LES AVOCATS, NOTAIRES ET
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LES AVOCATS, NOTAIRES ET
LES AVOCATS, NOTAIRES ET ADMINISTRATEURS AGRÉÉS SE LIVRANT À DES OPÉRATIONS DE COURTAGE IMMOBILIER Par : Paul Mayer du cabinet d’avocats Fasken Martineau Dans les derniers numéros d’eSpace Montréal, nous avons examiné la question de savoir qu’elles sont les personnes qui peuvent se livrer, contre rémunération, à une opération de courtage immobilier. Nous avons également vu que la Loi sur le courtage immobilier (la « Loi ») confère aux courtiers et agents immobiliers le droit presque exclusif de se livrer, contre rémunération, à des opérations de courtage immobilier. Dans les prochains numéros, nous étudierons trois catégories de personnes qui ne sont pas soumises à la Loi : les avocats et notaires, les administrateurs agréés et les employés qui, dans l’exercice de leur fonction principale, se livrent à des opérations de courtage immobilier pour le compte d’un employeur qui n’est pas courtier immobilier. Si elles répondent aux critères restreints des exclusions prévues par la Loi, ces personnes peuvent se livrer à une opération de courtage immobilier, contre rémunération, sans être membres de l’Association des courtiers et agents immobiliers du Québec (l’« ACAIQ ») et sans être assujetties aux règles et aux obligations imposées par la Loi. Pour les besoins de la Loi, est réputée se livrer à une opération de courtage immobilier, toute personne qui, contre rémunération et pour le compte d’autrui, agit en qualité de courtier (intermédiaire) dans le cadre d’opérations ayant trait, entre autres, à l’achat, la vente, la location ou l’échange d’un immeuble, de l’obtention d’un prêt garanti par hypothèque immobilière, ou de l’achat ou la vente en bloc d’un fonds de commerce. Avocats et notaires La Loi prévoit que les avocats et les notaires ne sont pas soumis à la Loi lorsqu’ils se livrent à une opération de courtage « dans l’exercice de leurs fonctions ». Page 2 Avant d’être modifiée en 1994, la Loi sur le courtage immobilier prévoyait que les avocats et les notaires, non titulaires d’un permis de courtier ou d’agent immobilier, pouvaient se livrer légalement à une opération de courtage, tant qu’ils étaient « en exercice », c’est-à-dire tant qu’ils étaient membres de leur ordre professionnel respectif. Il n’était pas essentiel que l’opération soit réalisée par des avocats ou des notaires agissant « dans l’exercice de leurs fonctions ». Le libellé plus restrictif de la Loi actuelle prévoit que, pour pouvoir se livrer légalement à une opération de courtage immobilier, les avocats ou notaires doivent agir dans le cadre de services juridiques qu’ils fournissent à leurs clients. Les activités de courtage doivent se rapporter à des services juridiques qui sont en train d’être rendus. En somme, les avocats et les notaires ne peuvent se livrer à une opération de courtage s’ils ne rendent pas d’autres services de nature juridique. Partage de rémunération Voici quelques cas pratiques à prendre en considération : · Un avocat ou un notaire ne peut légalement recevoir une commission d’intermédiaire de la part d’un courtier immobilier pour avoir mis un client en rapport avec ce dernier. Selon la Loi, un courtier ne peut partager sa rémunération qu’avec un autre courtier, un courtier qui exerce ses activités à l’extérieur du Québec et qui relève d’une autre juridiction, ou un cabinet, un représentant autonome ou une société autonome au sens de la Loi sur la distribution de produits et services financiers. · Le partage de la rémunération d’un avocat est assujetti à des contraintes prévues par le Code de déontologie des avocats, selon lequel l’avocat doit s’abstenir de partager ses honoraires avec une personne qui n’est pas membre du Barreau du Québec. Étant donné qu’un avocat ne peut se livrer à une opération de courtage que « dans l’exercice de ses fonctions », il serait possible de faire valoir que toute commission découlant de cette Page 3 opération constitue des honoraires d’avocat qui ne peuvent être partagés qu’avec un autre avocat. Un notaire dans l’exercice de ses fonctions L’affaire ACAIQ c. Jean-Pierre Hudon examinée par la Cour du Québec en 1999 portait sur un notaire qui s’est livré à une opération de courtage immobilier dans l’exercice de ses fonctions. Dans cette affaire, M. Hudon agissait en qualité de notaire