L`illustre verrerie de Charleville - Charleville

Transcription

L`illustre verrerie de Charleville - Charleville
Histoire
Histoire d’un savoir-faire traditionnel
Dessin : Olivier Gobé
L’illustre verrerie de Charleville
La transparence du verre,
son éclat, ses jeux de
lumière, conjugués à
l’aspect pratique de sa
faculté d’isolation
le distinguent des autres
matériaux et l’apparentèrent souvent au luxe.
Apparu, vraisemblablement, voici quelque 4000
ans en Égypte ou en
Mésopotamie, saviez-vous
qu’il contribua à faire
briller Charleville pardelà nos frontières ?
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N° 133 - Octobre 2009
La fabrication de verre - produit transparent
issu de la fusion d’un sable silicieux mêlé de potasse et de soude - est une tradition ancienne à
Charleville, puisqu’elle remonte à l’aube du XVIIe
siècle. En effet, en 1599, Philippe Gridolphi hérite
du muraniste Ambrosio Mongarda, originaire de
Brescia, le monopole de travailler le verre de luxe.
Dès 1601, dans la plaine d’Arches, au bord de la
route de Mézières, Philippe Gridolphi possède une
verrerie « façon Venise ».
1606 : verrerie « façon Murano »
Le 10 juin 1606, Charles de Gonzague accorde à Paul-Baptiste Padous et Barthéoloma
Colconne l’autorisation d’établir un four de verrerie
dans le village d’Arches. Ils n’obtiennent pas de
bons résultats. Leurs successeurs, Marc Collioux
et Charles-Emmmanuel Lissaint, ne font pas, non
plus, leurs preuves. Le 22 août 1612, Charles de
Gonzague révoque leur privilège et offre un nouveau contrat à un marchand de Paris, Pierre
Esberard. Ladite convention est conclue pour 20
ans et autorise Esberard à construire un four pour
produire des verres fins de bon cristal raffiné et des
verres à miroir afin de concurrencer les verres
d’Anvers et de Liège. Ainsi, en 1612, Charleville
est à l’origine de la première manufacture française de glaces ! La verrerie est sise Place
Ducale, côté Quartier Saint-Ignace, entre la rue
Sainte-Catherine – rue du Moulin – et la Cour de la
Neuville. La verrerie de cristal est localisée sur la
gravure d’Edme Moreau. En 1619, Doricq
Buisson, Antoine Masser et François de Perche,
gentilshommes verriers natifs d’Altare en Ligurie,
employés par Esberard, imitent parfaitement les
verres de Murano. En 1624, d’autres Altaristes
sont embauchés : Cristofle Delperche, Genaise
Varaldo, André Sarode, Jean Sarode, Jacques
Busart… Par ailleurs, Esberard fait venir un tiseur
de Chalon-sur-Saône : Jacques Paris. Vers 1630,
la Verrerie change de quartier puisqu’un acte –
daté de 1635 – évoque « un pavillon proche d’un
dôme, loué à Pierre Manquillet, et dénommé la
Vieille Verrerye ». En juillet 1637, au décès de
Pierre Esberard, maître de la Monnaie et de la
Verrerie de Charleville, la verrerie « façon de Venise »,
ferme ses portes durant cinq ans. En 1643-1648,
la verrerie renaît dans l’ancienne synagogue, sise
rue des Juifs, à l’initiative de gentilshommes verriers originaires d’Altare, Bernard et Sébastien
Paston. Bernard Paston ou Dagna meurt en 1664
et l’exploitation est interrompue pendant deux ans.
Charles II de Gonzague autorise par lettres rédigées de Mantoue : « Les deux gentilshommes
Bormioly et de Rougemont à continuer le travail
de la verrerie, un des plus beaux ornements de
la ville et de la principauté ». Il semble que la
production de verre en Principauté souveraine
d’Arches cesse en 1670. En 1675-1676, un marchand de Charleville, nommé Nicolas de La
Neuville, achète aux enfants d’Esberard les bâtiments de la vieille verrerie de la Place Ducale. C’est
grâce à lui, qu’une cour se nomma alors « Cour de
la Neuville » !
