analyse matière générale

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analyse matière générale
Projet Collectif Vertical « Se cultiver à Braives », Régendat Sciences humaines, 2010,
Michel Thiry (dir.)
Tenter +
Analyse matière : se cultiver à Braives
A. Le questionnement
Lors de nos investigations dans l’entité de Braives, nous avons repéré une tension entre les
besoins et les envies des nouveaux habitants d’une part, et les dynamiques de développement
de l’entité, d’autre part. En effet, d’un côté, nous avons perçu une envie de calme, une
recherche d’une campagne idéale, épurée ; de l’autre, nous avons rencontré l’envie des
autorités communales de développer une forme de tourisme et l’envie des agriculteurs de se
diversifier en développant soit des porcheries industrielles, soit des formes de gîte rural.
Comment concilier les deux ? A la question d’une étudiante, « si vous deviez résumer la vie à
Braives en une phrase, que diriez-vous ? », un habitant de Fallais qui a quitté Bruxelles mais
qui y travaille toujours répondit spontanément sur le ton de l’humour : « On est très bien ici.
Restez chez vous ! » Comment développer du tourisme sans touriste ? Comment assurer un
développement suffisant pour ne pas que Braives se transforme en village dortoir ? Quels
impacts ces nouveaux venus ont-ils sur le milieu rural ? Le menacent-ils ou le préservent-ils
des mutations ? Leurs besoins, leurs envies et leur mentalité engendrent-elles de nouvelles
dynamiques de sauvegarde du patrimoine et de développement des loisirs ? C’est ce que nous
allons tenter de trouver.
1. Question de recherche
En quoi l’arrivée des nouveaux habitants et leur
mentalité influence-t-elle les loisirs et la préservation
du patrimoine dans l’entité de Braives?
2. Problématique
C’est la déstructuration socio-économique des années 1960-1970 qui menace
de faire disparaitre le patrimoine rural traditionnel de Braives.
Ce sont les anciens et les nouveaux habitants qui
s’approprient, investissent, construisent et marchandisent le
patrimoine et les loisirs en y apportant leur culture. Ils
contribuent ainsi à construire une culture néo-rurale
Préambule :
Il serait faux de croire que les néo-ruraux sont le facteur principal de la disparition des loisirs
qui existaient dans le monde rural traditionnel. Les bouleversements qu’a connus le monde
rural ces deux derniers siècles ne peuvent se résumer à une immigration de population
urbaine. Ici, nous allons essayer de voir comment ces néo-ruraux contribuent en partie au
façonnage d’une nouvelle culture rurale dans nos régions. S’il est évident que la culture
urbaine pénètre très fortement le milieu rural, il serait faux de croire que les néo-ruraux sont le
vecteur unique de cette pénétration. Nous verrons que les ruraux ont adopté le modèle urbain
bien avant l’arrivée des néo-ruraux.
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B. L’analyse des composantes du problème
1. L’arrivée des nouveaux habitants
a. Qu’entend-on par nouveaux habitants ?
Lorsqu’on observe une courbe de l’évolution de la population dans l’entité braivoise, on peut
remarquer une forte augmentation de la population au 19e et au début du 20e (croissance
démographique due à un solde naturel élevé) puis une baisse de population des années 1920
aux années 1970 (exode rural dû à la mécanisation de l’agriculture, à la disparition des petites
entreprises de production et de transformation – concentration agricole et industrielle) ; enfin
à partir des années 1970, une croissance forte due principalement à l’exode urbain
(désindustrialisation, périurbanisation) et la mobilité automobile (autoroute Bruxelles-Liège,
Liège-Namur).
La situation de l’entité braivoise est favorable à une migration pendulaire (travail en ville puis
retour à la campagne). En effet, elle se situe à proximité de trois agglomérations urbaines de
taille moyenne (Hannut, Huy, Waremme). Une ligne de bus assure la liaison entre Huy,
Hannut et Landen (ancienne liaison de chemin de fer, ligne 127, aujourd’hui convertie en
RaVel). La présence des autoroutes Bruxelles-Liège et Namur-Liège permet également à bon
nombre d’habitants de travailler dans ces trois grandes villes.
On peut également remarquer une modification importante au niveau social visible
notamment dans l’augmentation importante du niveau des revenus des habitants. Les
statistiques de l’INS permettent de dire que, sur les 15 dernières années, les habitants
deviennent plus riches1, plus jeunes2 et ont des emplois davantage tournés vers le tertiaire
(augmentation forte des entreprises immobilières). D’autres signes de cette gentryfication de
Braives sont le changement de majorité en 2000, le type d’activités proposées est de tendance
bobo ou intello, la capacité pour certains habitants de restaurer sur fonds propres des moulins,
des fermes, la forte augmentation des prix des maisons et des terrains à bâtir, etc.)
http://elections.lesoir.be/communales-2006/resultats/cWLi4260A.html (résultat des élections
de 2006)
b. Nouveaux habitants, néo-ruraux, néo-ruralité ?
Les chercheurs en sciences humaines ne sont pas unanimes sur les réalités que recouvrent ces
termes.
Par néo-ruraux, l’institut de sondage français Ipsos entend des personnes habitant une
commune rurale de moins de 2000 habitants, y résidant depuis moins de 5 ans et ayant leur
précédent domicile dans une commune de plus de 2000 habitants et située à plus de 50 km de
leur commune actuelle3. Autant dire alors que dans notre petite Belgique plus urbanisée, nous
allons devoir bien chercher. Braives compte plus de 5000 habitants et les villes à moins de
50km sont légions.
Par extension, les néo-ruraux sont issus de l’exode urbain qui met fin à l’exode rural de
manière évidente dès 1975 où la courbe démographique s’inverse dans beaucoup de milieux
proches des agglomérations urbaines. Ils viennent s’installer à la campagne principalement
pour bénéficier d’une meilleure qualité de vie. Ils ont généralement des besoins et des envies
influencées par leur mentalité urbaine.
