Espagne : la malédiction du « ladrillo »

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Espagne : la malédiction du « ladrillo »
IDÉES
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LUNDI 14 MAI 2012 LES ECHOS
Déficit public : le point en trop
Ensuite, parce que nos amis européens ne
manqueraient pas de nous rappeler un
engagement pris lors du Conseil européen
du 26 octobre, ignoré jusqu’à présent sur les
rives de la Seine : « Les budgets nationaux
devront être fondés sur des prévisions de
croissance indépendantes. »
Il faudra donc se résoudre à agir. Lors de
ÉDITORIAL
sa campagne, François Hollande avait proPAR JEAN-MARC VITTORI
mis 29 milliards d’euros de hausses
omme c’était prévisible, c’est pire que d’impôts, en donnant notamment des
prévu. A en croire les chiffres publiés coups de scie dans les niches fiscales. Mais il
vendredi dernier par la Commission seradifficiledetoutfaired’uncoup.D’abord
européenne, le déficit public français pour des raisons techniques (il est déjà trop
atteindra l’an prochain 4,2 % du PIB au lieu tard pour augmenter certains impôts en
des 3 % solennellement promis par Paris. 2013) et ensuite pour des raisons économiCe gros point de PIB fait
ques. Même si ces hausses
25 milliards d’euros. Le gousont censées toucher
vernement nommé cette Le gouvernement d’abord les Français aisés
semaine aura comme pre- nommé cette
qui dépensent une fraction
mière mission de trouver ces
moins importante de leur
semaine
aura
milliards pour bâtir sa crédirevenu que les autres, il est
bilité à l’extérieur – auprès de comme première difficile d’imaginer qu’un tel
Bruxelles, de ses homolocoup de massue fiscal ne
mission
gues européens et des invesréduira pas la croissance, ce
tisseurs du monde entier. de trouver
qui ralentirait les rentrées
Tout en préservant sa crédi- 25 milliards
fiscales et accroîtrait le défibilité à l’intérieur, à moins
cit. Celui qui était candidat
d’un mois des élections pour bâtir
jusqu’à il y a huit jours avait
législatives. Sacré exercice !
aussi parlé de réduire certaisa crédibilité.
La nouvelle équipe pournes dépenses publiques.
rait commencer par discuter
Mais il a été très flou sur ce
les chiffres. La Commission
sujet… alors qu’il a été en
parvient à ces 4,2 % sur la
revanche très précis sur la
base d’une hypothèse de
nécessité d’embaucher des
croissance du PIB de 1,3 % alors que le can- enseignants et des policiers.
didat socialiste a établi son projet sur la
Avec le point en trop, François Hollande
base plus favorable d’une croissance de et son gouvernement devront très vite sortir
1,7 %, à laquelle il semble vouloir s’accro- du bois budgétaire. Comme le changecher. Le gouvernement ferait mieux d’éviter ment, le baptême du feu, c’est maintenant.
cette tentation. D’abord parce qu’il paraît
difficile aujourd’hui de justifier une forte
Nos informations
accélération de l’activité l’an prochain.
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JP Morgan, un cas d’école
ÉDITORIAL
PAR FRANÇOIS VIDAL
es partisans d’une réforme bancaire
L radicale en rêvaient, la « baleine de la
Tamise » l’a fait. La perte d’au moins 2 milliards de dollars essuyée sur les marchés
par un trader de JP Morgan démontre de
manière imparable que la domestication
de la planète finance reste un vœu pieux.
Que, cinq ans après le début de la crise
financière, la première banque américaine reste capable de perdre des sommes
indécentes sur les marchés, dans le cadre
d’une opération de couverture de ses risques de surcroît, se passe de commentaires. Le temps a passé et, sur le fond, rien n’a
changé. Des banques gérant l’épargne des
particuliers engagent toujours des sommes colossales sur la foi de modèles
mathématiques complexes élaborés à partir d’anticipations économiques plus ou
moins fiables.
S’il est trop tôt pour tirer des conclusions
définitives, une chose est sûre, ce sinistre
fait voler en éclats le discours antirégulation
dont le patron de JP Morgan, Jamie Dimon,
s’était fait l’arrogant avocat. Car il va être difficile de continuer à expliquer que les risques pris sur les marchés peuvent être contenus dans le cadre prudentiel actuel s’ils
sont gérés avec professionnalisme. La banque supposée la plus sûre au monde n’a pas
été victime d’une fraude, elle a payé, à en
croire ses dirigeants, une simple erreur
Leur bien
malgré eux
LE BILLET DE FAVILLA
1,68 % près, une moitié des Français se
A félicite des résultats de la présidentielle,
l’autre moitié les regrette. Mais la plupart
sententbienvenirdeslendemainsdifficiles.
