Télécharger le n°25 André. L

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Télécharger le n°25 André. L
TECHNIQUE
André L, nouveau
sablier de l’armement
rodelais DTM
L
Par Jean-François Durand
Avec le cargo sablier André L, livré le 15 septembre dernier par le chantier néerlandais
Barkmeijer, l’armement rochelais DTM vient
de se doter d’un outil moderne et polyvalent
conçu dans le but d’optimiser les temps de
rotation entre les sites d’extraction et les
ports à marée de la façade Atlantique.
e cargo sablier est un navire
curieux, en ce sens qu’on peut
le considérer comme l’inverse
d’une drague : au lieu de draguer
des zones portuaires et d’aller brièvement rejeter son chargement en
mer, le sablier passe la majorité de
son temps en mer, en chargement
et en transit, et fréquente les ports
pour y décharger le plus rapidement
possible une cargaison “noble” car
valorisée. Un bon comportement à
En mer, le 14 juillet
2005, premiers
essais de dragage.
L’élinde est à l’eau, on
distingue le chemin de
câbles d’alimentation
de la pompe de
dragage immergée.
(Photo Cdt. Guillou)
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TECHNIQUE
la mer est donc primordial, ce qui
explique que de nombreux sabliers
sont issus de la transformation de
cargos1.
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Dans l’optique du remplacement
du vieillissant Pertuis II (voir encadré),
DTM a donc logiquement spécifié un
navire “marin”, avec carène assez pro-
fonde, à une ligne d’arbres, et francbord élevé. La recherche d’une vitesse
plutôt élevée pour ce genre de navire
(13 nœuds) combinée avec un port
en lourd important a conduit à l’adoption d’une carène très travaillée, qui
se caractérise par une bulbe d’étrave
impressionnant.
Le puits, totalement ouvert en partie supérieure, est bordé par une double coque et un double fond, et offre
ainsi des parois internes parfaitement
lisses afin d’éviter toute rétention du
sable. Le tiers inférieur du puits est
divisé en quatre tranches en forme de
trémie, qui convergent en partie basse
vers des portes de fond permettant
le clapage de la cargaison. Cette dernière opération est évidemment peu
souhaitable en exploitation “sablier”,
mais cela donne au navire une très
grande polyvalence qui lui permet de
“jouer à la drague” dans le cadre d’affrètements ponctuels d’entretien de
chenaux. La partie bâbord des double
fonds est ballastable, afin de compen-
ser le poids de l’élinde, située à tribord.
Une pompe de dragage
immergée
Le chargement s’effectue en effet
au moyen d’une élinde traînante (diamètre de tube 600 mm) pouvant aspirer à une profondeur maximale de 40
m. Cela commence à faire beaucoup
pour une pompe située sur le navire,
aussi la pompe de dragage est immergée, à mi-longueur de l’élinde.
Elle est entraînée par un moteur électrique de 550 kW, lui aussi immergé.
L’élinde est mise à l’eau par trois bossoirs hydrauliques commandés depuis la passerelle, la tension du câble
du bossoir arrière étant contrôlée en
permanence par un compensateur de
houle hydraulique. La mixture est refoulée dans le puits au moyen d’une
conduite située dans l’axe en partie
haute, sous le passavant. Des vannes
guillotines à commande hydraulique
permettent de répartir le sable de la
manière la plus uniforme possible.
L’eau est évacuée au moyen de deux
déverses (une à l’avant, une à l’arrière) dont la hauteur est réglable hydrauliquement.
Lorsque le puits est rempli, on
procède à son assèchement via des
tuyaux poreux situés dans la partie haute des trémies. Cela permet
d’éviter de transporter de l’eau, et de
maximiser le chargement en sable. Le
déchargement s’effectue lui aussi au
moyen d’une pompe centrifuge à entraînement électrique (moteur asynchrone Leroy Somer de 1700 kW) à
vitesse variable par convertisseurs
PWM Vacon. Elle aspire en partie
basse des trémies, par des ouvertures qui convergent vers un collecteur
courant dans la double coque tribord.
Pour faciliter l’aspiration, on dilue le
sable en injectant de l’eau de mer au
moyen de la pompe “jet” (utilisée en
dragage pour l’adduction d’eau au
bec d’élinde) par l’intermédiaire de
deux réseaux de collecteurs équipés
de buses, ceinturant les zones haute
et basse des trémies.
Le sable est dirigé vers la conduite
centrale du puits (celle qui sert à son
remplissage), jusqu’à un bras de déchargement orientable, lui aussi télécommandé depuis la passerelle.