1
Revenu moyen/hab. en 1997 : 9340€ / revenu moyen/hab. en 2007 : 15010€.
Augmentation entre 2000 et 2010 de 6,6% des – de 20 ans, de 13,2% des 20 à 65 ans et une baisse de 9,4% des
+ de 65 ans.
3
http://www.ipsos.fr/CanalIpsos/articles/images/1126/diaporama.htm
2
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Si les statistiques peuvent aisément repérer les nouveaux habitants, elles peuvent nettement
moins déterminer si ces nouveaux habitants viennent de la ville et encore moins s’ils sont
porteurs de la culture urbaine. En effet, la culture urbaine de Herve ou de Hannut est
sensiblement différente de la culture urbaine des métropoles régionales comme Bruxelles,
Liège ou Anvers.
Le terme néo-rural est également utilisé dès qu’existe une tension entre les habitants au
niveau d’attentes contradictoires. Est qualifié de néo-rural celui qui réclame des commodités à
l’origine issues des milieux urbains (trottoir, casse-vitesse, bowling, grande surface, etc.) sans
pour autant avoir déjà vécu en ville.
Enfin, une troisième acception entend par néo-rural toute personne (nouveaux et anciens
habitants) vivant dans un milieu rural actuel, résultat d’une fusion entre la culture rurale
traditionnelle et la culture urbaine moderne.
Dans ce cas, la « néo-ruralité veut valoriser le local tout en s’ouvrant à l’extérieur grâce au
dynamisme conjoint des secteurs associatif, public et privé. Cette néo-ruralité a tendance à se
développer dans un milieu de type plutôt bocager (là où l’agriculture peut plus difficilement
s’industrialiser) »4.
Dans cette séquence, nous partirons de la première définition liée à l’exode urbain des années
1960-1990. Nous attirons l’attention sur le fait que les migrations actuelles sont peut-être
d’une autre nature notamment parce que l’exode urbain se tarit à cause des projets de
revitalisation des centres urbains, parce que le développement du télétravail crée de nouvelles
possibilités, parce que le Brabant wallon devient hors de prix. Bref, il serait intéressant
d’étudier plus en profondeur ces derniers arrivants, leurs mentalités et leurs motivations.
2. Le monde rural traditionnel
Les géographes et d’autres chercheurs en Sciences humaines se posent aujourd’hui la question
de la pertinence de distinguer rural et urbain en Belgique. Le milieu rural tel qu’il est
caractérisé dans les manuels existe-t-il toujours ? La périurbanisation est importante et les
pôles urbains tellement nombreux qu’il faut bien chercher la campagne pour la trouver en
vrai. Et quand nous parlons de la campagne de nos grands-parents, elle n’est en réalité déjà
plus qu’un lambeau de ce qu’était le monde rural traditionnel.
a. Patrimoine rural traditionnel
Attention !
Par monde rural traditionnel, il faut entendre le milieu rural tel qu’il existe avant
l’industrialisation. Il prend ses racines dans le Moyen Age et se modifie fortement à partir du
19e siècle en raison de la mécanisation de l’agriculture et du désenclavement des campagnes :
mobilité accrue (chemin de fer 1870 puis la voiture pour tous 1960-1970), communication
accrue (radio-téléphone fin 19e s puis télévision 1960-1970), enseignement obligatoire (1914
pour le primaire et jusque 18 ans en 1948). La betterave, typique de cette région de Hesbaye,
est un produit né de l’industrialisation de l’agriculture. Elle n’est donc ni un produit du terroir,
ni une production locale traditionnelle.
Nous devons donc bien nous rendre compte qu’il reste très peu de ce patrimoine rural
traditionnel (le savoir-faire de Willy Lhoest, les vieux métiers, les moulins, les petites et
grandes fermes des centres de village). En tout cas, le paysage d’openfield tel qu’on peut le
voir n’est pas traditionnel (le remembrement des années 1970 fait disparaître les champs en
lanière typique de l’agriculture d’héritage médiéval. Une autre question est de savoir s’il doit
être préservé comme patrimoine rural, témoin de l’industrialisation de l’agriculture
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Concept « néo-ruralité » élaboré au cours de sociologie de Jacques Cornet
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hesbignonne. Ce ne sont donc pas les nouveaux arrivants des années 1960-70 qui modifient
cet héritage. Il s’effrite durant la période d’exode rural (1920-60).
b. L’évolution socio-économique du monde rural
Nous nous représentons difficilement la campagne autrement qu’avec des champs et des
agriculteurs ou des cultivateurs partout. Or la campagne d’avant 1960 est bien plus diversifiée
qu’elle n’y paraît. On peut voir une kyrielle de métiers et d’industries qui gravitent autour de
l’activité agricole.
Les racines médiévales (10e – 13e siècles) : modifications irrémédiables des paysages
Bien évidemment, au Moyen Age, la majorité de la population travaille la terre. La production
est très diversifiée et peu productive. La polyculture est la règle car les échanges sont limités :
blés (froment, seigle, épeautre, orge, avoine), fèves, pois, lentilles dans les champs ; oignons,
choux, poireaux dans les potagers à proximité des maisons (les cartes de Ferraris (18e siècle)
montre encore bien ces structures typiques). On y trouve aussi des productions de vigne (c’est
le cas de la rue de la Vigne à Braives) et des vergers.
De 1100 à 1250, la population européenne augmente très fort. La plupart des productions sont
destinées à la culture vivrière (pour se nourrir). De grands défrichements (déforestations,
assèchement de marais, création de polders le long de la mer) ont lieu pour augmenter les
terres exploitables (la toponymie conservent des traces : c’est le cas de la rue du Sart à
Ciplet). Nos paysages sont dessinés en grande partie à cette époque : disparition des milieux
humides (la réserve naturelle de Hosdent tend à préserver ce milieu et sa biodiversité) et des
forêts (les bois de la carte de Ferraris correspondent à l’implantation actuelle). Ce n’est donc
pas l’industrialisation qui modifie fortement le paysage de nos régions.
