ThoMas GUnZiG eT ManU Riche sUR Les PRéPaRaTiFs De

Transcription

ThoMas GUnZiG eT ManU Riche sUR Les PRéPaRaTiFs De
interview / FR
Un Raymond n’est
pas l’autre
C’est le documentariste Manu Riche qui a nourri l’idée de réaliser un projet autour du légendaire
entraîneur Raymond Goethals (1921-2004). Raymond devait initialement être un film. « J’avais en
tête une sorte de ‘biopic’ à la belge, pas un grand
récit mythologique de type hollywoodien, mais
une recherche des petits traits particuliers de cet
homme hors du commun », explique Manu Riche.
Enfin, au lieu d’être transposée dans un film, la vie
de Raymond sera relatée dans un monologue théâtral écrit par Thomas Gunzig. Thomas Gunzig est
connu depuis plusieurs années en Belgique francophone en tant qu’écrivain, éditorialiste et invité
régulier de programmes radio et TV. Depuis qu’il a
troqué les colonnes du journal Le Soir pour celles
du Standaard, sa notoriété progresse également
en Flandre. L’entretien avec Manu Riche et Thomas
Gunzig se base sur le texte provisoire du monologue Raymond.
Thomas Gunzig et Manu Riche sur les préparatifs de Raymond
© danny willems
– Sébastien Hendrickx
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raymond
P. 06
Manu, qu’est-ce qui vous a attiré dans le
personnage de Raymond Goethals ?
M : Comme de nombreux habitants du Limbourg,
région où j’ai passé ma jeunesse, j’ai toujours été
un supporter assidu du Standard. J’avais 18 ans en
1982, au moment où l’équipe conduite par Goethals
est redevenue championne de Belgique après une
longue période de vaches maigres. Et cela a été un
terrible choc pour moi, lorsqu’il est apparu deux
ans plus tard que le match décisif contre l’équipe
de Waterschei – soit dit en passant, une commune
voisine de celle où je vivais – avait été truqué. A
partir de ce moment-là, Goethals a été banni du
football belge en tant qu’entraîneur. Il a trouvé à se
recaser à Bordeaux avant de rejoindre Marseille, le
club où il a connu ses plus grands succès. Cette victoire, l’affaire de corruption et le bannissement qui
s’en est suivi, tout cela a pris une place importante
dans ma mythologie personnelle. Il faut dire aussi
que Goethals était une sorte de légende vivante des
deux côtés de la frontière linguistique. Il mélangeait allégrement le français et le néerlandais dans
un dialecte bruxellois savoureux. Il était le symbole
de la Belgique dans laquelle j’ai grandi et qui est en
train de disparaître – à vrai dire, c’est déjà le cas –
après toutes ces réformes de l’État.
Vos documentaires sont souvent des portraits
de dirigeants comme Fernand Huts, le
patron du port d’Anvers ou Steve Stevaert,
le responsable socialiste. L’histoire est-elle
déterminée par certaines personnalités, ou
sont-ce les faits historiques qui mettent
ceux-ci en évidence ?
M : Mes films ne sont pas tant des esquisses
psychologiques de caractères particuliers que des
portraits sociologiques, qui cherchent à montrer le
contexte dans lequel un individu déterminé fonctionne et la relation qu’il entretient avec son milieu. C’est comme ça que je me suis retrouvé dans
le monde de la politique, de l’économie, de la musique… et maintenant dans celui du sport. Non, je
ne crois pas à l’influence réelle des individus, je
suis d’avis que ce sont eux qui se laissent conduire.
Et cela vaut aussi pour les dirigeants dans mes
films. Ils entretiennent souvent l’illusion qu’ils ont
les commandes en mains, qu’ils ont la faculté de
décider. Cela touche au tragique et c’est ce qui me
fascine. On perçoit bien mieux le mécanisme ambi-
valent du pouvoir en partageant la perspective de adapter mon texte. En effet, une pièce de théâtre
l’homme de pouvoir, qu’en se plaçant du côté du su- ne repose pas sur un texte figé. Le texte est fait
bordonné, ou plus encore, de celui de la victime. Ce pour être utilisé sur scène, pour être porté par un
faisant, on voit surtout l’injustice et la souffrance, metteur en scène, un acteur, un scénographe, etc.
qui sont les effets du pouvoir.
