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Annales de Toxicologie Analytique, vol. XIV, n° 1, 2002 Substances psychoactives et travail. Approche épidémiologique Psychoactives drugs and workplace. An epidemiological approach 2 Bernard FONTAINE*", Groupe Régional Toxicomanies et Travail ' (1) C o m i t é pour le D é v e l o p p e m e n t d e la M é d e c i n e du Travail, 118, rue Solferino - 5 9 0 0 0 L I L L E (2) Institut Santé Travail du N o r d d e la France, 1, avenue Oscar L a m b r e t - 5 9 0 0 0 L I L L E * A u t e u r à qui adresser la correspondance : Bernard F O N T A I N E , 118, rue Solferino - 5 9 0 0 0 L I L L E Tel : 0 3 2 0 12 83 0 0 - Fax : 0 3 2 0 78 25 89 er (Reçu le 1 février 2002 ; accepté le 20 février 2002) RÉSUMÉ SUMMARY La connaissance épidémiologique des toxicomanies en milieu professionnel est freinée par des obstacles d'ordres divers. - Éthique : information préalable et accord quant à la nature de la recherche. - Technique : les médecins du travail ont besoin d'une réponse immédiate, car laisser une aptitude en attente peut nuire au salarié. - Financier : le coût (en particulier la confirmation en CG/SM) représente un obstacle pour certaines entreprises. - Temporels : le temps consacré aux examens médicaux ne peut augmenter. - Réglementaire : une politique de dépistage systématique et organisé chez les salariés affectés à un poste de sûreté/sécurité (PSS) doit être prévue au règlement intérieur. - Culturel : nécessité de placer l'alcool au même rang que les autres psychoactifs. - Pratique : le rapport facilité d'utilisation/sensibilité/spécificité/adéquation aux besoins du monde du travail des tests Medical examination of the workforce is not sufficient by itself for assessing the problem. So it's necessary to complete it by a biological testing, which is difficult for many reasons, belonging to different ranks. -Ethics : workers must have been warned of the nature of the biological testing, and in agreement with it. - Technics : occupational physicians need quick on site results to be able to allow the fitness of the workers to the proposed job. - Money : the analysis coast (especially GC/MS) is unaffordablefor some enterprises. - Timing : impossibility of increasing unceasingly duration of medical examinations. - Regulation : systematic drug testing is impossible, even in the safety security workforce, except in case of specific internal rules allowing it. - Convenience : the different instant tests now on sale are not yet sufficiently fitted for an easy use in terms of sensibility, specificity, fitness to the proposed goal. 10 Article available at http://www.ata-journal.org or http://dx.doi.org/10.1051/ata/2002030 Annales d e Toxicologie Analytique, vol. XIV, n° 1, 2002 instantanés disponibles est insuffisamment performant. Une étude portant sur les urines anonymisées de 1 976 salariés du Nord Pas-de-Calais quasi représentatifs de la population salariée régionale, a été réalisée en 1995 en vue d'appréhender par recherche immunoenzymatique la consommation de cannabis, opiacés, amphétamines, cocaine, propoxyphene, alcool, benzodiazepines et barbituriques. Les médecins préleveurs n 'ayant pas le résultat des urines confiées au laboratoire, l'éthique était respectée car aucune conséquence n'était à craindre sur l'aptitude des salariés enquêtes à leur insu : le conseil de l'ordre des médecins avait d'ailleurs donné son accord préalable. Le pourcentage de salariés consommant au moins une substance psychoactive était de 17,6 %, mais au niveau des PSS atteignait 40 % ! Depuis, d'autres travaux ont été réalisés en particulier dans le monde du transport routier, et dans diverses entreprises, travaux dont une tentative de synthèse sera tentée. So as to bypass these difficulties a study ofl 976 urines from 1 976 workers of the Nord Pas-de-Calais area, who were quite representative of the regional workforce, was performed in 1995 in order to assess, by immunoenzymatic assay, the use of cannabis, opiates, amphetamines, cocaine, propoxyphene, alcohol, benzodiazepines and barbiturates. It was in respect with ethics, while none individual result was addressed to the physicians, and so, none adverse outcome was possible towards the workers who had not been warned before the test: the local medical order council was in agreement with that study. 