La pratique de la tenure puis du bail à ferme tend à morceler les cultures en lanières (10 à 15
ha max). Ces paysages agricoles typiques du monde rural avec ses petites parcelles étirées en
longueur forment encore par endroit des paysages remarquable. Ce n’est pas le cas en
Hesbaye. L’emploi des grosses machines agricoles de l’agriculture intense sont pénibles sur
ces terres morcelées. Les champs en lanière disparaissent complètement avec la politique de
remembrement des années 1970.
Le développement de l’artisanat et de l’industrie meunière (14e – 18e siècle)
Après 1300 (notamment à cause de la Grande Peste 1348), le déclin démographique réduit la
nécessité de produire des céréales. Certaines terres sont affectées à des productions destinées
à la ville : légumes, vigne, plantes tinctoriales (pour l’industrie du drap notamment). La
population des villes aiment également la viande rouge et les produits laitiers. Les pâturages
augmentent. Le bœuf et le mouton deviennent dominants (laine et cuir pour l’industrie).
Les brasseries et les tavernes
Chacun des villages de l’entité de Braives possède sa taverne adossée à la cour de justice. Là
aussi, le seigneur perçoit les redevances sur les consommations d’alcool. C’est le seul débit de
boisson du village.
Les moulins à huile, à craie, à chanvre et à grain
On retrouve pas moins de huit moulins à eau sur l’entité de Braives. C’est la principalement
industrie de transformation au moyen âge et à l’époque moderne. Le meunier jouit d’ailleurs
du statut de notable et est souvent l’homme du seigneur pour qui il récolte les banalités
(redevance contre l’utilisation du moulin).
Les moulins à guède
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« La guède, du nom scientifique isatis tinctoria, est en fait du pastel, utilisé en teinture pour
obtenir un ton bleu. Plante crucifère, connue en Europe depuis les temps les plus anciens, elle
est cultivée en Hesbaye dans la première moitié du 13e siècle. Dès après la récolte, les feuilles
étaient broyées au moulin du « maunier de waisdes » (meunier de guède), la pâte obtenue était
séchée puis vendue aux drapiers de Huy, Liège, sans doute aussi sur le marché de Cologne et
peut-être même jusqu’en Angleterre !
Les archives de Namur ont permis de mettre en évidence les principaux centres de cette
culture, au nombre desquels figurent Ville-en-Hesbaye et Ciplet (deux moulins). »5
A partir du 15e siècle, on assiste à une reprise en main des terres par les grands propriétaires,
anciens seigneurs ou bourgeois des villes enrichis. Ces terres sont exploitées en faire-valoir
direct, à l'aide d'un personnel salarié, ou par des fermiers. Le bail à ferme apparaît comme une
formule plus rentable que l'ancien système domanial hérité de l'époque carolingienne. Des
traces de ces clivages sociaux peuvent encore s’observer grâce aux grandes fermes carrées et
aux multiples petites fermes qui sont pour la plupart réhabilitées en logement au centre des
villages de l’entité braivoise.
Une économie locale, intégrée : interdépendance des métiers
L’agriculture traditionnelle catalyse les énergies et donne vie à une série de métiers : le
charron, le maréchal ferrant, l’éleveur de chien, les meuniers (chanvre, craie, farine, huile de
pavot, etc.). Les derniers artisans cessent leurs activités dans les années 1950 (le charron, le
maréchal-ferrant, l’éleveur de chiens). Les cycles de consommation sont courts. Le principal
de la production est consommé sur place par les villageois, et ce jusqu’au 19e siècle. Les
productions excédentaires sont portés à dos d’homme (ou plutôt de femme, les boterèsses).
Certains marchands plus riches peuvent s’offrir une charrette. De plus, une grande part de la
consommation des ménages se base sur le potager et sur les produits de la ferme jusqu’en
1960. Enfin, une série de cafés offre une animation dans les rues des centres de village peu
comparable à aujourd’hui. Dans l’entité de Braives, on peut constater l’existence de cet
artisanat et de cette proto-industrie à travers de nombreuses traces du passé.
Si l’essentiel du secteur secondaire et du secteur tertiaire est destiné à être écoulé sur place, il
existe tout de même certains échanges. Ces échanges sont très souvent liés à la conjoncture
économique. Le monde rural reste à dominante autarcique et l’agriculture est une agriculture
de subsistance au moins jusqu’au 17e siècle.
Pour les transports de ces marchandises, la figure emblématique de nos régions est la
boterèsse. On distingue les « p’tites boterèsses » se déplaçant à pied avec leur grande hotte
des autres dénommée « boterèsses » qui se servaient d’un âne, parfois d’une charrette et les
privilégiées d’un cheval. Les dernières « boterèsses » de l’entité de Braives ont travaillé
jusqu’à la veille de la Première Guerre Mondiale. Elles apportaient sur le marché de Liège et
de Seraing les produits des fermes qu’elles avaient troqués contre des denrées diverses : sucre,
riz, café, semences ou produits artisanaux.
Dans ce monde rural traditionnel, l’interdépendance des métiers est importante. Certains
travaux agricoles requièrent d’ailleurs tous les bras du village.
Cfr dia sur les structures économiques du monde rural traditionnel
5
Jeannine Paye-Bourgeois et Joseph Charlier, Braives : une entité, huit villages, Braives : Administration
communale, 1999
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Exportation
Cultures de
transformation
(chanvre, lin, bûcheron,
saule, houblon, etc.)
Industrie de
transformation
(moulin, sucrerie,
siroperie, brasserie,
etc.)
Consommation
locale
Les entreprises artisanales et industrielles (19e – 20e siècles)
« Les bâtiments abritant des activités artisanales n'ont cessé de se multiplier tout au long du
19e siècle. Certains prennent la dimension de petites entreprises. Ce sont des sucreries
(Braives, Avennes), un peu partout des siroperies, des briqueteries, des distilleries et plus
particulièrement une brasserie à Latinne, une laiterie à Braives, des tanneries à Fallais et
Avennes, une blanchisserie à Ville-en-Hesbaye, une fabrique de cages d'oiseaux à Avennes,
etc.
