Formation des Particules de Suies à partir des Carburants

Transcription

Formation des Particules de Suies à partir des Carburants
Cinétique de Combustion
Formation des Particules de Suies à partir des
Carburants Automobiles
N. Chaumeix, F. Douce, D. Ladril et C.E. Paillard
Contexte
Un des problèmes majeurs de la
combustion
des
carburants
classiques
(essence,
kérosène,
gazole) est le rejet d’imbrûlés et la
formation des particules de suie.
Ces particules se forment aussi bien
dans le cas de la combustion dans
le moteur à allumage commandé à
injection directe que dans le moteur
diesel ou les moteurs d’avion. La
formation de ces particules de
suies, lors de la combustion
incomplète du gazole dans le
cylindre du moteur, est liée à la
formation
d’hydrocarbures
aromatiques polycycliques, dont le
caractère cancérigène de certains
n’est plus à prouver. Ces HAP sont
eux-mêmes adsorbés sur les
particules qui deviennent d’autant
plus toxiques à respirer. De plus,
les suies peuvent jouer un rôle sur
la chimie de l’atmosphère en tant
qu’aérosol.
Dans le cas des moteurs
automobiles, les problèmes de
toxicité justifient les différentes
réglementations de plus en plus
sévères concernant les émissions de
particules de suie. Depuis 2000, la
réglementation impose une limite
de 0,05 grammes de particules de
suie par kilomètre parcouru (en
cycle urbain et péri-urbain) et elle
devra être diminuée de moitié en
2005. Ces décisions ont incité un
fabricant de carburant, Totalfinaelf,
à financer des recherches sur le rôle
de la nature du carburant sur la
quantité de suies formées afin
d’éventuellement reformuler les
gazoles ou les essences. Un premier
contrat a porté sur l’étude du
mécanisme de formation des suies à
partir de constituants des gazoles.
Un deuxième contrat en cours a
pour sujet la formation des suies à
partir de constituants des essences.
C’est dans ce contexte que s’inscrit
notre étude.
En ce qui concerne les moteurs
diesel, des progrès technologiques
importants ont permis de réduire de
façon
non
négligeable
ces
émissions de particules, en jouant
simultanément sur les conditions de
combustion
et
sur
les
caractéristiques du carburant. Des
systèmes
de
post-traitement,
notamment
les
catalyseurs
d’oxydation,
qui
équipent
aujourd’hui les véhicules neufs, ont
également contribué à réduire ces
émissions à l’échappement. Sur
certains véhicules diesel, les filtres
à particules permettent aujourd’hui
d’éliminer une grande quantité des
suies présentes à l’échappement. Il
n’en demeure pas moins que les
mécanismes détaillés de formation
de ces suies, lors de la combustion
incomplète des hydrocarbures, est
l’un des problèmes les moins bien
résolus de la combustion. La
conversion
d’une
molécule
d’hydrocarbure contenant quelques
atomes de carbone en un matériau
carboné en contenant des millions,
est un processus extrêmement
complexe. Il s’agit d’une sorte de
transition entre la phase gazeuse et
la phase solide, où la phase solide
n’a pas une structure physique et
chimique unique. D’un point de vue
fondamental,
de
nombreuses
recherches ont été entreprises pour
obtenir une connaissance détaillée
des différents processus qui
permettent de passer des molécules
d’hydrocarbures aux particules de
suies. Cependant, il n’existe pas
encore, à l’heure actuelle, de
modèle qui soit capable de prédire
fidèlement ce phénomène dans un
large domaine de conditions
expérimentales et encore moins
d’expliquer la structure des
particules
en
fonction
des
conditions de formation dans un
moteur.
Objectifs
L’objet de cette étude a été, en
premier lieu, de fournir une base de
données expérimentales sur la
formation des suies à partir
d’hydrocarbures
lourds
(représentatifs
de
différentes
familles chimiques d’un gazole),
dans les conditions de pression et
de température voisines de celles
rencontrées dans les moteurs diesel.
Il s’agit de déterminer les différents
paramètres de formation des suies,
tels que leur délai de formation,
leur vitesse de croissance et leur
rendement,
en
fonction
des
conditions
expérimentales
(température, pression et richesse
du mélange combustible). En
second lieu, nous avons étendu ces
études à des constituants des
essences afin d’étudier l’influence
de la nature des différents
constituants des carburants usuels
sur la formation des suies, ainsi que
sur les différents paramètres
permettant de les caractériser.
