La réforme du droit des obligations Auteur(s) : Gaël

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La réforme du droit des obligations Auteur(s) : Gaël
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5 septembre 2016
La réforme du droit des obligations, Commentaire théorique et pratique dans l'ordre du Code civil (Extrait)
Bibliographie. – N. Blanc, « Dispositions préliminaires. Analyse des articles 1101 à 1110
du projet d’ordonnance portant réforme du droit des obligations », Gaz. Pal. 29 avr. 2015,
p. 3 ; G. Chantepie, « La liberté contractuelle : back to basics », blog Réforme du droit
des obligations, Dalloz, 16 févr. 2016 ; N. Dissaux et C. Jamin, Projet de réforme du droit
des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par
article, Dalloz, 2015, p. 3 ; M. Mekki, « Les principes généraux du droit des contrats au
sein du projet d’ordonnance portant sur la réforme du droit des obligations », D. 2015.
816 ; M. Mekki, « La réforme au milieu du gué. Les notions absentes ? Les principes
généraux du droit des contrats – aspects substantiels », RDC 2015. 651 ; C. Pérès, « La
liberté contractuelle et l’ordre public dans le projet de réforme du droit des contrats de la
Chancellerie (à propos de l’article 16, alinéa 2, du projet) », D. 2009. 381 ; C. Pérès,
« Observations sur “l’absence” de principes directeurs à la lumière du projet d’ordonnance
portant réforme du droit des contrats », RDC 2015. 647.
85. Présentation. L’article 1102 du Code civil consacre formellement, pour la première fois en droit
français, le principe de la liberté contractuelle. Ce n’est ni une surprise ni, au fond, une réelle innovation.
Une disposition relative à la liberté contractuelle était attendue. À l’exception de l’avant-projet Catala, elle
figurait dans l’ensemble des codifications doctrinales internationales1 ou nationales. En dépit de la diversité
des formules employées2, la liberté contractuelle y était affirmée dès les premiers articles. Même si les
différentes versions du projet de la Chancellerie ont toujours consacré un article à la liberté contractuelle,
c’est sans doute avec le projet Terré, inspiré par les propositions de G. Rouhette3, que la filiation est la plus
directe4, encore que l’article 1102 ait fait l’objet d’une réécriture tardive qui revient à une lecture plus
1
PDEC, art 1 : 102 ; Principes Unidroit, art. 1.1 ; DCFR, art. II.-1 : 102 ; Principes AHC-SLC, art. 0 : 101.
Comp. PDEC, art. 1 : 102 : « Les parties sont libres de conclure un contrat et d’en déterminer le contenu, sous réserve des exigences de la
bonne foi et des règles impératives posées par les présents Principes » et Principes AHC-SLC, art. 0 : 101 : « Chacun est libre de contracter
et de choisir son cocontractant. / Les parties sont libres de déterminer le contenu du contrat et les règles de forme qui lui sont applicables. /
La liberté contractuelle s’exerce dans le respect des règles impératives ».
3
G. Rouhette, « Regard sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations », RDC 2007. 1371, spéc. p. 1422 : art. 1.201 et 1.202.
4
Avant-projet Terré relatif au contrat, art. 3 : « Les parties sont libres, dans les limites fixées par la loi, de choisir leur cocontractant et de
2
La réforme du droit des obligations
Commentaire théorique et pratique dans l'ordre du Code civil
Auteur(s) : Gaël Chantepie, Mathias Latina
Coll. « Hors collection Dalloz », juin 2016
Isbn : 978-2-247-16273-4
29 € - 1193 pages
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classique de sa portée. En résumé, sans minimiser l’impact d’une consécration de la liberté contractuelle
dans le Code civil, il faut reconnaître que l’inverse eût été plus surprenant.