Chaque village a un ou plusieurs forgerons, son charron, son menuisier, son boulanger. Mais
la deuxième moitié du 20e siècle marque le glas pour tous ces petits artisans.
Sur le plateau hesbignon, des tas du phosphate extrait des profondeurs de la terre, attendent
d'être transportés dans les usines de traitement. Cette exploitation des puits de phosphate était
particulièrement importante. Elle a inspiré un des contes de Figures du Pays (1908) de
l'écrivain Hubert Krains. Li phosphate est également le thème d'une pièce de théâtre en wallon
de Joseph Durbuy (auteur dramatique né à Vaux-Borset). Cette exploitation retrouvera un
regain d'activité pendant la dernière guerre. »6
Comment se fait-il que tout disparaisse dans les années 1960-1970 ?
La grande révolution que connaît l’agriculture dans ces années-là engendre une inutilité de
tous les métiers artisanaux (concentration des exploitations aux mains de gros exploitants,
modification des technologies et des rendements, transformations du rôle d’agriculteur — du
détenteur de la terre au chef d’entreprise). De plus, les industries de transformations ne sont
pas non plus capables de traiter les énormes quantités de matières premières produites. La
6
Jeannine Paye-Bourgeois et Joseph Charlier, Braives : une entité, huit villages, Braives : Administration
communale, 1999, p. 139.
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révolution des transports fait que leur situation n’est plus idéale. La désindustrialisation des
campagnes est plus radicale encore que celle des villes.
Attention ! Une première phase de concentration s’opère dans les années 1875-1890 qui
connaissent une crise de surproduction. Beaucoup de petits exploitants agricoles et de petites
industries ferment tandis que ceux qui ont des capitaux investissent dans la mécanisation de
leurs infrastructures. On assiste à un phénomène de concentration agricole et industriel
(comme en 1960-1970). Au 19e siècle, les petites industries sucrières, par exemple, ferment
au profit de plus grandes comme la sucrerie d’Oreye ou de Tirlemont.
« Le chemin de fer a joué un rôle important dans l’évolution économique et sociale de la
Hesbaye liégeoise. En 1838, la mise en service du tronçon Tirlemont-Ans de la grande ligne
Cologne-Anvers sort progressivement cette région de son isolement. Cet axe va faciliter d’une
part le développement d’une industrie à base essentiellement agricole, d’autre part le drainage
vers le centre industriel de Liège d’une population laborieuse de plus en plus abondante. A
partir de 1870, ce mouvement s’accentue grâce à la création d’une ligne reliant Huy à Landen
et à l’instauration des abonnements ouvriers à tarif réduit. Après les lois de 1884-1885
organisant une Société des Chemins de fer vicinaux, plusieurs tronçons sont construits, qui
touchent des villages jusque là isolés : les tronçons Huy-Waremme, Oreye-Waremme, AnsOreye-Saint-Trond, Oreye-Looz-Hasselt, Hannut-Fexhe-le-Haut-Clocher-Tongres. Oreye,
importante gare de triage, desservait tout le trafic de Tongres et de Hasselt avec la Hesbaye et
Liège, tant pour les voyageurs que pour les marchandises. Ainsi, durant la campagne
betteravière, 450 wagons étaient immobilisés en permanence afin d’amener les tubercules à la
Raffinerie de Notre-Dame d’Oreye et à la Râperie de Waremme. »7
3. Les mentalités rurales traditionnelles et les mentalités urbaines
modernes
Pourquoi avoir parlé autant des structures socio-économiques dans une analyse matière
consacrée à la culture ? Il faut bien se rappeler qu’un modèle culturel (un mode de penser) sert
à asseoir et à cautionner un modèle socio-économique tout comme ce modèle socioéconomique influence les représentations du monde du groupe qui le développe. Est-ce notre
modèle de croissance économique continue qui nous fait concevoir le monde comme un
progrès incessant, une course perpétuelle au changement, au mouvement ? Ou cette idée de
progrès nous empêche de renoncer à la croissance économique infinie car derrière il y a le
spectre de se faire dépasser, de rester sur place, et peut-être de mourir ?
a. Culture rurale traditionnelle
Les sciences humaines ont créé des idéaltypes des mentalités rurales traditionnelles et des
mentalités urbaines modernes. Le modèle socio-économique rural nécessite une cohésion
importante du groupe car tous les individus dépendent les uns des autres. Les sociologues et
les anthropologues qui ont observé les mentalités rurales traditionnelles insistent sur le fait
qu’elles visent à former une communauté, c’est-à-dire que le groupe a des biens et/ou des
intérêts communs. Cette communauté valorise la ressemblance, l’identité, l’unité tandis que
les relations accordent beaucoup d’importance au statut des personnes. L’immuable est
privilégié alors que le changement est signe de déséquilibre du système. On observe dans ces
sociétés traditionnelles une forte conscience collective et la coopération est obligatoire.
7
Collectif, Architecture rurale de Wallonie. Hesbaye Liégeoise, Liège : P. Mardaga, 1986, p. 62.
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b. Culture urbaine moderne
Quant aux mentalités urbaines modernes, elles se situent aux antipodes de ces conceptions. Le
groupe vise à former une société, c’est-à-dire que les individus sont associés et se donnent une
organisation sur base de droits, d’intérêts, d’opinion. Cette société valorise la diversité, la
dissemblance et la complémentarité. Les relations sont davantage basées sur les affinités et
sur le consentement mutuel. On observe dans ces sociétés modernes une forte conscience
individuelle et la coopération est volontaire.
Attention !
Il est important de ne pas coller aux anciens habitants la mentalité rurale traditionnelle et aux
nouveaux arrivants issus pour la plupart des villes la mentalité urbaine moderne. Certains
anciens habitants ont adopté des traits de la mentalité urbaine tandis que certains néo-ruraux
ont des comportements influencés par la mentalité rurale traditionnelle.
