Les Ports francs choisissent la transparence pour sauver leur peau
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Les Ports francs choisissent la transparence pour sauver leur peau
J.A. 1002 Lausanne / www.letemps.ch CHF 3.50 / France € 3.00 JEUDI 12 NOVEMBRE 2015 / N° 5357 Portrait Beaux-arts Raphaël Comte, l’ascension d’un jeune sage de la politique ● ● ● PAGE 24 Influence Economie «Sacrum Cerebrum», la Après le pétrole et la finance, Le service à table, prochaine matière grise sculptée de Jan Dubaï veut devenir capitale révolution chez Fabre à Genève ● ● ● PAGE 23 du design ● ● ● PAGE 20 McDonald’s ● ● ● PAGE 13 Les Ports francs choisissent la transparence pour sauver leur peau DOUANES Président des Ports francs depuis le mois de mai, David Hiler a dévoilé les contours d’une réforme pour mettre fin aux pratiques douteuses dans les entrepôts sous douanes Après le secret bancaire, les Ports francs. Zone d’opacité échappant à la vigilance des douanes, les entrepôts des Ports francs entament le virage de la transparence. L’affaire Bouvier, le marchand d’art qui entreposait des œuvres inestimables à Genève, à Luxembourg et à Singapour dans des entrepôts en zone franche pour échapper au fisc, a suscité une prise de conscience. Fraude fiscale, blanchiment, recel d’œuvres spoliées: autant de risques bien réels. La sonnette d’alarme a été tirée en 2014 déjà lorsque les problèmes ont été identifiés. Genève, en la personne de Pierre Maudet, a donc pris la mesure du danger. Nommé en mai à la présidence des Ports francs, David Hiler a dévoilé mercredi les conclusions d’une analyse de risques. Et a présenté un premier train de mesures: identification systématique et contrôle du pedigree des locataires, solutions pour le contrôle des clients, contrôle systématique des antiquités à l’entrée, identification biométrique. Mais l’ex-conseiller d’Etat insiste: la balle est dans le camp de Berne, qui peut donner plus de moyens pour permettre de meilleurs contrôles et surtout offrir plus d’autonomie à la République pour qu’elle réalise ellemême les améliorations indispensables. ● ● ● PAGE 8 L’hommage halluciné de Peter Greenaway à Eisenstein CINÉMA «Eisenstein in Guanajuato» raconte de manière très personnelle le séjour mexicain, en 1931, du cinéaste soviétique. A découvrir au Festival Tous Ecrans, à Genève. (LDD) ● ● ● PAGE 21 ÉDITORIAL Le Conseil fédéral n’a pas besoin d’un UDC romand Un faux débat parasite l’élection au Conseil fédéral du 9 décembre. Il est né de l’exigence faite à l’UDC de présenter un candidat romand – avec la possibilité que le gouvernement de la Suisse compte trois membres francophones sur sept à la fin de cette année. Sur le plan démographique, cette revendication n’a aucun sens. La Suisse romande compte quelque 2 millions d’habitants, un quart de la population totale. Avec deux conseillers fédéraux, elle occupe 28% des sièges gouvernementaux – une représentation parfaitement adéquate. Il est donc assez consternant d’observer les présidents du PS et du PDC jouer de cet argument («L’UDC doit présenter un Latin») à des fins purement politiciennes. C’est leur façon d’affirmer qu’ils entendent peser sur l’élection du 9 décembre. Mais le faire en se réclamant de la défense des monter en puissance dans l’exécutif, ce minorités est maladroit, voire dangereux. sont les Tessinois. Mais l’UDC n’a pas de On pourrait, bien sûr, imaginer une sur- candidat valable dans ce canton. Autant, représentation temporaire des Romands alors, se faire une raison: le moment est au Conseil fédéral, parce que l’UDC pré- venu d’élire au Conseil fédéral un second senterait des candidats extraordinaires UDC alémanique, puisque c’est dans cette issus de leurs rangs. On en est partie du pays que ce parti loin aujourd’hui. Oskar Freya bâti l’essentiel de son sucUne large singer n’a qu’une mince expécès. brochette de Mais il faut constater que, rience de l’exécutif, comme seconds couteaux conseiller d’Etat valaisan même là, le casting présenté depuis deux ans. Sa fréquenpar l’UDC est peu imprestation assidue de la droite islamophobe sionnant. Hormis peut-être le Grison européenne lui interdit a priori de viser Heinz Brand, cartésien et expérimenté, plus haut. mais qui n’était pas encore officiellement Quant