Vinaigre - FranceServ Hébergement
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Extrait de : Mémoires de … Antoine de MONTALIVET Décembre 2000 … tonnelets et vinaigriers 513 Vinaigre S i l'expression Faire vinaigre a exécuter rapidement ne peut renier son origine dans la rapidité que mettra un reste de Haut Médoc à tourner au fond de sa bouteille, le mot en lui-même n'a pas changé ; tout au moins depuis 1246 et l'élaboration du produit à cette époque vaut bien un chapitre : Se vous voulez faire provision de vinaigre, vuidiez1 le tonnelet de vostre vielz6 vinaigre, puis lavez le tonnelet très bien de très bon vinaigre et non mie7 d'eaue chaude ne8 froide : après mettez les laveures9 en un vaisseau10 de bois ou de terre et non mie d'airin11 ou de fer, et illec12 laissiez reposer et rasseoir vos rinsseures : puis vidiez le cler13 et le coulez14, et mettre de rechief15 au tonnelet, et l'emplez d'aultre bon vin, et mettez au soleil et au chault, le fons16 percié en six lieux et destoupé17 de jour, et de nuit et par brouillas18 estoupez19 tout; et quand le soleil revient, destoupez comme devant. Le Ménagier de Paris — 1373 Cette recette pour la fabrication du vinaigre est certainement une des plus anciennes de notre histoire culinaire et nous l'avons découverte dans le merveilleux ouvrage de gestion familiale dont nous vous avons entretenu plus haut, LE MÉNAGIER DE PARIS, composé en 1373, dans le dernier siècle du Moyen âge. 1 videz 6 vieux 7 pas 8 ni 13 alors le vinaigre décanté 18 brouillard, temps humide et de lin) 12 9 lavures 10 récipient 11 alliage de cuivre et d'étain 15 16 17 filtrez remettre fond débouché 19 fermez avec un bouchon d'étoupe (fibres de chanvre 14 514 Mémoires de … Nous y puisâmes, entre autres, le mode de bonne fabrique de l'Ypocras, traité dans un chapitre voisin ainsi que celui-ci, consacré au vinaigre. Le vinaigre ne peut donc être évoqué sans donner conseils et recette, et il n'est bon vinaigre qu'icelluy faict de bon vin ! Nécessaire de départ : Un tonnelet de bois de 15 à 25 litres (gardez-vous bien que la caque ne sente le hareng !)2, 1 litre de très bon vieux vinaigre de vin (il en existe), 1 litre de vinaigre ordinaire à deux sous, 12 litres de bon vin V.C.C., ou mieux A.O.C., et un peu de patience. Que le lecteur ait grande bienveillance à ne point disputer avec nous du prix d'un honneste A.O.C. en regard du coust d'une place de Guignol-foot, d'un billet de psycho-cinéma ou d'un si pratique carton-poubelle de mac-donalderie, duquel, mesme en période de grande disette, les gorets de nos aïeux en auraient fait fort émeuvement et noisante révolte. Adoncques, si vous acceptez les conditions, mettez le tonneau à gonfler en le remplissant d'eau, dans un bac, jusqu'à ce qu'il ne perde plus ; vous aurez pris la précaution, par avant, de mettre en place le robinet de soutirage. Le lendemain, ou quatre jours après, vérifiez la parfaite étanchéité ; si ce n'est pas le cas, refaites le plein et laissez un jour de plus ; cela peut vous consumer de trois à huit jours suivant l'état de dessèchement des douvelles. La meilleure fabrique est de le laisser déborder la nuit et le jour sous la fontaine.3 Lors, videz la futaille et bien rincez l'intérieur avec un litre de vinaigre ordinaire. Jetez sans remords ce vinaigre de rinçage ; il aura 2 Les tonneaux où étaient entassés les harengs salés conservaient l'odeur du poisson durant toute leur existence. L'expression "La caque sentira toujours le hareng" fut appliquée, sous Henri IV, aux protestants convertis par opportunité, mais qui conservaient malgré eux des comportements de catholiques. Il nous vint également de cette époque une autre expression : "Avoir une allure peu catholique". 