En revanche, affirmer que l’article 1102 n’apporterait pas de nouveauté dans le système juridique mérite sans
doute quelques précisions. Car évidemment, il n’est pas neutre que soit consacré de manière explicite un
principe de liberté contractuelle. Une économie de marché requiert un principe de libre concurrence, qui
« s’articule lui-même autour de deux libertés majeures : d’une part, la liberté du commerce et de l’industrie,
à travers notamment la liberté d’entreprendre, et, d’autre part, la liberté contractuelle, en vertu de laquelle les
compétiteurs doivent pouvoir conclure les contrats qu’ils souhaitent aux conditions de leur choix »5. Énoncer
que les contractants sont libres de contracter, avec qui ils souhaitent, et aux conditions de leur choix,
immédiatement après avoir défini le contrat, témoigne de l’ancrage du droit français du contrat dans une
conception libérale. Néanmoins, un tel principe était déjà garanti indirectement par certains textes du Code
civil et, surtout, bénéficiait depuis plusieurs années d’une protection constitutionnelle6. Autant dire que
l’affirmation expresse du principe dans le droit commun des contrats ne remet pas en cause son architecture
fondamentale. En outre, l’article 1102 du Code civil ne transforme pas substantiellement la manière dont est
encadré le principe de liberté contractuelle. Les contractants demeurent soumis aux lois et, plus
généralement, aux règles impératives. Si les bonnes mœurs disparaissent formellement, marquant la fin d’un
déclin inexorable, les droits et libertés fondamentaux, qui avaient connu une expansion remarquée dans la
sphère contractuelle, demeurent en dehors du texte, ce qui révèle une conception assez étroite du contrôle
exercé par le juge7. En résumé, l’affirmation du principe de la liberté contractuelle vise à consolider le droit
positif, alors même que sa soumission aux seules règles d’ordre public ne règle pas les modalités de son
contrôle, ce qui en fragilise la portée.
I. L’AFFIRMATION DE LA LIBERTE CONTRACTUELLE
A. Le principe de la liberté contractuelle
86. Siège du principe de la liberté contractuelle. La consécration de la liberté contractuelle dans le Code
civil ne transforme pas sa place dans l’ordre juridique. Les garanties offertes au titre de sa protection
constitutionnelle, et les limites dans lesquelles elle est admise, conservent leur supériorité hiérarchique. En
d’autres termes, l’article 1102 ne saurait être invoqué pour contester un texte qui limiterait l’exercice de la
liberté contractuelle, dès lors que celui-ci remplit les exigences fixées par le Conseil constitutionnel.
Néanmoins, il n’est pas anodin que la liberté contractuelle soit consacrée en ouverture du titre relatif au droit
du contrat, ne serait-ce que pour guider l’interprète dans la lecture des textes ultérieurs. À cet égard,
l’emplacement de l’article 1102 du Code civil, situé au sein du titre III du livre III, relatif aux sources
d’obligations, n’a pas le même rayonnement qu’un texte similaire placé au sein du titre préliminaire du Code
civil, qui se serait substitué à l’article 6. En dépit de propositions doctrinales en ce sens8, la solution semble
n’avoir jamais été envisagée au cours des différentes versions du projet de la Chancellerie.
Plus que sa place au sein du Code civil, c’est la situation de l’article 1102 au sein du chapitre I consacré aux
dispositions liminaires qui a été l’objet d’intenses débats. La première version du projet de la Chancellerie,
diffusée en 2008, adoptait en effet une présentation comprenant des principes directeurs, au titre desquels
figurait notamment la liberté contractuelle9. Le législateur semble avoir renoncé à cette présentation
contestée, les dispositions liminaires n’étant pas qualifiées de principes directeurs. Il aurait veillé à éviter que
ces règles soient conçues comme présentant un « niveau supérieur à celles qui suivent » et que le juge s’y
réfère « pour justifier un interventionnisme accru »10. Néanmoins, en regroupant la liberté contractuelle, la
force obligatoire et la bonne foi entre deux séries de définitions, le législateur a créé un bloc de principes
déterminer la forme et le contenu du contrat » ;
Art. 4 : « On ne peut déroger, par contrat particulier, aux règles qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs.
On ne peut porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux que dans la mesure indispensable à la protection d’un intérêt sérieux et
légitime ».
5
B. Oppetit, « La liberté contractuelle à l’épreuve du droit de la concurrence », Rev. sc. morales et pol. 1995, p. 241, spéc. p. 242.
6
Pour la consécration la plus explicite, v. Cons. const. 13 juin 2013, no 2013-672 DC, Loi sur la sécurisation de l’emploi ; sur ce point,
v. infra, no 87.
7
V. sur ce point, G. Chantepie, « La liberté contractuelle : back to basics », blog Réforme du droit des obligations, Dalloz, 16 févr. 2016.
8
V. not., C. Pérès, « La liberté contractuelle et l’ordre public dans le projet de réforme du droit des contrats de la Chancellerie (à propos de
l’article 16, alinéa 2, du projet) », D. 2009. 381, no 10.