La notion de culture aujourd’hui conçoit l’identité culturelle comme un processus dynamique
et évolutif.
c. La pénétration de la mentalité urbaine dans les campagnes
Le milieu rural n’a pas attendu les néo-ruraux pour adopter certains traits de la culture
urbaine. Une première ouverture à la modernité s’opère lors du désenclavement des
campagnes au 19e siècle. « En 1875, dans un rapport du commissaire de l’arrondissement de
Waremme, on stipule, qu’au début du siècle, une seule grand-route (Liège-Bruxelles) longe au
nord l’arrondissement. L’ancienne chaussée romaine est dégradée et impraticable sept à huit
mois de l’année. Toutes les localités pataugent dans la boue sans Waremme et Hannut. Les
transports s’effectuent essentiellement à dos de cheval ou d’homme (blatiers, marchand de blé
ou boteresse). Vers 1840, l’Etat entreprend de créer un réseau routier à travers le plateau
hesbignon. La province de Liège construit ou subside les chemins vicinaux de grande
communication (1840-1870).
« Le chemin de fer a joué un rôle important dans l’évolution économique et sociale de la
Hesbaye liégeoise. En 1838, la mise en service du tronçon Tirlemont-Ans de la grande ligne
Cologne-Anvers sort progressivement cette région de son isolement. Cet axe va faciliter d’une
part le développement d’une industrie à base essentiellement agricole, d’autre part le drainage
vers le centre industriel de Liège d’une population laborieuse de plus en plus abondante. A
partir de 1870, ce mouvement s’accentue grâce à la création d’une ligne reliant Huy à Landen
et à l’instauration des abonnements ouvriers à tarif réduit.8 » Ces paysans-ouvriers entrent en
contact avec la ville et c’est eux les premiers qui amènent la nouveauté dans les campagnes
auparavant très fermée sur elles-mêmes.
Un deuxième vecteur de la pénétration de la mentalité urbaine est l’obligation scolaire jusqu’à
16 ans voté en 1946. Désormais, tous les enfants vont à l’école secondaire (en ville). L’école
secondaire et la télévision seront de grands relais de la publicité du modèle urbain.
d. La notion de culture
Geneviève Vinsonneau, Le développement des notions de culture et d’identité : un itinéraire ambigu,
dans Carrefours de l’Education, n°14, juillet-décembre 2002.
La culture universelle des Lumières (18e siècle)
« La notion moderne de la culture est connue depuis le XVIIIe siècle. Aujourd’hui on y recourt pour rendre
compte de la diversité des pratiques humaines aussi bien que de l’unité de l’homme par le monde, les récentes
découvertes de la génétique n’autorisant plus l’explication de la différenciation des conduites en termes
8
Collectif, Architecture rurale de Wallonie. Hesbaye Liégeoise, Liège : P. Mardaga, 1986.
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d’appartenances raciales. Anciennement, dans la langue française le mot « culture » se rapportait à l’agriculture
et il désignait le soin apporté à la terre et au bétail. Il concerna par la suite la pratique en elle-même et par l’effet
d’un glissement de sens, la « culture » au figuré s’appliqua successivement aux productions de l’esprit (arts,
lettres, sciences…), à la formation de l’esprit capable de générer de telles connaissances et au corpus qu’elles
forment. » p. 5
Dans les conceptions de la fin de l’époque moderne, la culture s’oppose à la nature. Descartes a fait de celle-ci
une chose uniquement matérielle, une machine comme le corps humain détaché complètement de son esprit et de
son âme. L’homme doit dominer la nature et peut l’exploiter comme une ressource.
« Les philosophes des Lumières estimaient que les nations détentrices de la Civilisation avaient le devoir
d’étendre celle-ci au monde entier, indépendamment du degré d’« évolution » des populations qui allaient en être
bénéficiaires ; car ces populations étaient considérées comme ayant atteint des degrés inégaux d’avancement sur
une échelle hiérarchique d’évolution civilisationnelle. » p. 5
Enfin, comme il n’existe qu’une seule culture universelle. Les autres populations sont considérées comme en
retard par rapport à la civilisation européenne, « beaucoup plus cultivée ». Elles doivent juste rattraper leur retard
(projet civilisateur de la colonisation du 19e siècle).
• Cette interprétation est complètement remise en cause depuis les enjeux climatiques, des sciences de
l’anthropologie culturelle et de la remise en cause du progrès continu après les catastrophes de la
Shoah et d’Hiroshima.
• La culture, c’est donc à la fois les productions de l’esprit humain, la formation de l’esprit humain pour
qu’il produise des connaissances et l’ensemble des connaissances que l’esprit humain a déjà produit.
(au 18e siècle) C’est une conception universaliste car il n’y a qu’une culture pour l’ensemble de
l’humanité. De plus cette culture est une somme de
La notion d’identité
connaissances emmagasinées par la civilisation.
« L’identité peut être comprise comme une
• La logique se cultiver est, à mes yeux, empreinte de
dynamique évolutive, par laquelle l’acteur
cette acception du terme. Elle est donc dans cette
social, individuel ou collectif, donne sens à son
illusion qu’il existe une culture commune, universelle
être ; il le fait en reliant, à travers le passé, le
et transmissible (comme un virus). Ils disent
présent et l’avenir, les éléments qui le
clairement que la culture s’oppose à la nature.
concernent et qui peuvent être de l’ordre des
prescriptions sociales et des projets aussi bien
que
des réalités concrètes. Cette dialectique (au
Les apports de l’anthropologie culturelle
sens d’intégratrice des contraires) offre à chacun
Aujourd’hui, la notion de culture est façonnée par les moyens de se rendre semblable à autrui tout
les travaux des sciences humaines. L’anthropologie en s’en différenciant. En intégrant l’autre dans le
a montré notamment que « les traits de caractère même, tout en réalisant le changement dans la
que nous qualifions de masculins ou de féminins continuité, la dynamique identitaire génère une
sont pour un bon nombre d’entre eux, sinon en apparente constance, qui procure à celui qui la
totalité, déterminés par le sexe d’une façon aussi déploie un sentiment d’identité.