A gagné celui qui a le mieux su le leur faire
oublier le temps d’une campagne. Ce qui
confirme cette autre loi électorale selon
laquelle il faut dire à l’électeur d’abord ce
qu’il souhaite entendre. C’est ce qui explique aussi que cette campagne ait été délibérément domestique, parce que toutes les
menaces sont internationales. Là, ils s’y
sont mis tous les deux. Sarkozy en brandissant des mesures protectrices contre ces
dangers, Hollande en affectant simplement
de les ignorer. La preuve est faite que la
seconde posture était plus rentable que la
première. Mais le monde est toujours là. Et,
devant nous, les mesures forcément impopulaires qui vont s’imposer.
d’exécution. La faute de calcul la plus chère
de l’Histoire !
C’est évidemment du pain bénit pour les
supporters d’une régulation a maxima. Et
pas seulement aux Etats-Unis. En France
aussi, où l’élection de François Hollande
relance le débat. Le problème, c’est qu’il
n’existe pas de solution simple. Couper les
banques en deux, c’est-à-dire isoler les activités de marché de la collecte des dépôts, ne
réglerait rien. Car le coût économique
d’une telle scission, qui renchérirait fortement le crédit, serait trop élevé, sans pour
autant résoudre le problème de fond.
Faut-il le rappeler ? Les banques irlandaises et les « cajas » espagnoles sont mortes
de la spéculation immobilière, pas du
« casino banking ».
Il est temps d’accepter collectivement
que le « risque zéro » n’existe pas en
matière bancaire, mais qu’il peut être
réduit. Cela passe évidemment par des
règles plus strictes sur les activités de marché. La « Volcker Rule » américaine, qui
bannit toute opération spéculative des banques commerciales, offre de ce point de vue
des garanties qui pourraient être encore
accrues aux opérations les plus complexes,
fussent-elles de couverture. Mais cela passe
aussi par une meilleure supervision, un
meilleur contrôle des pratiques. Et, de ce
point de vue, les banques américaines ont
encore beaucoup de chemin à faire.
Nos informations
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Sarkozyapayécellesqu’ilaprises.Leplus
étonnant est qu’il y ait réussi au cours de ces
cinq ans sans conflit social majeur. Mais il
lui a fallu pour cela affronter toutes sortes
de corporatismes ou de situations acquises.
Par exemple en remettant dans le bon sens
le régime des retraites, en instaurant le service minimum en cas de grève, en réformant le système de représentation syndicale, en remettant de l’ordre dans la carte
judiciaire, en modernisant de façon décisive les universités et la recherche… on en
oublie. Ayant fait en somme aux Français
quelque bien malgré eux, il ne lui reste dans
les urnes, à la marge, que la sanction du
malgré.
Si, comme on l’espère, Hollande en est
conscient, il ne lui reste qu’à poursuivre dans
la même voie. Réduire les dépenses au lieu
de les augmenter, éviter d’étrangler l’initiative par la fiscalité, continuer le sauvetage
desretraitesaulieudelesnaufrager,libérerle
travail des entraves brandies comme des
garanties par les permanents en place,
s’affranchir du credo selon lequel la croissance est celle des importations… on en
oublie aussi. La situation exige encore que le
bien des Français l’emporte sur leur gré.
BOLL POUR « LES ÉCHOS »
C
Espagne : la malédiction
du « ladrillo »
L’ANALYSE
DE JESSICA BERTHEREAU
pointsentroisans,touchantmaintenant
près d’un quart de la population active.
Le précédent président du gouvernement espagnol, le socialiste José Luis
Rodriguez Zapatero, avait admis en son
temps que 70 % de la hausse du chômage observée depuis 2008 étaient dus à
la bulle immobilière, se repentant ce
jour-là de n’avoir rien fait pour freiner le
boom après son arrivée au pouvoir en
2004. Plus grave encore, le « ladrillo » a
faitmiroiteràenviron1milliondejeunes
l’accèsàunsalaireélevéàpeinelesbancs
de l’école quittés. Ceux-ci se retrouvent
désormais sur le carreau, sans travail,
sans diplôme et sans formation.
L’explosion de la bulle immobilière a,
enfin, ébranlé le secteur bancaire, qui
fusions, l’Espagne a dû se résoudre à
changer de stratégie. Les mariages des
années 2009-2010 se sont faits entre
entités faibles, agglutinant les problèmes sans les résoudre, comme l’illustrent les difficultés de Bankia. La quatrième banque espagnole, issue de la
plus grande fusion entre caisses d’épargne et accumulant 31,8 milliards
d’euros d’actifs douteux, a dû être nationalisée la semaine dernière.
