnement ». L'invention des OGM remonte à 1953, année du
décryptage de la structure en double hélice de l'ADN, molécule qui signe le code génétique
de chaque être vivant. La biologie moléculaire est née. Dans les années 70, les expériences
de génie génétique prolifèrent aux États Unis et les capitaux à risques s'y engouffrent. La
course aux gènes provoque ainsi un rapprochement entre la science et l'industrie qui n'est
pas sans conséquences, ainsi que l'explique la sociologue Susan Wright citée par l'auteure.
« Quand le génie génétique a été perçu comme une opportunité d'investissement, il s'est
produit une adaptation des normes et des pratiques scientifiques au standard des
entreprises. L'éveil du génie génétique coïncide avec l'émergence d'une nouvelle éthique
radicalement définie par le commerce ». En d'autres termes, la démarche scientifique n'est
plus tout à fait aussi rigoureuse!
Monsanto s'est précipitée dans la brèche, a encouragé le mouvement avec l'ambition
déclarée de devenir « le Microsoft de la biotechnologie ». Monsanto est devenu en 2005 le
premier semencier au monde et 90% des OGM actuellement cultivés dans le monde
(principalement soja, maïs, colza et coton) lui appartiennent. En fait les OGM qu'elle a mis
sur le marché sont des plantes résistantes à son herbicide vedette (30% de son chiffre
d'affaire) ou des plantes insecticides, produits qui n'aident aucunement le paysan ni ne
réduisent l'impact sur l'environnement, que du contraire. En allant voir la face cachée de la
biotechnologie de Monsanto, on observe, dès à présent, une baisse de la production dans
les plantations de plantes OGM, l'apparition de super mauvaises herbes nécessitant
l'emploi d'herbicides toujours plus puissants, la contamination des autres plantes (Il n'y a
pratiquement plus de colza non contaminé par les OGM en Amérique du Nord), la stérilité
des sols et, par conséquent, un besoin croissant d'engrais, et un effondrement de la biodiversité.
Contrairement à ce que Monsanto et les défenseurs des OGM essaient de faire croire, les
techniques de manipulation génétiques ne sont pas similaires à la sélection généalogique.
Les premières sont brutales: pour faire simple, il s'agit de briser les défenses de la plante
pour faire entrer de force le gène étranger, en utilisant des armes bactériologiques,
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chimiques ou un canon à gènes. Dans la seconde, la sélection repose sur des lois naturelles
et consiste à provoquer, sur plusieurs générations, le croisement entre deux plantes
sélectionnées pour leurs qualités agronomiques.
Il faut également savoir que les biotechnologies furent considérées d'emblée comme un
enjeu stratégique pour les USA qui visaient à imposer leur suprématie technologique. De
plus, le duo Reagan-Bush, chantre de la déréglementation et prophète de l'idéologie du
marché, a fait en sorte de réduire au maximum les tests exigés pour la mise sur le marché
d'un nouveau produit par la FDA (aliments et médicaments), l'EPA (pesticides) et l'USDA
(secrétariat à l'agriculture, plantes). Monsanto a encouragé de toutes ses forces une telle
politique. La firme a même fait en sorte que la FDA élabore « le principe d'équivalence en
substance », concept repris un peu partout dans le monde (dont l'OMS et la FAO) comme
base théorique de la réglementation concernant les OGM. Ce principe dit: « dans la plupart
des cas, les composants des aliments provenant d'une plante génétiquement modifiée
seront les mêmes que ou similaires en substance à ce que l'on trouve communément dans
les aliments comme les protéines, les graisses, les huiles et les hydrates de carbone ».
En d'autres termes, les OGM sont grosso modo identiques à leurs homologues naturels. Ce
« grosso modo » n'a aucune base scientifique sérieuse. Contrairement à ce qui a été affirmé,
il n'y a pas eu de consensus à la FDA sur ce principe. Monsanto s'est aussi montré malin.
Comme le sujet est compliqué et difficile (ce que n'aiment pas les politiques), Monsanto a
compris qu'il lui fallait contrôler les scientifiques s'exprimant sur la question et manipuler
la réglementation des aliments transgéniques à travers le monde en « (essayant) d'acheter
l'influence d'individus clés, de noyauter les comités avec des experts qui les soutiennent et
de subvertir l'agenda scientifique ». Quoi qu'il en soit, diverses études montrent que les
OGM ne sont pas si inoffensifs que cela. En fait leurs conséquences réelles sur la santé
humaine et l'environnement sont inconnues et le principe de précaution doit s'imposer.