au Vaudois Guy Parmelin, il séduit candidat mercredi soir, on a l’impression pour de mauvaises raisons. C’est parce de contempler une large brochette de qu’il passe pour malléable que la gauche seconds couteaux. et le centre le jugent plus acceptable que C’est pourtant bien la compétence de d’autres. Et son statut de représentant de la personne qui sera élue le 9 décembre l’Arc lémanique est usurpé: si cette région qui devrait compter, plus que toute autre doit être incarnée au Conseil fédéral, c’est considération. Que les discussions se par une personnalité reflétant son ouver- dispersent aujourd’hui en petits calculs ture internationale et son esprit d’inno- régionalistes est, de ce point de vue, un vation. Autant de qualités fort éloignées mauvais signe. ■ de celles du rural et placide Parmelin. Si un groupe linguistique mérite de SYLVAIN BESSON Militaires contre passeurs MIGRATIONS Au Forum de Dakar sur la sécurité, plusieurs responsables africains ont rappelé la nécessité selon eux de ne pas limiter l’approche du dossier des migrants à ses aspects humanitaires, mais de prendre également les passeurs pour cible en mobilisant des moyens militaires. Une problématique développée au moment où l’Union européenne convoque un sommet de la migration à Malte. ● ● ● PAGE 4 L’étiquetage qui fâche Israël CFF, des horaires bouleversés COMMERCE L’UE a décidé de faire ajouter la mention «Produit en Cisjordanie (colonie israélienne)» sur les marchandises provenant des colonies de peuplement établies dans les territoires palestiniens. Les autorités israéliennes ont fait part de leur colère. Il y a quelques semaines, le premier ministre Benyamin Netanyahou avait comparé cette méthode à celle des nazis qui répertoriaient les «produits juifs». ● ● ● PAGE 6 TRANSPORTS Les Chemins de fer fédéraux ont présenté leur nouvel horaire, qui entrera en vigueur le 13 décembre prochain. Si les modifications sont mineures sur l’Arc lémanique, l’Arc jurassien fera face à plus i e u r s n o u v e au t é s , p a r exemple l’introduction de la cadence à la demi-heure entre Yverdon et Bienne. Le canton du Jura, lui, s’estime lésé par l’abandon de la liaison directe entre Bâle et l’Arc lémanique. ● ● ● PAGE 10 LE TEMPS Pont Bessières 3, CP 6714, 1002 Lausanne Tél. : +4121 331 78 00 Fax +4121 331 70 01 40047 www.letempsarchives.ch Collections historiques intégrales: Journal de Genève, Gazette de Lausanne et Le Nouveau Quotidien. INDEX Avis de décès............................ 19 Bourses et changes ........... 14 Fonds .................................... 16 - 18 Téléphones utiles ................ 19 Toute la météo ....................... 12 POUR VOUS ABONNER : www.letemps.ch/abos 0848 48 48 05 (tarif normal) 9 771423 396001 LE TEMPS JEUDI 12 NOVEMBRE 2015 20 Marché de l’art Le Design District de Dubaï, surnommé D3, se tiendra d’ici à 2018 au sein de 11 buildings et recevra près de 10 000 professionnels du design et de la mode. (DUBA) Dubaï se rêve en Mecque du design SOFT POWER Après le pétrole, le tourisme, le commerce et la finance, la ville veut se positionner comme un acteur incontournable du design, avec en ligne de mire l’Exposition universelle de 2020 CATHERINE COCHARD L’ambition de Dubaï est à la hauteur de sa démesure architecturale. En à peine plus d’une décennie, la ville s’est hissée aux premiers rangs des destinations touristiques, commerciales, financières et même artistiques de la planète – Christie’s et Sotheby’s y tiennent régulièrement des enchères et chaque mois de mars se tient la foire Art Dubai, la plus importante pour l’art contemporain dans cette région du monde. A présent, c’est en capitale du design qu’elle se rêve. «La Dubai Design Week est notre façon de témoigner de l’importance grandissante de ce secteur pour la ville, à un niveau économique mais aussi culturel», explique Cyril Zammit, le directeur de cette semaine d’expositions, installations en plein air et discussions publiques dédiées à la discipline et dont la première édition s’est déroulée à la fin du mois d’octobre. Présenté en marge de cette manifestation, le MENA Design Outlook – réalisé par le cabinet de conseil en stratégie Monitor Deloitte et commandité par le Dubai Design & Fashion Council, l’organe de promotion du design et de