déficit staturo-pondéral des élèves d`une école rurale marocaine
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déficit staturo-pondéral des élèves d`une école rurale marocaine
61 Bull. Soc. Pharm. Bordeaux, 2008, 147, 61-70 DÉFICIT STATURO-PONDÉRAL DES ÉLÈVES D’UNE ÉCOLE RURALE MAROCAINE (*) Mohamed EL HIOUI (1,2), Ahmed AHAMI (1), Youssef ABOUSSALEH (1), Stéphane RUSINEK (2) L’état nutritionnel de 295 enfants scolarisés âgés de 6 à 16 ans de la région rurale et socio-économiquement modeste d’Oulad Berjal, dans la province de Kénitra au Maroc, a été étudié. On observe un retard de croissance (8,9 %) et une insuffisance pondérale (12,6 %), sans différence significative entre filles et garçons. L’âge et l’analphabétisme de la mère sont des facteurs déterminants. INTRODUCTION Les infections et pratiques alimentaires défectueuses de l’enfant sont les principaux facteurs qui nuisent à sa croissance physique et à son développement mental [7]. L’enfant atteint de retard de croissance par suite d’une mauvaise alimentation et/ou d’infections récurrentes est davantage exposé à des épisodes diarrhéiques et à certaines maladies infectieuses, telles que le paludisme, la méningite ou la pneumonie [10-11]. (*) (1) (2) Manuscrit reçu le 9 septembre 2008. Unité de Recherche en Biologie humaine et Santé des Populations, Département de Biologie, Faculté des Sciences, Université Ibn Tofaïl, 14000 Maroc. [email protected], [email protected], [email protected] UFR de Psychologie, Université Charles De Gaulle, Lille 3, France. [email protected] 62 La population mondiale en 2000 comptait 25 % d’enfants malnutris sur 800 millions d’enfants scolarisés en primaire, avec une croissance de 10 millions par an [2]. Dans les pays en développement, la malnutrition de l’enfant, appréciée par le retard de croissance, est passée de 47 à 33 % entre 1980 et 2000. Malgré un accroissement de population, le nombre d’enfants de moins de cinq ans avec un retard de croissance a diminué de près de 40 millions en vingt ans. Le Maroc, pays en pleine transition économique, sociale et culturelle, connaît une urbanisation de plus en plus accrue entraînant des changements de style de vie et d’habitudes alimentaires Cette période de transition s’accompagne de déficience nutritionnelle (anémie, avitaminose A, carence en iode) et de surcharge pondérale des populations les plus vulnérables que sont les enfants et les femmes. Le défaut de croissance est associé à un retard du développement mental et à une insuffisance des résultats scolaires [4-6,9]. L’âge et l’analphabétisme de la mère sont les principaux facteurs de risque au retard de croissance auxquels s’ajoutent d’autres facteurs : niveau de vie des ménages, hygiène, manque d’information sanitaire, maladies, servage, alimentation peu diversifiée, coutumes et traditions [5]. L’objectif de la présente étude est d’évaluer les différentes formes de malnutrition chez des écoliers du Maroc rural et ses interactions avec les facteurs socio-économiques et environnementaux. MATÉRIEL ET MÉTHODES L’étude a porté sur 295 enfants (41,7 % de garçons et 58,3 de filles) scolarisés dans une l’école primaire de la région d’Oulad Berjal, dans la province de Kénitra du Gharb, au Sud-Ouest du Maroc. L’âge moyen est de 10,02 ± 2,5 ans avec des extrêmes de 6 et 16 ans, les classes allant du CP1 à la sixième, la dernière réforme de l’enseignement au Maroc ayant intégré dans le cycle primaire la sixième. 63 La majorité des élèves sont issus du douar Oulad Berjal et doivent parcourir au moins 500 m à pied pour se rendre à l’école. D’autres sont originaires de douars avoisinants et peuvent devoir parcourir plus d’un kilomètre. Le village est alimenté en eau potable et électricité et présente des fosses septiques pour l’assainissement. L’enquête transversale descriptive s’est déroulée au moyen d’un questionnaire structuré en plusieurs thèmes : - indicateurs démographiques et anthropométriques : âge, sexe, poids, taille, - caractéristiques socio-économiques : niveau d’instruction des parents (sans, primaire), profession des parents (sans emploi, embauche occasionnelle ou permanente, dans des fermes agricoles, dans la pêche artisanale), nombre d’enfants par ménage. Les mesures anthropométriques respectent les normes de l'Organisation Mondiale de la Santé et du Fonds des Nations Unies pour l'enfance [ 12 ]. Le poids a été mesuré à 0,1 kg près par une balance numérique à piles. La taille a été mesurée à 1 mm près avec une toise murale. Les indicateurs