17,6 % of the workforce used at least one psychoactive drug, but, for the safety security workforce, the percentage reached 40 %. Since that study, other ones were conducted, especially among truckdrivers, and we will try to resume them. MOTS-CLÉS Toxicomanies, lieux de travail, epidemiologie. KEY-WORDS Drug addiction, workplace, Introduction dosages qui allaient être pratiqués : il était donc indispensable q u e les médecins préleveurs n e puissent donc, a posteriori, modifier leur décision d ' a p t i t u d e en connaissant nominativement les résultats d e leurs salariés. C ' e s t la raison pour laquelle n e figuraient sur les flacons que les renseignements suivants : sexe, âge, lundi ou jeudi, origine géographique s o m m a i r e du prélèvement, affectation ou n o n à u n poste d e sûreté sécurité (PSS). C e dernier critère était laissé à l'appréciation des médecins du travail enquêteurs. L e m o n d e du travail n ' é c h a p p e p a s à l'augmentation constatée partout de la c o n s o m m a t i o n d e substances psychoactives. L e s difficultés d'appréhension du phén o m è n e sont n o m b r e u s e s , r e n d a n t difficile u n e approche épidémiologique rigoureuse, mais les nécessités d e la prévention imposent u n e connaissance "rais o n n a b l e " du p h é n o m è n e à l'échelon global pour pouvoir établir u n e stratégie à la fois éthique et pertinente. E n effet, seules des enquêtes de prévalence réalisées avec l'aide d e m é d e c i n s du travail peuvent apporter aux décideurs les arguments indispensables à la prise d e mesures proportionnées à l ' a m p l e u r des conséquences potentielles sur la sécurité dans les entreprises. Il va être détaillé dans cet article u n e étude réalisée en 1995 dans la région N o r d Pas-de-Calais (1), dont les insuffisances seront analysées, mais qui reste cependant à notre connaissance le seul travail d e c e type et d e cette ampleur dans le m o n d e du travail interprofessionnel. N o u s étudierons ensuite les obstacles à la réalisation d e nouvelles études, en tentant d ' y apporter des solutions. Matériel et méthodes L a conformité à l'éthique du protocole d ' e n q u ê t e est u n préalable indispensable à ce type d e travail. C ' e s t pourquoi l'information et l'accord préalable du C o m i t é Régional d ' E t h i q u e et d u Conseil Départemental d e l ' O r d r e d e s M é d e c i n s ont été obtenus avant le début d e celle-ci. C e protocole prévoyait le recueil systématique des urines d e tous les salariés vus en visite d ' e m b a u c h é ou en visite périodique u n lundi matin ou un j e u d i matin, sans q u e les salariés n e soient avertis des epidemiology. Les recherches ont porté sur les 8 produits ou classes d e produits suivants : cannabis, opiacés, a m p h é t a m i n e s , cocaïne, barbituriques, benzodiazepines, p r o p o x y p h e n e et éthanol, et ont été effectuées en i m m u n o e n z y m a tique par la m é t h o d e E M I T A u total, 1 9 7 8 urines de salariés de la région N o r d Pasde-Calais ont été recueillies, provenant d e 13 services différents d e médecine du travail volontaires pour participer à l'enquête qui s'est déroulée en janvier-février 1995. Résultats L a structure d é m o g r a p h i q u e d e la population testée est la suivante : 7 2 % d ' h o m m e s , d ' â g e m o y e n 37,6 ans ± 10,7. U n e sur représentation masculine est constatée (en 1990, la population active du N o r d Pas-de-Calais (données I N S E E ) comptait 5 8 % d ' h o m m e s ) , tandis q u e la classe d ' â g e 56-65 ans (4 % ) , q u o i q u e conforme à celle suivie en m é d e c i n e du travail à l ' é p o q u e , était plus faible q u e les 9,2 % annoncés p a r l ' I N S E E . L a figure n ° l présente les classes d ' â g e d e la population enquêtée. 11 Annales de Toxicologie Analytique, vol. XIV, n° 1, 2002 Si la répartition géographique des salariés donnait u n e représentation correcte de la population du Nord, il n ' e n était pas d e m ê m e dans le Pas-de-Calais où seuls les services d e m é d e c i n e du travail d e l'ex bassin minier, participaient à l ' é t u d e : il en ressort donc égal e m e n t u n d é s é q u i l i b r e n u m é r i q u e e n t r e le N o r d (88,3 %) et le Pas-de-Calais (11,7 %) au niveau du n o m b r e d ' u r i n e s collectées. Enfin, u n quart des salariés était affecté à u n P S S . L a prévalence globale des c o n s o m m a t i o n s de psychoactifs est présentée dans le