Magret Hoppe
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Magret Hoppe
Magret Hoppe Les images disparues , par Constanze Fritzch Née en 1981 à Greiz en Ex-RDA, Margret Hoppe dessine beaucoup pendant son enfance. L’entourage de sa mère, peuplé de d’artistes, lui donne le goût pour les odeurs de la peinture à l’huile et le mythe de la vie bohème des artistes, loin des contraintes d’une vie normale et bourgeoise. Attirée alors par ces expériences, elle décide très tôt de devenir artiste elle aussi. Elle se tourne d’abord vers les arts graphiques et plus tard, découvre la photo, à 16 ans. Après un an d’étude de philosophie et d’histoire de l’art, Margret Hoppe est admise du premier coup à la Hochschule für Graphik und Buchkunst, école des beaux-arts, de Leipzig où elle entre dans la classe de Timm Rautert qui l’acceptera également dans sa masterclass à la n de ses études. Mais au cours de cette période d’apprentissage, l’en- vie de se tourner vers les arts graphiques la saisit à plusieurs reprises. Grâce à une bourse d’un an elle étudie chez Christian Boltanski et Jean-Marc Bustamante à l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris. « Dès sa jeunesse, Margret Hoppe montre un grand intérêt pour la politique. Elle lit attentivement les journaux. Ses photos reposent sur une analyse et un traitement de l’actualité politique. qui l’entoure. L’objectif poursuivi dans son travail photographique est d’attirer l’attention sur les transformations en cours dans la société. » Die verschwundenen Bilder (Les images disparues), 2007 Après la chute du mur de Berlin entrainant la chute du régime de la RDA, les images de cette utopie disparaissent de la vie quotidienne des gens pour se retrouver détruites ou enfouies au fond de lieux de stockage et autres hangars. Sensibilisée et habituée à ses images par son enfance passée en RDA, Margret Hoppe documente cette disparition en 12 photos. On peut voir ces « traces de tableaux » à l’université de Leipzig, à Altenhain, au Musée de l’hygiène de Dresde, à l’Hôtel Astoria de Leipzig, au Gewandhaus – salle des concert – de Leipzig, au terrain de la Wismut, aux archives de l’art de la RDA à Beeskow, au Gästehaus des Ministerrats der DDR – maison pour le conseil des ministres de la RDA -, au Deutsches Historisches Museum – musée d’histoire de l’Allemagne -, et au Congress Centrum Suhl. Pourtant seulement les titres des photos rappellent que ces lieux dévastés hébergeaient des tableaux des peintres-stars de la RDA. En conséquence, c’est le vide et l’oubli qui sont retracés et la photo, témoignant nor- malement d’une présence, ne capte plus qu’une absence, une disparition.Le point de vue choisi par Margret Hoppe adoucit la dureté du registre documentaire car il n’est jamais frontal et permet d’entrer dans l’image selon un axe oblique. Au lieu de confronter le spectateur avec la thématique, Margret Hoppe cherche à le familiariser et à le sensibiliser progressivement au sujet, la signi cation se dégageant dans une démarche tâtonnante. Les lignes obliques, traversant souvent les photos, facilitent aux spectateurs un voyage et une exploration de la thématique et situation. Bulgarische Denkmäler (les monuments bulgares), 2008 Grâce à une bourse du DAAD, Margret Hoppe peut passer un séjour d’études en Bulgarie. Semblable aux « images disparues », elle déniche les traces du communisme refoulé dans 14 photos. Elle se rend donc dans les dépots et hangars où elle se voit face à des tableaux invisibles car enroulés. Les mosaïques sont dégradées et ne laissent plus que soupçonner vaguement de leur ancien éclat. Lénine est démonté et rangé dans un hangar. Beaucoup d’autres œuvres sont néanmoins encore visibles mais dans un terrible état.Grâce à une bourse du DAAD, Margret Hoppe peut passer un séjour d’études en Bulgarie. Semblable aux « images disparues », elle déniche les traces du communisme refoulé dans 14 photos. Elle se rend donc dans les dépots et hangars où elle se voit face à des tableaux invisibles car enroulés. Les mosaïques