Faut-il développer la scolarisation à deux ans ?

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Faut-il développer la scolarisation à deux ans ?
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Faut-il développer la scolarisation
à deux ans ?
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L’école maternelle française est fréquemment citée comme l’un des points forts de notre
système éducatif et la pression de certaines familles est aujourd'hui vive pour que les
enfants y soient accueillis dès l’âge de deux ans.
Si la demande de ces familles est, en partie, liée à des considérations financières – elles
économisent ainsi tout ou partie du coût de la garde du jeune enfant – ou aux difficultés
qu’elles rencontrent pour faire assurer cette garde, elle trouve sa justification dans leur
souci de favoriser la réussite scolaire ultérieure de leurs enfants.
Or, si les analyses conduites sur les résultats des élèves montrent, au niveau global, un
léger avantage au bénéfice des élèves scolarisés à deux ans, en l’absence de données
détaillées sur les conditions d’accueil de ces élèves, le principe d’un accueil systématique
à l’école fait l’objet de vives controverses.
L’école maternelle française est fréquemment citée comme l’un des points forts
de notre système éducatif. Il est incontestable que la généralisation progressive de
l’accueil des jeunes enfants de trois ans au cours des dernières décennies a contribué aux progrès de notre système éducatif.
Le fait de ne pas fréquenter l’école maternelle ou de ne le faire qu’à partir de quatre ou a fortiori de cinq ans constitue un handicap pour les quelques enfants
concernés.
La scolarisation à deux ans a des effets relativement faibles sur la réussite ultérieure. Ces effets sont les plus marqués au profit des catégories sociales les plus
défavorisées et les plus favorisées. Elle semble notamment bénéfique aux élèves
étrangers ou issus de l’immigration, auxquels elle apporte une appropriation plus
rapide de la langue et de la culture françaises.
Si on développe cette scolarisation précoce, l’équité doit donc conduire à la favoriser en priorité dans les zones où les catégories sociales les plus défavorisées
sont concentrées. Mais la relative faiblesse des effets à en attendre doit inciter à
comparer l’efficience de cette scolarisation dès deux ans – même sélective – à
d’autres mesures de politique éducative.
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L’école maternelle, une spécificité française qui contribue
à améliorer l’efficacité de la scolarité primaire
La scolarisation précoce est
particulièrement développée en
France depuis longtemps.
Depuis maintenant plus d’une décennie, tous les enfants fréquentent une
classe maternelle ou enfantine à partir de trois ans, et la moitié de ceux qui
peuvent légalement être accueillis dans ces classes à partir de deux ans y
ont accès avant trois ans1.
Le graphique suivant illustre cette généralisation progressive de la scolarisation précoce, qui constitue une caractéristique importante du système éducatif français.
À l’exception de la Belgique et de l’Italie, aucun autre pays européen n’a des
taux d’accueil des jeunes enfants aussi élevés dans des « établissements
préprimaires à finalité éducative »2.
Graphique - Évolution de la scolarisation en fonction de l’âge dans
le système éducatif français
100
%
90
5 ans
80
70
4 ans
60
3 ans
50
40
30
2 ans
20
10
0
1962
Le développement de la
scolarisation précoce a
largement contribué à améliorer
le déroulement des scolarités
élémentaires.
1966
1970
1974
1978
1982
1986
1990
1994
1998
2002
De plus, au-delà de cet aspect quantitatif, rares sont les pays dans lesquels
l’accueil de ces jeunes enfants – en particulier des plus jeunes – est réalisé
dans des établissements dépendant du système éducatif, employant des personnels enseignants dont la formation est la même que celle des enseignants de l’élémentaire, et développant des activités pédagogiques et non
seulement éducatives.
1. Le taux de scolarisation des enfants de deux ans est estimé à 32 % en 2002, ce qui correspond
à un accueil de près de 50 % des enfants légalement scolarisables en 2002-2003, c’est-à-dire des
enfants nés entre le 01/01/2000 et le 31/08/2000.
2. In Les chiffres-clés de l’éducation en Europe, EURYDICE, Eurostat, 2002. Selon la définition
retenue pour établir ces chiffres clés, les « établissements préprimaires à finalité éducative »
peuvent être scolaires ou non scolaires, ces derniers dépendant généralement d’autorités ou de
ministères autres que ceux de l’éducation. Mais ils doivent obligatoirement employer du personnel qualifié en éducation.
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Tableau 1 - Répartition des élèves par type de cheminement dans l'élémentaire
selon la durée de scolarisation préélémentaire (panel d'élèves entrés en sixième en 1980) (%)
Nombre de redoublements dans l’élémentaire
Aucun
Un
Deux ou plus (1)
Total
O ou moins de 1 an
46,6
26,6
26,8
100,0
1 an
59,5
28,2
12,3
100,0
2 ans
63,3
26,7
10,0
100,0
3 ans
69,7
21,8
8,5
100,0
4 ans
71,6
21,0
7,4
100,0
Ensemble
63,9
24,7
11,4
100,0
Durée de scolarisation préélémentaire
(1) Par exemple, passage dans l’éducation spécialisée.
