"La mythique réforme de la carte judiciaire, entre justice de proximité

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"La mythique réforme de la carte judiciaire, entre justice de proximité
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"La mythique réforme de la carte judiciaire, entre justice de proximité et spécialisation des
contentieux" in Réforme de la Justice, réforme de l'Etat, Université de Paris I (Loïc Cadiet
dir.) PUF, octobre 2003 pp 257-265
La mythique réforme de la carte judiciaire, entre justice de proximité et spécialisation
des contentieux Par Jean-Paul JEAN, substitut général près la cour d'appel de Paris, directeur
de la mission de recherche droit et justice
1. Le serpent de mer de la "carte judiciaire"
S'il est un débat qui traverse en permanence l'institution judiciaire au cours des siècles,
c'est bien celui de la "carte judiciaire". Cette expression géographique occulte les aspects
historiques, l'utilité sociale et l'activité réelle des juridictions. Les termes en sont quasiment
toujours posés à l'identique, opposant le national et le local, les élites administratives
réformistes, porteuses d'une nécessaire distance, d'une rationalité organisationnelle et
d'économies budgétaires, aux notables locaux, au premier rang desquels les avocats,
défendant une "justice de proximité" et, même par delà les réalités d'une activité parfois
minime, le symbole de présence de la puissance publique que représente un bâtiment
judiciaire1.
A de multiples projets successifs de réforme, tous plus rationnels les uns que les autres, ont
répondu autant de luttes d'influence et de justifications locales de l'indispensable présence de
la justice. Par delà ces débats récurrents, l'héritage historique peut se résumer à quelques
épisodes marquants : la pléthore d'implantations judiciaires de l'Ancien régime, la nouvelle
rationalité révolutionnaire, le schéma napoléonien qui fixe le socle actuel2. Depuis deux
siècles, malgré de nombreuses velléités, seules deux réformes "jacobines" ont été menées
jusqu’au bout, l'une annihilée une année plus tard, celle de Raymond POINCARE en 1926,
l'autre réussie dans de circonstances exceptionnelles, celle de Michel DEBRE en 1958.
Depuis, à une volonté incantatoire cyclique de réformes, n'a correspondu qu'une réforme
parcellaire des tribunaux de commerce qui préfigure sans doute une nouvelle culture
judiciaire des territoires.
Après des intentions non suivies d'effets à La Libération, la seule vraie réforme achevée après
la Révolution française fût celle de Michel DEBRE en 1958, en un moment exceptionnel de la
reprise du pouvoir par l'exécutif sur les élus et d'un programme de réformes structurelles pour
la justice mené tambour battant par le garde des sceaux du Général de GAULLE à travers 13
ordonnances et 31 décrets.
En sept mois, le bilan de Michel DEBRE est impressionnant : en plus de la nouvelle
Constitution, de la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature, de la création du Centre
national d 'études judiciaires, la réforme de l’organisation judiciaire aboutit en particulier à la
suppression des justices de paix et de 150 tribunaux d’arrondissements, à l'établissement des
tribunaux de grande instance comme juridiction de droit commun, à l'élargissement des
compétences des cours d’appel en matière sociale.
1
"Les tribunaux de justice ne sont pas de ces établissements de luxe qu'un monarque peut élever à sa gloire ou à
l'ornement de sa capitale. Etablis pour le peuple, ils doivent être à sa portée", in "Le testament de Louis XV",
programme de réformes précédant les cahiers de doléances, paru sans nom d'auteur en 1787, cité par Arlette
LEBIGRE : "l'ancien régime ou l'impossible réforme de la carte judiciaire" dans l'ouvrage collectif "Du juge de
paix au tribunal départemental" Association française pour l'histoire de la justice 1997.
2
Cf. l'article de Frédéric CHAUVAUD
2
Les magistrats ont soutenu la réforme, compte tenu de la crise des effectifs, car Michel
DEBRE souhaitait recruter des étudiants brillants des grandes universités qui jusque-là ne
voulaient pas être affectés dans "des petits tribunaux perdus au fond d'une province…Le
regroupement des juridictions dans les localités les plus importantes devrait, avec d'autres
mesures, contribuer à redonner à la magistrature une place éminente3". Le garde des sceaux
s'appuya sur le rapport d'une commission de professionnels et, point central, régla pour la
première fois le problème de la réversibilité de la réforme en étendant la compétence des
avocats et des huissiers des juridictions supprimées au ressort des nouveaux tribunaux de
grande instance et en supprimant l'office des avoués auprès des juridictions de première
instance. Malgré les protestations des élus locaux, car toute suppression atteint une ville dans
son identité même, la réforme jacobine de la carte judiciaire fût réalisée en un temps bref, en
dehors des débats parlementaires4.
