Interprétation des grappes d`empreintes digitales de l`ADN de

Transcription

Interprétation des grappes d`empreintes digitales de l`ADN de
INT J TUBERC LUNG DIS 3 (12): 1055-1060
© 1999 IUATLD
PRISE DE POSITION
Interprétation des grappes d'empreintes digitales de l'ADN de
Mycobacterium tuberculosis
J. R. Glynn,* J. Bauer,† A. S. de Boer,‡ M. W. Borgdorff,§ P. E. M. Fine,* P. Godfrey-Faussett,*
E. Vynnycky,* European Concerted Action on Molecular Epidemiology and Control of
Tuberculosis
*Department of Infectious and Tropical Diseases, London School of Hygiene and Tropical Medicine, Keppel St,
†
‡
London, UK ; Department of Mycobacteriology, Statens Serum Institut, Copenhagen, Denmark ; National
§
Institute of Public Health and the Environment, Bilthoven, Royal Netherlands Tuberculosis Association, The
Hague, The Netherlands
_______________________________________________________________________RESUME
Beaucoup d'études de la tuberculose ont défini des grappes de patients sur la base de types communs
d'empreintes de l’ADN dans leurs isolats de Mycobacterium tuberculosis. Un regroupement en grappes a été
considéré comme équivalent à des transmissions récentes et les facteurs associés à ce groupement en grappes ont
été recherchés comme guide de sous-groupes de population où des taux de transmission récente de M.
tuberculosis étaient élevés. Il faut prendre des précautions considérables pour mener et interpréter ces études.
Les groupes de souches peuvent être identiques pour des raisons indépendantes d'une transmission récente, et
dépendre par exemple de la stabilité du marqueur et du nombre de souches dans la population au fil du temps.
Les cas effectivement dus à une transmission récente peuvent ne pas être considérés comme appartenant à une
grappe s'il s'agit de nouveaux immigrants dans la population ou si l'ensemble des cas de la population n'est pas
inclus dans l'étude. Le nombre de grappes observées dépendra ainsi de la durée de l'étude.
Les études devraient donner des informations précises sur le cadre de l'étude, la proportion de cas inclus, la
période de recrutement et la définition utilisée pour les grappes. Les données concernant les grappes devraient
être stratifiées, au moins par âge, sexe et statut d'immigration. Pour fournir le maximum d'informations, les
études devraient impliquer une forte proportion de tous les cas d'une population, être conduites concurremment
avec des investigations épidémiologiques conventionnelles des contacts (si possible), et devraient également
fournir des informations sur l'incidence de la tuberculose dans la population, et sur l'âge, le sexe, le statut du
virus de l’immunodéficience humaine, le degré de résistance aux médicaments et les caractéristiques sociales et
ethniques des patients.
MOTS CLEFS : tuberculose ; épidémiologie moléculaire ; empreintes digitales de l’ADN ; RFLP ; transmission
LES EMPREINTES DIGITALES de l'ADN des
isolats de Mycobacterium tuberculosis sont de plus
en plus utilisées dans les études épidémiologiques.1
La plupart des études utilisent le polymorphisme
de la longueur des fragments de restriction (RFLP)
basé sur la séquence IS6110, avec ou sans sondes
complémentaires. L'Action Européenne Concertée
pour les Marqueurs Génétiques en Epidémiologie
de la Tuberculose a établi des directives pour les
techniques de laboratoire et l'analyse informatisée
de ces données.2 Les études en provenance de
nombreux pays rapportent des regroupements des
isolats en « grappes », une grappe étant définie
comme deux ou plusieurs isolats dont les
empreintes digitales sont identiques ou tout au
moins très semblables. On admet généralement que
la proportion des isolats en grappes dans une
population reflète le nombre de transmissions
récentes de M. tuberculosis (infection primaire ou
réinfection). Ceci a des implications d'une grande
portée à la fois pour la compréhension de la
tuberculose et la lutte contre celle-ci, mais la
déduction de la proportion de malades dus à une
transmission récente à partir d'une proportion brute
d’isolats en grappes est difficile et demande de la
prudence. Il y a lieu de se demander non seulement
Correspondance à : Dr Judith Glynn, Infectious Disease Epidemiology Unit, Department of Infectious and Tropical
Diseases, London School of Hygiene and Tropical Medicine, Keppel St, London WC1E 7HT, UK. Tel: (+44) 171 927
2423. Fax: (+44) 171 436 4230. e-mail: [email protected]
[Traduction de l'article " Interpreting DNA fingerprint clusters of Mycobacterium tuberculosis " Int J Tuberc Lung
Dis 1999; 3 (12): 1055-1060.]