Monsanto s'appuie enfin sur ce que l'auteure appelle « la loi d'airain du brevetage du
vivant ». Jusqu'en 1980, il n'était pas question de breveter du vivant. Cette année là, la Cour
Suprême des États Unis a autorisé un brevet sur une bactérie manipulée pour dévorer des
résidus d'hydrocarbures sous prétexte que « Tout ce qui sous le soleil a été touché par
l'homme peut être breveté ». C'était ouvrir la boite à Pandore et donc la voie à la
privatisation du vivant pour tout quiconque désirant faire breveter une plante, un
embryon, un animal, ... Monsanto s'est évidemment précipitée pour faire breveter tous les
OGM qu'elle fabrique. Fortes de ses brevets, elle va imposer aux USA des contrats léonins
aux grossistes qui vendent ses produits et aux fermiers qui les utilisent. Il leur est interdit
de garder des semences pour la saison suivante: ils sont obligés d'en acheter de nouvelles.
Ils doivent de plus payer un droit pour l'utilisation de la technologie et sont même obligés
de payer des royalties à Monsanto si leurs champs ont été contaminés par du pollen ou des
semences issus du champ transgénique du voisin. Les gènes appartiennent à Monsanto et
toute utilisation génère des royalties! La firme s'est dotée des moyens de faire respecter son
diktat: police, détectives, primes à la délation, intrusion dans les fermes, procès, ... Bref le
fermier redevient un serf!
Dans la dernière partie de l'ouvrage, Marie-Monique Robin montre comment Monsanto
attaque les pays du Sud, Argentine, Paraguay, Brésil, Inde, pour y imposer soja et coton
transgéniques en profitant à la fois de structures démocratiques plus faibles, d'une
agriculture favorisant les grands domaines et/ou l'endettement des paysans, de la
corruption et d'une manipulation de l'information d'autant plus facile que le niveau
d'éducation est faible. En fait les multinationales de l'alimentation s'efforcent de contrôler
la nourriture du monde, d'une part, en imposant leurs produits en liaison avec une idée de
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la révolution verte qui nécessite l'usage intensif d'herbicides et de pesticides et, d'autre
part, en étendant au monde entier le système des brevets existant dans les pays
industrialisés à travers les APDIC (aspects des droits de propriété intellectuelle qui
touchent au commerce) qu'elles ont réussi à faire passer à travers l'OMC.
Que conclure?
« .... pour nous aussi, les citoyens et citoyennes de la bonne vieille planète Terre, « l'affaire
est sérieuse ». ...et qu'il serait irresponsable de laisser la nourriture des hommes tomber en
de pareilles mains ».
L'enquête menée par Marie-Monique Robin expose le comportement criminel de
Monsanto. Que faire en tant que citoyen, consommateur des produits de la firme,
fournisseur ou employé? Il n'est plus possible de se cacher derrière le « on ne savait pas ».
L'ouvrage montre également à suffisance que les agences responsables de l'homologation
des pesticides, des herbicides, des aliments, des plantes, ... avant leur mise sur le marché,
tant au plan national qu'international, de même que les procédures mises en œuvre, sont
opaques et échappent pratiquement à tout contrôle véritablement démocratique. Les firmes
restent en pratique maîtresses de la documentation qu'elles remettent aux agences et les
pressions qu'elles exercent pour les subvertir sont énormes. Une révision des processus
d'autorisation paraît bien s'imposer.
Le livre amène à la conclusion que la solution qui s'impose est celle d'un arrêt absolu des
OGM. Les incertitudes et les dangers sont trop grands pour les autoriser de quelque
manière que ce soit et ne les restreindre ou les interdire que si un accident survient. Il faut
d'abord prouver leur innocuité de façon rigoureuse et non sur base d'un quelconque
principe d'équivalence en substance.
Enfin il faut affirmer haut et fort que le vivant n'est pas brevetable et rejeter avec force
l'affirmation mensongère que « Tout ce qui sous le soleil a été touché par l'homme peut
être breveté ». C'est bien sûr un vaste et difficile problème. Dans « Un autre monde »
(Fayard 2006), Joseph E. Stiglitz y consacre un chapitre qui montre que le régime actuel de
la propriété intellectuelle est déséquilibré et profite avant tout aux pays riches. C'est une
question d'équité mais aussi de survie car qui voudrait d'un monde selon Monsanto?

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