Tableau 2 - Âge d'entrée à l'école maternelle et carrière scolaire en début d'école élémentaire
(panel d'élèves de cours préparatoire recruté en 1997) (%)
Accès au CE2
Âge d’entrée en maternelle
Sans redoublement
Redoublement du CP
Redoublement du CE1
2 ans
90,8
4,3
4,9
3 ans
87,7
5,4
6,9
4 ans et plus
76,6
11,1
10,9
Ensemble
88,0
5,4
6,5
Une entrée après trois ans à
l’école maternelle est
pénalisante pour les élèves et
leurs chances d’accéder au CE2
sans redoublement en sont
sensiblement réduites.
Aujourd’hui encore, l’effet bénéfique d’une scolarité maternelle longue peut
se constater et les quelques élèves qui sont entrés en maternelle à quatre
ans ou plus seulement, redoublent le CP ou le CE1 pratiquement deux fois
plus que ceux entrés à trois ans.
Lorsque l’on sait que les élèves qui redoublent le CP ou le CE1 ont des carrières scolaires plus difficiles et quittent plus souvent le système éducatif
sans qualification que les autres, il apparaît nettement qu’une scolarisation
longue en maternelle contribue à améliorer à la fois le devenir scolaire des
élèves qui en ont bénéficié et l’efficacité globale du système éducatif.
La scolarisation à deux ans, une question controversée
Si la généralisation de la scolarisation à partir de trois ans peut être considérée comme un facteur d’efficacité de notre système éducatif, faut-il, pour
autant, encourager la scolarisation à deux ans ?
Cette question fait l’objet de controverses.
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Taux de scolarisation des enfants âgés de 2 ans
en 2002-2003 (public + privé)
Guadeloupe
Martinique
57 % et plus
de 46,5 % à 56,9%
Guyane
de 36 % à 46,4%
de 25,5 % à 35,9%
moins de 25,5 %
La Réunion
Métropole : 32 %
Métropole + DOM : 31,4 %
Des taux de scolarisation à 2 ans
très inégaux selon les
académies.
Certains notent à juste titre que la demande de scolarisation à deux ans est
loin d’être générale. Cependant, une demande existe, que l’offre de places ne
permet pas toujours de satisfaire, notamment dans certaines zones urbaines. Il est de fait que la scolarisation à deux ans est inégalement répartie
sur le territoire, ce dont témoigne la carte ci-dessus, et que la priorité donnée
à l’accueil des enfants de trois à cinq ans entraîne un recul mécanique de la
scolarisation à deux ans sous la pression – différente selon les endroits –
des évolutions démographiques et de la reprise de la natalité.
D’autres estiment que, du point de vue psychologique, l’accueil d’enfants de
deux ans dans une école – avec une taille moyenne des classes de 26 élèves
– est inadapté et peut même se révéler nocif, au moment décisif où ils construisent leur identité.
Du strict point de vue du système éducatif, on doit se poser la question de
l’efficacité de cet accueil à deux ans – qui est coûteux – au regard des effets
qu’il peut avoir en termes de progrès cognitifs et d’équité.
Globalement, l’avantage dû à une
entrée à l’école maternelle à
deux ans semble relativement
faible.
Les résultats des études sur la question ne sont pas totalement convergents,
et il arrive que dans quelques cas, ils ne fassent pas ressortir d’effets positifs de la scolarisation à deux ans.
Les données issues des travaux de la DEP qui portent sur des échantillons
importants et représentatifs conduisent aux conclusions suivantes :
- en ce qui concerne l’impact sur la scolarité élémentaire, entrer à l’école
maternelle à deux ans au lieu de trois améliore les chances d’accès au CE2
sans redoublement, mais ne le fait que faiblement, comme le montre le
tableau 2 précédent ;
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- s’agissant des évaluations des acquis cognitifs à l’entrée du CP, cette scolarisation précoce apparaît comme globalement bénéfique. Cet avantage, qui
se retrouve dans plusieurs domaines : compréhension orale, familiarité avec
l’écrit, familiarité avec le nombre, est cependant faible. Comme pour l’accès
au CE2, il est, en tout cas, plus faible que celui que procure une scolarisation
à trois ans par rapport à une scolarisation débutant à quatre ans ou plus.
Il est important de noter – étant donné les critiques qui ont été rappelées cidessus – que ces résultats, comme ceux qui vont suivre, sont établis à partir de données représentatives de ce que sont aujourd’hui les conditions d’accueil (encadrement, conditions matérielles, horaires, etc.) des jeunes enfants
en maternelle.