9
Sur cette question, v. C. Pérès, article préc.
10
Rapport de présentation de l’ordonnance du 10 février 2016.
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généraux, suivant les termes mêmes de la loi d’habilitation11, qui pourraient fort bien constituer des principes
fondamentaux du droit des contrats. Nul besoin pour le juge d’une « règle de niveau supérieur », il peut y
puiser une source d’inspiration pour l’interprétation du droit des obligations.
87. Relations avec les autres sources de la liberté contractuelle. L’affirmation du principe de liberté
contractuelle par l’article 1102 n’a pas supprimé les autres sources formelles de ce principe. Assurément,
certains textes devront désormais être considérés comme de simples applications d’un principe général. Ainsi
en est-il de l’article 1145 du Code civil, qui reprend en substance l’ancien article 1123 en affirmant que
« toute personne physique peut contracter sauf en cas d’incapacité prévue par la loi »12. Si « chacun est libre
de contracter (…) dans les limites fixées par la loi », on comprend que toute personne physique puisse le
faire. À cet égard, l’article 1102 joue le rôle dévolu aux principes généraux, qui peuvent être repris ou
précisés par des textes plus spéciaux. Néanmoins, l’articulation des dispositions pourrait s’avérer plus
complexe dans au moins deux situations. D’une part, l’introduction de l’article 1102 n’a pas été
accompagnée par la suppression de l’article 6 du Code civil13. En choisissant de ne pas insérer le principe de
la liberté contractuelle dans le titre préliminaire du Code civil, le législateur aurait pu en effacer la principale
consécration antérieure. La question ne poserait guère de problème si les textes avaient la même formulation.
Or, l’article 6 du Code civil s’applique aux conventions et réserve la contrariété aux bonnes mœurs, qui n’y
figure pas plus. Si l’on admet que les conventions visent également les contrats, soit par inclusion des
contrats dans la catégorie des conventions, soit par assimilation des notions de conventions et d’actes
juridiques, l’article 6 du Code civil demeurerait donc applicable aux contrats, ce qui affecterait
l’interprétation de l’article 1102 s’agissant des limites à la liberté contractuelle14. À cet égard, la clarification
du droit des contrats voulue par le législateur n’est pas aboutie.
D’autre part, surtout, l’article 1102 inscrit implicitement, mais nécessairement, le principe de liberté
contractuelle sous l’autorité de la Constitution. Après avoir longtemps refusé d’élever au rang de principe
constitutionnel la liberté contractuelle, interdisant seulement au législateur de « porter à l’économie des
conventions et contrats légalement conclus une atteinte d’une gravité telle qu’elle méconnaisse
manifestement la liberté découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen »15, le
Conseil constitutionnel a en effet modifié sa position au point d’admettre qu’« il est loisible au législateur
d’apporter à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de l’article 4 de la Déclaration
de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la
condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi »16. La liberté
contractuelle reste cependant rattachée intellectuellement à la liberté d’entreprendre, le contrat étant conçu
comme l’instrument privilégié de réalisation des échanges économiques. En d’autres termes, il reviendra
toujours au Conseil constitutionnel de garantir les opérateurs économiques contre les atteintes excessives
portées au principe de la liberté contractuelle par le législateur. L’introduction de l’article 1102 ne modifiera
pas la place de ce principe dans la hiérarchie normative, ce qui lui confère une dimension plus symbolique
que technique, du moins dans son rapport avec l’action du législateur. Mais sans doute l’apport principal de
cette disposition ne réside-t-il pas dans les relations entre le contrat et la loi, mais dans le mode d’emploi
offert aux contractants pour user de leur liberté dans les relations privées.
B. Les manifestations de la liberté contractuelle
88. Énumération ou illustrations ? L’article 1102 du Code civil n’affirme pas, de manière générale, un
principe de liberté contractuelle. Il énonce que « Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de
choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la
loi ». Le législateur procède ainsi à une énumération des manifestations de la liberté consentie aux parties. Il
s’agit plus précisément d’illustrations qui ne devraient pas présenter un caractère limitatif 17. Les hypothèses
visées permettront cependant d’éviter que la question se pose en pratique.
11
Le Gouvernement étant habilité pour « affirmer les principes généraux du droit des contrats tels que la bonne foi et la liberté
contractuelle » (L. no 2015-177 du 16 févr. 2015, art. 8).