anthropométriques ‘rapport taille pour l’âge’ et ‘rapport poids pour l’âge’ ont été calculés par le logiciel Epi Info 2000. Ce sont des scores z, écarts de taille ou de poids à la valeur médiane par rapport à l’écart-type pour des enfants de même âge et de même sexe : score z = poids ou taille observée -valeur médiane σ écart-type Les enfants dont le rapport taille pour l’âge est supérieur à deux écarts-types en dessous de la valeur médiane de la population de référence sont considérés trop petits pour leur âge par l’OMS. Les enfants dont le poids pour l’âge est supérieur à deux écarts-types en dessous de la valeur médiane de la population de référence sont considérés comme ayant une insuffisance pondérale modérée tandis que ceux dont le poids pour l’âge est plus de trois écarts-types en dessous de la valeur médiane présentent une insuffisance pondérale sévère. 64 D’autres indicateurs, tels les percentiles par rapport à la médiane ou les ratios de l’indice taille ou poids par rapport à une valeur idéale, existent, mais les scores z reflètent mieux l’écart à la moyenne de la population. Le logiciel Epi Info 2000 a aussi permis de calculer des Odds ratios pour les rapports taille sur l’âge et poids sur l’âge inférieurs à plus de 2 écarts-types entre les classes des différents indicateurs. Si les Odds ratios sont proches de 1, les classes ne sont pas en cause. S’ils sont élevés ou tendent vers 0, c’est l’inverse. Les analyses statistiques reliant les rapports taille sur l’âge et poids sur l’âge aux autres déterminants nutritionnels ont été analysées par le logiciel SPSS version 10. La différence a été considérée significative pour P ≤ 0,05. RÉSULTATS Un déficit de taille est observé chez 8,9 % des élèves et une insuffisance pondérale chez 12,6 % d’entre eux (Tableau I). Tableau I : Malnutrition chez les élèves d’une école primaire de la région d’Oulad Berjal. Paramètres Rapport poids pour l’âge Rapport taille pour l’âge n % n % Score z < -2 σ 37 12,6 26 8,9 Score z ≥ -2 σ 258 87,4 269 91,1 Total 295 100 295 100 65 Le rapport moyen de la taille pour l’âge est de -0,56 ± 1,4 et celui du poids pour l’âge de -0,25 ± 1,04 (Tableau II). Tableau II : Paramètres anthropométriques des écoliers d’une école primaire de la région d’Oulad Berjal. Paramètres Filles Garçons Population totale moyenne ± écart-type moyenne ± écart-type moyenne ± écart-type Poids (kg) 28,29 ± 8,64 31,58 ± 9,57 29,08 ± 9,06 Taille (cm) 134,12 ± 14,1 137,78 ± 15,98 134,6 ± 15,26 Rapport taille pour l’âge -0,749 ± 2,24 -0,717 ± 0,992 -0,56 ± 1,4 Rapport poids pour l’âge -1,11 ± 1,2 -1,558 ± 6,64 -0,25 ± 1,04 Il n’y a pas de différence significative entre les deux sexes (p > 0,05). La prévalence de retard de croissance et d’insuffisance pondérale sont de 8,8 et 13,8 % pour le sexe masculin et de 9,7 et 14,0 % pour le sexe féminin. On observe une différence significative entre les tranches d’âges en ce qui concerne la taille pour l’âge et le poids pour l’âge (Tableaux III et IV). Le retard de croissance apparait moins élevé que la surcharge pondérale et augmente significativement avec l’âge (p < 0,01) en passant de 4,4 % à 6-10 ans à 14,8 % à 11-16 ans. L’insuffisance pondérale augmente aussi significativement avec l’âge (p < 0,05), passant de 8,2 % pour les enfants de 6-10 ans à 17,9 % pour ceux de 11-16 ans. Les enfants issus de ménages présentant plus de 5 enfants semblent être plus malnutris, mais cette différence n’est pas significative car l’intervalle de confiance de l’OR passe par 1. 66 Tableau III : Facteurs associés au déficit de taille (taille sur l’âge < -2 σ) chez les enfants d’une école primaire de la région d’Oulad Berjal. ≥-2σ n % < -2 σ n % Proba Odds Intervalle de bilité ratio confiance IC95 P OR de l’OR 0,90 1,03 0,46-2,31 0,00 3,77 1,54-9,20 0,40 0,73 0,33-1,61 0,01 4,09 1,19-10,27 0,15 1,86 0,79-4,37 0,37 0,55 0,15-2,04 0,20 0,95 0,93-0,98 Sexe filles 111 90,3 12 9,7 garçons 156 91,2 15 8,8 ≤ 10 152 95,6 7 4,4 > 10 115 85,2 20 14,8 ≤ 5 (enfants) 107 89,2 13 10,8 >5 158 91,9 14 8,1 analphabète 165 88,7 21 11,3 primaire et plus 95 94,0 6 6,0 analphabète 205 81,9 18 8,1 primaire et plus 55 85,9 9 14,1 ouvrière 17 85,0 3 15,0 sans emploi 244 91,1 24 8,9 ouvrier 250 90,3 27 9,7 sans emploi 27 100,0 0 0,0 Âge (ans) Taille de la fratrie Niveau d’instruction de la mère Niveau d’instruction du père Fonction de la mère Fonction du père 67 Tableau IV : Facteurs associés au déficit pondéral (poids sur âge < -2 σ) chez les enfants d’une école primaire de la