1863 : la verrerie des Moulinets
Aux Moulinets, surnom des petits moulins
banaux d’Arches, un certain Lionne-Laurent crée,
en 1863, une verrerie, au cœur d’un hameau rassemblant : la villa Tanton-Bechefer (future maison
de retraite créée en 1888), le cabaret du Coq
Chantant, le bureau d’octroi… L’arrivée du chemin
de fer à Charleville en 1858 donne le coup de
grâce au port carolopolitain. Les quais et leurs
entrepôts se vident. La verrerie est installée dans
un ancien entrepôt de batellerie. M. Lionne avait
d’abord fondé à Anzin, près de Valenciennes, un
commerce de faïencerie et de verrerie. Son épouse, originaire des Ardennes, souhaitait revenir vivre
dans sa patrie. En 1863, les époux Lionne-Laurent
sont donc de retour. Jusque-là, M. Lionne a vendu
des verres, maintenant, il lui faut les fabriquer ! Un
premier four et huit creusets sont mis en fonctionnement dès le début de la verrerie. Les principaux
La verrerie Lionne-Laurent fondée en 1863 (G.D.P.)
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rues
Rue Robert-Schuman
L’école de Lionne
Verres carolopolitains (G.D.P.). Le projet d’usine de
verres à vitre a avorté en 1640.
actionnaires sont les membres de la famille de
Mme Lionne-Laurent. Au début, il s’agissait de
produire des services de table et du verre blanc,
pas de vitres ni de bouteilles, rien que du travail de
gobeleterie. Lionne-Laurent sait que ce qui donne
de la valeur au verre, c’est la taille, opération très
délicate. Il fait donc venir des artistes doués et
expérimentés et leurs familles, originaires des
Vosges, du Nord, d’Alsace, de Charleroi. Par
exemple, les frères Hoffmann – Pierre, Nicolas,
François et Joseph – sont issus d’une grande verrerie alsacienne. En peu de temps, l’usine emploie
50 ouvriers… 150 personnes en 1905… Et au plus
fort de son activité, l’usine fait travailler 300 personnes.
On conserve quelques noms d’artistes tailleurs :
Rommy, Colaux, Jacob, Lamoureux. Fernand
Amand fut un excellent ouvrier graveur de 1892 à
1929. La famille Laurent possède un grand terrain
constitué de jardins entre la route de Nouzon et le
chemin de Monthermé. La terre argileuse y est
excellente pour la fabrication des briques. Pour
loger ces familles, Lionne-Laurent fait donc édifier
des cités sur le modèle des corons du Nord, le
Quartier Rouge de Bélair. Un magasin de vente est
installé dans la rue du Moulin, puis dans la GrandeRue. Un point de vente en gros ouvre dans la rue
Taine. Toutefois, 75 % de la production est écoulée dans les grands magasins parisiens.
La fanfare des verriers
Lionne crée pour ses ouvriers une excellente
fanfare : « La Moulinaise ». Les concerts et les bals
du Moulinet étaient très réputés, comme ceux de
la Saint-Laurent, jour du patron des verriers (10
août). Albert Legrand-Verdun, renommé joueur de
piston, est le chef de musique durant les premières
années. Il sera remplacé, successivement, par :
Lefebvre, Liautaud, Meunier et Crécy. La fanfare
recrute des musiciens non ouvriers à la verrerie.
Elle s’est dotée d’une éclatante bannière bleue,
ornée de broderies représentant une carafe et des
verres. La fanfare cesse son activité en 1892.
M. Lionne souhaite offrir une éducation élémentaire à ses employés. M. Albert Lefebvre, tout
frais émoulu de l’École normale, est affecté comme
instituteur à l’école annexe de la verrerie.
M . Lefebvre épousera d’ailleurs une fille de
M. Lionne-Laurent. La première rentrée scolaire
dans l’usine est organisée en octobre 1873. Albert
Lefebvre instruit les petits verriers, on les fait alors
travailler à partir de l’âge de 8 ans. Il leur dispense
deux cours par jour : deux heures le matin, deux
heures l’après-midi. Le soir, c’était le tour des
grands. L’annexe scolaire disparaît vers 1880,
lorsque fut votée une nouvelle législation qui reculait l’âge de la scolarité.