2
The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
dans quelle mesure le regroupement en grappes
représente une transmission récente, mais aussi
dans quelle mesure l'estimation du regroupement
en grappes est fiable et dans quel segment de la
population les cas sont apparemment regroupés en
grappes. Ces problèmes sont discutés dans cet
article qui délimite en outre les facteurs qui
devraient être pris en compte par ceux qui mènent
et interprètent des études d'empreintes digitales de
M. tuberculosis dans les populations, au nom de
l'Action
Concertée
Européenne
pour
l'Epidémiologie Moléculaire et la Lutte contre la
Tuberculose.
LE REGROUPEMENT EN GRAPPES
IMPLIQUE-T-IL UNE TRANSMISSION
RECENTE ?
Dans certaines études, il a été possible d'établir des
liens épidémiologiques entre les cas regroupés en
grappes : dans ces circonstances, il est raisonnable
d'admettre que les cas font partie de la même
chaîne de transmission, soit directement soit
indirectement (à partir d'origines communes).3,4
Pour d'autres grappes, l'on n'a pas trouvé de liens
épidémiologiques.5 Ceci est dû en partie au fait
qu'il est impossible d'établir toutes les connexions
entre les personnes, mais ce fait pourrait aussi
refléter l'importance des contacts épisodiques dans
la transmission de M. tuberculosis.6 Que des
contacts apparemment épisodiques puissent être
suffisants pour transmettre l'infection n'est pas
étonnant et ne dénie pas les risques accrus et bien
établis de transmission de M. tuberculosis pour
ceux qui sont en contact étroit ou prolongé avec les
cas à bacilloscopie positive : beaucoup de
personnes exposées à un petit risque peuvent
rendre compte d'un plus grand nombre de cas qu'un
petit nombre de personnes exposées à un grand
risque.7 Toutefois, il faudrait aussi prendre en
considération d'autres raisons potentielles de
regroupement en grappes.
Un regroupement apparent en grappes peut être
observé entre des individus qui n'ont pas eu de lien
direct récent ou de contacts communs, mais pour
lesquels il y a eu un lien à un moment donné du
passé et chez lesquels la réactivation de ces vieilles
infections est survenue par hasard à peu près au
même moment. Ceci peut sembler improbable
mais a été signalé de façon anecdotique ;5 la
fréquence dépendra du nombre de souches
différentes circulant dans le passé dans une zone
déterminée et du nombre de personnes infectées
par chaque cas infectieux. Au Danemark, la
présence de deux très larges grappes dans la
population au cours du début des années 1990 est
susceptible de provoquer à l'avenir le
regroupement en grappes de cas de réactivation.8
Si un petit nombre de souches sont
prédominantes pendant une longue période de
temps, le regroupement en grappes ne peut pas être
inter prété
comme
correspondant
à
une
transmission récente. La variation de souches
observée dans une population reflète le nombre
d'introductions de M. tuberculosis dans la
population (énormément en Europe au cours de
nombreux siècles et relativement peu dans
certaines parties d'Afrique) ainsi que la stabilité et
la relative bonne santé des souches. Un plus petit
nombre d'introductions de M. tuberculosis peut
expliquer l'homogénéité relative des isolats,
observée en Ethiopie et en Tunisie, par
comparaison avec les Pays Bas.9 Au contraire, la
présence dispersée de la famille de souches
« Beijing » en Asie est susceptible d'être due à la
stabilité de ce type ou à la relative bonne santé de
la souche.10 Dans ce contexte, il est intéressant
qu'une souche impliquée dans une large épidémie
se soit avérée particulièrement virulente dans le
modèle murin, ce qui reflète peut être un potentiel
élevé de transmission.11
Certaines questions restent encore non résolues
concernant la stabilité des « souches ». Les taux de
modification des marqueurs moléculaires ont été
décrits vaguement en terme « d'horloge
moléculaire » par analogie avec les termes utilisés
pour décrire l'évolution moléculaire des protéines.