On peut aussi diriger le sable vers
l’étrave, où il est possible de connecter un flexible, ou encore de faire du
“rainbowing”. Cette opération consiste à diriger le jet vers le haut au
moyen d’un raccord cônique, de manière à propulser le sable le plus loin
possible de l’étrave, lorsqu’il s’agit de
ré-ensabler une plage, par exemple.
La plus grande partie du matériel
de dragage a été fourni par la société spécialisée Damen Dredging
Equipment (ex-de Groot-Nijkerk),
à l’exception du bras de déchargement (Sté Lecamus, La Rochelle) et
de la connexion d’étrave (E & S).
Quant à l’installation hydraulique,
elle a été fournie et installée par la
société Hycom.
Mise à l’eau de
l’élinde.
Une gestion d’énergie
optimisée
La conception de la propulsion de
l’André L est étroitement liée aux contraintes de la fonction dragage. Ainsi,
le moteur principal Wärtsilä 6L32
(3000 kW à 750 t/mn, fonctionnant
au Marine Diesel Oil) entraîne à 180
t/mn une hélice à 4 pales orientables en tuyère via un réducteur, mais
aussi un énorme alternateur attelé
de 2400 kW. Ce dernier, situé sur le
bout d’arbre avant du moteur, doit
en effet pouvoir entraîner la pompe
de dragage, la pompe jet ainsi que
les autres consommateurs du bord. A
l’arrivée au port de déchargement, on
débraye le moteur principal, lequel
continue à tourner pour subvenir aux
besoins en énergie du déchargement.
En cas d’avarie ou de maintenance
sur le moteur principal, le navire
peut atteindre la vitesse de 9 nœuds
en embrayant un moteur électrique de propulsion de secours ABB
1 Le transport maritime reste
l’activité majeure des navires sabliers opérant sur la
façade occidentale, compte
tenu de la distance entre les
gisements autorisés et les
ports de déchargement.
En cours de
chargement.
(Photo JF Durand)
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TECHNIQUE
Remontée de l’élinde.
(Photo Cdt. Guillou)
L’André L,
en fin de chargement.
(Photos Cdt. Guillou)
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de 875 kW. Ce moteur est alimenté
par le groupe électrogène auxiliaire
composé d’un moteur Diesel Wärtsilä
6L20 de 1080 kW, et d’un alternateur
ABB.
Au mouillage, un groupe électrogène Sisu/Stamford de 150 kW, situé
sur le pont principal arrière tribord,
suffit à assurer les besoins du bord. Il
sert également de groupe de secours.
L’André L est donc un navire aux
fonctions électriques importantes (le
fournisseur-ensemblier est la société
néerlandaise Alewijnse), ce qui permet de limiter le nombre de moteurs
Diesel (souvent un par fonction sur
les dragues et sabliers), donc la maintenance, sans pour autant opter pour
une onéreuse propulsion Diesel-électrique.
A pleine charge, la vitesse en service du navire dépasse 13 nœuds.
Une excellente manoeuvrabilité est
conférée par un gouvernail à aileron
articulé Rolls-Royce Ulstein avec appareil à gouverner rotatif Rolls-Royce
Tenfjord, ainsi que par un propulseur
d’étrave en tunnel Wärtsilä, entraîné
par un moteur électrique à vitesse variable de 400 kW.
Parmi les principaux auxiliaires
machine, on peut citer les deux séparateurs à huile et MDO Alfa-Laval
MMPX 403 (850 l/min chacun), les
deux compresseurs d’air Atlas Copco (2 x 30 m3/h à 30 bar), le séparateur d’eaux mazouteuses Turbulo
(2,5 m3/h), l’unité de traitement des
eaux usées Biocompact, et le générateur d’eau douce par osmose inverse
Drema (6 m3/jour). La plupart des
Vue générale du
compartiment
machine, avec le
moteur principal à
tribord, et le groupe
électrogène à bâbord.
(Photo JF Durand)
pompes du compartiment machine
sont de marque Azcue. La conception
de détail ainsi que l’installation des
équipements et tuyautages machine
ont été réalisés par la société Wolfard
& Wessel.
Les emménagements, spacieux et
confortables, permettent de loger 9
personnes en 7 cabines individuelles
(4 pour officiers, 1 pour armateur) et
une cabine double. Toutes les cabines
disposent d’un bloc sanitaire individuel en résine construit par Baudet
Composites. Un mess commun est
situé sur pont principal, à proximité
de la cuisine et de la cambuse. Sur le
même pont, un vestiaire sert de “sas”
entre les emménagements et le compartiment machine. Une installation
centralisée d’air conditionné Recoma
dessert tous les niveaux des emménagements.