L’Espagne s’est donc enfin décidée à
extraire les actifs toxiques des bilans
bancaires et à les placer dans des structures ad hoc chargées de les gérer sur le
long terme, ainsi que les marchés, les
investisseurs, les analystes et les observateurs le demandent depuis des mois.
ous, absolument tous les maux
de l’Espagne, aujourd’hui, se
résument en un seul mot :
« ladrillo ». Ce terme, qui veut
dire « brique » en français, est souvent
utilisé de l’autre côté des Pyrénées pour
parler de la folie immobilière des
années 2000. Une frénésie qui a
conduit le pays à construire, au plus fort
du boom, autant de logements qu’en
Allemagne, en France et en GrandeBretagne réunies ! Une bulle d’illusions
qui a érigé le pays en modèle de croissance dans toute l’Europe, avant de le
faire sombrer dans une crise sans précédent : explosion du déficit public,
hausse inexorable du taux de chômage
et ébranlement profond du secteur Au plus fort de sa frénésie immobilière, l’Espagne
bancaire.
a construit autant de logements que l’Allemagne,
Une étude attentive des revenus fiscaux de l’Espagne durant ces dix der- la France et la Grande-Bretagne réunies !
nières années fait apparaître une
effrayante réalité : en 2009, les administrations publiques (l’Etat et les régions)
ont collecté 144 milliards d’euros
d’impôts, contre 200 milliards en 2007,
année du pic du boom immobilier. Une ne joue plus aujourd’hui son indispen- Le secteur financier, devenu premier
chute des recettes de 56 milliards en sable et crucial rôle de financement de agent immobilier du pays, devrait poudeux ans ! Pas étonnant, dès lors, que l’économie. Si la machine immobilière voir revenir à son rôle fondamental,
l’Espagne soit brutalement passée d’un a pu fonctionner à plein pendant des celui d’alimenter en crédits les entresurplus budgétaire de 1,9 % du PIB en années, c’est parce qu’elle a été alimen- prises créatrices d’emplois et de riches2007 à un déficit de 11,1 % en 2009.
tée par des milliards d’euros prêtés sans ses. Une condition sine qua non pour
Sur ces 56 milliards d’euros évaporés, frein par le secteur bancaire, et notam- que l’économie espagnole, promise à
25 milliards sont liés à la chute du mar- ment par les très politisées et régiona- une récession de 1,7 % cette année,
ché immobilier, car ils provenaient de listes « cajas » ou caisses d’épargne.
reprenne le chemin de la croissance.
divers impôts assis sur les transactions
L’irruption de la crise financière
Les mesures annoncées vendredi
immobilières, selon les calculs du pro- mondiale en 2008 a fermé le robinet feront apparaître des pertes plus
fesseur Michele Boldrin, du think tank des liquidités et du crédit facile. Dès importantes que les provisions déjà
Fedea. Celui-ci dénonce « l’erreur lors, l’effondrement des dominos fut constituées, ce qui mènera inexorabled’avoir basé des dépenses permanentes, implacable : les constructeurs et les ment à une nouvelle recapitalisation
auxquelles les citoyens se sont habitués promoteurs ont fait faillite, ont cessé de du secteur bancaire. Autrement dit, les
(dans la santé par exemple), sur des rembourser leurs prêts et ont livré aux finances publiques n’ont pas fini de
recettes fiscales tirées d’une chose aussi banques les garanties attachées à ces payer la facture du « ladrillo ». Il est
volatile que des transactions ». Sans ces crédits (des terrains, des immeubles à déjà prévu que la dette publique esparevenus, qui ne reviendront sans doute moitié construits, des logements ter- gnole fasse un bond de 10 points de
jamais, les régions en sont réduites à minés, etc.). Voilà comment les ban- pourcentage cette année, passant de
couper à la hache dans les dépenses ques se retrouvent aujourd’hui grevées 68,5 % du PIB fin 2011 à 79,8 % fin 2012.
d’éducation et de santé pour réduire par 184 milliards d’euros d’actifs immo- Par chance, l’Espagne partait d’un très
leur déficit public de 3 % du PIB en 2011 biliers problématiques, dont on ne sait bas niveau de dette publique, d’envià 1,5 % en 2012.
même pas s’ils ont perdu « seulement » ron 35 % du PIB en 2007. Elle avait
Le même effet dévastateur de la crise 50 % de leur valeur ou plus… Faute réussi à diviser ce ratio par deux
immobilière est observable sur le mar- d’acheteur, certains de ces actifs entre 1997 et 2007. Dix ans de bulle
ché du travail espagnol. En seulement (comme le foncier) valent actuelle- immobilière ont fait revenir le pays à la
deux ans, toujours entre 2007 et 2009, le ment zéro.
case départ.
taux de chômage a augmenté de
C’est pourquoi la réforme annoncée
10 points
pourcentage,
de vendredi est si importante. Après avoir Jessica Berthereau est
ours_Mise
ende
page
1 11/05/12 passant
13:41 Page1
8,3 % à 18 %. Les dernières statistiques tenté pendant trois ans de remettre sur correspondante des « Echos »
montrent qu’il est monté de 6 autres pied son secteur bancaire à coups de à Madrid
T
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