Toutefois, nous ne connaissons ni la vitesse de
l'horloge moléculaire, ni la constance des différents
systèmes de marqueurs utilisés, ni le nombre et la
fréquence relative des types possibles. Des types
persistants d'empreintes digitales IS6110 ont été
démontrés après passage en série in vitro, ainsi que
chez des patients où M. tuberculosis se trouvait à
divers sites de l'organisme et encore au sein de
familles où la transmission est probable.12 Dans
certaines familles toutefois, on a noté de petites
modifications du type de bandes, compatibles avec
une évolution de la souche.12,13 Certaines études
ont investigué la stabilité des empreintes digitales
chez les patients qui gardent des cultures positives
ou dans des rechutes, et l'on a calculé une demi-vie
de modification comme étant de 3,2 années
(intervalle de confiance à 95% 2,1-5,0).13-15 La
stabilité mesurée dans ces circonstances peut ne
pas être la même que celle observée lors d'une
transmission de personne à personne. Une étude
internationale de collaboration est actuellement en
cours pour apprécier la stabilité des types IS6110
chez les mêmes individus et entre les individus
ayant
des
connexions
épidémiologiques
prédéfinies.
L’interprétation des grappes d'empreintes digitales
Pouvons-nous accepter que deux souches
identiques aient une origine commune (même
lointaine), ou peuvent-elles résulter seulement de
l'effet du hasard ? On peut s’attendre à ce que deux
types de RFLP comportant un petit nombre de
bandes soient plus susceptibles d'être identiques
par le fait du hasard, et il a été démontré, au sein
d'un population donnée, qu'ils sont plus
susceptibles de former des grappes et moins
susceptibles
de
présenter
des
liens
épidémiologiques démontrables entre les cas
constitutifs de la grappe que ne le sont ceux qui
comportent de nombreuses bandes.5,16 Les grappes
reposant sur la similitude de bandes multiples
peuvent elles aussi être divisées en sous-grappes
par l'utilisation de systèmes de marquage
secondaire. Dans une étude en Afrique du Sud, des
liens épidémiologiques entre les cas ont pu être
démontrés au sein de sous-grappes définies par
IS6110 auquel on avait ajouté un marqueur
secondaire, mais non entre les sous-grappes ellesmêmes malgré la présence de types IS6110
communs.17
La probabilité que des souches vraiment sans
relation aient des types identiques sur base
d'IS6110 sera influencée par le nombre possible de
types de bandes et par l'existence de points chauds
pour l'insertion. Les points chauds pourraient
refléter les sites favoris d'insertion (sites qui sont
relativement stables après survenue de l'insertion)
ou des sites où l'insertion confère quelques
avantages sélectifs. Malgré la description jusqu'à
ce jour de plusieurs milliers de types différents,
l'existence de points chauds semble démontrée à la
fois dans les études RFLP et dans les séquençages.
Jusqu'ici, les études comparant les types de bandes
donnent un poids égal à toutes les positions de
bande : ceci pourrait toutefois ne pas être adéquat
si les points chauds s'avèrent importants.
APPRECIATION QUANTITATIVE DU
REGROUPEMENT EN GRAPPES
Les problèmes qui viennent d'être évoqués rendent
une interprétation correcte du regroupement en
grappes très difficile ; celle-ci est particulièrement
laborieuse en l'absence d'informations sur les
patients et sur les liens épidémiologiques qui les
relient. En outre, une quantification globale des
groupements en grappes dans une population,
même si elle était le témoin authentique d'une
transmission récente, nous donne seulement une
partie de l'information que pourraient fournir les
études d'empreintes digitales. Nous devons savoir
qui est inclus dans l'étude, comment est défini le
regroupement en grappes et comment varie la
3
proportion de cas regroupés en grappes dans les
différents groupes de population.
QUI EST INCLUS ?
