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Par deux arrêts rendus le même jour (3 Civ. 8 juill. 2015, n° 13-27.248 et 13-14.348, à paraitre au Bulletin), la troisième
chambre civile de la Cour de cassation est venue compléter l’édifice jurisprudentiel relatif aux nullités des actes et
délibérations sociales, en s’alignant sur l’interprétation donnée par la chambre commerciale des dispositions du Code de
commerce et du Code civil. On sait en effet quelle insécurité juridique résulte de la rédaction des articles L.235-1 C.com.
et 1844-10 C.civ. en ce qu’ils posent respectivement à leurs alinéas 2 et 3 « la violation d’une disposition impérative »
comme cause de nullité, aux côtés des « lois qui régissent les contrats » ou des « causes de nullité des contrats en général ».
Mais comment se détermine le caractère impératif d’une disposition ?
Dans la première affaire (n° 13-27.248), il s’agissait d’établir si la participation à l’assemblée générale (AG) d’une SCI par
les héritiers d’un associé décédé n’ayant pas encore obtenu d’agrément des autres associés en vertu de l’article 1870 du
C.civ. était susceptible d’entraîner la nullité de la délibération sociale, par application de l’article 1844-10, al.3 C.civ. La
troisième chambre civile l’a retenu, en énonçant que :
LETTRE CREDA-SOCIETES n° 2015-23
De « la violation d’une disposition impérative »
comme critère de nullité d’une décision sociale
« il résulte de l'article 1844 du code civil que seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives de la
société ; qu'ayant relevé que les héritiers de Charles X..., qui n'avaient pas obtenu d'agrément dans les conditions
prévues par les statuts, ne pouvaient se prévaloir d'un agrément tacite et n'étaient pas associés de la SCI, avaient
cependant pris part à l'assemblée générale et à l'élection des gérants, la cour d'appel (…) en a exactement déduit que
l'assemblée générale qui s'était tenue irrégulièrement devait être déclarée nulle ».
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La nullité de l’AG est ainsi prononcée en raison de sa contrariété à l’article 1844, al.1 C.civ., dont la Cour rappelle le
caractère impératif.
Si, en vertu de ce texte et comme l’a solennellement rappelé l’arrêt Château d’Yquem (Com. 9 févr. 1999, n° 96-17.661,
Bull. civ. IV n° 44), tout associé a le droit de participer aux décisions collectives (et de voter), seuls les associés ont le droit
de participer aux décisions collectives. L’impérativité du texte joue à double sens, pour préserver une prérogative de
l’associé dans l’ordre interne, mais aussi vers l’extérieur, pour exclure les tiers du processus délibératif.
« exactement retenu que le principe d'unanimité, sauf clause contraire, pour modifier les statuts, posé par l'article 1836
du code civil, relevait des dispositions impératives du titre visé par l'article 1844-10 du même code » et d’avoir
déduit « à bon droit que la méconnaissance des règles statutaires de majorité renforcée requise pour la modification des
statuts était sanctionnée par la nullité ».
Par cette décision, la troisième chambre civile vient ainsi reconnaître le caractère impératif d’un texte auquel les parties
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peuvent déroger. Selon l’article 1836, al. 1 C.civ., « les statuts ne peuvent être modifiés, à défaut de clause contraire, que
par accord unanime des associés ». Or, c’est ici une « clause contraire », adoptée dans l’espace de liberté contractuelle
ouvert par le texte, qui avait été méconnue.
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le 7 septembre 2015
Dans la seconde espèce (n° 13-14.348), l’associé minoritaire d’une SCI avait assigné l’associé majoritaire, la société et ses
trois gérants successifs en annulation de certaines décisions sociales, dont une résolution ayant emporté modification de
l’objet social. Les juges du fond avaient prononcé la nullité de la résolution au motif que n’avait pas été respectée une
stipulation statutaire relative au quorum nécessaire. Sur pourvoi de l’associé majoritaire invoquant l'article 1844-10,
alinéa 3, du code civil, la Cour de cassation rend un arrêt de rejet et approuve la Cour d’appel d’avoir :
Rendus le même jour, ces deux arrêts peuvent être rapprochés en formulant une double remarque.
L’indifférence à la portée modificative des statuts de la décision contestée
La première remarque procède de l’identité du fondement de la solution, en dépit de la diversité d’objet des deux
décisions en cause. Alors que, dans la première espèce, l’AG tendait à la désignation d’un gérant, dans la seconde, la
résolution litigieuse impliquait une modification des statuts. Or, à la différence du Code de commerce, aucune
distinction n’est faite par le Code civil selon que l’acte ou la délibération modifie ou non les statuts. Si, en vertu de
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l’article L.235-1, al.1 C.com., la nullité doit trouver un fondement textuel lorsque la décision emporte une modification
statutaire, le Code civil contient une solution différente. L’article 1844-10, al.3 C.civ. pose comme critère unique « la
violation d’une disposition impérative du présent titre », quelle que soit la portée de la décision sociale. L’annulation des
deux décisions sur la base de dispositions qui ne renferment aucune nullité textuelle est, à ce titre, parfaitement
orthodoxe.
L’indifférence au caractère supplétif de la disposition
Si le fondement est commun, la méthode de détermination du caractère impératif l’est beaucoup moins. Alors que
dans la première espèce, la Cour de cassation donne son plein effet « négatif » - d’exclusion des tiers de la vie sociale –
au droit propre de l’associé que constitue la participation aux décisions collectives, la seconde décision reconnaît un tel
caractère au principe d’unanimité, sauf clause contraire.
Cette interprétation conduit elle-même à deux observations :
 l’impérativité de la disposition violée comme critère de nullité n’a pas pour antonyme le caractère supplétif de
la règle. Une règle peut parfaitement admettre une convention contraire et présenter un caractère impératif.
La notion d’impérativité n’est donc pas monolithique ;
 la violation d’une stipulation statutaire est alors susceptible d’entraîner le prononcé d’une nullité lorsque celleci a été adoptée dans l’espace de liberté conféré par une norme elle-même impérative. La troisième chambre
civile fait ainsi sienne l’interprétation donnée par la chambre commerciale dans son arrêt Larzul (Com., 18 mai
2010, n° 09-14.855, Bull. civ. IV n° 93), dans lequel elle avait jugé « qu'il résulte de l'article L. 235-1, alinéa 2, du
code de commerce que la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne peut
résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II du même code ou des lois qui régissent les
contrats ; que, sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition
impérative, d'aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues
dans les statuts ou dans le règlement intérieur n'est pas sanctionné par la nullité » (solution reprise au visa de
l’article 1844-10 C.civ. par Com. 19 mars 2013, n° 12-15.283, Bull. civ. IV n° 44).
Le constat de cette divergence de procédé entre les deux arrêts pour parvenir à des solutions identiques permet à la
troisième chambre civile de la Cour de cassation d’adresser un double message.
Sur un plan méthodologique, la Cour précise les acquis de la jurisprudence Larzul et rappelle que les statuts ne font pas
écran à l’impérativité de la règle mais, au contraire, qu’ils en sont le véhicule, le prononcé d’une nullité en cas de
violation n’étant que le révélateur d’une « impérativité d’emprunt ». Sur un plan substantiel, la troisième chambre civile
signifie sa volonté de donner son plein effet aux règles qui organisent la prise des décisions sociales, que celles-ci aient
trait à la préservation des prérogatives de l’associé ou aux conditions de majorité.
Jérôme Chacornac
Docteur en droit
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