Pendant quarante ans, la carte judiciaire n'évolua que pour tenir compte des évolutions
démographiques dans l’implantation des juridictions, par la création de quatre cours d'appel et
de tribunaux dans les nouveaux départements de la région parisienne56. Aucune juridiction ne
fût créée dans les villes nouvelles.
Le débat s'est accéléré lors de la dernière décennie, plus encore avec l'augmentation des
moyens attribués à la justice et la pression du ministère des Finances pour la fermeture des
sites judiciaires inutilement entretenus. En 1989, Henri NALLET proposa une démarche
fondée sur la départementalisation qui se heurta à de très fortes oppositions mais permit de
rouvrir ce débat pour les nouvelles générations de professionnels. En 1993, Pierre
MEHAIGNERIE mandata un comité de réorganisation du ministère de la Justice animé par le
directeur de l'Institut géographique national (IGN), Jean-François CARREZ, pour construire
des hypothèses de suppression de juridictions à partir de leur activité réelle. Il fit voter la loi
du 8 février 1995 qui permet, de façon très pragmatique, de donner en toutes hypothèses
beaucoup d'adaptabilité au fonctionnement des juridictions (délégations de magistrats,
chambres détachées, audiences foraines, statut des magistrats concernés par la suppression
d'une juridiction). Jacques TOUBON lança en 1996 une vaste consultation sur la carte
judiciaire en s'appuyant sur les chefs des cours d'appel, en affirmant qu'aucune évolution
n'interviendrait sans consensus local. Elisabeth GUIGOU, à partir des données fournies par
les travaux précédents, reprit le dossier d'une façon différente, en essayant d'introduire au
ministère de la Justice d'autres compétences que celles de la culture judiciaire traditionnelle,
par la création fin 1997 d'une Mission de réforme de la carte judiciaire. Cette équipe
pluridisciplinaire utilisa des méthodes proches de celle de la Délégation à l’aménagement du
territoire (DATAR), intégrant le concept d’unité historique et socio-économique de « pays »,
la prise en compte de la notion « d’agglomération », la réflexion sur les « villes nouvelles »,
les solidarités de territoires, les temps de trajet, l'activité réelle des juridictions, un échange
3
Anne BOIGEOL : L"Histoire d'une revendication, l'école nationale de la magistrature 1945-1958" Cahiers du
CRIV 1990
4
Sur l'analyse socio-historique de cette réforme, Cf. Jacques COMMAILLE : « Territoires de justice. Une
sociologie politique de la carte judiciaire » PUF 1999.
5
Cours d'appel de Reims (1967), Metz (1973), Versailles (1975) et Papeete (1981), tribunaux de grande instance
de Bobigny, Nanterre et Créteil (1967), tribunaux de commerce de Créteil (1985) Bobigny (1986), Douai (1988),
Foix (1989), tandis que furent supprimés 11 conseils de prud'hommes et des greffes détachés n'ayant plus aucune
activité (142) Source Direction des services judiciaires.
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BALLE, BASTARD, ENSELLEM, GARIOUD : rapport de recherche : « la création de tribunaux de grande
instance dans les nouveaux départements de la région parisienne. Une analyse sociologique d’un changement
institutionnel » 1976
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sur le terrain à partir des réalités géographiques, économiques et humaines, sur la base d'un
dossier soumis à la concertation locale. La méthode fût testée sur six cours d 'appel et sur le
seul champ des tribunaux de commerce7 plus facilement réformables car affaiblis par deux
rapports publics sur leurs dysfonctionnements. Le décret du 30 juillet 1999 supprima 36 petits
tribunaux de commerce à faible activité, sur un total de 227. Mais l'approche des élections
municipales puis des autres échéances électorales a "gelé" toute velléité d'aller plus loin, alors
que pourtant, jusque-là, les tribunaux de commerce avaient toujours échappé à toute réforme
de la carte, même celle de Michel DEBRE.