Méthodologie
La
technique
choisie
pour
reproduire des conditions voisines
de celles rencontrées dans les
moteurs automobiles est celle du
tube à choc. Cette technique permet
de porter quasi-instantanément un
gaz à des températures et des
pressions bien précises, ce qui est
idéal pour analyser la cinétique
réactionnelle. Couplée à une
technique optique d’extinction
laser, il devient possible de détecter
l’apparition des particules et de
suivre l’évolution de la fraction
volumique des suies. Le tube à
choc, spécialement conçu pour
cette étude, possède la particularité
de pouvoir être chauffé à une
température de 130°C afin de
pouvoir étudier les composés à
faible tension de vapeur. Il est
équipé
d’un
dispositif
de
prélèvement des particules. Ces
particules sont ensuite caractérisées
par microscopie électronique à
transmission. Cette technique nous
permet d’étudier la texture et la
structure des suies. Cet ensemble
expérimental nous donne accès à
différents
paramètres
de
la
formation des suies :
ü la période d’induction à la
formation
des
premières
particules
détectées,
correspondant à un diamètre de
l’ordre de un à deux nanomètres,
ü leur vitesse de croissance
ü le rendement en suie
ü le diamètre et la microstructure
des particules
Résultats
De façon générale, les suies se
forment à partir de la phase gazeuse
à des températures supérieures à
1250 K. On observe une première
période
correspondant
à
la
nucléation caractérisée par un délai
d’induction. La deuxième période
coïncide avec la croissance des
particules jusqu’à une valeur limite
généralement comprise entre 15 et
30 nm de diamètre. Cette
croissance
s’effectue
par
coagulation ou par réactions de
surface. Les particules formées
peuvent être considérées comme
sphériques. Au-delà de cette
période la fraction volumique des
suies
restent
pratiquement
constante. L’agglomération des
particules aboutit à des chaînes
constituées
d’assemblage
d’éléments
de
base
quasi-
sphériques. La formation de ces
chaînes de particules a lieu
essentiellement pendant la période
de refroidissement des gaz.
Les
constituants
étudiés,
représentatifs des grandes familles
des gazoles, sont les suivants :
ü le n-hexadécane, représentatif de
la famille des paraffines,
ü le n-heptylbenzène, représentatif
de la famille des
monoaromatiques,
ü le 1-méthylnaphtalène,
représentatif de la famille des
polyaromatiques,
ü le décahydronaphtalène,
représentatif des naphtènes.
L’étude concernant les constituants
des essences est en cours. Les
composés étudiés jusqu’à présent
sont :
ü le toluène, représentatif des
aromatiques
ü le 2-méthyl-2-butène
représentatif d’une oléfine
substituée
ü le 1-hexène pour une oléfine non
substituée
ü l’Ethyl Ter-Butyl Ether (ETBE),
représentatif des composés
organiques oxygénés.
Le toluène pour lequel il existait
quelques
données
cinétiques
déterminée par la technique du tube
à choc nous nous a servi à valider
notre dispositif expérimental. Ces
données
ont
largement
été
complétées au cours de cette étude.
Pour chaque composé, étudié dans
un large domaine de pression (0,3 à
2 MPa), de température (1300 à
2500 K) et de compositions
(richesse ∞ à 5), nous avons
déterminé :
ü le délai d’induction formulé en
fonction de la température et de
la teneur en hydrocarbure,
ü la vitesse croissance des
particules et la constante de
vitesse de croissance de surface
correspondante,
ü le rendement maximal en suie,
ü la distribution des diamètres des
particules dans les différentes
conditions d’études.
Pour des concentrations en carbone
de
(2,1±0,8).1018 atomes.cm-3 ,
différentes corrélations de la forme
d’Arrhenius ont été déduites de nos
expériences. On a noté que, pour
les différents constituants des
gazoles, les énergies d’activation
sont remarquablement proches et de
l’ordre de 170±7 kJ.mol-1 . Ces
relations permettent d’estimer τind à
mieux que 20% pour tous les
hydrocarbures sur tout le domaine
de température (1400-2600 K).
