Comptes et conte dans la relation de couple

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Comptes et conte dans la relation de couple
Comptes et conte dans la relation de couple
Philippe CAILLE
Philippe Caillé aborde le couple contemporain sous deux aspects : la désinstitutionalisation et
l’auto-justification. La disparition des institutions telles que les fiançailles et le mariage prive en
effet le couple d’une légitimité extérieure qui le conduit à constituer sa propre justification. C’est
au travers du « récit fondateur », ce tiers qui émane du couple lui-même et transcende le destin
de chacun, que le couple se définit et s’inscrit dans la durée.
La demande du couple en difficulté qui s’adresse au thérapeute résulte pour l’auteur d’un
estompement de ce récit fondateur. Le travail thérapeutique consiste dès lors à faire
réapparaître ce récit. Philippe Caillé remet à l’honneur le « protocole invariable » pour ce faire.
La demande du couple contemporain en difficulté
« Le conte obscurci par les comptes » reflète la nature de la demande du couple en difficulté.
Lors de la plainte, les partenaires mettent en effet en avant non pas le récit fondateur de leur
couple mais plutôt en quoi chacun s’estime lésé par l’autre.
Philippe Caillé rattache la plainte du couple à une justice de marché, à un échange commercial
avec durée limitée dans le temps. Calculette en mains, chacun mesure les inégalités et
déséquilibres dans les échanges de service et prestations : temps attribué à la relation,
disponibilité sexuelle, accomplissement des différentes tâches domestiques, accès aux
ressources financières, rapport avec les familles respectives, prise en charge des enfants. Le
partage de l’espace de vie suppose effectivement une certaine justice dans les contributions de
chacun et une certaine équité dans les bénéfices que chacun en tire.
Derrière la plainte du couple, la colère, l’angoisse et le fait de renoncer à changer de partenaire
aussi facilement traduisent cependant un manque par rapport au conte fondateur et par rapport
à un autre type de justice : la justice de solidarité ou justice systémique. Se référant au cycle du
don étudié par Marcel MAUSS chez les Maoris de Nouvelle Zélande, Philippe Caillé en reprend les
caractéristiques :
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Rapport d’échange basé sur une causalité circulaire (on donne parce qu’on pense que l’on a
reçu ou que l’on va recevoir)
Absence de limite dans le temps
Il s’explique par un facteur transcendantal
Le fait de rendre immédiatement ou d’oublier de rendre annihile le don et suscite des
réactions agressives
Un élément de confiance intervient en permanence.
Selon Philippe Caillé, aucun couple ne peut avoir de rapports féconds hors du cycle du don et ne
peut s’inscrire dans la durée sans croire en un facteur transcendant.
Aucune symbolisation commune ne s’impose clairement pour le couple contemporain. Chaque
couple doit s’en conter une, s’en inventer une. La terminologie pour désigner cette
symbolisation commune qui transcende le couple varie : au « hau » des Maoris correspond
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« l’absolu relationnel », « le tiers de la relation », « le plus de la relation » ou encore…« la
relation ».
Un cycle parallèle, néfaste, de dettes négatives, peut s’instaurer dans le couple lorsque l’attente
de recevoir se trouve pour une raison ou une autre frustrée sur une longue période de temps,
lorsque celui qui aurait dû donner ne le fait pas. On entre dans une logique de vengeance car les
comptes ne peuvent jamais s’équilibrer de façon équitable. La logique « œil pour œil et dent
pour dent » n’amène cependant jamais à l’apaisement. Le tiers est toujours actif comme une
puissance néfaste.
Le protocole invariable de thérapie de couple
Le thérapeute ne peut se satisfaire des critères extérieurs facilement observables amenés par les
partenaires ou de leur aptitude à contrôler les perturbations émotionnelles Dans le cycle du
don, comme dans le cycle de la vengeance, existe toujours un tiers qui inspire les
comportements des partenaires. La mise en route d’une dynamique de changement suppose
l’examen du dialogue que chacun entretient avec cet absolu relationnel.
L’enjeu de la thérapie de couple est donc de repérer l’« absolu relationnel » du couple,
d’examiner le rapport que chacun entretient avec cet absolu relationnel, de faire évoluer la
nature de cet absolu, de lui restituer la confiance de chacun et d’entrer ainsi à nouveau dans le
cycle du don.
Le protocole invariable imaginé par Philippe Caillé en 1982 trouve toute sa pertinence pour le
couple contemporain. Pour rappel, il s’agit d’un processus strictement établi de 10 séances
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tantôt communes, tantôt individuelles
qui comprend la prescription de tâches de changement et l’analyse des difficultés à changer
qui aborde tant les niveaux mythiques que rituels du couple.
Dynamiques de couple
L’auteur propose d’examiner les dynamiques de couple et les perspectives thérapeutiques selon
leur possibilité de dialoguer avec l’absolu relationnel. Il distingue cinq cas de figures :
1.
Dialogue possible avec l’absolu relationnel
Ces couples ne consultent pas!
2. Doute sur l’existence d’une dette positive
Situation de crise, demande de thérapie. Conviction d’une dette négative. Chacun cherche à
punir l’autre de la déception ressentie.
Il s’agit là d’un bon pronostic pour la proposition du protocole invariable. Il pourra
redonner confiance aux partenaires et les rediriger vers l’établissement d’un cycle positif.
3 Absolu relationnel abandonné depuis plus ou moins longtemps
Il subsiste juste un souvenir fragmentaire de l’absolu relationnel.
La poursuite de la thérapie du couple est alors improbable. Il est utile de proposer quelques
rituels permettant un travail de deuil autour de la perte de l’absolu relationnel (resto avec
mets préférés, photos des souvenirs les plus heureux). Le but de ces rituels est de faire
assumer la perte de l’absolu relationnel et de prévenir des vendetta inutiles.
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4.
5.
Absolu relationnel affaibli par la présence d’un quatrième
Le quatrième peut être de nature variable : une liaison engagée par un des partenaires, un
enfant d’une précédente union, une psychothérapie en cours, une maladie qui monopolise
l’attention.
Dans ce cas le protocole invariable peut être utile pour redimensionner la place du
quatrième et rendre plus clair l’absolu relationnel.
Absolu relationnel jamais créé
Un des deux partenaires fait figure d’absolu relationnel créant une relation perverse
totalement symbiotique. Il paraît logique de se libérer d’une telle relation mais cela est fort
difficile, chacun servant de béquille à l’autre et se sachant individuellement bien fragile.
Il est fréquent que le contact soit rompu dès qu’une meilleure individuation est soulevée
En conclusion
Pour Philippe Caillé, « le couple en difficulté a sous les bras un livre de comptes, mais est à la
recherche du conte qui est la raison même de son existence », « s’il y réussit, la logique du marché
sera remplacée par la logique du cycle du don ».
Philippe Caillé rappellera encore que le couple, à l’instar du dieu Janus, a deux visages et contient
le meilleur comme le pire. D’un côté, il crée l’harmonie dans la relation, il apporte la paix et la
prospérité. De l’autre, c’est le règne de la guerre et de la discorde. Pour clôturer le propos, un
conte appelé « Le don des mages » illustre la perspective du marché et la perspective du don. Il
met en scènes deux partenaires très pauvres ne pouvant s’offrir réciproquement un cadeau à la
hauteur de l’amour qu’ils se portent…
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