Lisa Huynh Van L`empire des sens - ACF-ECA

Transcription

Lisa Huynh Van L`empire des sens - ACF-ECA
Comment le réalisateur Nagisa Oshima « ne s’adresse pas au regard mais
parle en son nom » ?
Nagisa Oshima est décédé au début de cette année, le 15 Janvier 2013 laissant une
filmographie importante dont les principaux films connus du public occidental sont L’empire
des sens, Furyo et Max mon amour. Son décès récent a donné lieu à la diffusion de son film
L’empire des sens sur une chaîne publique.
Ce film L’empire des sens illustre de manière magistrale cette éthique du regard qui ne vise pas
la jouissance scopique de la complétude mais - à partir du manque - suscite le désir de savoir.
Présenté au festival de Cannes en 1976, il fit scandale par le choix de Nagisa Oshima de
réaliser un film pornographique. Ce film inspiré d'un vrai fait divers, raconte une histoire
célèbre au Japon dans les années 1930, une histoire d’amour passionnelle qui se termina par
l'arrestation de Sada Abe, retrouvée errant depuis 4 jours dans les rues et tenant à la main les
attributs de son amant.
Dans le séminaire XI, Lacan distingue et même oppose la vision et le regard : « dans le champ
scopique, le regard est au-dehors, je suis regardé, c'est-à-dire je suis tableau. »1 La schize entre
l’œil et le regard peut être repérée entre « d’un côté, l’exhibition des objets de vision selon la
Loi du cinéma pornographique », comme le note Andréa Bellavita2, c'est-à-dire les gros plans
sur les organes sexuels et les différents actes sexuels et « de l’autre côté, l’exhibition des
regards sur ces objets selon la Loi du langage cinématographique ». Ainsi, toutes les scènes
d’intimité se passent en présence d’un tiers (servante, geisha), ce qui redouble notre position
de voyeur autorisé. Et plusieurs scènes montrent la chambre de l’extérieur, le couple étant vu
par transparence des panneaux japonais des fenêtres.
Par ailleurs, ce film ne s’adresse pas au regard dans le sens d’une satisfaction, d’une
excitation comme le souligne Andrea Bellavita « mais, au contraire, pour que l’œil se ferme
et se retire. »3 Il poursuit : « Le fantasme de L’empire des sens (du film, non pas dans le film,
soit celui de Sada), c’est celui de l’aveuglement et pas celui de la castration . […] S’il y a une
attaque, s’il y a une coupure, c’est pour l’œil du spectateur (qui – en regardant de plus près –
coïncide avec sa vraie castration, avec la coupure de son phallus, et non de son pénis).»4
1
Jacques Lacan, Le séminaire livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil, Paris,
1973, p. 98.
2
Coll., Jacques-Alain Miller (Dir.), Jeanne Joucla (Coordination de la traduction), Lacan regarde le cinéma Le
cinéma regarde Lacan, ECF, Coll. Rue Huysmans, Paris, 2011, p. 110.
3
Ibid., note 1, p. 111.
4
Ibid., note 1, p. 112.
Ainsi Nagisa Oshima provoque chez le spectateur une interrogation, à chercher et aller audelà de l’évidence thématique de son film. En cela, il suscite un désir d’approfondir, de savoir
d’où les nombreux commentaires et interprétations de ce film.
Andrea Bellavista écrit que Nagisa Oshima « utilise son film, le pénis de Kichi et le regard du
spectateur pour entrer en Occident, et non pour relier son public à sa culture, à son Nom-duPère. […] pour entrer dans Paris (via Cannes), c'est-à-dire pour se présenter au ‘Discours de
l’Université’ cinématographique et occidental. », ce qui rappelle James Joyce souhaitant
donner du travail aux universitaires pendant de nombreuses années.
Enfin, Nagisa Oshima nous livre ce qui l’anime : « Je rêve depuis toujours de confondre rêve
et réalité. »5, sa solution pour représenter le Réel.
Lisa HUYNH VAN
Travail issu du Cartel ‘’Psychanalyse et cinéma à Nice’’
5
Livret du DVD ARTE VIDEO, Interview de Nagisa Oshima, 2003 Argos Films.