12
V. infra, no 349 s.
13
« On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ».
14
V. infra, no 95 s.
15
Cons. const. 10 juin 1998, no 98-401 DC ; RTD civ. 1998. 796, obs. N. Molfessis.
16
Cons. const. 13 juin 2013, préc. ; sur cette question, v. M. Latina, « Contrat : généralités », in Rép. civ., Dalloz, spéc. no 14.
17
Sur ce point, G. Rouhette, « Regard sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations », RDC 2007. 1371, no 42.
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89. Liberté de contracter ou de ne pas contracter. Au même titre que la liberté d’association ou la liberté
syndicale, la liberté contractuelle comprend un volet positif, la liberté de contracter et un volet négatif, la
liberté de ne pas contracter. On ne saurait en principe imposer à quelqu’un d’acheter un produit ou de
recourir à un service. L’enjeu réside surtout, en pratique, dans le refus de contracter annoncé à la suite de la
rupture de négociations18.
90. Liberté de choisir son cocontractant. Dans le prolongement logique, chaque contractant peut choisir
librement ses partenaires, sans être tenu de motiver sa décision. Dans une économie concurrentielle, la libre
allocation des ressources postule que la personne du contractant soit laissée à la libre appréciation des
opérateurs économiques.
91. Liberté de déterminer le contenu du contrat. De manière plus générale, la liberté contractuelle
implique la liberté de déterminer le contenu du contrat. Cela se traduit par la possibilité de recourir à un type
de contrat existant, ou de créer de nouvelles formes contractuelles, des contrats innomés ; par la liberté de
stipuler des clauses traitant de tout type de questions ayant trait aux relations entre les parties ; par la liberté
de fixer les conditions économiques du contrat, le prix n’étant que l’une des facettes de la liberté de conclure
un contrat aux conditions voulues.
92. Liberté de choisir la forme du contrat. Plus rarement évoquée, la liberté de choisir la forme du contrat
revêt plusieurs dimensions. Elle justifie implicitement le consensualisme consacré par l’article 1172 du Code
civil19, qui traduit la liberté de la forme20. Inversement, les parties sont parfaitement fondées à poser des
exigences formelles à titre de validité ou à titre probatoire. L’idée de « solennités conventionnelles » est
assez couramment utilisée dans les relations suivies entre des partenaires commerciaux, qui prévoient par
avance les conditions de validité de leurs accords ultérieurs21. Quant à la preuve des conventions,
l’affirmation de la licéité des contrats sur la preuve par l’article 1356 du Code civil complète le principe de la
liberté de choisir la forme du contrat. En résumé, l’article 1102, alinéa premier, énonce les variétés que peut
recouvrir la liberté contractuelle, lesquelles sont le plus souvent précisées par ailleurs. Il réserve cependant
immédiatement le respect de la loi, soumettant l’exercice de la liberté contractuelle à des exigences
supérieures.
II. LA SOUMISSION DE LA LIBERTE CONTRACTUELLE
93. Présentation. L’affirmation du principe de liberté contractuelle est assortie d’importantes contraintes. Il
ne faut pas tant y voir l’expression d’un principe assorti d’exceptions, que la délimitation même de ce
principe, dans les bornes fixées par la loi. « Loin que la liberté soit le principe et la loi impérative ou
prohibitive la singularité exceptionnelle, la loi est une restriction normale et permanente à l’activité
contractuelle »22. La prise en compte de la loi comme source et limite de la liberté contractuelle exclut l’idée
d’une essence de la liberté dans le contrat. La question des rapports entre la loi et le contrat « ne repose pas
sur l’exclusion de l’un par l’autre (tout l’un ou tout l’autre) ; elle porte sur l’intensité d’un rapport qui n’est
pas nié »23. L’article 1102 du Code civil reste fidèle à une analyse très classique du contrôle de la liberté
contractuelle, soumises à des contraintes verticales, l’autorité de la loi et l’ordre public. Revenant sur le texte
du projet d’ordonnance de février 2015, le législateur a finalement renoncé à préciser dans la loi les
modalités d’un contrôle horizontal, tiré du respect des droits et libertés fondamentaux.