Il semble que cette nouvelle voie, qui s'affranchit autant que possible des découpages
administratifs préétablis, ouvre seule sur une recomposition des "territoires de justice". Cette
approche permet de raisonner sur les différents niveaux de besoins des justiciables, sur les
modalités et la qualité des prestations offertes par la justice (accès au droit, consultation,
modes alternatifs de règlement des litiges, justice de proximité et justice spécialisée…)8. La
territorialisation de l'intervention de la justice doit donc s'intégrer dans une conception et une
organisation générale qui permette à la fois de bien répondre aux demandes des citoyens et
d'adapter l'offre qui leur est proposée9.
2. Des palais de justice…aux services judiciaires en réseau10
C'est dans cette ligne d'une nouvelle approche des territoires de justice, en partant des
besoins des citoyens et des capacités d'adaptation que permettent les nouveaux moyens
technologiques et la mobilité des personnes, que doit naître une autre conception du débat sur
le concept géographique périmé de "la carte judiciaire".
Le changement n'est pas venu des ingénieurs de l'Equipement, mais des praticiens confrontés
aux réalités de l'accès au droit et à la justice dans les quartiers de la politique de la Ville.
Depuis dix ans, la carte judiciaire s’est enrichie de nouveaux lieux. La loi du 18 décembre
1998 a officialisé l’existence des maisons de la justice et du droit (MJD) en les inscrivant dans
le code de l'organisation judiciaire. Les MJD ont été inventées par des procureurs pour
répondre aux besoins de proximité des nouvelles politiques pénales. Il s’agissait de mettre en
œuvre d’autres traitements judiciaires de la délinquance urbaine quotidienne que les
poursuites habituelles devant les tribunaux correctionnels, des réponses plus rapides, plus
proches, mieux comprises. Les délégués du procureur officiant dans ces MJD pratiquent la
7
Ces six cours d'appel sur les 30 métropolitaines (Caen, Rouen, Dijon, Riom, Poitiers et Montpellier) abritaient
en effet, pour des raisons historiques, la moitié des juridictions commerciales dont l'activité était la plus faible.
En 1998, il existait 227 tribunaux de commerce, 23 tribunaux de grande instance à compétence commerciale, les
7 juridictions à compétence particulière d'Alsace-Moselle, et les tribunaux d'Outre-mer. Certains départements
ne comptent aucune juridiction commerciale : la Creuse, la Lozère, la Haute-Savoie. Pourquoi 9 tribunaux de
commerce en Seine-Maritime ou 6 en Charente-Maritime et 2 dans le Rhône ? Les écarts d'activité sont de 1 à
226 entre la moins et la plus importante des juridictions consulaires. Entre les dix plus importantes et les dix plus
faibles, il est de 1 à 200. Par comparaison pour les tribunaux de grande instance, cet écart est de 1 à 20.
Quarante-quatre tribunaux de commerce rendent moins de cent décisions par an en contentieux général.
8
Jacques COMMAILLE op. cit. pp 229 s
et Jean-Paul JEAN, audition par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les tribunaux de
commerce, rapport 1998, tome II auditions pp 410 s
9
Sur la perception des usagers effectifs de la justice, Cf. l'enquête Institut Louis HARRIS/Mission de recherche
droit et justice, mai 2001, accessible sur www.gip-recherche-justice.fr
10
Cf. Hubert DALLE et Jean-Paul JEAN "Moderniser la justice et les tribunaux", in Notre Justice (Daniel
SOULEZ-LARIVIERE, Hubert DALLE dir.) éd. Robert LAFFONT 2002.
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médiation, la réparation, les avertissements aux délinquants, réaffirment la présence de la loi
dans des villes et des quartiers en difficulté. Créées principalement pour traiter la petite
délinquance sous des formes de "justice douce", les maisons de justice ont aussi accueilli les
associations d'aide aux victimes, puis plus largement les associations et les services répondant
aux besoins d'information et d'aide juridique pour la population.
Distinguer l’accès au droit…..
