Édouard Limonov

Renseignements généraux
Édouard Limonov
L’année dernière, Édouard Limonov était la star de la rentrée littéraire française
grâce à sa biographie rédigée par le romancier Emmanuel Carrère. Cette année,
il pourrait l’être encore avec la réédition de son impeccable premier roman Le Poète russe préfère les grands nègres (1979) par Jean-Jacques Pauvert et les
éditions Ramsay. Limonov connaît parfaitement la France où il a vécu de nombreuses années, ainsi que notre vie politique. Nous avons donc demandé à ce
Lénine punk, qui se définit aujourd’hui comme national bolchévique et qui
milite contre Poutine, aux côtés de Garry Kasparov, pour la liberté d’expression
en Russie, ce qu’il aurait voté à chacune de nos élections présidentielles depuis
1981 s’il avait été Français. Il nous a répondu par mail, directement dans notre
langue, depuis sa ville de Moscou où il se fait régulièrement jeter en prison.
propos recueillis par Arnaud Viviant
portrait Eugene Petrushanskiy
En 1981, pour qui auriez-vous voté ?
En 1981, mon choix se serait porté au
premier tour sur Georges Marchais, car je
souhaite un profond changement de société, et
non un changement cosmétique tel qu’il était
alors proposé par le faux socialiste François Mitterrand. Mais au second tour, entre Giscard et
Mitterrand, je préfère l’intellectuel et charmeur
François Mitterrand. La vérité c’est que j’aurais
aimé voter pour un Lénine français, mais un tel
homme n’était pas disponible sur vos terres en
1981. Ils ont tous péri en 1792-1794...
En 1988, pour qui auriez-vous voté ?
Forcé de choisir entre Chirac et Mitterrand,
j’aurais choisi Mitterrand qui était devenu dans
les dernières années de son règne un véritable
pharaon, sage et mélancolique. Il me faut bien
admettre que je ne suis pas insensible à la
magie du pouvoir. Le vieux Mitterrand, pharaon
mystique, était mille fois préférable à un Chirac
technicien. Encore une fois, je mesure les chefs
d’État à deux aunes : celle de leur magie personnelle et selon mon idéal politique.
8 Charles
En 1995, entre Chirac et Jospin, pour qui
auriez-vous voté ?
Je ne vois guère de différences entre Jospin
et Chirac. Je me serais donc abstenu de voter.
En 2002, pour qui auriez-vous voté ?
Entre Chirac et Le Pen, mon choix se porte
sur le deuxième, car à mon sens Le Pen est
porteur d’un projet révolutionnaire. Complètement assoupie, la société française avait alors
besoin de traumatisme, de tragédie sociale afin
d’être régénérée. Dans ce couple, Chirac était la
mort quand Le Pen était porteur de conflit. Or
le conflit, c’est la vie, donc Le Pen était la vie.
Aujourd’hui, Marine suit son père. Elle aussi
menace la France de changement. Oui, le changement est pénible. Mais il est absolument
nécessaire.
En 2007, pour qui auriez-vous voté ?
Sarkozy contre Ségolène Royal, c’est la
confrontation entre un punk de l’Europe de l’Est,
au sang plus dynamique et jeune et qui ressemble un peu, je trouve, au président géorgien
Saakashvili, avec une femme bien-pensante,
« Sarkozy,
c’est un punk
de l’Europe
de l’Est »
parisienne, moderne, politiquement correcte, habillée avec goût
et avec des jupes d’une longueur
que je qualifierais de pudique.
À mon avis, le punk était préférable, car il était plus vivant. Malheureusement Sarkozy n’était pas
100 % hongrois et juif. La France
avait besoin de bordel pendant
quelques années, mais Sarkozy
s’est finalement révélé incapable
de le produire, ce bordel.
Et enfin, en 2012, qu’auriez-vous fait ?
Au premier tour, j’aurais
voté Marine Le Pen pour les raisons que j’ai déjà
données. Puis j’aurais voté Sarkozy. À mon avis,
Hollande est un mauvais choix pour la France. Il
valait mieux être encore irrité par Sarkozy durant
un second mandat. Hollande, c’est un président
intermédiaire, un président provisoire. Il est la
preuve vivante de la lâcheté de la bourgeoisie. Il
restera comme une pause entre la vieille France,
désormais aussi démodée qu’une dame baudelairienne tout droit sortie des Fleurs du mal, et
la future France, jeune et agressive. J’aime la
France. C’est pourquoi je souhaite qu’elle redevienne jeune et agressive. Qu’elle soit à gauche
ou à droite, peu importe. Ce qu’il faut c’est qu’elle
sorte de cette stupeur de vieillarde qui la caractérise aujourd’hui.
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