région d’Oulad Berjal. ≥-2σ n % < -2 σ n % Proba Odds Intervalle de bilité ratio confiance IC95 P OR de l’OR 0,98 0,99 0,01 2,65 1,26-5,52 0,2 0,66 0,33-1,33 0,08 0,48 0,21-1,11 0,20 1,64 0,76-3,55 0,72 1,31 0,29-5,88 0,20 0,95 0,93 – 0,98 Sexe filles 107 86,0 15 14,0 garçons 152 86,2 21 13,8 ≤ 10 147 91,8 12 8,2 > 10 111 78,4 24 21,6 ≤ 5 (enfants) 102 85,0 18 15,0 >5 154 89,5 18 10,5 analphabète 158 85,0 28 15,0 primaire et plus 93 92,0 8 8,0 analphabète 198 87,4 25 12,6 primaire et plus 53 79,3 11 20,7 ouvrière 18 88,9 2 11,1 sans emploi 234 85,5 34 14,5 ouvrier 241 85,0 36 15,0 sans emploi 11 100,0 0 0,0 0,49-2,02 Âge (ans) Taille de la fratrie Niveau d’instruction de la mère Niveau d’instruction du père Fonction de la mère Fonction du père Les taux les plus élevés de malnutrition (11,3 et 15 %) se rencontrent chez les enfants issus de mères sans instruction. Une différence significative est notée entre le retard de croissance et le niveau d’instruction des mères (P = 0,013, Odds ratio de 4,09). Aucune autre différence significative n’est constatée entre le niveau d’instruction des parents et les déficits staturopondéraux. 68 DISCUSSION La malnutrition chez les 295 écoliers de la région d’Oulad Berjal est considérable : le retard de croissance touche 8,9 % d’entre eux et l’insuffisance pondérale 12,6 %. Aucune différence significative entre filles et garçons n’est observée pour les différentes formes de malnutrition. En dessous de cinq ans, les besoins alimentaires sont presque identiques et les enfants présentent la même prise de poids et de taille. Le sexe influencerait peu ou faiblement la prévalence de la malnutrition avant la préadolescence [2]. Le retard de croissance est beaucoup plus prononcé (p < 0,01) chez les enfants de 11 à 16 ans que ceux de 6 à 10 ans en conformité avec la littérature selon laquelle le retard de croissance tend à augmenter avec l’âge. La malnutrition peut survenir à des âges différents coïncidant avec des périodes plus ou moins sensibles du développement psychomoteur de l’enfant, pendant une durée variable et avec divers degrés de gravité. Le déficit en taille est le signe d’un retard de croissance qui commence très tôt vers l’âge de trois ans et qui reflète une malnutrition précoce. La diversification alimentaire et la salubrité de l’environnement sont des facteurs déterminants. Il semble aussi que le passage au repas familial ne soit pas toujours avantageux pour l’enfant [1]. Ce sont des contraintes générales en milieu rural car l’accessibilité physique et économique à l’alimentation n’est pas régulière. En plus, la généralisation de l’accès à l’eau potable est toute récente au Maroc. L’alphabétisme de la mère apparait comme le facteur de risque le plus important dans cette étude : la prévalence de l’insuffisance de taille diminue sensiblement avec le niveau d’éducation de la mère. Il faut signaler que dès la naissance, la relation mère - enfant est très forte, presque symbiotique [8]. Selon Madzingira [4], l’éducation parentale et surtout celle de la mère est un facteur déterminant dans la santé de l’enfant, surtout quand les conditions économiques sont difficiles. C’est le cas de la région d’Oulad Berjal, milieu rural avec une population globalement agraire. Il existe aussi dans le milieu rural des exploitations très importantes, voire même des industries agricoles qui font travailler les parents d’élèves. Ces entrepreneurs vivent en général en milieu urbain voire dans une ville voisine. Les enfants des familles rurales ont un déficit de taille plus élevé, compensé cependant par un poids plus élevé sans surcharge pondérale [1]. 69 CONCLUSION La malnutrition apparait donc avant tout comme une pathologie de l’environnement de l’enfant, du niveau de vie des ménages : pauvreté, choix des aliments, hygiène, approvisionnement en eau potable et surtout éducation de la mère. RÉFÉRENCES 1- 2- 3- 4- 5- 6- Aboussaleh (Y.), Ahami (A.O.T.) - Comparaison des mesures anthropométriques des enfants scolaires selon leur milieu de résidence : Étude dans la province de Kenitra au Nord Ouest du Maroc. - Antropo, 2005, 9, 89-93. http://www.didac.ehu.es/antropo/ 9/9-9/Aboussaleh.pdf El Ati (J.), Alouane (L.), Mokni (R.), Béji (C.), Hsaïri (M.), Oueslati (A.), Maire (B.) - Le retard de croissance chez les enfants tunisiens d’âge préscolaire. Analyse des causes probables et interprétation de son évolution au cours des 25 dernières années. - Options Médit., Sér. 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