Lionne s’éloigne de la gestion de sa verrerie,
pour raison de santé, en 1882 ; il décède en 1886 ;
Mme Dewé, épouse de l’un de ses administrateurs, prend la tête de la direction quelques temps.
Puis, M. Fournier occupe le fauteuil de directeur.
Paul Lionne, fils du fondateur, devient ensuite le
dirigeant de l’entreprise. Il travaillera, par la suite,
aux verreries de Landrecies. En 1890, la Chambre
syndicale des ouvriers verriers de Charleville publie
ses statuts. Germain Bodhuin, trésorier et Joseph
Hoffmann, en sont les principaux rédacteurs. Cette
chambre regroupe 18 membres en 1892 et existe
jusqu’en 1927. La grève des tailleurs de verre en
1890 est la plus longue de toutes celles du département. Une société de secours mutuels est présidée successivement par les dénommés Romary
père (1893) et Lamoureux (1910). Le 1er juillet
1900, les verreries Joncquin de Trélon, près de
Fourmies et Sains-du-Nord, et Fournier de
Charleville fusionnent.
À la veille de la Grande Guerre, en 1914, la verrerie se trouve gérée par M. Hubaille. Durant l’occupation, l’entreprise perd son matériel, pillé par
l’occupant, et voit son personnel dispersé. Après
la libération, la verrerie « Fournier et Cie » vivote
quelques années ; le 22 décembre 1922, elle
opère un rapprochement avec la verrerie
d’Edmond Dubois de Glageon. Mais elle ne
retrouve pas son activité d’antan : elle ferme ses
portes en 1927.
Ce passé industriel, souvent méconnu de nos
contemporains, est une des multiples facettes qui
fit la richesse de notre ville.
Né à Clausen, près de Luxembourg le 29
juin 1886, de nationalité allemande jusqu’en
1918, Robert Schuman devient avocat à Metz
en 1912, il est élu député démocrate-chrétien
de la Moselle en 1919. De convictions pacifistes
et de centre droit, Robert Schuman est
constamment réélu jusqu’en 1940. Il occupe le
fauteuil de sous-secrétaire d’État au Service des
réfugiés dans les cabinets Reynaud et Pétain du
21 mars au 12 juillet 1940. Abasourdi par la
défaite, Schuman quitte son poste lors de la
naissance du régime de Vichy. Mais il a voté les
pleins pouvoirs à Pétain, le 10 juillet, ce qui lui a
valu d’être frappé d’indignité nationale, ipso
facto, à la Libération, jusqu’à ce qu’un non-lieu
ait été délivré en sa faveur, en septembre 1945,
sur intervention du général de Gaulle. Rentré à
Metz en 1940, il est arrêté par les Allemands
le 14 septembre et incarcéré à Neustadt. Il
réussit à s’évader en août 1942 et se cache
dans plusieurs monastères notamment celui de
Ligugé.
Le père de la construction européenne
Député MRP de 1945 à 1962, il est ministre
des Finances de juin 1946 à novembre 1947. Il
succède à Ramadier comme président du
Conseil de novembre 1947 à juillet 1948. Le 9
mai 1950, alors qu’il est ministre des Affaires
étrangères (1948-1952), il lance le Conseil de
l’Europe (mai 1949), puis la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), sur
une suggestion de Jean Monnet ; c’est l’embryon d’une communauté européenne à 6 États
(18 avril 1951). En mai 1952, le traité de Paris
relatif à la Communauté européenne de défense (CED) est signé ; mais la campagne anti-CED
– menée par les communistes et les gaullistes –
provoque sa démission. Président du
Mouvement européen en 1955, Garde des
Sceaux de février 1955 à juin 1956, il est le principal inspirateur du traité de Rome conclu le 25
mars 1957 prévoyant la création de la
Communauté économique européenne
(CEE). Président de l’Assemblée parlementaire
européenne de Strasbourg (1958), il continue à
se consacrer aux institutions de l’Europe, mais
se retire de la vie publique en 1962. Il décède à
Scy-Chazelles en Moselle, le 4 septembre
1963.
Gérald DARDART
Gérald Dardart
Tampon des verriers de Charleville en 1890.
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