Le pays d`où je suis
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Le pays d`où je suis
Le pays d'où je suis Conférence de 24 janvier 2016 par Emma Oxenby Wohlfart Comme vous le savez bien, cette conférence s’intitule « Le pays d’où je suis ». Je vous parlerai donc du pays où je suis née : la région la plus méridionale de la Suède, la Scanie. Ce n’est pas un pays très connu dans l’Europe, mais si je vous dis son nom latin, Scania, ça vous dit peutêtre quelque chose. Ce constructeur de poids-lourds a commencé à construire des voitures en 1900 à Malmö, là où j’ai passé mon bac au même lycée, au même temps, que Zlatan Ibrahimovic, le footballeur du PSG. Mais ça, c’est la Scanie d’aujourd’hui. Comme nous sommes une association d’histoire, je vais commencer par vous parler quelques minutes de l’histoire. J’avoue que quand Yves m’a proposé de donner cette conférence je n’étais pas vraiment sûre de quoi parler. « Le pays d’où je suis », oui, mais est-ce que c’est forcément la même chose que « le pays d’où je suis née » ou « le pays d’où je viens » ? Et le pays d’où je viens aujourd’hui, est-ce que c’est forcément là d’où je viendrai demain ? Les identités changent, et lors de l’immigration et l’intégration elles changent beaucoup. Je vous parlerai ainsi de ce qu’il veut dire, à mon avis et à mon expérience, d’adopter une nouvelle identité, en tant que « Bretonne en herbe ». Mais commençons par l’histoire, pour vous donner un peu de contexte... Je vous ai dit que la Scanie est la région la plus méridionale de la Suède. En vérité elle n’a pas toujours été une région suédoise. La Scanie a perdu son indépendance presque au même temps que la Bretagne a perdu la sienne, vers l’an 970. En Scanie, c’était à cause de la conquête par Harald à la dent bleue, le premier roi chrétien du Danemark. Lorsque la Scanie était un royaume indépendant, la plus grande ville de la Scanie était Uppåkra. Aujourd’hui c’est un petit village dans la commune où je suis née, mais pendant l’Âge de Fer c’était la plus grande ville, connue aujourd’hui, de toute la Scandinavie. En particulier, il y avait un très grand temple aux dieux Scandinaves. On y a trouvé beaucoup d’objets de culte, comme ce pendentif du dieu Odin dont je porte une copie. 100 ans après l’annexion et la christianisation de la Scanie par le Danemark, la Scandinavie a reçu son premier archevêque. Avant cela, on était sous l’archevêque de Brême, d’abord dans l’Empire Carolingien puis le Saint-Empire romain. Ce nouvel archevêque est siégé à Lund en Scanie, à peine 5 kilomètres de Uppåkra, qui est quasi-abandonné après la conquête danois. Bientôt, la Scanie était la région la plus riche et la plus fertile de Danemark. C’était là où les nobles danois ont construit leurs châteaux. C’était là où on a eu le drapeau officiel. C’était là où on a trouvé la monnaie de Danemark. Si vous imaginez la Scandinavie comme un zone paisible, il faut tout oublier. On est toujours dans l’ère des Vikings. En ce moment, le Danemark a récemment perdu l’Angleterre et le nouveau roi d’Angleterre vient de perdre son pays à Guillaume le Conquérant. Après les Vikings, les pays scandinaves ont surtout fait la guerre l’un contre l’autre. Pour la plupart de l’histoire des états scandinaves la Norvège était soumise le Danemark. Les Danois et les Suédois se sont battus 36 fois et la Suède, avec la Finlande et les colonies baltiques, aussi a été sous le Danemark de temps en temps. La Scanie est prise par la Suède pour la première fois pendant le 14e siècle, bien affaiblie après des décennies de guerre. Cette période suédoise n’a durée qu’une trentaine d’années avant que la Scanie soit reconquise par le Danemark. Pendant les 15e et 16e siècles, la Scanie était le cœur du royaume Danois et très riche grâce à la ligue hanséatique. Pendant le 16e siècle, le Danemark était en guerre civile et c’était grâce aux paysans et bourgeois scaniens et la ville hanséatique de Lübeck que Christian II a pris le trône de Danemark. Puis, Christian a conquis la Suède et en fêtant son couronnement il a massacré une grande partie des nobles suédois. Ça a commencé une révolte suédoise par le noble Gustave Vasa (oui, comme le pain croquant suédois). Lui est devenu roi de Suède et Christian est désormais connu en Suède sous le nom Christian le Tyran. Nous reviendrions à Gustave Vasa plus