pour le compte de la veuve d’un ami. Dans le cadre du règlement de la succession, la veuve a demandé à Hudon de s’occuper de la vente de sa maison. Ils ont signé un mandat exclusif prévoyant que M. Hudon recevrait une commission de six pour cent à la vente de l’immeuble. Le notaire avait placé une enseigne « À vendre » devant l’immeuble, en y indiquant son nom et son numéro de téléphone à titre de personne à contacter. L’ACAIQ avait intenté des poursuites pénales contre le notaire estimant que celui-ci avait commis une infraction en pratiquant la profession de courtier immobilier sans détenir de certificat. L’ACAIQ affirmait que la principale fonction d’un notaire était de rédiger et de réviser des actes notariés et des contrats. Selon elle, lorsque le notaire faisait office de courtier pour la vente de l’immeuble en question, il n’agissait pas « dans l’exercice de ses fonctions », ni conformément à la Loi sur le notariat. La Cour supérieure a confirmé le jugement de la Cour du Québec qui acquittait le notaire de l’accusation de s’être illégalement livré à une opération de courtage. Le tribunal a conclu que, étant donné que le mandat de vendre l’immeuble avait été confié à M. Hudon dans le cadre général du règlement de la succession du défunt, il était difficile de conclure que M. Hudon n’agissait pas dans l’exercice de ses fonctions. L’avocat ou le notaire peut-il remplir deux rôles? La question posée ici consiste à savoir si les avocats et les notaires peuvent choisir d’obtenir un certificat de courtier ou d’agent immobilier et de se soumettre aux dispositions de la Loi en vue de se livrer à des opérations immobilières autrement que dans l’exercice de leurs Page 4 fonctions. Aucune disposition de la Loi sur le Barreau n’interdit à un avocat d’être titulaire d’un certificat de courtier ou d’agent immobilier délivré par l’ACAIQ et de se livrer à des opérations de courtage immobilier autrement que dans le cadre d’un mandat juridique donné. Dans le cas des notaires, l’ancien Code de déontologie des notaires prévoyait que faire office de courtier ou d’agent immobilier était incompatible avec la profession de notaire. La Loi sur le notariat et le Code de déontologie des notaires actuellement en vigueur ne font aucune mention d’une telle incompatibilité, ce qui mène à la conclusion que le notaire peut maintenant se trouver dans une situation où il exerce les deux professions. Toutefois, en raison de la nature particulière de la relation qu’entretient un notaire avec ses clients, certaines questions de déontologie entrent en ligne de compte. Contrairement à un avocat qui représente les intérêts de son client dans le cadre d’une opération, on s’attend à ce qu’un notaire agisse au mieux des intérêts des deux parties. Un article du Code de déontologie des notaires prévoit que le notaire doit agir comme conseiller désintéressé, franc et honnête de ses clients ou des parties. En outre, ce code contient la disposition suivante concernant les conflits d’intérêts : « Le notaire ne peut être en situation de conflits d’intérêts. Il est en situation de conflits d’intérêts lorsque les intérêts sont tels qu’il peut être porté à préférer certains d’entre eux et que son jugement ou sa loyauté peuvent être défavorablement affectés. Dès qu’il constate qu’il se trouve dans une situation de conflits d’intérêts, le notaire doit cesser d’exercer ses fonctions. » Un notaire qui s’est engagé à fournir ses services en vue de toucher une commission en fonction du pourcentage du prix de vente d’un immeuble ou du prix de location de certains locaux pourrait éprouver de la difficulté à remplir l’obligation de « désintéressement » ou à assurer l’absence de conflit d’intérêts. Page 5 Administrateurs agréés Selon la Loi, les administrateurs agréés ne sont pas soumis à la Loi à l’égard d’un immeuble dont ils ont la gestion, lorsqu’ils en font la location ou se livrent à une opération relative à un prêt garanti par hypothèque. L’expression « administrateurs agréés » fait référence aux personnes qui sont titulaires d’un permis délivré par l’Ordre des administrateurs agréés du Québec et qui en sont membres. Cette exception à la Loi ne s’applique pas toutefois aux employés d’une société d’administrateurs agréés ou de gestion immobilière qui ne peuvent pas eux-mêmes porter ce titre. Étant donné que seule une personne physique peut détenir le titre d’« administrateur agréé », aucune personne morale (c.