94. Autorité de la loi (art. 1102, al. 1er). Les contraintes pesant sur les parties se révèlent dans chacune des
manifestations précédemment évoquées. Ainsi, tout d’abord, la liberté de contracter ou de ne pas contracter
est encadrée par des règles légales, certains contrats étant interdits, d’autres étant imposés24. Quant à la
liberté de choisir son contractant, ensuite, en dehors même des hypothèses de monopoles légaux qui tendent
à disparaître, existent des règles qui visent à limiter le libre choix du contractant, en interdisant toute
18
V. infra, no 172.
C. civ., art. 1172, al. 1er : « Les contrats sont par principe consensuels ».
20
A. Sériaux, Droit des obligations, 2e éd., PUF, 1998, no 38.
21
Sur cette question, v. J. M. Mousseron, Technique contractuelle, 4e éd. par P. Mousseron, J. Raynard et J.-B. Seube, F. Lefebvre, 2010,
o
n 25.
22
G. Rouhette, « La force obligatoire du contrat, Rapport français », in D. Tallon et D. Harris (dir.), Le contrat aujourd’hui :
comparaisons franco-anglaises, LGDJ, 1987, p. 27, no 4.
23
C. Jamin, « Une brève histoire politique des interprétations de l’article 1134 du Code civil », D. 2002. 901, spéc. p. 906.
24
V. par ex., l’assurance obligatoire d’un véhicule (C. ass., art. L. 211-1).
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discrimination fondée sur des motifs illicites25. La liberté de déterminer le contenu du contrat est
pareillement limitée. Pour s’en tenir à un exemple récent, il est toujours possible pour le législateur, en dépit
de la protection constitutionnelle de la liberté contractuelle, de plafonner le montant des loyers dans les baux
d’habitation26. Enfin, il n’est pas douteux que la liberté de la forme est largement soumise aux exigences
légales, que ce soit dans l’imposition de mentions obligatoires, de documents annexés, voire de contratstypes élaborés par l’administration.
95. Ordre public (art. 1102, al. 2). « La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui
intéressent l’ordre public ». La réserve posée par le second alinéa est d’apparence classique, qui évoque
l’article 6 du Code civil. Si cette filiation peut expliquer une formulation jugée parfois imprécise 27, le texte
vise néanmoins un domaine plus large que celui de l’article 6. En effet, les contrats ne peuvent déroger aux
« règles », et non aux seules « lois », qui intéressent l’ordre public. Ainsi qu’on l’a souligné, le nouveau texte
« prend acte de l’existence d’un ordre public qui dépasse les frontières de la loi au sens formel et reconnaît
par ce biais l’existence d’un ordre public virtuel ou judiciaire mis en œuvre par la jurisprudence »28. En
pratique, donc, l’ordre public devrait faire échec à des contrats qui iraient à l’encontre de règles légales ou
prétoriennes. S’agissant spécialement de l’ordonnance du 10 février 2016, le rapport de présentation indique
qu’elle présenterait un caractère supplétif sans qu’il ait paru nécessaire de l’affirmer « expressément dans un
article spécifique ». Il n’en irait différemment que lorsqu’est clairement affirmée l’impossibilité de déroger
par convention à la règle fixée, par exemple à l’exigence de bonne foi29 ou à l’interdiction de créer à son
profit une présomption irréfragable30. La qualification d’une règle d’ordre public peut cependant être
affirmée par le juge dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation des textes.