Les élèves des ZEP, ceux des
catégories sociales défavorisées,
mais aussi ceux des catégories
sociales les plus favorisées,
bénéficieraient le plus d’une
scolarisation très précoce.
À l’entrée en CP, les évaluations cognitives des élèves montrent que ce sont
les élèves des catégories sociales défavorisées, mais aussi ceux des catégories sociales les plus favorisées3 qui bénéficient le plus de la scolarisation
précoce. Elle est également plus bénéfique en ZEP que hors ZEP.
Concernant l’accès au CE2 sans redoublement, également, l’effet positif
associé à une scolarisation à deux ans s’observe principalement chez les
enfants de cadres et d’ouvriers, et bénéficie particulièrement aux élèves de
nationalité étrangère ou de parents immigrés.
Or, dans l’état actuel des choses, ceux-ci entrent moins fréquemment que
les autres à l’école maternelle à deux ans : parmi les élèves en cours préparatoire en 1997, les enfants de père ou de mère immigré n’étaient qu’un sur
quatre à avoir été scolarisés à deux ans, alors que c’était le cas de près de
un sur trois de leurs condisciples.
Le fait que ce soient les enseignants qui scolarisent le plus leurs jeunes
enfants en maternelle4 illustre bien que, pour les catégories les plus au fait
de enjeux scolaires, une telle scolarisation correspond à une demande d’éducation et non pas seulement à une demande de garde.
Un souci d’équité devrait conduire à développer prioritairement la scolarisation à deux ans sur le territoire de l’éducation prioritaire, où sont concentrés
les enfants des catégories sociales les plus défavorisées et les enfants d’origine étrangère ou immigrée. Étant donné ce qui a été dit plus haut, ceci
suppose une politique volontariste, la demande étant plutôt plus forte chez
les catégories sociales les plus favorisées.
C’est en ce sens qu’a été orientée la politique éducative, ces dernières
années. Une partie des moyens supplémentaires accordés aux zones prioritaires a été consacrée au développement de la scolarisation des jeunes
enfants et, en moyenne, le taux de scolarisation des deux ans y est de 5 à 6
points supérieur à ce qu’il est sur le reste du territoire.
3. Les catégories sociales dites « défavorisées » regroupent les ouvriers et les chômeurs, les catégories « très favorisées » les cadres supérieurs, les professions libérales et les enseignants.
4. Les agriculteurs le font plus que les enseignants, mais en zone rurale, l’offre de places en
maternelle est particulièrement importante en raison, notamment, de la diminution des effectifs
à scolariser.
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Reste à envisager la question de savoir si une politique de développement de
la préscolarisation à deux ans – même très sélective – est plus intéressante,
par rapport à son coût, c’est-à-dire est plus efficiente, que d’autres mesures
de politique éducative, comme par exemple, une aide spécifique aux élèves
en difficulté en début de primaire ou des mesures en direction de la formation des enseignants.
Il reste surtout à encourager les recherches, tant dans le domaine du développement psychologique que du développement cognitif pour éclairer les
décisions à prendre au sujet de cette scolarisation très précoce.
Bibliographie
J.-P. Caille, « Scolarisation à 2 ans et réussite
de la carrière scolaire au début de l'école élémentaire,» revue Éducation & formations, n° 60,
MEN-Direction de l’évaluation et de la prospective, juillet-septembre 2001, pp. 7-18.
H. Goldstein, Analysis of 1997 French pupil
panel study data, report to Ministry of Education
(DEP), juin 2003.
C. Jaggers, « Les élèves et les écoles du premier degré à la rentrée 2002 », Note
d'Information, 03.41, MEN-Direction de l’évaluation et de la prospective, juillet 2003.
J.-P. Jarousse, A. Mingat et M. Richard,
« Scolarisation maternelle à deux ans : effets
pédagogiques et sociaux », revue Éducation &
formations, n° 31, MEN-Direction de l’évaluation et de la prospective, avril-juin 1992, pp. 3-9.
J.-P. Jeantheau et F. Murat, « Observation à
l’entrée au CP des élèves du “panel 1997” »,
Note d'Information, 98.40, MEN-Direction de
l’évaluation et de la prospective, décembre 1998.
« L’éducation préprimaire », in Les chiffres chiffres-clés de l’éducation en Europe - 2002, EURYDICE, Eurostat, 2002.
« L’influence de la durée de pré-scolarisation sur
le cursus scolaire - Principales données statistiques sur l’école » in Consultation-réflexion
nationale sur l’école, ministère de l’Éducation
nationale, Paris, avril 1984, p. 185.
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Sources et méthodologie : l’essentiel des données sont issues des enquêtes annuelles sur
les effectifs des élèves en primaire et des panels d’élèves mis en place par la DEP.
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