tableau I. O n voit donc q u e près d ' u n salarié sur 4 (23,3 % chez les h o m m e s , 24,1 % chez les femmes) c o n s o m m e au m o i n s u n e substance pouvant affecter sa vigilance et/ou son comportement au travail. Les h o m m e s c o n s o m m e n t plus de cannabis et d ' a l c o o l q u e les femmes qui elles, préfèrent les benzodiazepines, a m p h é t a m i n e s et propoxyphene. A u c u n e c o n s o m m a t i o n de cocaïne n ' a été décelée. L a figure 2 renseigne sur le profil d e consommation par produits en fonction de l ' â g e . Les j e u n e s préfèrent le cannabis et, d e façon m o i n s nette, les amphétamines, tandis que les autres produits sont préférentiellement c o n s o m m é s par les classes d ' â g e plus âgées. Sans q u e la différence soit flagrante, la c o n s o m m a t i o n d e week-end d ' a l c o o l et de cannabis est mieux vue le lundi que le j e u d i . Sur le plan géographique, le profil des c o n s o m m a t i o n s est également différent, le bassin minier c o n s o m m a n t plus d'opiacés et le dunkerquois plus de cannabis. Plus intéressante et novatrice est l'étude de l'influence de l'affectation à un P S S (poste de sécurité-sûreté) sur la prévalence de consommation, montrée sur le tableau IL Bien q u ' i l n'existe pas de définition légale des P S S , il existe un consensus assez fort parmi les médecins du travail sur la liste indicative suivante, établie par les m e m b r e s du groupe régional Toxicomanies et Travail, liste indicative et non limitative des postes d e sûreté sécurité pour lesquels l ' u s a g e d e substances psychoactives est interdit au m ê m e titre q u e l'alcool : Risque de brûlure/explosion, risque de noyade, risque biologique ou chimique, risque nucléaire, mines et carrières, travail en hauteur, travail isolé ou en horaires décalés, travail sur machines dangereuses, conduite d ' e n g i n s d e chantier, de manutention, d e levage, conduite professionnelle (y compris V L ) , métiers de contrôle de la sécurité collective, accès par b a d g e à u n e zone sensible sans contrôle, secteur sanitaire et social, postes clés informatiques, postes de m a n a g e m e n t ou décisionnel, services financiers, pilotage de process, accès à des toxiques industriels ou à des m é d i c a m e n t s , port d'arm e , service de gardiennage et d ' i n c e n d i e . . . . On voit donc q u e 4 salariés sur 10 affectés à un P S S sont c o n s o m m a t e u r s , et que, à part les barbituriques et les benzodiazepines, toutes les autres classes de produits sont nettement concernées. Discussion L e premier point faible de cette étude est, bien évidem16-25 26-35 36-45 46-55 56-65 Classes d'âge Figure 1 : Caractéristiques tion testée. démographiques de la popula- Tableau I : Prévalence des différentes substances recherchées sur la population active testée (méthode EMIT). Paramètres % positifs % de femmes % d'hommes Opiacés 5,62 5,00 5,80 Cannabis 4,81 3,80 5,10 Benzodiazepines 4,07 6,30 3,30 Ethanol 3,00 0,97 3,80 Amphétamines 2,90 4,30 2,50 Propoxyphene 1,52 2,30 1,30 Barbituriques 1,46 1,40 1,50 0 0 0 Cocaïne 12 ment, la non confirmation en Chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de m a s s e , qui en particulier pour les a m p h é t a m i n e s et les opiacés est indispensable. Cette confirmation était initialement prévue, mais n ' a pu se faire pour des raisons budgétaires. On peut cependant supposer q u e la nette sur prévalence de consommation d'opiacés p a r les salariés les plus âgés est en rapport avec la pathologie bronchique hivernale, l'enquête ayant eu lieu en saison froide. A l'inverse, dans u n e optique pratique, peu importera au médecin du travail q u e le produit c o n s o m m é soit légal ou illégal, m é d i c a m e n t e u x prescrit ou m é d i c a m e n t e u x détourné, seule la répercussion de cette c o n s o m m a t i o n sur l'aptitude professionnelle sera décisive. L e deuxième point faible est son caractère régional, le N o r d Pas-de-Calais étant bien c o n n u c o m m e u n e région à haut risque de toxicomanies.. L e s autres faiblesses de ce travail sont, en dehors de son ancienneté (7 ans actuellement), et d e la non cou- Annales d e Toxicologie Analytique, vol. XIV, n° 1, 2002 AMPHETAMINES PROPOXYPHENE 4% -r 2% " 0% B D BENZODIAZEPINES BARBITURIQUES OPIACES CANABIS ALCOOL A 16-25 ans B 26-35 ans C 36-45 ans D 46-55 ans E 56-65 ans Figure 