tard, quand je touches sur des idées d’ancêtres culturelles. Pour le moment, pourtant, parlons des Guerres de la Scanie. Pendant le 17e siècle, la Scanie était le lieu de plusieurs guerres entre le Danemark et la Suède. Au début du siècle, les villages scaniens étaient pillés et rasés. En 1644 les Suédois ont marché sur la Scanie et fait capituler les Danois, mais la paix n’a pas duré. La guerre a recommencé en été de 1657 et cette guerre-ci a durée jusqu’à l’hiver de l’année prochaine, quand les Suédois ont tourné autour les Danois et pris Copenhague par derrière ayant traversé à pied l’Atlantique glacé. La Scanie appartient désormais à la Suède, malgré des révoltes pendant les décennies et les siècles à venir. 50 ans après, on a imposé la langue suédoise sur les Scaniens. Qu’est-ce que ça veut dire ? Surtout que les Scaniens ont commencé à faire des petits changements à son orthographe. Les langues scandinaves sont différentes l’un de l’autre surtout à cause des états-nations et de la standardisation. La différence entre le scanien et le suédois standardisé était un peu comme la différence entre le gallo et le français. Aujourd’hui, la Scanie est une région agricole, connu pour des révoltes populaires et sa volonté, au moins en ce que cette volonté est imaginée par les Suédois, d’être danoise. L’image classique d’un Scanien, c’est un paysan gros et jovial avec de la confiance en soi et un accent tout à fait incompréhensible. La Scanie est une région connue pour son identité forte régionale, mais il faut dire qu’avoir une « identité régionale » en Suède est bien différent qu’en avoir en France. Dans toutes les cultures scandinaves se penser différent que les autres est égale à se penser mieux que les autres... et ça c’est un péché très grave. On ne trouve pas facilement ni la marchandise marquée « produit en Scanie » ni les T-shirt « Scanien – 100% pur colza ». Comme elles sont des régions agricoles à un climat assez doux, il y a certaines similitudes entre la cuisine bretonne et la cuisine scanienne. On mange du porc. On aime de la grasse et des œufs. En pays bigouden on fait des crêpes à levure qui s’appellent « kouign bigouden » et j’ai souvent mangé ça en Scanie. Nous n’avons pas de kig-ha-farz, mais nous faisons un farz de blé qu’on mette dans la soupe. On fait du far breton avec du lardon au lieu des prunes. Mais quand je dis que c’est une région agricole, il faut savoir que la vie à la campagne est très différente làbas. Pendant le début du 19e siècle, le roi a ordonné les paysans suédois à quitter les villages, où ils ont vécu assez loin de leurs parcelles de terres qu’étaient divisées un peu partout. Plutôt, ils ont créé des grands fermes, loin du voisin, sur sa terre indivisible à soi. L’agriculture est depuis longtemps plus en plus industrialisé - un producteur de lait a, en moyen, 105 vaches. Il n’y a plus des petites fermes. Ça, c’est une rêve des années 1950. On ne vit plus dans la campagne en Suède. On y travaille en tant que fermier industriel ou on y dort. La vraie vie se déroule à la ville. La grande ville. Moi, je suis née dans une commune de 21,000 habitants mais il n’y avait pas beaucoup plus de commerces qu’à Guerlesquin. Mais on ne se plaint pas. Surtout, on n’organise pas des manifs, parce que gêner des autres est aussi un péché scandinave. Donc, voilà, d’où je viens. Je dis parfois que j’ai reçu le régionalisme avec le lait maternel. Ma mère est régionaliste de l’ouest progressif, d’une famille de bâtisseurs et de soldats. Depuis l’an 1700 cette famille s’est déplacée pas plus que 50 kilomètres... jusqu’ici, bien sûr. Mon père vient de l’est conservatif et pauvre, d’une famille d’ouvriers agricoles et de soldats. Je ne sais presque rien sur ses ancêtres. On était soldat, mais on n’a pas vraiment su la guerre depuis les Guerres napoléoniennes. Mes aïeux ont combattu la France sur le territoire suédois en Allemagne et même en Scanie, quand les forces françaises ont joint son allié, le Danemark. Quant à ma trajectoire personnelle, j’ai souvent passé les vacances d’été à la campagne en France avec mes parents. J’ai sans doute eu cette image en tête presque toute ma vie. Quand j’ai quitté la Scanie, c’était pourtant pour l’Écosse. Quand j’avais 14 ans je suis devenue folle des Celtes et puisque on ne pouvait pas étudier l’archéologie celtique