-à-d. aucune société) ne peut être inscrite comme administrateur agréé. Les employés d’une société de gestion violent la Loi s’ils ne sont pas des administrateurs agréés et qu’ils se livrent à des opérations de location d’immeuble dans le cadre des services de gestion rendus au propriétaire. Puisqu’ils ne sont pas admissibles aux exceptions prévues par la Loi, ils ne peuvent prendre part à une opération de courtage sans être titulaires d’un certificat de courtier immobilier ou d’agent immobilier délivré par l’ACAIQ. Pâquerette Doyon et La Seigneurie de Lorette Bien que, à notre connaissance, il n’y ait aucune jurisprudence traitant directement des administrateurs agréés dans le présent contexte, un certain nombre de causes se penchent sur les activités de sociétés de gestion immobilière qui se livrent à la location ou à la vente de biens immobiliers dans le cadre de leurs services de gestion. En 1996, dans la décision François Pigeon c. Courtage Immo-Choix S.E.N.C., le comité de discipline de l’ACAIQ a condamné la maison de courtage immobilier Courtage Immo-Choix Page 6 à une amende de 600 $ pour avoir permis à l’une de ses employés, Pâquerette Doyon, d’agir en qualité d’agent immobilier à l’égard de la location ou de la vente d’appartements en copropriété sous leur gestion, y compris des appartements en copropriété situés dans le projet connu sous le nom « La Seigneurie de Lorette ». Dans son jugement qui reconnaît la société coupable d’avoir violé la Loi, le tribunal a souligné ce qui suit : « il apparaît que si les contrats que gère l’entreprise sont principalement des contrats de gestion d’immeubles, il n’empêche qu’il s’y trouve une composante de courtage. L’intimée a assumé la responsabilité de faire exécuter par des personnes non qualifiées des opérations de courtage. » Cette affaire révèle que les sociétés de gestion doivent, dans le cadre de leurs activités de gestion immobilière, confier toute question relative au courtage immobilier à un agent ou courtier immobilier qualifié; sinon, elles agissent en violation de la Loi. Saratoga Construction L’une des conséquences possibles pour les personnes intervenant dans une opération de courtage immobilier en violation de la Loi est que celles-ci risquent de ne pas recevoir la commission ou les frais de gestion convenus. En 1997, dans l’affaire portée devant la Cour du Québec 171828 Canada inc. c. Saratoga Construction Inc., le propriétaire d’un immeuble a conclu un contrat avec une société de gestion qui s’est engagée à louer l’immeuble. Une provision mensuelle de 4 000 $, ainsi qu’une commission de 2 $ par pied carré pour chaque pied carré d’espace loué, avaient été convenues. Le tribunal a décidé que le contrat intervenu entre les parties était nul parce que contraire à l’ordre public, étant donné que les représentants ou la société de gestion n’étaient pas titulaires d’un certificat de courtage immobilier. Page 7 Tower Building Management Inc. À la lumière de la jurisprudence précitée et de nombreuses autres causes portant sur cette question, il est difficile de concilier la décision de novembre 2002 rendue par la Cour d’appel dans l’affaire Adelaide Capital Corp. c. Tower Building Management Inc. (« Tower »). Dans cette affaire, Adelaide Capital détenait une hypothèque de deuxième rang sur un édifice sis au 9540-9630, boulevard Saint-Laurent. Par suite de l’omission du propriétaire de l’immeuble de payer les impôts fonciers et d’effectuer ses versements hypothécaires, la gestion de l’immeuble a été confiée à Tower en octobre 1994. Celle-ci a reçu le pouvoir de louer l’immeuble, de percevoir les loyers et d’effectuer des réparations. Plus tard cet automne-là, Adelaide a décidé de vendre l’immeuble et a signé une lettre en vertu de laquelle elle s’engageait à verser à Tower une « commission d’aiguillage » (referral fee) advenant la vente de l’immeuble à l’un des acheteurs potentiels que Tower lui avait fait connaître. Pendant deux ans, Tower a tenté d’intéresser plusieurs personnes à acheter l’immeuble. En septembre 1996, Tower a reçu une offre d’achat de 3,5 M $ de la part de Tidan Inc., ou de toute autre société devant être formée par son représentant Jack Sofer. Le jour même où Tower a présenté cette offre à Adelaide, celle-ci a demandé à Tower de lui fournir une liste de toutes les personnes