Dans l’ordre, par délai décroissant,
on a classé :
n-hexadécane >
décahydronaphtalène > nheptylbenzène >
1-méthylnaphtalène.
L’ajout d’oxygène en petite
quantité (entre la richesse infinie et
la richesse 5) a tendance à diminuer
les délais de façon plus importante
à haute température qu’à basse
température.
En ce qui concerne les vitesses de
croissance des suies, de façon
générale, la croissance est rapide
après le délai d’induction. Cette
croissance varie de façon plus ou
moins monotone selon la nature de
l’hydrocarbure.
La
croissance
monotone est observée dans le cas
d u n-hexadécane. Dans les autres
cas, les signaux d’absorption
s’avèrent être plus complexes. On
peut observer une première
croissance suivie d’un palier ou
d’une décroissance qui s’achève et
se poursuit par une nouvelle
croissance jusqu’à atteindre une
valeur maximale d’où sera déduite
la fraction volumique finale servant
au calcul du rendement en suies. A
condition d’exploiter la phase
terminale de croissance des suies
au-delà
du
dernier
point
d’inflexion, on peut déterminer une
constante de croissance des suies
pour chaque constituant des
gazoles, exprimée selon une loi de
type Arrhénius en fonction de la
température. On observe alors deux
comportements différents selon la
nature de l’hydrocarbure :
ü Des courbes de variation de kf
avec une énergie d’activation
positive sur tout le domaine de
température
(1400-2400 K).
C’est le cas du toluène et du 1méthylnaphtalène.
ü Des courbes de variation de kf
avec un domaine, vers les basses
températures,
à
énergie
d’activation positive et un
domaine à haute température à
énergie d’activation négative.
C’est le cas du n-hexadécane, du
décahydronaphtalène et du nheptylbenzène.
De ces analyses, on peut conclure
que le mécanisme de croissance des
suies est un phénomène complexe
résultant de la compétition entre un
mécanisme de formation et un
mécanisme de destruction des
suies. On doit aussi admettre que
les
molécules
gazeuses
qui
réagissent
en
surface
sont
constituées de deux sortes : les
petites molécules provenant de la
dégradation des molécules initiales
et les molécules de masse molaire
plus importante, comportant des
cycles aromatiques : ceci explique
la
complexité
des
signaux
d’absorption observés dans ce
second cas.
Un modèle a été proposé pour
expliquer
l’existence
d’un
coefficient de température négatif :
le mécanisme de croissance
pourrait être constitué d’une étape
de
chimisorption
(dont
le
coefficient
décroît
avec
la
température) suivi d’une étape de
réaction en surface (énergie
d’activation positive).
Les rendements en suie ont été
calculés, à partir de la fraction
volumique en suies maximale
observée. Ce rendement représente
la conversion du carbone initial qui
s’est transformé en suie. Pour tous
les hydrocarbures étudiés, la courbe
du rendement en fonction de la
température présente une allure en
forme de "cloche", avec une
température optimale de formation
des suies qui dépend des conditions
exp érimentales et de l’hydrocarbure
de départ. Cette allure est
caractéristique
d’étapes
compétitives. On peut classer les
rendements en suies en fonction de
l’hydrocarbure
par
ordre
décroissant : 1-méthylnaphtalène >
toluène > décahydronaphtalène ≈ nheptylbenzène > n-hexadécane.
Nous avons donc pu en conclure
que la voie de condensation des
cycles aromatiques était beaucoup
plus efficace que la voie de
dégradation des molécules initiales.
Il faut aussi admettre que dans le
cas des naphtènes, la majorité des
cycles saturés perdent leurs atomes
d'hydrogène sans que ceux-ci soient
dégradés, ce qui peut expliquer que
le
rendement
en
décahydronaphtalène soit du même
ordre de grandeur que celui du nheptylbenzène. D’autre part, il est à
noter que le 1-méthylnaphtalène
présente une température optimale
de formation des suies plus basse
que dans le cas des autres
hydrocarbures.
L’ajout d’oxygène au mélange
gazeux de départ a pour effet,
même à de faibles richesses, de
diminuer le rendement en suie de
façon très significative. D’autre
part, l’ajout d’oxygène a tendance à
déplacer la température optimale de
formation des suies vers les plus
basses températures, pour tous les
hydrocarbures étudiés.