en Suède j’ai décidé d’aller en Écosse. Après le bac, c’est ça que j’ai fait. J’ai pourtant rentrée en Suède un peu plus tôt qu’envisagé, à cause du mauvais état de la santé de mon père. J’y ai fini mes études de l’archéologie et l’histoire. Quelque part au cours de ce chemin nous avons partagé une rêve, mon mari et moi, d’aller ici où le temps se passe un peu plus lentement, où le climat est mieux, où les lignes ne sont pas toujours parfaitement droites ... Nous sommes arrivées à la fin de 2011, dans le Morbihan, où nous avons loué un gîte pendant quelques mois. Après, nous avons acheté une vieille maison ici à Bolazec. Parlons ainsi de l’identité et de l’appartenance... La question éternelle : Quand rentrez-vous « chez vous » ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Je me dis que c’est une question d’appartenance à un lieu. Pour la plupart, les gens qui posent cette question ont déjà décidé que vous appartenez au pays où vous êtes nés. À mon avis, c’est faux. C’est vrai qu’il y a des immigrés qui ne se sentent jamais chez soi dans le pays où ils vivent. Ils se sentent plutôt expatriés ou exilés. Je ne peux pas parler pour des autres, mais, moi, j’appartiens à n’importe quel pays où (1) je vis et (2) j’envisage mon avenir. Le mot-clé est « l’avenir ». Si j’ai déjà quitté cet endroit dans mes pensés, je n’appartiens pas à ce lieu et je ne suis pas chez moi. Ce ne veut pas dire que le passé ne vaut rien. À mon avis, le passé est très important pour l’identité, mais moins important pour être chez soi. La première fois que nous sommes rentrés en Bretagne après des vacances en Suède, nous avons vécu cet étrange conflit d’esprit, mon mari et moi. Nous avions passé presque un mois dans une version très intense de notre ancienne vie, mais quelque part sur les petites routes ondulantes de la Bretagne s’était comme si nous avions tout à coup perdu un fardeau que nous ne savions pas que nous avions porté. Nous étions chez nous. Mais, au même temps, en ce moment on ne se sentait ni Français ni Breton. Le passé n’est pas négligeable. L’identité et l’appartenance à une communauté, ce n’est pas la même chose que d’appartenir à un lieu. J’ai appris que les Bretons sont très partageant quant à son identité. Les gens viennent ici de toute la France et peu de temps après ils se sentent souvent fier d’être Bretons. J’ai parlé avec des gens de la Normandie, du Nord et de la PACA qui se sentent Bretons et ça c’est un témoignage de l’esprit merveilleux et accueillant de la Bretagne. En tant qu’étrangère, pourtant, se trouver avec une nouvelle identité locale n’est pas aussi facile. Et pourquoi pas ? Je dirais qu’une identité se compose de plusieurs éléments mais l’élément le plus important, à mon avis, c’est le contexte. C’est quoi ce contexte ? Je dirais que c’est d’une part la savoir et d’autre part de l’expérience partagée. C’est difficile d’appartenir à une groupe, à une communauté, et s’investir dans l’identité de la groupe, quand on ne comprends presque rien. Il faut comprendre l’histoire d’une groupe pour savoir de quoi les gens parlent. Il faut comprendre sa politique et sa culture. C’est qui – ces méchants Jacobins à Paris ? Quand on est invité pour l’apéro, à quelle heure faut-il arriver et comment savoir quand il faut partir ? En plus, imaginez que vous êtes le seul qui ne sait pas genre des chose. Les gens sont peut-être très gentils, en vous tout expliquant, mais vous vous ne sentez pas vraiment comme une membre de cette groupe. Pensez à comment les gens créent des relations grâce à l’humour et des expériences communes. Maintenant, imaginez que vous ne comprenez jamais les blagues. Je me souviens la première fois que j’ai fait rire un Français. On a dîné avec nos voisins dans le Morbihan et je pouvais à peine comprendre la moitié. Lui a parlé des clichés Bretons et, moi, j’ai dit quelque chose, dans l’esprit du moment, à propos de Nolwenn LeRoy. C’était de la magie. Pour un tout petit instant je faisais partie de la groupe. On peut étudier le contexte afin de faciliter son adoption de l’identité locale. Il faut lire beaucoup. Il faut chercher des réponses à des questions qu’on n’a pas encore imaginé de se poser. Il faut poser des questions sur des choses qu’on trouve normalement un peu moins intéressantes. Ça c’est une forme d’enracinement. Mais même quand