2 : Prévalence des différentes subtances testées selon les classes d'âge (Méthode EMIT). Tableau II : Prévalence des différentes substances testées selon F affectation ou non à un poste de sécurité (PSS) (méthode EMIT). publique, agriculture, a r m é e , secteur PSS - naire, et non p a r u n dosage sanguin m i e u x corrélable à % % u n e modification du c o m p o r t e m e n t ou d u niveau d e 10,20 4,50 vigilance. Enfin, l'explosion d e la prescription d e 12 5,40 buprénorphine depuis la réalisation d e cette étude est Propoxyphene 2,40 1,70 un point qui devient capital à appréhender dans le Amphétamines 5,20 3,20 Ethanol 5,40 1,50 Benzodiazepines 3,80 4,30 Barbituriques 1,40 1,50 verture de certains domaines professionnels (fonction artisanal,...), l'appréhension d ' u n e c o n s o m m a t i o n p a r u n dosage uriParamètres Cannabis Opiacés m o n d e du travail, tout c o m m e la c o n s o m m a t i o n d e cocaïne et dérivés dont nous savons q u ' e l l e existe maintenant chez des salariés d e notre région. A l'inverse, et malgré ces faiblesses, posséder u n e première approche d e prévalence d e c o n s o m m a t i o n , avoir 13 Annales de Toxicologie Analytique, vol. XIV, n° 1, 2002 traité la c o n s o m m a t i o n de psychoactifs c o m m e celle d ' é t h a n o l et avoir établi l'existence d ' u n e nette sur c o n s o m m a t i o n chez les salariés affectés à des P S S incite à aller plus loin dans la recherche. Depuis cette enquête, u n travail portant sur une population de 313 postulants chauffeurs routiers (2) a été r é c e m m e n t présenté : entre l'entretien préalable à l ' e m b a u c h e , où les chauffeurs sont avertis de la réalisation d ' u n test, et la réalisation d e la visite d ' e m b a u c h é par le m é d e c i n du travail u n mois plus tard, il y a 10 % d e désistement spontané. D a n s la population présente effectivement à l ' e x a m e n d ' e m b a u c h é (95 % de la population d e m o i n s d e 35 ans), on retrouve 11 % de c o n s o m m a t e u r s d e cannabis et 2 % de c o n s o m m a t e u r s d'opiacés. Références 1. Haguenoer J.M., Hannothiaux M.H., Lahaye-Roussel M.C., Fontaine B., Legrand P.M., Shirali P., Pamart B., Brillet J.M., Brouck N., Bailly L, Frimat P. Prévalence des comportements toxicophiles en milieu professionnel : une étude dans la région Nord Pas-de-Calais. Bull. Conseil Départ, du Nord Ordre Méd., 1997, 80, 11-5. 2. Delzenne C , Pradeau P. Limites, intérêt et avenir du dépistage systématique des substances psychoactives, étude sur une population de chauffeurs routiers. XXI Journées Méditerranéennes Internationales de Médecine du Travail. 26-28 oct. 2001, Marrakech. èmes 3. Fontaine B., Legrand P.M., Pamart B. Eloy E., Frimat P., Vignau J., Lhermitte M. Évaluation de 7 tests rapides pour le dépistage des substances psychoactives dans le cadre de la médecine du travail. Documents pour le médecin du travail, n°87, 3 trim. 2001, 321-4. ème Conclusion U n e enquête nationale d e prévalence dans le m o n d e du travail est maintenant nécessaire. E n attendant la réalisation d e celle-ci, des enquêtes par branches professionnelles doivent être initiées rapidement, en particulier dans les professions où la conduite d e véhicule représente u n e partie ou la totalité d e la tache à accomplir. L a promulgation récente du décret n° 2001-751 du 27 août 2001 et d e la loi n° 2 0 0 1 - 1 0 6 2 du 15 novembre 2001 devraient être des starters dans le déclenchement de nouveaux travaux, et aider à lever certains obstacles culturels et réglementaires (égalité avec l'alcool). Sur le plan éthique, l'inclusion au règlement intérieur d ' u n e liste consensuellement établie au sein des entreprises et l'adoption clairement a n n o n c é e d ' u n e politique d e dépistage à l ' e m b a u c h e et d e façon périodique et aléatoire chez les salariés affectés à l ' u n des postes de cette liste permettent d e concilier à la fois la protection de l'être h u m a i n dans sa singularité et dans son genre. L e s aspects techniques et pratiques sont, par rapport à 1995, nettement simplifiés par la qualité des tests instantanés proposés actuellement (3), tests qui doivent évoluer p o u r m i e u x s'adapter à la spécificité du m o n d e du travail, mais qui ne pourront j a m a i s cependant égaler la C G / S M qui doit rester l ' e x a m e n d e confirmation quand celle-ci est nécessaire. 14