96. Disparition des bonnes mœurs ? À la différence de l’article 6 du Code civil, la réserve posée par
l’article 1102 ne mentionne plus les bonnes mœurs qui en constituaient le volet moral. La contrariété aux
bonnes mœurs figurait également dans les anciens articles 113331 et 117232 du Code civil, qui n’ont pas été
repris, si bien qu’elle disparaît totalement des dispositions relatives au contrat. La contrariété aux bonnes
mœurs ne serait-elle donc plus une limite à l’exercice de la liberté contractuelle ? La réponse doit être
nuancée. Sans doute l’exclusion des bonnes mœurs peut-elle être entendue comme l’aboutissement de leur
éviction progressive par la jurisprudence. Non seulement la notion de bonnes mœurs avait, comme tout
standard, été progressivement adaptée aux valeurs de la société contemporaine, mais les juges avaient même
refusé de contrôler la validité de certaines conventions sur le fondement des bonnes mœurs. Ainsi, « le
contrat proposé par un professionnel, relatif à l’offre de rencontres en vue de la réalisation d’un mariage ou
d’une union stable, qui ne se confond pas avec une telle réalisation, n’est pas nul, comme ayant une cause
contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, du fait qu’il est conclu par une personne mariée »33, pas plus
que « la libéralité consentie à l’occasion d’une relation adultère »34. À cet égard, la suppression de la mention
des bonnes mœurs achèverait une évolution largement entamée35. Néanmoins, il n’est pas exclu que les
bonnes mœurs demeurent une source d’inspiration susceptible de limiter l’exercice de la liberté
contractuelle. Formellement en effet, les « règles qui intéressent l’ordre public » pourraient inclure les
hypothèses autrefois visées par les bonnes mœurs36. C’est évidemment le cas lorsqu’un texte légal a pris le
relais des bonnes mœurs, notamment pour ce qui relève de la protection de la personne humaine 37. Mais rien
n’empêche les juges d’utiliser l’article 6 du Code civil, ni même de considérer que les bonnes mœurs
constitueraient une facette de l’ordre public. Le législateur n’a peut-être donc pas renoncé à l’influence de la
morale dans le droit des obligations. Mais cette quête « de la loi morale dans les règles les plus techniques du
droit »38 demeure diffuse, le législateur n’ayant pas consacré un contrôle de la liberté contractuelle au regard
25
V. par ex., en matière de bail d’habitation, L. no 89-462 du 6 juill. 1989, art. 1er.
L. no 89-462 du 6 juill. 1989, art. 17 (réd. L. du 17 mars 2014).
27
Le terme déroger étant polysémique et ne désignant pas nécessairement une situation illicite. En ce sens, v. C. Pérès, article préc, no 11.
28
M. Mekki, article préc., no 33.
29
C. civ., art. 1104.
30
C. civ., art. 1356.
31
« La cause est illicite quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public ».
32
« Toute condition d’une chose impossible, ou contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi est nulle, et rend nulle la convention
qui en dépend ».
33
Civ. 1re, 4 nov. 2011, no 10-20.114 ; Bull. civ. I, no 191.
34
Ass. plén. 29 oct. 2004, no 03-11.238 ; Bull. ass. plén., no 12.
35
Sur cette question, v. D. Fenouillet, « Les bonnes mœurs sont mortes ! Vive l’ordre public philanthropique ! », in Études P. Catala,
Litec, 2001, p. 487.
36
En ce sens, v. C. Pérès, article préc., no 3.
37
C. civ., art. 16.
38
G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, 4e éd., LGDJ, 1949, no 1.
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des droits et libertés fondamentaux.
97. Liberté contractuelle et droits et libertés fondamentaux. La réforme du droit commun aurait pu être
l’occasion d’intégrer dans la loi le mouvement de fondamentalisation du droit des contrats à l’œuvre depuis
plusieurs années39. L’innovation aurait été réelle, puisque si la plupart des projets encadraient la liberté
contractuelle dans les limites de la loi, voire de la bonne foi40, rares étaient ceux qui réservaient
expressément les atteintes aux droits et libertés fondamentaux41. À cet égard, le projet d’ordonnance, dans sa
version de février 2015, envisageait de soumettre la liberté contractuelle aux droits et libertés fondamentaux,
en prévoyant que « la liberté contractuelle ne permet pas (…) de porter atteinte aux droits et libertés
fondamentaux reconnus dans un texte applicable aux relations entre personnes privées, à moins que cette
atteinte soit indispensable à la protection d’intérêts légitimes et proportionnée au but recherché ». Un tel
texte aurait favorisé une application judiciaire des droits et libertés fondamentaux plus conforme aux
méthodes des juridictions européennes. Plutôt que d’être appréhendés comme des normes auxquelles on peut
ou non déroger, de manière mécanique, les droits et libertés fondamentaux sont des règles qui peuvent tolérer