on a trouvé le savoir, il faut toujours des expériences communs et ça prend du temps. En plus, c’est difficile à dire quelles expériences sont importantes. Nous savons tous que l’expérience change de génération à génération. Je dirais ainsi que l’identité n’est pas forcément quelque chose absolue. Si l’identité consiste du contexte – c’est-à-dire le savoir et de l’expérience vous voyez que c’est plutôt comme un diagramme à bandes. Quand j’ai quitté la Scanie, les bandes scaniennes étaient sur 100% tout les deux – j’avais 100% de savoir et 100% d’expérience, mais chaque jour la bande d’expérience se baisse. La bande de savoir se baisse aussi, mais pas aussi vite. Même si je faisais rien pour augmenter les bandes françaises et bretonnes, je deviendrais moins Scanienne chaque jour. Maintenir plusieurs identités complètes doit être un sacré boulot. Je téléphone mes parents chaque semaine et je suis en contact avec des vieux amis suédois chaque jour sur Facebook, et souvent je comprends mieux les blagues sur Le Petit Journal de Canal+ que les ennuis quotidiens des Suédois. Je me sens donc moins Scanienne et moins Suédoise. On me demande parfois : Est-ce que tu te sens totalement française maintenant ? Bien, non. Mais il y a plusieurs raisons pour ça. D’une part, il y a ce diagramme à bandes dont j’ai parlé. De l’autre part, il y a la langue. En tant qu’immigré, je crois qu’il faut vraiment être à l’aise avec la langue pour se sentir Français et moi, je ne le suis pas. Le jour que je parle français aussi bien que je parle suédois ou anglais, oui, je me sentirai plus française. Mais, finalement, l’identité française est une identité nationale et comme notre gouvernement nous a rappelé à maintes fois ces derniers mois ce qui nous fait « Français » c’est la citoyenneté. Je doute, donc, que je me sentirai totalement française avant que je sois naturalisé. C'est difficile de se sentir 100% participant quand on peut bien devenir expulsée à cause d’un changement politique. Jusqu’ici je vous ai parlé de la différence entre l’appartenance à un pays et l’appartenance à une communauté, d’avoir une identité locale. J’aimerais finir par parler de l’appartenance au terrain. Quand on est originaire d’une région, soit on est Breton ou Scanien de souche, et ses racines sont bien profondes on se sent parfois lié à la terre ancestrale elle-même. C’est très beau. Je n’ai pas du tout l’intention de dénigrer ce sentiment, mais j’aimerais parler de comment les immigrés peuvent avoir un tout petit goût de ça. C’est un concept que j’ai donné le nom « ancêtres d’adoption ». Pensons pour un moment de la Bro gozh ma zadoù, parce que ça explique un peu le concept. « Hon tadoù ken mat, a skuilhas eviti o gwad » Nos pères, nos ancêtres, si bons ont versé leur sang pour elle. C’est qui, ces pères ? On n’a pas tous les ancêtres costauds et braves. C’est donc notre ancêtres de cœur, parents de culture. Ils sont des ancêtres que nous adoptons comme les nôtres, sans de la parenté de sang. Tous les pays on des récits sur les ancêtres d’adoption. Nominoé, Anne de Bretagne... Les états-nations en particulier en ont plein, souvent introduit sous la forme de la propagande. Vous vous souvenez de Gustave Vasa, dont j’ai parlé plus tôt, le rebelle qui a pris le trône suédoise du roi danois ? J’ai appris à l’école à lui vénérer en tant que père de la patrie. Sa légende fait partie de mon identité suédoise, même qu’il n’était jamais le roi de mes ancêtres, sans aucune parenté, sans aucun lien avec le passé réel. Les États-Unis ont les pères fondateurs. La France... la France a coupé le tête de ses pères de la patrie et commencé à nouveau. On dirait peut-être... de Gaulle ? Mais il y a une centaine d’années j’imagine qu’on disait Vercignetorix. Mais on peut aussi choisir ses ancêtres d’adoption soi-même. On le fait souvent sans même penser. En tant que fille d’un régionaliste scanien, j’ai toujours vu les rebelles scaniens comme des aïeux en esprit. Ne pourrais-je pas adopter Nominoé ou Anne de Bretagne du même façon ? Ne pourrais-je pas chanter des ancêtres qui ont versé leur sang pour la Bretagne, me sentir émue et croire en ce que je chante ? Mon sang n’a pas coulé sur cette terre, mais il y a une partie de l’identité bretonne qui n’est pas composé du sang et cette partie-là appartiendra peut-être un jour à moi.