Identification
Il est important de savoir où et comment les cas ont
été sélectionnés. Reflètent-ils un dépistage intensif
dans une localité particulière, ou bien une sélection
aléatoire d'isolats dans un laboratoire national de
référence, ou encore l'ensemble des isolats dans
une certaine région au cours d'une certaine
période? Ces conditions auront un grand impact
sur la proportion d'isolats dont on attend qu'ils
soient regroupés en grappes. Le dépistage des
contacts augmente le degré de regroupement en
grappes ; le comportement de recours aux soins va
varier entre différents sous-groupes d'une
population, ce qui peut conduire à ce que certaines
grappes soient plus susceptibles d'être identifiées
que d'autres.
Même pour les études qui tentent d'inclure
« tous » les cas, nous devons savoir quelle est la
proportion de l'ensemble des cas de tuberculose
diagnostiqués qui finissent par arriver dans l'étude
et le caractère plus ou moins complet du dépistage
dans la région. Une identification incomplète et
aléatoire des cas va diminuer le degré de
regroupement en grappes.20 Quand la proportion de
cas de tuberculose dans la population inclus dans
l'étude diminue, la proportion d'isolats identifiés
comme regroupés en grappes diminue elle aussi.
Le degré de sous-estimation du regroupement en
grappes est en relation inverse avec la taille des
grappes, c'est à dire qu'il est important si les tailles
des grappes concernées sont petites. Les études de
simulation ont estimé que les proportions de
regroupement en grappes calculées à partir des
études de population à San Francisco4 et à
Capetown21 pourraient avoir été sous-estimées
respectivement de 10 et de 25%.20
Définition des cas
Habituellement, la plupart des isolats proviennent
de l'expectoration, mais les isolats provenant
d'autres sites organiques sont également
intéressants
(par
ex.
pour
les
études
d'organotropisme et de surinfection). Puisque le
degré de contagiosité doit influencer la tendance
d'un cas à se trouver dans une grappe (sous forme
de cas index) les études devraient préciser quelle
proportion de cas inclus correspond à des atteintes
pulmonaires et quelle est la proportion de cas à
bacilloscopie positive. Pour la plupart des types
d'étude, un seul isolat devrait être inclus par patient
4
The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
: l'inclusion d'isolats multiples par patient
augmentera le degré apparent de regroupement en
grappes.
Les mesures prises pour exclure des grappes qui
seraient en fait dues à des contaminations croisées
de laboratoire devraient être précisées. Il y a lieu
de soupçonner une contamination croisée chez les
patients dont une seule culture est positive, et a une
empreinte digitale d'ADN identique à d'autres qui
ont été manipulées dans le même laboratoire
pendant la même période de temps. Cette
contamination croisée est particulièrement
probable si l'évolution clinique n'est pas cohérente
avec une tuberculose et si les frottis
d'expectoration sont négatifs.22-24 Des études aux
Etats Unis ont estimé que les taux de cultures
faussement positives vont de 2 à 4%.4,22-24 On peut
s'attendre à des taux plus élevés dans les
laboratoires où la proportion d'échantillons traités
et effectivement positifs pour M. tuberculosis est
plus élevée que dans les conditions prévalant aux
Etats Unis.
Zone géographique
Les caractéristiques de la zone couverte par l'étude
sont importantes pour estimer le caractère complet
de l'échantillon de patients inclus (par exemple :
tous les patients tuberculeux de la population en
question fréquentent-ils l'hôpital siège de l'étude ?)
et aussi parce que l'immigration et l'émigration à
partir de la zone sont susceptibles de contribuer de
façon majeure à l'importance de la diversité
observée. On devrait s'attendre à moins de
regroupements en grappes dans une ville où les
flux de population sont rapides que dans une
communauté stable et isolée. Le regroupement en
grappes observé dans ces populations devrait
également être interprété de manière différente. Par
exemple, des souches uniques chez des immigrants
vers une communauté peuvent être survenues à la
suite d'une transmission récente en dehors de cette
communauté, alors que des souches regroupées en
grappes dans une communauté stable peuvent
refléter une réactivation de souches qui y
circulaient de nombreuses années auparavant.