La timonerie panoramique comprend un pupitre central “navigation”
avec une collection d’écrans plats
TFT (deux pour les radars, un pour
le système de navigation MaxSea, et
un pour le système d’automatisation),
la barre, le pilote automatique, les
commandes de propulsion, une VHF,
etc. A tribord, on trouve un pupitre
dédié au dragage, qui regroupe les
combinateurs de commande des bos-
Le moteur électrique
et le réducteur
de la pompe de
déchargement,
avec à droite le
moteur électrique du
propulseur d’étrave,
et à gauche en bas le
moteur électrique de la
pompe “jet”.
(Photo JF Durand)
soirs d’élinde, les cadrans de contrôle
des pompes de dragage, de déchargement et “jet”, l’écran d’automatisation permettant de télécommander les
pompes et les vannes, un synoptique
“dragage” séparé sur pupitre, ainsi
que les écrans de surveillance de la
position d’élinde et d’indication des
tirants d’eau. Ce pupitre comprend
également l’indicateur de débit et
de concentration de mixture, et une
commande déportée de la barre et du
pas d’hélice. Cela permet à un seul
homme de contrôler simultanément la
navigation et le dragage, d’autant plus
aisément que deux écrans répétiteurs
de radar et de système de navigation
sont disposés sur un dosseret séparant la zone “navigation” centrale et
La pompe de
déchargement.
(Photo
JF Durand)
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TECHNIQUE
DTM
C’est en 1975 que les Etablissements Libaud, spécialisés dans la
production et la commercialisation de matériaux pour le bâtiment
et les travaux publics, rachetaient la Société Coopérative de Dragage, d’Armement et de Travaux Publics, basée à La Rochelle, qui
exploitait depuis le début des années 70 les petits sabliers La Cordée (1952, 457 tpl) et Saumonards (1958, 561 tpl). Le Franjack (1965,
400 m3), lui aussi un ancien cargo transformé, vint étoffer la flotte
en 1977, avant qu’un navire neuf, le Pertuis, ne soit commandé au
chantier IMC, à Tonnay-Charente. Livré en 1983 à l’armement, entretemps renommé Dragages Transports et Travaux Maritimes (DTM), le
nouveau navire affichait des caractéristiques plus ambitieuses, avec
un volume de puits atteignant 720 m3. On était toutefois encore loin
des 2900 m3 du Pertuis II, acheté d’occasion en 1990. Ce sablier construit en 1981 aux Pays-Bas a été exploité quelques années en tandem
avec le Pertuis “I”, avant que ce dernier ne soit vendu en 1998.
Le sablier Pertuis II, construit aux
Pays-Bas en 1981 et acheté par DTM
en 1990. (Photo JF Durand)
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Depuis le début des années 90, DTM est une filiale du groupe
Libaud, avec une participation importante (40%) de GSM (Groupe
Italcementi). DTM a acheté en 1992 les Sabliers de l’Odet (Armement Monfort) basée à Quimper, et qui exploite le sablier Penfret
de 800 m3, construit en 1986 chez Merré.
DTM est co-détenteur de titres miniers (concessions d’une durée
de 20 ans) sur les sites du Pilier (embouchure de la Loire) et de Chassiron B (Ile d’Oléron), et bénéficie d’une autorisation d’extraction
(5 ans) sur le gisement des Sables d’Olonne. En outre, via Sabliers
de l’Odet, DTM a accès au site du Charpentier (Embouchure de la
Loire). Le sable, extrait à une profondeur comprise entre 15 et 22 m,
présente une granulométrie comprise entre 0 et 4 mm, pour une
densité voisine de 1,5. Il est déchargé à Brest, Lorient, Saint Nazaire,
Nantes, les Sables d’Olonne et La Rochelle.
Le pupitre central
de navigation.
(Photo JF Durand)
la zone “dragage”. Sur l’arrière de la
passerelle, on trouve à tribord la table
à cartes et le coin radio, et à bâbord
un bureau. L’équipement de radionavigation, fourni et installé par Radio-Holland, comprend notamment
deux radars 3 et 10 cm, deux sondeurs à ultra-sons, un loch, deux GPS
différentiels, un récepteur fac-simile
météo, un récepteur navtex, un système d’identification automatique AIS,
un émetteur/récepteur radio MF/HF,
une station satellite Inmarsat C, deux
VHF (tous ces appareils de marque
Furuno), un compas satellitaire Anschütz, et un compas gyroscopique
avec pilote automatique Anschütz.