certaines atteintes, dès lors qu’elles sont justifiées42. La nuance était de taille car la liberté contractuelle aurait
ainsi permis d’aller à l’encontre des droits fondamentaux, à condition que le contrat vise à préserver des
intérêts légitimes et que l’atteinte demeure proportionnée au but recherché. Le juge civil aurait ainsi dû
contrôler, d’une manière différente, l’équilibre entre les stipulations contractuelles et le respect des droits et
libertés fondamentaux. L’ordonnance du 10 février 2016 n’a finalement pas repris cette proposition, revenant
à un contrôle plus classique aux seules règles d’ordre public. Pourtant, ce choix de la sécurité ne suffira pas à
exclure les droits et libertés fondamentaux du contentieux contractuel43. Il n’est pas douteux, en effet, qu’ils
peuvent constituer des règles qui intéressent l’ordre public, que le juge sera donc tenu de contrôler. Deux
options paraissent alors envisageables. Soit la Cour de cassation inscrit le contentieux des droits et libertés
fondamentaux dans un pur rapport hiérarchique, vertical, que suggère l’article 1102 du Code civil. On en
trouvait parfois la trace dans certaines décisions faisant abstraction de tout contrôle de proportionnalité de
l’atteinte portée à une liberté fondamentale44. Une telle solution exposerait cependant à des recours devant la
Cour européenne des droits de l’Homme, laquelle retient une méthodologie différente. Soit, précisément, la
Cour de cassation soumet les atteintes aux droits et libertés fondamentaux à la démonstration de leur
caractère nécessaire et proportionné à la protection d’un intérêt légitime. La Cour de cassation a ainsi
subordonné des clauses restreignant la liberté de choix de son domicile par un salarié « à la condition d’être
indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et proportionnée, compte tenu de l’emploi
occupé et du travail demandé, au but recherché »45. Il en va de même des clauses de non-concurrence, qui
doivent être proportionnées à l’intérêt légitime à protéger46. Une telle approche reviendrait à laisser au juge
le soin de choisir la méthode de contrôle de la liberté contractuelle aux droits et libertés fondamentaux. Cette
question s’inscrit d’ailleurs dans un débat plus vaste au sujet du contrôle exercé par la Cour de cassation 47.
Quoi qu’il en soit, en tâchant de faire simple, il semble que le législateur ait maintenu une approche simpliste
du contrôle de la liberté contractuelle au regard des seules contraintes verticales.
39
V. not., J.-P. Gridel, « Les droits fondamentaux du contractant au quotidien », in Liber amicorum C. Larroumet, Economica, 2009,
p. 198 ; L. Abadie, « Convention EDH et contentieux contractuel », Dr. et patr. juill.-août 2010, p. 73 ; C. Jamin, « Le droit des contrats saisi
par les droits fondamentaux », in Repenser le contrat, G. Lewkowicz et M. Xifaras (dir.), Dalloz, 2009, p. 175 ; J.-P. Marguénaud,
« L’assujettissement du contrat à la Convention EDH », RTD civ. 2009. 281.
40
PDEC, art. 1 : 102 : « Les parties sont libres de conclure un contrat et d’en déterminer le contenu, sous réserve des exigences de la
bonne foi et des règles impératives posées par les présents Principes ».
41
Comp. avant-projet Terré relatif au contrat, qui s’inspirait des propositions de G. Rouhette, « Regard sur l’avant-projet de réforme du
droit des obligations », article préc., no 43, lequel proposait un texte (art. 1.202), composé de trois alinéas dont l’un reprenait quasiment
l’article 6 et les deux suivants étaient rédigés ainsi : « On ne peut pareillement déroger au principe de la non-discrimination.
On ne peut porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux que dans la mesure indispensable à la protection d’un intérêt sérieux et
légitime ».
42
C. Aubert de Vincelles, « Les principes généraux relatifs au droit des contrats », in F. Terré (dir.), Pour une réforme du droit des
contrats, Dalloz, 2008, p. 113, spéc. p. 115.
43
Sur cette question, v. not. G. Chantepie, article préc.
44
Civ. 3e, 8 juin 2006, no 05-14.774 ; Bull. civ. III, no 140 ; D. 2006. 2887, note C. Atias ; LPA 5 juill. 2006, p. 9, note D. Fenouillet,
jugeant que « la liberté religieuse, pour fondamentale qu’elle soit, ne pouvait avoir pour effet de rendre licites les violations des dispositions
d’un règlement de copropriété et relevé que la cabane faisait partie des ouvrages prohibés par ce règlement et portait atteinte à l’harmonie
générale de l’immeuble puisqu’elle était visible de la rue » pouvait en effet juger que la résolution de l’assemblée générale était valable.
45
Soc. 12 janv. 1999, no 96-40.755 ; Bull. civ. V, no 7.
46
Com. 4 janv. 1994, no 92-14.121 ; Bull. civ. IV, no 4.
47
V. not., C. Jamin, « Juger et motiver. Introduction comparative à la question du contrôle de proportionnalité en matière de droits
fondamentaux », RTD civ. 2015. 263.
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