L’identité rassemble aussi les produits des
superficielle que le sont les vêtements, les manières précédentes opérations : des contenus de
et la coiffure qu’une époque assigne à l’un ou à représentations de ce que l’on est, de ce que l’on
devrait être et de ce que l’on voudrait être, dans
l’autre sexe »9
La notion de « personnalité de base » tend à voir la la durée, l’espace et les diverses circonstances de
vie sociale. Les fonctions de l’identité sont
relation entre culture et personnalité comme un la
donc ontologiques, puisqu’elles concernent le
héritage évolutif. « Le groupe s’emploie à renforcer sens de l’être, et elles sont instrumentales, dans
positivement l’acquisition et l’expression de la mesure où elles fournissent à l’acteur les
certaines conduites préférentiellement à d’autres moyens de s’adapter au monde. » p.4
dans des circonstances spécifiées de la vie sociale. »
La personnalité est donc transmise par les différents canaux des institutions éducatives
(famille, école, scout, médias, etc.). Mais cette transmission ne se fait pas de manière
mécanique : chaque acteur social (les élèves aussi) s’empare des matériaux culturels qui leur
sont fourni en vue de créer des formules culturelles diverses. Il devient producteur de culture
et contribue donc aux changements culturels.
9
Geneviève Vinsonneau, Le développement des notions de culture et d’identité : un itinéraire ambigu, dans
Carrefours de l’Education, n°14, juillet-décembre 2002, p. 10.
9
Projet Collectif Vertical « Se cultiver à Braives », Régendat Sciences humaines, 2010,
Michel Thiry (dir.)
Tenter +
« L’incorporation des éléments de la culture est sélective et l’individu y réagit en devenant
lui-même acteur et producteur de culture. La culture ne se transmet pas mécaniquement ; elle
fait l’objet d’un traitement par les sujets qui s’en emparent et la transforment en la
véhiculant ». Les cultures sont donc véhiculées par leurs porteurs et évoluent sans cesse car
ceux-ci les transforment. Chaque individu est porteur de plusieurs cultures à la fois (jeune,
occidentale, mondialisée, chrétienne, populaire, belge, wallonne, liégeoise, européenne,
urbaine, familiale, etc.)
4. Les loisirs ruraux traditionnels et les loisirs modernes
Attention !
Préambule : il est nécessaire de distinguer les loisirs des divertissements. Dans cette
séquence, nous traiterons avant tout des loisirs. Le loisir est la possibilité de disposer de son
temps, c’est le temps libre que l’on peut consacrer à des occupations très diversifiées (activité
éducative, lecture, jardinage, jeu, aménager sa maison, divertissement, militer dans un parti ou
une association, mener une action citoyenne, etc.). Avoir des loisirs, c’est donc choisir des
activités durant son temps libre. Il arrive que certaines activités de loisirs se professionnalisent
(c’est le cas pour certains de l’activité militante dans un parti ou dans une association).
Aujourd’hui, il semble que l’on puisse distinguer travail et temps libre par la perception d’un
salaire. Cette règle ne peut pas être aussi claire pour les périodes passées car beaucoup
d’activités de production ne sont pas rémunérées (exemple : les femmes au foyer avaient de
multiples tâches dont l’objectif était de ne pas dépenser de l’argent).
Le divertissement est plus restreint. Action de détourner de ce qui occupe (distraction).
Occupation qui détourne l’homme de penser aux problèmes essentiels qui devraient le
préoccuper. Autrement dit, le divertissement sert à empêcher l’homme de se consacrer à
d’autres loisirs cités plus hauts.
N’oublions pas de rester des acteurs sociaux dans notre enseignement. Si nous restreignons
les loisirs aux divertissements, alors nous sommes d’accord de dire que face aux problèmes
petits ou grands que nous rencontrons dans nos vies, la seule façon d’y faire face quand nous
avons du temps pour nous, c’est de fuir ces problèmes en nous divertissant, en se vidant la
tête. La vieille devise romaine est bien d’actualité « panem et circenses », du pain et des jeux
pour éviter que la plèbe ne soit mécontente et qu’elle ne se révolte. Ainsi, avoir des loisirs,
c’est parfois se cultiver, parfois exercer une action citoyenne, parfois se divertir et c’est
toujours vivre en société (que ce soit dans l’intégration ou dans l’exclusion).
La notion de « pratiques culturelles » recouvre grosso modo la notion de loisirs. Elle est plus
neutre. En effet, une personne qui va à la messe ne dira jamais que c’est un loisir (elle choisit
pourtant de pratiquer cette activité pendant son temps libre). Elle sera par contre d’accord de
dire que c’est une pratique culturelle10.
a. Les loisirs dans le monde rural traditionnel
Les loisirs du monde rural traditionnel sont le reflet à la fois des mentalités et des structures
sociales et économiques. Essentiellement collectifs, ils répondent au besoin d’unité de la
communauté villageoise. Ils ont pour fonction de montrer les normes du groupe et de
renforcer l’identité et la conscience collective.
10
Pour un développement plus complet de la notion de « pratiques culturelles », voir le document de Jacques
Cornet.
10
Projet Collectif Vertical « Se cultiver à Braives », Régendat Sciences humaines, 2010,
Michel Thiry (dir.)
Tenter +
Les cafés
Lieux de sociabilité, les cafés sont relativement nombreux dans les villages avant les années
1960. C’est souvent devant les terrasses que les adultes jouent aux quilles, au bouchon11 ou à
la tourbale12.
Les processions, les fêtes religieuses et les fêtes païennes
La brochure Pays de Burdinale-Mehaigne13 renseigne sur les loisirs de la région de Braives.