Période d'observation
Il y a lieu de signaler la période pendant laquelle
les isolats ont été obtenus auprès des patients. La
proportion regroupée en grappes au sein de
n'importe quelle population unique augmentera
nettement avec l'augmentation de durée de l'étude,
finalement jusqu'à un certain plateau déterminé en
partie
par
l'horloge
moléculaire.20
Une
augmentation de la proportion regroupée en
grappes avec l'augmentation de la durée de la
période d'observation a été démontrée de manière
empirique aux Pays Bas. La proportion de cas
regroupés en grappes au cours d'une période de 3
mois était de 20%, mais le pourcentage cumulatif
des regroupements en grappes monte à plus de
40% sur une période de 2,5 ans et à plus de 45%
sur 5 ans.25 L'absence d'information sur la période
d'observation
rend
les
pourcentages
de
regroupement en grappes ininterprétables, et plus
cette période augmente, plus l'interprétation des
regroupement en grappes comme signifiant une
transmission « récente » se modifie.
Définition du regroupement en grappes
La plupart des études ont défini les patients comme
étant « regroupés en grappes » s'ils partagent un
type RFLP IS6110 identique. Des études récentes
ont utilisé des systèmes de marquage secondaire
pour les isolats comportant moins de cinq bandes
sur le système IS6110. 5,16 Il a été suggéré que
même ceux qui ont plus de cinq bandes peuvent (et
devraient) être divisés davantage par l'utilisation
d'un second marqueur.16,17 Parfois les souches sont
considérées comme regroupées en grappes même
si le type d'empreintes digitales diffère d'une
bande.26 Dans une étude à Denver, une deuxième
technique (basée sur la séquence polymorphique
riche en guanine-cytosine, PGRS) a été utilisée
pour les grappes basées sur des empreintes
digitales IS6110 de plus de cinq bandes. Des
résultats discordants avec la seconde technique ont
été trouvés chez 67% des grappes d'IS6110 dans
lesquelles les paires différaient l'une de l'autre par
une seule bande, par comparaison avec les 16% de
discordances observées dans les souches dont les
empreintes digitales IS6110 étaient identiques.16
Quelle que soit la méthode utilisée, elle devrait être
précisée clairement. En général, plus les critères
sont lâches plus grande est la chance de détecter
des grappes et plus grande est la proportion de
souches regroupées en grappes, mais aussi plus
basse est la probabilité qu'une grappe représente
des souches en relation épidémiologique. A
Denver, l'estimation de la proportion de grappes
basée sur l'IS6110 avec exclusion des seules
souches à bande unique était de 31%. L'utilisation
du PGRS pour toutes les souches regroupées en
grappes a réduit le taux de regroupement en
grappes à 19%.16
Décomposition des données
Une estimation globale du regroupement en
grappes, même si elle est précise, ne fournit qu'une
information limitée. On peut en apprendre bien
davantage si l'on considère le degré de
L’interprétation des grappes d'empreintes digitales
regroupement en grappes dans différents segments
de la population ainsi que les facteurs qui
influencent la quantité de regroupements observée.
Age et sexe
Il est extrêmement important d'enregistrer l'âge
puisque la proportion de maladies attribuables à
une réactivation endogène s'élève avec l'âge. Le
déclin prévu dans la proportion de cas regroupés en
grappes avec l'augmentation de l'âge a été
clairement observé au Pays Bas et au Danemark.8,25
Parmi les populations autochtones hollandaises et
danoises, la proportion regroupée en grappes était
supérieure à 60% chez les jeunes adultes et de
moins de 30% chez les sujets âgés. Idéalement, les
données des grappes devraient être présentées
stratifiées par âge. L'incidence de la tuberculose
varie aux différents âges selon le sexe, en sorte
qu'il faut s'attendre également à des différences
selon le sexe dans la proportion des cas regroupés
en grappes. Tant dans les études hollandaises que
danoises, la proportion regroupée en grappes est
plus élevée chez les hommes que chez les
femmes.8,25
Le virus de l'immunodéficience humaine (VIH)
On a noté une augmentation du regroupement en
grappes parmi les sujets tuberculeux infectés par le
VIH dans certaines études4,27 mais pas dans
d'autres.6,25,28 Une fois infectés par M. tuberculosis,
les individus infectés par le VIH ont un risque plus
élevé de progression vers la maladie et une période
d'incubation plus courte que les individus VIHnégatifs.29 Ceci est vrai tant pour les infections
récentes que passées par M. tuberculosis, mais pas
nécessairement au même degré. Une augmentation
de la maladie parmi les individus infectés par le
VIH aurait tendance à augmenter le regroupement
en grappes si elle est attribuable à une infection
récente, alors qu'une augmentation des maladies
dues à une infection ancienne la diminuerait. La
pondération de ces deux effets sur le niveau de
regroupement en grappe observé dépendra de
l'effet relatif du VIH sur les deux risques de
maladie ainsi que de la proportion d'individus
VIH-positifs déjà infectés par M. tuberculosis.