3 Mais y a-t-il encore des fontaines sur la place des cités ? … tonnelets et vinaigriers 515 épuré le bois des miasmes, ayant occis moult méchantes bactéries et autres êtres picoscopiques qui colonisent facilement le vin. Certains, comme la fleur de vin, petites moisissures blanchâtres, flottant en surface dans une bouteille entamée et non estoupée, provoquent la pourriture du noble liquide. Il est imprudent d'utiliser ce vin tourné pour recharger par la suite le tonneau de vinaigre. Au risque de se répéter : Il n'y a bon vinaigre que de bon vin ! Faites alors cuire à tout petits bouillons une demi-dizaine de minutes, le très bon vinaigre que vous achetâtes, et le versez chaud dans le tonneau. Versez sus les 4 litres de vin tiédi et laissez sommeiller huit nuits et huit jours dans un lieu calme et tempéré. (Pas sur le frigo qui vibre tout le temps ni dans la baignoire !) Ce sera parfait de dix-huit à trente-cinq degrés et l'opération sera plus rapide l'été que l'hiver. Deux semaines plus tard, complétez avec 4 litres ; un mois après, avec les 4 derniers litres. Attention, ces ajouts, ainsi que tous les futurs, doivent se faire sans déchirer le voile gris, hébergeant des amis dont nous allons parler – la famille Mycoderma – qui crawle en surface du vinaigre. Un petit tuyau, embouché à un entonnoir fera l'affaire pour transvaser, en l'immergeant à mi-hauteur du liquide, une branchette de bois servant de jauge. Car, et c'est là où il faut tout vous dire, le vinaigre se fait par l'entremise magique (mot très à la mode et qui dévalorise un auteur s'il n'est pas employé au moins une fois dans un ouvrage), par l'entremise donc, d'un champignon unicellulaire, proche des levures, Mycoderma acéti. Bien sur, il n'est pas tout seul et ils s'y mettent à plusieurs pour œuvrer avec acidité ; il faut à ces messieurs beaucoup d'oxygène pour qu'ils acceptent de se fixer sur l'alcool, le transformant avec grande bénignité en acide acétique. Nous pourrions donc en extrapoler que multiplier la surface du liquide en contact avec l'air divise le temps nécessaire à la transformation. C'est vrai, mais point trop 516 Mémoires de … n'en faut car il faut compter aussi avec l'évaporation ! Pas de bouchon donc qui nous asphyxierait nos O.S., mais un voile de tulle ou un linge fin tendu au-dessus de l'ouverture, pour protéger des poussières et des insectes. Parmi ilceux, et par parenthèse, la mouche du vinaigre, alias Drosophila melanogaster ; elle est loin d'être, comme souvent entendu, la bonne fée de la transmutation pinardière ! C'est plutôt du genre squatter, ascendant pilier de bistrot, se shootant au BélierRotschild 1932. Ivre morte, elle choit en surface, puis coule à pic, allant rejoindre le cimetière des mycodermes, au fond du tonneau. Cette masse mucilagineuse ayant la texture et l'aspect d'un foie, est nommée improprement la mère. Longtemps l'on crut, en effet, et l'on croit encore, qu'il fallait un morcel de cette substance pour commencer la fabrique d'un vinaigre. Bien le rebours, ces cadavres consomment l'oxygène contenu dans le liquide, transforment et parfois détruisent les composés aromatiques que nous achetâmes dans la même bouteille que notre bon vin. Tous les deux ans, vuidiez donc votre barriquet dans une bassine ; laissez décanter, filtrez et remettez le cler. Ah !, ils n'étaient pas si niais que çà, en 1373 ! Leur culture, dépourvue des moyens scientifiques d'à présent, était fondée sur des observations dont l'analyse récurrente produisait un savoir-faire, hélas trop souvent disparu aujourd'hui. Un bon petit mois après votre mise en vin du tonnelet, permission vous sera alors accordée de soutirer un verre du précieux nectar. Humez-le, trempez votre petit doigt et goûtez avec une bouche propre. Par pitié, pas de chewing-gum à la menthe, de pastis ou de bière avant ! Si le parfum est franc, sans arrière-goût de vinasse, vous pouvez en tirer un litre, que vous remplacerez par 4 litres de bon vin. Si en revanche, il reste encore des traces de vin, remettez dans la pièce et faictes attente d'un mois de mieux. Peu à peu, lors des recharges vous arriverez aux deux- tiers de votre tonnelet. Haltez-vous là et ramentez-vous les travailleurs