sont dégradées et ne laissent plus que soupçonner vaguement de leur ancien éclat. Lénine est démonté et rangé dans un hangar. Beaucoup d’autres œuvres sont néanmoins encore visibles mais dans un terrible état.Grâce à une bourse du DAAD, Margret Hoppe peut passer un séjour d’études en Bulgarie. Semblable aux « images disparues », elle déniche les traces du communisme refoulé dans 14 photos. Elle se rend donc dans les dépots et hangars où elle se voit face à des tableaux invisibles car enroulés. Les mosaïques sont dégradées et ne laissent plus que soupçonner vaguement de leur ancien éclat. Lénine est démonté et rangé dans un hangar. Beaucoup d’autres œuvres sont néanmoins encore visibles mais dans un terrible état. Gästehaus des Ministerrats der DDR Leipzig (Maison d’hôte du conseil des ministres de la RDA), 2007 Ce bâtiment était un des plus représentatifs de la RDA, construit a n d’accueillir les hôtes illustres du régime. La chute du régime commu- niste marque la n de l’utilisation de ce bâtiment et il est abandonné à son triste sort c’est-à-dire aux dégradations du temps. Une fois de plus les 19 photos témoignent d’une utopie morte qui se re ète dans ce bâtiment détruit et désert. VEB Spezialsportschuhe Hohenleuben, 1972 (Usine de chaussures de sport spéciales Hohenleuben), 2007 Ces 10 photos démontrent la transformation des usines après la chute du mur de Berlin. Le texte accompagnant ces photos fait pénétrer le spectateur-lecteur dans le contexte historique. « Zeha Schuhe », une ancienne usine de chaussures de sport très prisée en RDA, sera fermée au cours d’une restructuration en 1993. En 2007, un label de design berlinois s’approprie la marque et relance ces chaussures sur le marché à un prix beaucoup plus élevé. La série d’images donne sur une usine en ruine, désertée par les ouvriers qui a perdu sa fonction originelle. A la n de cette série de photos, le spectateur est témoin de l’issue de cette restructuration : sur les photos apparaissent des chaussures der- nier cri dont le texte précise qu’elles sont "made in Portugal".Presque tous les travaux de Margret Hoppe partent de sa propre histoire pour s’ouvrir sur la politique contemporaine. Elle s’est par exemple sou- vent promenée aux alentours de l’usine à Hohenleuben, près de son village natal. Ses travaux doivent être abordés principalement comme un témoignage de la transformation provoquée par la chute du mur qui a bouleversé tant de destins en Allemagne. Dans ses travaux, Margret Hoppe développe son propre langage photographique et inverse ainsi la catégorie du « ça a été » de Roland Barthes. Pour Bar- thes, une photo décrit une chose qui a été, condensant en cela le présent et le passé en un moment et donnant à voir ainsi une image vivante d’une chose morte. Au contraire, les photos de Margret Hoppe laissent entrevoir un manque, une disparition : une chose n’a pas été. La photo elle-même remplace donc le « ça a été ». Quand elle dit qu’elle fait d’une photo une image c’est qu’elle renvoie le « ça a été » au pro t de la photo qui devient l’image de ce qui n’est plus à voir. Grâce à sa manière de guider l’œil du spectateur, elle crée une photographie « unaire » selon Barthes : elle transforme emphatiquement la réalité sans la dédoubler. Ses images documentent une mémoire collective qui échoue, qui oublie et qui se nie. Selon Maurice Halbwachs la mémoire collective est portée par un groupe social sortant du même milieu. Cette mémoire collective est un ux de pensée qui vit et meurt avec le groupe duquel elle est engendrée. Pourtant en l’occurence, la mémoire collective est e acée successivement et catégoriquement non pas par la mort mais par la condamnation du groupe porteur. À l’aide de ses images, Margret Hoppe oppose sa propre mémoire individuelle, non pas pour remplacer une mémoire collective marquée par l’échec mais a n de démontrer une lancune : le vide, l’échec dans le traitement du passé et l’illusion de pouvoir s’en libérer en le refoulant. Le passé existe grâce aux images de Margret Hoppe.