qui avaient été abordées et informées de l’intention d’Adelaide de vendre l’immeuble par l’intermédiaire de Tower. Tower lui a transmis le document en question, qui mentionnait le nom de onze personnes auxquelles l’immeuble avait été présenté, dont celui de M. Jack Sofer. Quelques semaines plus tard, Adelaide a donné à Colliers Pierremont Inc. le mandat exclusif de vendre l’immeuble. Pendant environ un an, Colliers, représentée entre autres par le célèbre Norman Laff, a reçu de nombreuses offres visant l’achat de l’immeuble, qui allaient de 2,5 à 3,1 M $. Puis, en février 1998, Tidan Inc., représentée par Jack Sofer, a fait, au nom d’une société à être formée, une offre d’achat de 3,4 M $ visant l’immeuble. La journée du Poisson d’Avril de 1998, Adelaide a vendu l’immeuble à une société représentée par Jack Sofer. À la Page 8 date de la clôture, Colliers a reçu sa commission et, au même moment, le contrat de gestion de Tower relatif à l’immeuble a été résilié. En juillet 1998, Tower a fait parvenir à Adelaide une demande réclamant un paiement de 136 000 $ pour services professionnels rendus, conformément au contrat de 1994. Adelaide a refusé de payer la somme demandée, en invoquant que cela aurait pour effet de violer la Loi étant donné que Tower ou ses représentants n’étaient pas titulaires d’un certificat de courtier immobilier. Tower a retenu les services de l’expert en droit Henri Richard, auteur de l’ouvrage intitulé Le courtage immobilier au Québec. En mai 2000, dans un jugement plutôt court dépourvu de jurisprudence, la Cour supérieure a rejeté l’argument d’Adelaide en affirmant que la lettre d’entente de 1994 devait être interprétée selon ses modalités et que : « … Cette convention ne réfère nullement à la Loi de courtage immobilier, même d’ordre public, il n’empêche que l’on peut transiger conjointement autre convention particulière - consultant fee/referral fee. » En novembre 2002, la Cour d’appel a confirmé cette décision, en qualifiant l’entente intervenue entre Tower et Adelaide d’entente de « referral fee », laquelle commission devrait être légitimement versée à l’égard de la vente de l’immeuble à un acheteur potentiel présenté par Tower. Les « commissions d’intermédiaire » (finders fee) sont-elles maintenant légales? Cette décision est pour le moins surprenante étant donné qu’elle va à l’encontre du courant jurisprudentiel presqu’unanime selon lequel il est illégal de verser une commission d’aiguillage ou d’intermédiaire à une personne qui n’est pas titulaire d’un certificat de courtier ou d’agent immobilier. Cela est particulièrement vrai lorsque l’on tient compte du fait que la Cour d’appel a reconnu que c’est Tower qui a initialement fait connaître l’acheteur à Adelaide. Page 9 Cette décision contredit ainsi la définition d’opération de courtage immobilier énoncée en 1981 par la Cour d’appel dans l’affaire Bowes c. Kracauer : [TRADUCTION] « Toute personne qui recherche un vendeur ou un acheteur, selon le cas, dans le cadre d’un mandat à cet effet au nom d’une autre personne, agirait en qualité de courtier au sens où l’entend la loi. » Cette décision va également à l’encontre des décisions rendues par la Cour d’appel dans les affaires Stern c. G.S.A. Management Inc. et Belgo Fisher (Canada) Inc. c. Lindsay que nous avons examinées dans le numéro précédent d’eSpace Montréal. Ces arrêts établissent qu’il est illégal de verser une commission d’intermédiaire à une personne qui n’est pas titulaire d’un permis de courtier immobilier ou d’un certificat d’agent immobilier. Cette décision est également incompatible avec une décision plus récente rendue en 2003 par la Cour d’appel dans l’affaire Compagnie de Fiducie M.R.S. c. ACAIQ. Dans cette cause, le tribunal a jugé que des courtiers à l’emploi d’une firme de valeurs mobilières référant de leurs clients, à la recherche de prêts hypothécaires, à une société affiliée à cette firme se livraient à des opérations de courtage immobilier. En conclusion, le bien-fondé de cette décision pourrait être mis en doute. Elle sera toutefois inévitablement citée à l’avenir comme autorité dans des affaires où des questions similaires sont en litige. Dans le prochain numéro, nous examinerons la situation d’employés qui se livrent, dans l’exercice de leur fonction principale, à des opérations de courtage au nom de leur employeur qui n’est pas un courtier immobilier.