Un chantier pragmatique
Commandé le ???? 2004, le navire,
longtemps connu sous son numéro
de construction “307”, a été étudié
conjointement par le chantier Barkmeijer et le bureau d’études du groupement néerlandais Conoship. Les
études de détail de la structure ont
été sous-traités à la société d’ingénierie belge Multi N.V., qui a directement
envoyé ses fichiers informatiques à
l’aciérie Centralstaal, qui s’est chargé
de la découpe et du formage des
tôles. Les éléments de structure sont
ainsi arrivés à Stroobos –le site du
chantier Barkmeijer- sur des palettes
numérotées. Cette organisation bien
rodée permet au chantier de construire des navires de bonne taille (jusqu’à 120 m de long sur 16 m de large)
avec un effectif de seulement 90 personnes ! A la différence de nombreux
chantiers, barkmeijer considère que
la vraie valeur ajoutée d’un chantier
naval se situe dans la maîtrise de la
production coque, et des interactions
avec de bons sous-traitants. Il n’est
donc pas question de sous-traiter des
coques entières –à la rigueur des élément parallélépipédiques simples de
double-coque.
Les différents blocs de coque de
l’André L, qui ont bénéficié d’un degré
de pré-armement (tuyaux, supports
de câbles, auxiliaires) très important
pour un navire prototype, ont été assemblés sur le quai de construction
du chantier, à partir du 7 juillet 2004,
Le pupitre de
dragage, à tribord.
(Photo JF Durand)
jusqu’au lancement par le travers2 qui
a eu lieu le 7 avril 2005.
Pour pouvoir rejoindre l’Ijsselmeer
(mer intérieure séparée de la Mer du
nord par une grande digue), le navire
devait pouvoir passer sous certains
ponts, ce qui imposa la dépose du
gaillard avant (il avait été simplement
pointé avant le lancement), lequel
effectua le transit sur une barge, en
compagnie du château et de la che-
Le bureau du
commandant.
(Photo JF Durand)
minée, construits à côté de la coque.
Le navire fut ensuite amarré quelques semaines à Lemmer, le temps
de mettre en place ces éléments de
structure, et de connecter l’imposant
faisceau de câbles reliant la machine
à la passerelle. Il restait à effectuer
les travaux de peinture extérieurs (la
totalité des espaces intérieurs avaient
déjà été peints à Stroobos), particulièrement délicats en raison des exigen-
2 Cette technique a été décrite
dans Navires & Marine Marchande n° 23.
REMERCIEMENTS
- M. Patrick Kerverdo, Directeur
de l’activité maritime, DTM
- L’équipage de l’André L.
- Chantier Barkmeijer.
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TECHNIQUE
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Quelques minutes avant le
lancement, le vent ne faiblit pas.
(Photo JF Durand)
ces de la spécification technique, en
particulier pour le puits et les ponts
extérieurs (respectivement traités en
produit hautement résistant à l’abrasion, et en silicate de zinc). Cela nécessitait un sablage complet du navire, qui devait être réalisé en zone
confinée pour des raisons de protection de l’environnement. Le navire
appareilla par ses propres moyens à
destination de Harlingen (au nordouest des Pays-Bas), via Amsterdam,
la largeur insuffisante des écluses de
l’Afsluitdijk lui interdisant de rejoindre
la Mer du Nord de façon plus directe.
A Harlingen, il fut hissé au sec par le
synchrolift du chantier Volharding,
avant d’être transféré dans un grand
hall couvert et fermé. Après quelques
semaines de traitement cosmétique
approfondi sous le contrôle du fournisseur de peinture (Jotun), il en ressortit rutilant pour entreprendre ses
essais en mer. Ces derniers ayant permis de confirmer ses performances
contractuelles en matière de vitesse,
mais aussi de temps de chargement
et de déchargement, il fut accepté
par DTM et officiellement livré le 15
septembre 2005. Dès le lendemain, il
mettait le cap vers la France.
■
Caractéristiques principales
Longueur hors tout ................................................. 84,85 m
Longueur entre perpendiculaires ............................. 80,34 m
Largeur hors membres ............................................ 15,20 m
Creux au pont principal ............................................ 7,70 m
Tirant d’eau été ........................................................ 5,70 m
Port en lourd correspondant ..................................... 3 800 t
Tirant d’eau à la marque de dragage ........................ 6,50 m
Port en lourd correspondant ..................................... 4 737 t
Déplacement lège ..................................................... 1 911 t
Jauge brute ...................................................... 2 776 (UMS)
Jauge nette ......................................................... 832 (UMS)
Capacité du puits .................................................. 2 300 m3
Vitesse en service .................................................. 13 nœuds
Classification ................................................. Bureau Veritas
Pavillon .................................................................... Français
Le “splash”, en pleine bourrasque. (Photo Barkmeijer Shipyards)
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