Perspectives
A brève échéance, nous devons
compléter les recherches sur la
formation des suies à partir des
constituants
des
essences,
notamment des composés cycliques
insaturés. Nous devons également
analyser les interactions ente
hydrocarbures par l’étude de
mélanges binaires et ternaires.
Dans le cadre d’un programme
européen, nous devons également
étendre nos mesures aux cas des
constituants des kérosènes afin
d’élaborer et de valider un modèle
de formation des suies à partir des
carburants
utilisées
dans
la
propulsion aéronautique.
De plus, l’association du tube à
choc
à
une
technique
de
chromatographie en phase gazeuse
(CPG), par l’intermédiaire d’une
vanne de prélèvement permettra
d’analyser les gaz formés derrière
l’onde de choc réfléchie et donc
d’identifier
les
intermédiaires
gazeux de la formation des suies.
Cela sera un élément de plus pour
valider nos modèles. Enfin, en plus
de la microscopie électronique à
transmission, qui nous a permis
d’étudier la texture et la structure
des
suies,
nous
pourrons
caractériser la fraction soluble des
suies par Chromatographie Liquide
Haute Performance (HPLC).
Verbrennung : Pr Frank, Dr M.
Braun-Unkhoff
ü Totalfinaelf
ü Université de Metz, Laboratoire
de Spectrométrie de Masse et de
Chimie Laser (LSMCL), Prof.
J.F. Muller,
Collaborations
ü Deutsche Forschungsanstalt für
Luft-und Raumfahrt e. V. (DLRStuttgart)
Institut
für
Physikalische
Chemie
der
10000
2.5
Pyrolyse
Richesse18
Richesse5
Lumière transmise
2
1000
Pression
Y(%).E(m)
τi nd (µs)
τind
100
1.5
1
OCR
10
Pyrolyse du n-hexadécane
Pyrolyse du décahydronaphtalène
Pyrolyse du n-heptylbenzène
Pyrolyse du toluène
Pyrolyse du 1-méthylnaphtalène
OCI
0
0.4
0.8
1.2
Temps (ms)
1.6
2
Exemple de signaux d’extinction laser
à partir d’un mélange constitué de 1%
de toluène et 99% d’argon (T5 =
1607 K et P5 = 1812 kPa). OCI : Onde
de Choc Incidente, OCR : Onde de
Choc Réfléchie, τind : délai d’induction
des suies.
1
0.5
0
1200
4.0E-004
5.0E-004
6.0E-004
1/ T5 (K-1 )
Comparaison des délais d’induction
expérimentaux obtenus à partir de la
pyrolyse des différents hydrocarbures
étudiés, pour des concentrations en
atomes de carbone comprises entre
1,3.1018 et 2,9.1018 atomes.cm -3 .
2000
2400
T 5 (K)
Rendement(%) en suies en fonction de
la température, de mélanges de
décahydronaphtalène, d’oxygène et
d’argon (1132 < P5 (kPa) < 1717 et
1,4.1018 < [C5 ] (atome.cm -3) < 2,1.10 18
(richesse ∞, 18 et 5).
12
0.2
T optimale = 176 5 K
0.16
11
Fréquence relative
ln(kf/[C16H34] (s -1 .mol-1.m3 ))
1600
7.0E-004
1755 K
10
191
kJ.mol-1
-232 kJ.mol-1
0.12
0.08
9
0.04
100 nm
0
8
5.2E-4
5.4E-4
5.6E-4
5.8E-4
1/T5 (K-1 )
6.0E-4
6.2E-4
Constantes de croissance des suies, en
fonction de l’inverse de la température,
lors de la pyrolyse des mélanges
constitués de 0,2% de n-hexadécane et
de 99,8% d’argon (1012 < P5 (kPa) <
1331 et 1,4.1018 < [C5 ] (atome.cm -3 ) <
1,6.1018 .
8
0,5% n-hexadécane + 0,68% O2 +
98,82% argon
T5 = 1684 K, P5 = 863 kPa
12
16
20 24 28 32
D ia mè tre (nm)
36
40
Nombre de particules mesurées = 111
Diamètre moyen = 22 nm
Ecart-type = 0,13
44