M : Je songe à personnifier Goethals par le
biais de moyens cinématographiques. Non pas par
Thomas, dans le monologue que vous
l’image, mais bien par le son. Je vais probablement
écrivez en ce moment, vous prenez une
réaliser un montage à partir du matériel audio que
certaine distance par rapport au projet
j’ai retrouvé dans les archives. Ce serait bien d’indu documentaire initial de Manu. Votre
carner Raymond Goethals par une sonorisation qui
personnage fictif Raymond effleure à peine la
‘envelopperait’ les mots de Thomas.
biographie de Goethals. Pourquoi ce choix ?
T : Les contraintes peuvent être très stimu- Thomas Gunzig
lantes pour un écrivain. C’est pourquoi j’aime bien Thomas Gunzig (1970) est aujourd’hui un des autravailler sur commande et m’attacher au sujet teurs francophones les plus lus et les plus polyspécifique qui m’est proposé. Lorsque le KVS m’a
valents de Belgique. Outre des romans, il a écrit
contacté cet été pour me demander si cela m’inté- des nouvelles, des ouvrages pour la jeunesse, des
resserait d’écrire un monologue centré sur le per- pièces radiophoniques et des pièces de théâtre.
sonnage de Raymond Goethals, j’ai immédiatement Son œuvre littéraire a reçu plusieurs prix et a été
indiqué que j’aimais le sport, mais pas particuliè- traduite en de nombreuses langues (hélas, pas
rement le football. En fait, je ne connais pas bien encore en néerlandais). Gunzig enseigne aussi la
le sujet et la seule manière dont je pouvais réagir à
littérature dans différentes écoles supérieures, il
cette question était de me distancier quelque peu signe des chroniques et est souvent l’invité d’émisdu ‘vrai’ Goethals en inventant du neuf.
sions radio et télé de la RTBF. Depuis peu, ses chroniques paraissent dans De Standaard. Son œuvre
Quel a été votre point de départ dans la
se caractérise par une imagination puissante et un
rédaction du texte ?
humour noir.
T : Je souhaitais partir d’un moment de ‘basculement’, en quête de ce qui pourrait se révéler Manu Riche
être le fondement du mythe. Pas celui du véritable
Manu Riche (1964), documentariste, était un des
Goethals, mais celui de ‘mon’ Raymond. Ce qui a premiers collaborateurs du magazine ‘cinéma-véamené le personnage à se ruer dans l’existence rité’ Strip-Tease de la RTBF. Dans les années 90, il
avec une telle énergie et à être à ce point obsédé a produit différents documentaires indépendants
par son sujet. En effet, nous ne sommes pas pré- en coproduction avec des chaînes publiques eudestinés à devenir ce que nous sommes. Un tas de ropéennes. Début 2000, il sonde la relation entre
facteurs sociologiques, historiques, personnels… fiction et réalité dans deux films sur des icones
contribuent à nous façonner.
belges : le Roi Baudouin et Georges Simenon. Riche
est l’initiateur, le producteur et le metteur en scène
Votre monologue est construit de façon assez
de la série de documentaires Hoge Bomen (VRT &
particulière. Quelles sont les raisons qui vous
RTBF), portraits singuliers de gens de pouvoir. Acont poussé à raconter l’évolution de votre
tuellement, il termine son petit dernier, Snake
personnage sur un mode non linéaire ?
Dance, et il travaille à la préproduction du film de
T : Je considère le texte comme un objet auquel fiction Problemski Hotel.
l’écrivain peut insuffler de l’énergie par des interventions spécifiques. Dans Raymond, un certain
nombre d’éléments sont mis en place au début,
auxquels il est fait référence à plusieurs reprises
par la suite. Au fur et à mesure de la progression
du texte, j’enrichis ces éléments par un apport d’informations supplémentaires. Une touche subtile au
début peut être soulignée davantage ensuite, pour
être même présentée à la fin sous un jour totalement différent. Plutôt que de construire mon texte
linéairement, avec les causes débouchant mécaniquement sur les conséquences, j’ai préféré me
lancer dans une construction complexe, bien que
restant facilement compréhensible. En fait, c’est
comme cela que nous pensons et parlons dans la
vie de tous les jours. Nous disons quelque chose
et y revenons par la suite. La reformulation d’une
idée permet souvent de mieux faire comprendre ce
qu’on tentait d’exprimer au départ.
Dans ces conditions, le ‘vrai’ Raymond
aura-t-il encore un rôle à jouer dans
la représentation finale ?
T : Mon personnage garde bien sûr de nombreux
points communs avec Raymond Goethals. De plus,
Manu et Josse De Pauw ont une entière liberté pour
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