Toute différence de contagiosité des sujets VIHpositifs et VIH-négatifs atteints de tuberculose
influencera également le regroupement en grappes
puisqu'elle détermine le risque d'être un cas index
dans une grappe.29 Ces patients infectés par le VIH
peuvent également encourir un risque élevé de
nouvelles infections par M. tuberculosis en raison
de leurs contacts fréquents dans les institutions de
soins et là où une augmentation du regroupement
en grappes est décelée chez les patients VIH-
5
positifs, cela peut suggérer une transmission
nosocomiale.
Groupe socio-ethnique
Dans la plupart des populations, la tuberculose est
une maladie des pauvres et des minorités. Ceci se
reflètera dans les types de transmission au sein de
ces groupes et pose des questions au sujet de la
transmission à l'intérieur et à l'extérieur de ceux-ci.
Un index de transmission a été défini comme le
nombre moyen de cas de tuberculose pulmonaire
positive à la culture résultant à court terme
directement et indirectement d'un seul cas index. Il
a été estimé, en se basant sur les types de
regroupement en grappes et sur le risque calculé,
que chaque individu est le cas index d'une grappe
donnée.30 En utilisant cette méthode, on a calculé
un index de transmission plus élevé pour les noirs
que pour les blancs à San Francisco.31
Immigration et pays d'origine
Dans beaucoup de pays industrialisés, une large
proportion des cas de tuberculose sont des
immigrants récents. La quantité de regroupements
en grappes observés parmi les immigrants
dépendra entre autre chose de la diversité de leur
origine, de la variabilité des souches de tuberculose
dans leurs pays, de leur nombre et du délai depuis
l'immigration. Certains groupes d'immigrants
peuvent partager des souches acquises dans des
cadres où la transmission de M. tuberculosis est
très fréquente, comme les camps de réfugiés et de
transit. L'apparition de grappes communes aux
immigrants et à la population indigène dépend du
délai depuis leur arrivée et reflète le degré
d'intégration sociale.30
Résistance aux médicaments
Vu l'intérêt évident en matière d'épidémiologie des
maladies à souches résistantes aux médicaments, il
serait utile de fournir une décomposition des
données de regroupement en grappes selon la
résistance aux médicaments, si cette information
est disponible. Ceci aidera à distinguer entre les
échecs actuels et passés dans la lutte contre la
tuberculose et permettra de suivre à la trace le
mouvement des souches résistantes.
Période de temps et distribution des tailles des
grappes
Tout comme la fenêtre de temps global doit être
enregistrée, dans les études importantes
l'augmentation de la proportion des cas regroupés
en grappes en relation avec les périodes de temps
peut être déterminée. La distribution des tailles des
grappes reflètera les types de dispersion de la
6
The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
maladie, la présence de souches dominantes dans
une collectivité et l'influence éventuelle de
l'échantillonnage sur la proportion de souches
regroupées en grappes.
Incidence
Les données sur le regroupement en grappes dans
les populations et les comparaisons entre des sousgroupes de population sont les plus porteuses
d'informations si les taux d'incidence de la
tuberculose sont considérés simultanément. Par
exemple, une chute dans la proportion de cas
regroupés en grappes en fonction de l'âge peut être
due principalement à une incidence plus élevée de
tuberculose due à des souches différentes dans les
âges plus avancés que chez les plus jeunes (comme
cela a été observé dans la population hollandaise
indigène des Pays Bas) ou par contre à une
incidence plus basse de tuberculose regroupée en
grappes parmi les âges les plus élevés que parmi
les plus jeunes (comme cela a été observé dans la
partie non hollandaise de la même population).