la mode émiratis – montrait quant à lui, chiffres à l’appui, l’importance phénoménale prise ces cinq dernières années par ce secteur pour la région MENA (Moyen-Orient/ Afrique du Nord). Le rapport révèle ainsi que la valeur totale du marché du design pour les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, le Qatar, l’Egypte et le Liban a dépassé les 100 milliards de dollars en 2014 et que sa croissance ces quatre dernières années a été deux fois plus rapide que celle de l’industrie globale. Plus importants contributeurs du secteur, les Emirats arabes unis ont à eux seuls totalisé l’année dernière 27,6 milliards de dollars de revenus. L’industrie devrait – d’après les projections de l’étude – continuer à se développer selon une cadence moyenne de 6,5% par an pour, à l’horizon 2019, atteindre 147,5 milliards de dollars (soit 5,3% du marché global du design, cette part étant aujourd’hui de 4,4%). Pétrole épuisé A l’origine, la ville n’était qu’un poste de traite dont les perles étaient la seule richesse. Ce n’est qu’après la découverte de pétrole dans les années 60 que tout change. «Dubaï est passée directement, en moins de trois décennies, du village à la ville-monde, du trafic de perles à l’économie virtuelle, ou encore des toits de palmes – la première maison en dur y date de 1956 – aux tours les plus hautes du globe, sans les crispations de la transition et les doutes d’une lente mise au monde», explique l’historienne des idées Françoise Cusset dans son essai Questions pour un retour de Dubaï. Aujourd’hui, les réserves dubaïotes d’or noir sont écoulées, mais la ville a su anticiper la suite. «Paradoxalement, le principal atout «Paradoxalement, le principal atout de Dubaï, c’est la maigreur de ses réserves de pétrole offshore» MIKE DAVIS, SOCIOLOGUE URBAIN ET HISTORIEN de Dubaï, c’est la maigreur de ses réserves de pétrole offshore, aujourd’hui épuisées, écrit l’ethnologue, sociologue urbain et historien américain Mike Davis dans Le stade Dubaï du capitalisme. Avec son minuscule arrière-pays dépourvu de la richesse géologique du Koweït ou d’Abu Dhabi, Dubaï a échappé à la pauvreté en adoptant la stratégie de Singapour et en devenant le principal centre du commerce, des finances et des loisirs dans le Golfe.» La date butoir que les autorités se sont fixée pour que la reconversion de l’économie soit totale est 2020. A cet horizon, le PIB de l’émirat devrait en majorité provenir des activités financières, commerciales et touristiques ainsi que des revenus générés par les industries créatives. Capitale innovante 2020, c’est aussi l’année durant laquelle l’émirat accueillera l’Exposition universelle, après Milan cette année. Une occasion unique pour la ville d’exercer son «soft power» en montrant au monde entier que ses compétences ne se limitent plus uniquement à la finance mais qu’elles touchent à présent à des territoires divers et variés, comme les nouvelles technologies ou le design. «Durant l’Expo 2020, les projecteurs de la planète entière seront braqués sur Dubaï, se réjouit Nez Gebreel, la directrice du Dubai Design & Fashion Council. Nous pourrons alors savourer le succès de l’ambitieuse stratégie mise en place des années durant par le gouvernement pour faire de la ville l’une des plus innovantes du monde.» «Design district» Pour préparer le terrain, Dubaï se doit d’anticiper l’Exposition universelle, comme elle avait su anticiper l’ère post-pétrole. Hormis les zones franches où se retrouvent – par spécialité – les principaux acteurs mondiaux de la santé (Dubai HealthCare City), des médias et de l’informatique (Dubai Media City et Dubai Internet City) ou encore de la recherche biotechnologique (Dubiotech), la ville a su trouver sa place sur l’échiquier mondial de l’art en organisant chaque mois de mars depuis déjà dix ans Art Dubai. Il lui fallait renforcer encore son pôle design afin de devenir l’une des capitales globales de la discipline d’ici à cinq ans. C’est dans ce but que la ville s’est dotée de deux nouvelles entités qui viennent s’ajouter aux deux foires du meuble (Design Days Dubai et Downtown Design) qui existent déjà depuis trois ans. La première de ses initiatives est donc la Dubai Design Week, ce salon annuel – dont la première édition s’est tenue fin octobre – qui a pour ambition de s’inscrire dans le calendrier annuel des rendez-vous incontournables de la planète design. La seconde consiste en un «design district» comme on en trouve à Bruxelles, Londres, Milan ou Miami. Intitulé D3, ce méga-projet en est encore au stade du chantier. Conçu par le bureau d’architecture Foster + Partners, il sera constitué de 11 buildings qui devraient accueillir d’ici à 2018 près de 10 000 professionnels du design et de la mode, qu’il s’agisse de producteurs, revendeurs, marques et créateurs. Un an plus tard, en 2019, sera inaugurée la phase résidentielle de ce nouveau quartier, des appartements tout confort idéalement situés le long des 1,8 kilomètre de bord de mer. ■ LA CHRONIQUE DE L’ART «Jeunes galeristes, indignez-vous!» NICOLAS GALLEY DIRECTEUR DES ÉTUDES, EXECUTIVE MASTER IN ART MARKET STUDIES, UNIVERSITÉ DE ZURICH Pourquoi les jeunes générations, si souvent confrontées à des difficultés que les baby-boomers n’ont jamais connues, ne s’indignent-elles pas contre eux? Devraient-elles les gifler d’un «sale vieil enfant gâté»? Les explications relatives aux conflits générationnels sont truffées de lieux communs. Certains personnages encore indignés contre leurs défunts parents ou de grincheux bien-pensants coagulés par des années de suffisance sont souvent les parfaits ambassadeurs de ces fadaises. Ce questionnement serait-il néanmoins pertinent pour le marché de l’art et plus particulièrement au sein de la meute des galeristes? Ces interrogations émanent d’une certaine exaspération à voir de jeunes galeristes, présentant un programme artistique très pertinent, entrer en purgatoire pour parfois ne jamais en ressortir. A l’instar des artistes dont la phase cruciale se situe souvent au moment où les soutiens publics et privés se tarissent alors que les ventes d’œuvres ne permettent pas de survivre, les galeries passent par des étapes critiques. Après avoir eu l’opportunité d’exposer durant un temps limité dans une foire «off» comme la Liste – satellite d’Art Basel –, après avoir été sélectionné à plusieurs reprises pour l’une des sections annexes proposées par les plus prestigieuses institutions, vient la traversée du désert. Les salles d’attente des instances omnipotentes que sont les foires principales débordent de jeunes entrepreneurs talentueux. Dans ces no man’s land, l’équilibre devient précaire. Les artistes avec lesquels ils ont grandi commencent à vendre conve- nablement, alors que la visibilité de leur propre enseigne est affectée par une situation d’entre-deux. Encore trop petits pour obtenir une place aux côtés des baby-boomers, ils sont déjà trop âgés pour exposer aux côtés de la génération Y. Ils attendent alors sagement leur tour, sachant pertinemment qu’il n’y aura pas assez de place pour tous. Vieux vautours Tout cela peut sembler tragiquement banal, mais ce phénomène ne fait que s’amplifier avec un marché en pleine croissance et des aînés travaillant beaucoup plus longtemps. Tous n’ont pas les moyens et l’élégance du grand Bruno Bischofberger, qui a su se retirer d’Art Basel alors que son stand était toujours une véritable attraction. Bien au contraire, certains vieux vautours flairent ces caravanes en déroute et ne se gênent pas pour faire des propositions alléchantes aux meilleurs poulains de ces fébriles écuries. C’est précisément un sentiment d’injustice face à l’establishment qui a conduit à la création de la Liste. Alors pourquoi pas une foire de qualité, par et pour la génération X? Un complément à l’offre bâloise serait peut-être pertinent, malgré la pléthore de mauvaises initiatives, mais personne ne prendra le risque de s’aliéner les pontes de la Messe. La génération Y, quant à elle, semble s’unir pour agir. Plusieurs galeristes parisiens et le Zurichois Gregor Staiger, insatisfaits par la réponse institutionnelle de la FIAC, foire d’art contemporain de Paris, à l’absence d’une foire satellite de qualité, ont mis sur pied la première édition de Paris Internationale. Faisant fi des velléités de la FIAC, désireuse de chapeauter son propre «Salon des Refusés», ils ont décidé de s’organiser. L’Internationale en réponse à l’Officielle, voilà une belle initiative qui permettra peut-être à cette dernière de trouver sa véritable voie. ■