Les grands feux durant lesquels on brûle la macrale (sorcière en wallon) sont l’occasion de
rappeler symboliquement la norme : ici, on brûle tout ce qui est différent. Beaucoup de
manifestations ont un rôle expiatoire ou un rôle de conjuration : la procession de Saint-Donat
(Héron) permet aux agriculteurs de vénérer le saint protecteur des moissons, les fêtes de la
Neuvaine honoraient le miracle des enfants mort-nés ressuscités, à Ville-en-Hesbaye, on
jouait de la musique devant la potale Saint-Pierre en revenant des soirées de Lamontzée pour
éviter les ennuis. Dans toutes ces manifestations, si on manque à son devoir, on risque une
catastrophe. Certaines légendes sont là pour conter les malheurs des contrevenants.
Certaines de ces manifestations existent toujours. Elles n’ont bien entendu plus la même
fonction.
Les sports et les divertissements
Les sports pratiqués dans les villages sont essentiellement des sports collectifs. Ils mobilisent
l’entièreté du village et se pratique généralement sur la place du village. Ils sont sensés
canaliser l’agressivité par l’expression d’une violence symbolique. La balle pelotte est encore
très pratiquée dans l’Entre-Sambre-et-Meuse.
Les dimanches sont consacrés à la messe où tout le monde se réunit puis à des réjouissances
sur la place (jeux, danses, rondes, etc.) La danse tient une place importante dans de nombreux
milieux ruraux (les jours de fête mais aussi à la fin des travaux d’importance, chaque fois que
les travaux regroupent la collectivité).
Dans certains villages nait un clivage entre laïcs et catholiques. Une rivalité larvée s’exprime
dans les fêtes et dans les manifestations publiques. Elles finissent parfois par un affrontement
violent.
b. Les loisirs aujourd’hui à Braives
Les loisirs ont beaucoup changé. Le besoin de cohésion n’existe plus. La plupart des gens
travaillent ailleurs, font leurs courses à Hannut ou à Liège. Beaucoup d’entre eux vont se
divertir dans les villes (Hannut, Huy, Liège). Ce n’était pas encore le cas dans les années 1960
(un témoin se rappelle qu’il était très rare qu’on se rende à Huy). Dès lors, les loisirs qui
peuvent exister sont ceux qui se pratiquent à domicile ou ceux qui sont librement consentis.
Les autorités communales et des groupements associatifs tentent de développer le
divertissement dans l’entité pour recréer de la vie dans les villages (plaines de jeux, complexe
sportif, bal, festival). Les fêtes de quartier (barbecue, karaoké) ont aussi comme vocation de
mieux se connaître.
La commune cherche également à promouvoir un certain développement économique par
l’introduction d’un tourisme diffus (qui draine peu de touristes). Le public reste
essentiellement des écoles et/ou des habitants de la région. L’offre culturelle se focalise sur
des activités « nature » en lien avec le Parc naturel de Burdinale-Mehaigne ainsi que sur des
11
Pour une explication : http://www.usepmonde.net/files/liens_pdf/orne/Orne_JeuDuBouchon.pdf
Jeu qui consiste à envoyer une grosse rondelle de fer autour d’un clou planté dans une planche.
13
Eric Haupthenne (dir), Patrimoine, traditions et culture en Pays de Burdinale-Mehaigne, mai 2007, (Parc
Naturel des Vallées de la Burdinale et de la Mehaigne), http://www.burdinalemehaigne.be/burdinale/cahiers/cahier05.pdf, consulté le 12/12/2010
12
11
Projet Collectif Vertical « Se cultiver à Braives », Régendat Sciences humaines, 2010,
Michel Thiry (dir.)
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stages et des formations de type récréatif que l’on retrouve dans la plupart des centres
culturels (flamenco, djembé, guitare, atelier d’écriture, de céramique, de théâtre, etc.). En
dehors des activités nature, l’offre est très standardisée.
A côté des initiatives publiques ou parapubliques, certains groupes s’organisent pour
sauvegarder et faire vivre le patrimoine rural (moulins, vieux métiers, produits régionaux).
5. Le patrimoine : une notion qui évolue
a. Réflexion autour du concept
Michel Rautenberg, André Micoud, Laurence Bérard et Philippe Marchenay (dir.), Campagnes de tous nos
désirs, Paris : ed. de la Maison des sciences de l’homme, 2000.
Patrimoine rural
« Les paysages façonnés au cours des âges par les gens vivant de la terre et, plus généralement, de l’exploitation
des ressources de la nature, les immeubles, formant ce que l’on nomme l’architecture rurale, agrégée ou non ; les
produits du terroir adaptés aux conditions locales et aux besoins des hommes qui les ont élaborés ; les
techniques, outils et savoir-faire qui en ont permis la création et demeurent indispensables pour en rendre
possible l’entretien, la restauration, la modification et la modernisation dans le respect de la logique constructive
et de l’esthétique de l’ensemble immeubles/habitat/paysage. C’est-à-dire que ces techniques s’étendent à des
symbolisations et à des significations culturelles au sens plein du terme (Chiva 1994). » p. X.
• Sous le nom Hesbaye, se dessine bien un paysage façonné par l’homme où l’ensemble
immeubles/habitat/paysage forme un ensemble cohérent. (menacé par de nouvelles architectures
indépendantes de l’activité agricole, un habitat qui s’étiole sur cet espace territorial, etc.) Les
Hesbignons en sont fiers et ces ensembles ont du sens pour eux. Ils font partie de leur identité
culturelle. Ils s’attachent à ce symbole de la terre riche et fertile de Hesbaye (>< bien que le sol épuisé
ne puisse plus produire sans les tonnes d’engrais déversé).
• Les restes gallo-romains sont moins considérés comme du patrimoine par les acteurs locaux parce
qu’ils ne voient pas de lien entre ces objets et un ensemble immeubles/habitat/paysage. Par contre, les
stages de vannerie cadrent tout à fait avec le milieu humide préservé dans la réserve naturelle, il
s’intègre dans des immeubles anciennement agricoles où l’artisanat est important (moulin, taverne,
salicetum).
