Le sociographe Hors-série n°4 : Morts sociales

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Le sociographe Hors-série n°4 : Morts sociales
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Sommaire
Éditorial / Guy-Noël Pasquet
9
Des morts et des vivants
Préface / Nadia Veyrié
13
Penser la mort et mort de la pensée
1 / Ante mortem
Magali Comte
21
Soltania, ou quand l’assistante sociale devient accompagnatrice à la
mort
Josyane Chevallier-Michaud et Cécile Thiriot
27
Le travail médico-social des soins palliatifs à l’hôpital
Nadia Veyrié, Émilie Mouchet et Virginie Testu
49
Fin de vie et « demandes d’euthanasie ». Des paroles de professionnels
aux dimensions médico-sociales
Laurence Hardy
65
Modes d’anticipation des funérailles et du « risque de mort ».
Salut, marchandisation et cooptation
Gil Labescat
79
Vers une mort à la carte : la crémation. Représentations collectives et
modalités individuelles
2 / Post mortem
Thierry Braganti
99
La mort en ce lieu. Production de la trace et lutte contre l’oubli en
Centre d’hébergement et de réinsertion sociale
Claude Javeau
131
Brûler le feu
Nadia Veyrié
145
Des rituels funéraires pour les animaux ? Ou quand l’animal questionne
l’altérité
Agathe Petit
159
La mort au loin. L’exemple des migrants de la Sénégambie en France
3 / Au -delà…
Jean-Marie Brohm
179
De l’anthropologie de la mort à la philosophie de la vie. Transversalité,
complémentarisme et éthique (entretien)
Résumés
206
Ré
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Déprogrammer la mort
comme événement fatal,
comme événement symbolique,
et ne l’inclure désormais
que comme réalité virtuelle,
comme opinion,
comme alternative
dans le logiciel de l’être vivant.
Cependant, les morts,
même virtuels, se vengent.
Jean Baudrillard
L’ÉCHANGE IMPOSSIBLE
1999
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Des morts et des vivants / 9
Guy-Noël Pasquet
Des morts et des vivants
Le Sociographe ne pouvait que se retrouver sur un thème comme
la mort. Comment témoigner de la mort ? Comment en parler ?
C’est un thème où les « usagers » ne peuvent plus parler ! Le mort
ne communique pas et ce sont les vivants, qui ne connaissent pas
la mort, qui en parlent. Et tout le monde parle de la mort, même si
elle laisse parfois sans voix, dans le silence, voire la musique comme
seul témoignage possible fait aux morts. Les vivants parlent-ils
d’ailleurs des morts aux morts, ou aux vivants ? La mort n’est
jamais là, mais elle est rappelée à chacun d’entre nous par ceux qui
meurent. Les témoignages de la mort sont toujours vivants, aussi
paradoxalement que cela puisse paraître. Les cimetières et autres
lieux funéraires sont des espaces de témoignages dédiés. En effet,
les stèles funéraires assurent qu’ici repose une personne qui est
décédée. Mais cette « spécialisation » des lieux pour les morts est
aussi une division sociale de l’espace laissant supposer qu’en dehors
de ces lieux de commémoration de la mort, c’est le règne de la vie.
La vie séparée de la mort, la mort séparée de la vie. Celui qui
meurt est celui qui n’a pas de chance, que la maladie vient « faucher », qui a eu un accident, comme si de toute façon, la vie ne
pouvait pas connaître la mort en dehors de son échec du vivant. La
mort non pas comme l’aboutissement, mais comme l’échec…
Pourtant, d’une certaine manière, la mort est plus inéluctable
que la vie. Les morts sont plus nombreux que les vivants. Même si
nous atteignons bientôt les dix milliards de vivants sur Terre, com-
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10/ Guy-Noël Pasquet
bien faut-il compter de morts pour arriver à autant de vivants ?
Des statisticiens démographes bien éclairés pourraient trouver des
ratios montrant que la quantité de vivants est proportionnelle à la
quantité de morts. Sait-on même combien la Terre a nourri d’individus depuis l’avènement d’Homo-sapiens ? Ainsi, même hors des
lieux de recueillements pour nos morts, en dehors de nos édifices
spécialisés dédiés aux morts, les morts sont partout. Que l’on
regarde passer une voiture, et l’on peut se demander combien de
morts il a fallu pour qu’une telle invention puisse être possible, de
même pour une tasse de café, un bâtiment, du goudron sur la
chaussée, un verre pour boire, un couteau, une fourchette, un
interrupteur pour la lumière et tout autre instrument. Tout objet
peut être commémoratif. « Spécialiser » des lieux pour les morts
serait, en somme, essayer de les contenir à ne pas tout envahir. Si
les morts se levaient, ils risqueraient de confisquer totalement l’espace et peut-être le pouvoir.
Les histoires entre les morts et les vivants peuplent d’ailleurs
nos imaginaires. Les figures de revenants, des morts-vivants, des
vampires qui aspirent le sang des vivants. Le mort qui lèche le
vivant dans ce double mouvement d’attirer le vivant à lui en le faisant mourir, mais aussi de prendre la vie pour revivre, sortir de sa
condition de mort. La mort attire, parce qu’elle est autre, mystérieuse et que dans nos vies – où il est difficile de sortir de nos
conditions –, nous pouvons être tentés par des ailleurs que la mort
peut représenter. La mort repousse également parce qu’elle apparaît
comme définitive dans la rupture avec le monde des vivants que
nous côtoyons, que nous connaissons, avec lequel nous avons nos
repères. L’enfance et l’adolescence où le changement de lieu est à
l’ordre du jour (quitter la maison, trouver sa place) sont forcément
enclines à s’essayer avec les imaginaires des morts-vivants. Les jeux
du foulard dans les écoles, la consommation de stupéfiants ou d’alcool, de produits qui conduisent à des états modifiés de conscience,
certaines pratiques de modifications corporelles ou de conduites à
risques sont autant de signes qui montrent la nécessité d’entretenir
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un dialogue avec les morts. Faire parler les morts est moins risqué
que d’aller voir les morts pour les entendre… quand il ne reste que
le suicide. Mais quand laissons-nous apparaître nos morts ?
Le rapport de cette « jeunesse » avec les « vieux » n’est d’ailleurs
qu’un effleurement de la relation entre naissance et mort. À la
naissance qui devient un élément contingent du souhait d’avoir
des enfants répond la mort qui est l’élément contingent d’une vie
passée à se conserver. La conservation du patrimoine culturel, nos
édifices qui retrouvent leurs fonctions d’origines illustrent ce phénomène : les monuments romains pour retrouver la « vie
romaine », les châteaux du Moyen Âge pour retrouver les « contes »
et « serfs », etc. Pendant ce temps, les barres HLM peuvent continuer à être détruites dans le silence des vies qui n’ont nulle part où
mourir. Si les lieux de commémoration ont leur utilité, gageons
qu’ils ne soient pas au seul usage des morts qui, mêmes inconnus,
ne sont pas morts pour rien. Il y a des morts qui sont nommés –
même par leur qualité d’être des inconnus –, et il y a des morts qui
ne le sont pas. La « revanche » des morts-vivants constitue toujours
le retour des morts qui n’ont su être nommés.

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