F.O. … tonnelets et vinaigriers 517 (Faut de l'Oxygène). D'où l'avantage d'avoir un vase d'une capacité de 25 litres, pour n'en utiliser que 16, dont on prélèvera de temps en temps 5 ou 6. Mettez donc la riche liqueur en bonnes bouteilles bien closes, y ayant glissé au préalable qui-cy, une branche d'estragon, qui-là, quelques brins de ciboulette ou échalote ou ail ou pistou de basilique, ou autres que vous goustez autant. Ainsi, vous serez lentement élevé au rang de fournisseur titré du château. Le seigneur vous en baillera très bons écus et grande bénévolence, à vous et à vostre bergère épousaillée. Et vous verrez la famille d'iceluy, si ce n'est la vostre ou celle d'amis de près, courir à vos chausses et ne point lâcher vos basques, par temps de tomates écarlates. Il se peut, asseurément, faire vinaigre de Rouge et de Rosé de la même fabrique. Le Rosé se faict aimablement, tant qu'il est issu d'un bon vin peu soufré. Ne contenant pas de tanin, il est plus doux et moins astringent au palais, mais au revers, pour la même raison, il est plus long à clarifier, et seule la décantation dans le temps vient à bout du trouble. Quant au Blanc, encore plus délicat, il vaut mieux désamarrer avec quatre litres de Rosé bien fait, et passés à l'étamine garnie d'un linge neuf. Ils seront meslés intimement la première fois à un litre de blanc, puis à deux ou trois par mois, suivant la capacitance de roulement nécessaire à la bonne façon de l'ouvrage. Après quelques soutirages et quelques remises à niveau, le vinaigre sera blanchi. Prenez garde aux Blancs par trop acides. Ayez préférence, de temps en temps, pour un moelleux Sauternes ou un doux Jurançon de Navarre. L'œuvre vous mandera peut-estre un an, mais ce qui vient trop vite n'est jamais de bonne facture… La considération de cette meilleure mode de fabrique du vinaigre blanc en est ici : MM. Mycoderma acéti réclament salaire pour leur ouvrée. Les protéines présentes dans le vin leur font bonne paye si le milieu est légèrement acide. Hélas, une grande foule de vinaigres 518 Mémoires de … blancs du commerce ne sont que forts acides acétiques chimiques qui n'ont vu vin que sur les étiquettes des bouteilles voisines du Supermarché. Essayez donc de commencer du bon boulot avec des produits frelatés ! Autre gracieuse précision : Avec un vin hault en alcool il s'obtient un vinaigre fort acide et inversement. Malheureusement, il existe peu de bons vins de 9 ou 10 degrés. Alors, n'en tenons pas compte et utilisons du 11 ou du 12 degrés, mais avant de mettre en bouteille pour consommer, ajoutons un peu d'eau (la moins calcaire possible). A titre indicatif et empirique, deux tiers de litre de vinaigre issu d'un vin de douze degrés et un tiers d'eau fourniront un très doux et agréable condiment qui réjouira les chloroplastes et les stomates des verts pétales de vos scaroles, laitues et copines, sans en jamais les brûler, ne vos papilles, ne vostre gosier. Et si vous êtes un adepte de la secte des Perfectionnistes, vous placerez votre robinet au quart bas de votre tonneau, rebouchant par un fausset le trou originel sis par trop vers le fonds où s'accumulent les lies. Le temps et l'heure venus, vous soutirerez délicatement un tiers du volume – attention à ne pas entraîner le voile gris – et vous en emplirez un second fût que vous baptiserez "Affinage". Vous verrez le goût se modifier au fil des mois et cela est fort gratifiant pour la bonne bouche. La décantation sera optimale et vous n'aurez même plus besoin de filtrer avant d'embouteiller, si vous prélevez à petit débit, en grande douceur. Si de grands espaces de service vous disposez, alors à ce jeu jouez. En achèvement du sujet, moult mandements de pardon à Monsieur de Larousse, mais un vinaigrier n'a jamais été un récipient pour fabriquer le vinaigre ; et moult gratulations à Monsieur de Robert qui le désigne avec grande justice comme le flacon présentant le vinaigre sur la table. … tonnelets et vinaigriers 519