Au nombre de 82 au 1er juin 2002, les maisons de justice constituent des lieux qui ont
chacun leur histoire particulière, puisqu'elles résultent de conventions entre le tribunal de
grande instance et une collectivité territoriale, municipalité ou groupement de communes, et
pratiquement toujours soutenues par les services de l'Etat dans le cadre de la politique de la
ville. La MJD, site judiciaire à statut particulier s'inscrit aussi dans la politique territoriale
contractualisée entre l'Etat et les collectivités locales (contrat d'agglomération, contrat de
ville, grand projet de ville). Plusieurs régions soutiennent leur développement dans le cadre
des contrats de Plan Etat-Région 2000-2006. La loi du 18 décembre 1998 confiant au
président du tribunal de grande instance la conduite de la politique publique d'accès au droit,
dans le cadre du conseil départemental de l'accès au droit (CDAD), les magistrats du siège
s'ouvrent aux partenariats extérieurs, s’appuient sur le réseau des MJD et des points d'accès au
droit (PAD). Cette ouverture sur la cité, phénomène culturellement nouveau pour nombre
d’entre eux n'est pas sans poser des problèmes déontologiques face à la montée du concept
d'impartialité qui dessine plus un modèle de juge replié dans son palais.
Les MJD sont en quelque sorte des plates-formes juridiques multiservices. Elles facilitent
l’accès au droit, développent le recours à des médiateurs et des conciliateurs. Les associations
accueillent les victimes, conseillent les citoyens dans leurs démarches, du simple
renseignement, jusqu’à l’appui pour la constitution d’un dossier d’aide juridictionnelle, en
passant par la consultation juridique gratuite dispensées par des associations spécialisées ou
les avocats indemnisés par l’État.
À terme, ces maisons, en tant que « lieux-ressourcex », devraient pouvoir permettre
également à un particulier d’obtenir des documents juridiques, de saisir la juridiction, de
suivre le déroulement d’une procédure et d’obtenir copie d’une décision judiciaire. La
présence de greffiers et les nouvelles technologies de communication, notamment le
développement rapide du réseau Intranet-Justice, doivent garantir la compétence et la
confidentialité.
Ces antennes délocalisées des tribunaux répondent à une logique de service mais aussi de
carte judiciaire. Il s’agit de promouvoir une justice de proximité, ou plus exactement un
service public judiciaire de proximité, car il ne s’agit pas d’y rendre la justice ordinaire, les
tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance devant répondre exclusivement à
cette fonction.
L’accessibilité n’est pas un problème de distance géographique, mais de facilité de transport,
de temps d’accès à l’information, d’accès personnalisé à une personne compétente. Les
conditions de l’accès au droit et à la justice se trouvent ainsi bouleversées et ne dépendent
plus de la présence d’un tribunal dans la ville.
…. de l’accès au juge.
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Mais la justice, c’est aussi l’accès au juge, garanti par la Convention européenne des
droits de l’homme. Le contact direct entre le justiciable et le juge s’impose évidemment dans
un certain nombre de contentieux. C’est le cas dans les affaires pénales, devant le tribunal de
police ou le tribunal correctionnel. C’est aussi le cas devant le juge aux affaires familiales
pour un couple qui se sépare ou devant le juge des enfants, ou encore pour les débiteurs en
difficulté. Il est donc nécessaire de maintenir un juge de la proximité.
De leur côté, les entreprises, les acteurs économiques, ont plus besoin de compétence et de
sécurité juridiques que de proximité. Le monde des affaires, les contrats commerciaux,
l’internationalisation des échanges, demandent des connaissances techniques et nécessitent
des juges et des avocats spécialisés. Certains procès, entre particuliers ou entre particuliers et
entreprises, banques ou compagnies d’assurances, ne nécessitent pas cette proximité, soit en
raison de la nature même du litige qui est soumis au juge, soit parce que les réponses
nécessitent une plus grande technicité. La justice y répondra mieux en développant des pôles
de compétences spécialisées11. Ainsi un parquet disposerait de moyens adaptés pour lutter
contre la délinquance économique et financière. Les juges, à l'instar des avocats gagneraient à
se spécialiser dans les contentieux spécialisés qui exigent une compétence particulière, et
assurer ainsi une plus grande sécurité juridique.
Enfin, il faut rappeler que la majorité des Français ne sont que des usagers très occasionnels
de la justice. On divorce une fois, parfois deux, on peut aller au tribunal quelques rares fois
dans sa vie, parfois jamais. On est fort heureusement rarement victime d’un accident médical,
d’une malfaçon dans sa maison, d’un produit défectueux, d’une difficulté de partage ou de
succession. Juger si une compagnie d’assurance a raison de refuser de prendre le relais d’un
crédit bancaire pour acquérir une maison alors que le souscripteur a caché son état et ses
antécédents médicaux ne nécessite pas la présence physique des plaideurs. De nombreux
procès sont affaire de professionnels.