« Evoquer ensemble campagne et patrimoine revient presque à commettre un pléonasme : dans les
représentations du monde rural qui sont les nôtres, en France, le mot « campagne » n’est-il pas généralement
associé à un monde passé, à des lieux d’où sont originaires nos grands-parents, un monde dont on souhaite la
préservation ? » p. 1
Patrimoine investi
« Les hommes qui s’en servent, qui en vivent et qui ont souvent pris une part décisive à la survie de ces biens ont
la conscience de plus en plus claire et affirmée que cet ensemble leur appartient. Mais en même temps, l’espace
rural, avec le patrimoine qu’il représente et contient, est désormais considéré, à part égale, comme le bien et le
lieu de tous les hommes, ceux des villes comme ceux des campagnes. » p. X
• Conflit entre les agriculteurs qui considèrent pouvoir faire ce qu’ils veulent de leur terre (donc
répandre des pesticides sur leurs champs) et les citadins qui se mobilisent pour la préservation des
abeilles ou d’une espèce de coléoptère typique de l’endroit.
« Il n’est donc pas de patrimoine hors du processus complexes de désignation et d’appropriation et il n’est pas
d’intervention possible sans la compréhension la plus fine des processus sociaux par lesquels une société produit
son patrimoine. » p. X
• La pèche devient le patrimoine de Braives parce que les anciens se souviennent des parties de pèche
intergénérationnelle, parce qu’elle est réinvestie via la MMER et parce que les enfants répondent à
l’appel.
• Le moulin li stwerdu revit parce qu’une historienne l’a sauvé de la destruction, parce qu’un néo-rural
l’investit en y mettant ses abeilles, ses moutons du néolithique et qu’il y organise des pièces de théâtre
et des barbecues. Rien n’est authentique mais il y a un processus de patrimonialisation.
12
Projet Collectif Vertical « Se cultiver à Braives », Régendat Sciences humaines, 2010,
Michel Thiry (dir.)
Tenter +
« Sur la base du constat qu’effectuait déjà en 1984 un historien de l’art selon lequel le véritable critère du
patrimoine ne serait plus désormais ni l’art ni l’histoire mais « la conscience intime du groupe social que tel objet
appartient effectivement à son patrimoine » (Ollivier 1984)… » p. X
« Le patrimoine des uns n’est pas celui des autres, il convient de le définir a posteriori. » p. XI
Patrimoine construit
« Contrairement à une idée qui a cours, le patrimoine est d’abord l’affaire des acteurs sociaux. Il est ensuite, de
plus en plus fréquemment, construit autour d’un projet, personnel ou collectif, économique ou culturel. Il n’est
pas un donné de l’histoire ou du territoire. Autour du projet, vont se rencontrer, et parfois s’affronter, une grande
variété de personnes et d’institutions : des habitants, des acteurs économiques, des élus des agents des
collectivités publiques, des financeurs potentiels, des chercheurs, des médiateurs. » p. 2
• Le projet de la Maison de la Mehaigne et de l’Environnement rural est exemplaire : sur une réserve
naturelle (milieu humide), on organise des stages qui utilisent ce milieu humide (musique
environnementale, vannerie, architecture végétale), on veut réimplanter des saules (salicetum) et créer
une école de vannerie à Huy qui pourrait former les animateurs au savoir-faire de la vannerie.
Patrimoine marchandisé
« Ce qui rend passionnante cette recherche, c’est qu’elle nous conduit au cœur des systèmes de prises de
décisions politico-économiques qui font que le patrimoine, sa valorisation, voire sa « marchandisation », est
aujourd’hui un levier essentiel pour l’aménagement et le développement des territoires. » p. XI
• Il serait erroné de dire que le patrimoine ne se construit que sur base identitaire des groupes qui
l’identifient comme telle. Si la MMER réussit là où un musée d’archéologie gallo-romaine et médiéval
échoue, c’est parce que les enjeux de développement rural trouvent des réponses dans cette mise en
valeur du patrimoine. Le patrimoine le mieux valorisé sera celui qui conjugue intérêts économiques,
visées politiques et construction des identités culturelles.
« Objet culturel, produit de consommation, cadre de vie, le patrimoine et ses succédanés commerciaux sont de
plus en plus présents dans notre environnement. Même si l’on met de côté les nouvelles tendances d’un
marketing qui prétend nous vendre de la tradition comme naguère il nous vendait de la modernité, le patrimoine
est une destination importante de nos temps de loisirs, comme le montre le succès confirmé d’année en année des
Journées du patrimoine, devenues européennes. Le patrimoine est dans nos assiettes avec les produits dits de
terroir, nous le pratiquons dans des associations ou en restaurant de vieilles maisons. » p. 1
« A travers les trois thèmes du territoire, des produits et de la relation au monde urbain, nous verrons que le
patrimoine détermine de nouvelles formes de dialogue entre acteurs et institutions, qu’il nous aide à comprendre
comment s’articulent biens économiques et valeurs culturelles, qu’il permet de penser et de tenir ensemble des
espaces et des groupes sociaux qui restent hétérogènes, qui souvent revendiquent leurs particularités. L’attirance
de nos sociétés pour le patrimoine viendrait en effet de ce qu’il se construit, aujourd’hui probablement plus
qu’hier, dans l’intérêt croisé entre l’expression de la diversité des cultures et l’extension des échanges
économiques, sociaux et culturels entre les groupes sociaux. » p. 2
• De nouveau, ce qui se passe au Moulin li stwerdu décrit bien cette construction patrimoniale où les
identités culturelles s’expriment, s’échangent et se reforment (pratique des barbecues = culture
rurbanisée / théâtre en wallon (li fabrique di croye) réapproprié par les concepteurs de la pièce =
culture intello + culture rurale traditionnelle / mouton du néolithique = culture urbaine qui phantasme
la campagne / le moulin transformé en exposition = culture académique universitaire). Dans ces
moments de rencontre, chacun s’ouvre à la culture de l’autre en ayant l’impression de partager
quelque chose de commun.
13