L'interprétation correcte de la proportion de cas
regroupés en grappes selon l'âge est dès lors
différente pour les deux groupes.25
Information provenant d'études épidémiologiques
parallèles
Nous nous sommes concentrés sur les données qui
devraient être recueillies et présentées dans ces
études, mais l'analyse et en particulier
l'identification et l'interprétation des « facteurs de
risques pour le regroupement en grappes » doit
également être soigneusement faite. Les méthodes
statistiques généralement utilisées ignorent le fait
que les individus au sein d'une grappe ne sont pas
indépendants. Ceci pourrait conduire à des
réponses trompeuses. Par exemple, la présence
d'une grande grappe résultant d'une épidémie de
tuberculose dans une maison de repos pour
personnes âgées pourrait conduire à la conclusion
que le fait d'être âgé soit identifié comme un
facteur de risque pour le regroupement en grappes.
Une telle conclusion serait fallacieuse : quoique
dans cette étude une large proportion de patients
âgés se retrouve en grappes, ceci pourrait reposer
complètement sur une seule grappe et le vrai
facteur de risque serait la résidence dans la maison
de repos pour vieillards. Les techniques statistiques
qui donnent un poids réduit à la contribution des
plus grandes grappes pourraient être employées
dans de telles circonstances. Il est toutefois plus
important d'examiner les données et d'étudier qui
est regroupé avec qui, et si possible considérer ces
données en conjonction avec l'information
provenant
d'investigations
épidémiologiques
conventionnelles. Se rendre compte que la majorité
des individus âgés qui était regroupés en grappes
appartenait à une seule grappe pourrait en soi
suggérer une cause commune et établir le lien avec
la maison de retraite home pourrait conduire à une
interprétation correcte.
Quand on apprécie l'importance de cadres
particuliers (tels que les prisons) comme lieux de
transmission, les analyses peuvent classer les
personnes uniquement selon que oui ou non elles
ont été présentes dans ce cadre et selon qu'elles
sont ou non porteuses d'une souche au sein d'une
grappe. Toutefois quelques uns des individus
classés comme regroupés en grappes peuvent être
reliés au cas en dehors de ce cadre et il est plus
adéquat de n'inclure comme regroupés en grappes
que les individus dont les souches sont regroupées
en grappes avec d'autres provenant du même cadre.
A nouveau, une investigation sur les liens
épidémiologiques devrait être exigée.
CONCLUSIONS
Afin de maximiser l'utilité de l'information à
obtenir, nous encourageons ceux qui envisagent de
telles études sur l'épidémiologie moléculaire de la
tuberculose à considérer les différents problèmes
en rapport avec le regroupement en grappes. Le
minimum absolu d'informations nécessaires est la
vérification des cas, la définition des cas, la zone
géographique, la période de temps, la définition du
regroupement en grappes, la distribution de taille
des grappes. Ces données devraient être
décomposées au moins pour l'âge, le sexe et le
statut d'immigration.
Adhérer à ces directives est essentiel pour
optimiser le contenu de l'information et
l'interprétation des études d'épidémiologie
moléculaire. Les études qui ne fournissent pas les
informations de base recommandées ici ne
contribueront pas à l'effort de compréhension et de
lutte contre la tuberculose et pourront même être
fallacieuses ou nuisibles.
Remerciements
Nous sommes reconnaissants à Jan van Embden d'avoir mis en
route cette Action Concertée Européenne . Nous remercions
Nico Nagelkereke de ses commentaires sur un avant-projet
précédent du manuscrit. JRG a bénéficié de subsides du
British Department for International Development et EV de
subsides du British Medical Research Council.
Cet article a été écrit au sein du projet EU BMH4-CT972102, Action Concertée sur l'Epidémiologie Moléculaire et la
Lutte contre la Tuberculose, financé par la DG-XII .
Références
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