Plus prosaïquement, il faut aussi éviter que le juge du tribunal de commerce d’une petite ville
ne soit un concurrent ou un administrateur de la banque du commerçant dont il examine la
faillite. La distance est ici la garantie de l’impartialité.
Des conceptions différentes de la justice de proximité
En d’autres termes, la proximité est nécessaire pour tout ce qui concerne l’accès aux
renseignements juridiques, les demandes d’information et de conseil, la saisine d’une
juridiction, le suivi de la procédure et les résultats des procès. Le procès lui-même peut se
dérouler à une plus grande distance géographique. On pourrait presque dire que, dans une
carte judiciaire repensée, plus les services de la justice sont accessibles pour les justiciables et
maillent le territoire, moins le problème du lieu du procès se pose. Si les accès au droit et à la
justice doivent répondre à une logique de proximité, le procès gagne souvent à prendre une
«juste distance ».
Peut-on réformer la carte judiciaire et fermer des petits tribunaux comme on ferme les petites
maternités, les petits bureaux de poste, les petites perceptions, au prétexte d’une insuffisance
d’activité et d’une rationalité économique de réduction des coûts ? La question est à
l’évidence mal posée.
11
La loi du 2 juillet 1998 crée la fonction d’assistants spécialisés, mis à la disposition des pôles économiques et
financiers créés dans cinq Cours d’appel.
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La nouvelle carte judiciaire ne recherche pas tant la création ou la suppression de tribunaux
qu’une redistribution des services, un nouveau partage des contentieux entre les tribunaux de
grande instance, juridiction plus lointaine et plus spécialisée, et la justice de proximité des
tribunaux d’instance. La carte judiciaire doit être une carte de services plus que de localisation
de palais de justice ; elle doit s’accompagner d’une nouvelle organisation du travail
(audiences foraines, téléprocédures, télétravail, permanences régulières) qui est apparue
totalement absente du débat sur les 35 heures.
Vers un réseau de services judiciaires
À l’image du secteur de la santé qui s’est organisé en médecine de réseau autour de
l’hôpital général, les hôpitaux en pôles de spécialités, du CHG au CHU, la justice peut
déployer ses services sur trois niveaux :
-
au niveau le plus local, intercommunal par exemple, la distribution des services judiciaires
sur le modèle des maisons de justice, complétée par un guichet unique du droit regroupant
toutes les opérations des greffes, quelle que soit la juridiction de rattachement. Les
citoyens auraient un interlocuteur unique. Ce dispositif s’appuierait sur les réseaux
informatiques et le télétraitement.
-
au niveau intermédiaire, des petites juridictions pour les procédures de proximité, celles
qui requièrent la présence et la participation des justiciables devenus acteurs de leurs
procès. Ces procédures auraient lieu dans les locaux des tribunaux d’instance et des petits
tribunaux de grande instance qui pourraient être regroupés juridiquement dans un tribunal
de première instance.
-
à une plus grande distance, les contentieux plus rares pour les justiciables et la
constitution de pôles judiciaires plus spécialisés, dans des juridictions départementales ou
régionales de plus grande taille, desservies par les principaux axes de transport.
La nouvelle carte judiciaire s’inscrirait à la fois dans une logique de territoires et de services.
Elle ne se traduirait pas par des fermetures de sites judiciaires mais par une nouvelle
utilisation des sites existants, par une redistribution des services et des contentieux. La
réforme de la carte nécessite avant toute une méthode de négociation, une modification des
règles de compétence des tribunaux et une réforme des règles de la procédure qui permettent,
site par site dans un cadre départemental ou régional, de déployer ou concentrer les moyens à
partir d’une analyse locale des besoins des usagers, des cultures locales, des moyens de
transports, des habitudes de déplacement.
Ces avancées se feraient de façon très pragmatique en anticipant des réformes inéluctables.
Ainsi, les petits parquets mutualiseraient progressivement leurs actions, tout comme la
gendarmerie et les petits barreaux. Il n’y aurait aucun inconvénient à avoir un parquet unique
auprès de plusieurs juridictions. Les avocats gagneraient à élargir leur périmètre
d’intervention, comme ils commencent à le faire pour l’organisation des permanences de
garde à vue, la gestion de leurs fonds en dépôt (CARPA) et bientôt la discipline. La justice
déploierait ses moyens selon une logique de territoire, de service, d’efficacité et non à partir
de l’histoire de ses équipements et de la défense des situations acquises. Tout un
programme….
Jean-Paul JEAN