Ce que Mallarmé voit dans la peinture de Manet
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Ce que Mallarmé voit dans la peinture de Manet
比治山大学現代文化学部紀要,第14号,2007 Bul. Hijiyama Univ. No.14, 2007 23 Ce que Mallarmé voit dans la peinture de Manet 重 光 マリ子 Mariko SHIGEMITSU Résumé Cet article a pour but d’éclaircir ce que Mallarmé voit dans la peinture de Manet et des impressionnistes à travers ses deux articles, “Le Jury de peinture pour 1874 et M.Manet" et “The Impressionists and Édouard Manet". Mallarmé affirme que ce n’est pas au jury mais au public de juger de la valeur d’un tableau : affirmation fondée sur la connaissance précise qu’il a de son époque et sur une idée qui chez lui est essentielle, celle que la foule est souveraine. Quant à la simplification, un des procédés les plus fondamentaux de Manet, Mallarmé la défend du point de vue de l’harmonie des couleurs et de l’impression qu’elle produit, point de vue qui est inséparable de l’idée que se fait Mallarmé de l’origine de la peinture. Et quant au fait de prendre comme sujet l’apparence d’une foule moderne, il fait remarquer qu’il s’agit là d’une tentative de se mettre au diapason de son époque, ou de répondre aux exigences de la modérnité et qu’il permet anisi au public de se contempler dans le miroir de la peinture et de prendre conscience de ses préférences et de ses désirs latents. Dans la critique que Mallarmé fait de Manet, il est un autre thème aussi important que les critères de la foule, celui de la nature. Mallarmé remet en cause la relation de la peinture et indiréctement de l’homme avec la nature, et il soutient la théorie que le plein air est un cadre très valable, disant que c’est excellent pour mettre en valeur la carnation d’un modèle. Mais la raison principale du choix du plein air réside dans le plein air lui-même. Parce que, selon Mallarmé, on ne peut saisir l’aspect vivant toujours changeant de la nature qu’en plein air, et que c’est cette impression de fluidité vivante que le peintre se doit d’essayer de rendre. D’où son refus de la composition traditionelle ou de la perspective. D’autre part, on ne peut guère échapper à la conclusion que cette idée que Mallarmé se fait de la peinture n’est pas sans rapport avec celle qu’il se fait de la littérature. *************************************************** Cet article voudrait préciser ce que Mallarmé a voulu dire dans ses deux articles sur Manet, “Le Jury de peinture pour 1874 et M.Manet" et “The Impressionists and Édouard Manet". Le premier fut publié dans La Renaissance littéraire et artistique, le 12 avril 1874. C’est l’année où Manet présenta au salon trois tableaux, Le Bal de l’Opera, Les Hirondelles et Le Chemin de fer, et le jury en refusa deux, acceptant seulement le troisième. Indigné de la décision du jury, Mallarmé écrivit un article pour défendre Manet. Quant à “The Impressionists and Édouard Manet", Mallarmé l’écrivit, à la demande du directeur de la revue anglaise, The Art Monthly Review. L’article, traduit en anglais, parut dans le numéro du 30 septembre 1876 de la revue. L’original français est inconnu. Par conséquent, nous tirerons ici nos 重 光 マリ子 24 citations de la retraduction française dans Mallarmé Oeuvres ComplètesⅡ éditées par Bernard Marcel, et nous indiquerons en note le texte anglais. [Le public en tant que critère] En présence du fait que le jury a refusé les deux tableaux de Manet, Mallarmé demande avec indignation : Quel est, dans le double jugement rendu et par le jury et par le public sur la peinture de l’année, la tâche qui incombe au jury et celle qui relève de la foule ? 1) A cette question, il répond lui-même sans ambages en “incrimin(ant)”“la mauvaise foi apportée par eux(=les membres du jury) dans l’usage d’un mandat échu en leurs mains”.2) L’esprit dans lequel a été conçu un morceau d’art, rétrospectif ou moderne, et sa nature, succulante ou raréfiée, en un mot, tout ce qui touche aux instincts de la foule ou de la personne : c’est au public qui paie en gloire et en billets, à décider si cela vaut son papier et ses paroles. Il est le maître, à ce point, et peut exiger de voir tout ce qu’il y a. [...], le jury n’a autre chose à dire que : Ceci est un tableau, ou encore : Voilà qui n’est point un tableau. Défense d’en cacher un : dès que certaines tendances, latentes jusqu’alors dans le public ont trouvé, chez un peintre, leur expression artistique, ou leur beauté, il faut que celui-là connaisse celui-ci ; et ne pas présenter l’un à l’autre, est faire d’une maladresse un mensonge et une injustice.3) Mallarmé affirme ici qu’essentiellemant ce n’est pas au jury mais au public de juger de la valeur d’un tableau, que c’est à lui de décider, non pas au jury, en dépit des prétentions de celui-ci et de la haute opinion qu’il a de lui-même : Le jury a préféré se donner ce ridicule de faire croire pendant quelques jours encore, qu’il avait charge d’âmes.4) Cette mauvaise foi ou “ces habitudes anciennes et quelque temps oubliées, de régenter le goût de la foule”,5) ne sont, selon Mallarmé, que des survivances des “autres temps" où “les nobles visionnaires" “apparaissent comme des rois et des dieux dans les lointaines époques de rêve de l’humanité, solitaires à qui fut donné le génie d’un empire sur une multitude ignorante".6) “Mais aujourd’hui la multitude demande à voir de ses propres yeux”.7) Et elle commence en un sens, remarque Mallarmé, à faire entrer “dans le domaine de l’art”, les acquis de la vie politique, “un fait social qui honorera l’ensemble de la fin du ⅩⅨe siècle."8) En somme, la prétention du jury d’avoir charge d’âmes est, selon Mallarmé, un anachronisme dans une société moderne et démocratique ou à une époque où le jugement de la foule emporte la décision. Et d’ailleurs, Mallarmé dit que “tout émane d’elle(=la foule)”,9) car “tout devrait jaillir de l’assentiment et certifier, en durant, le luxe d’esprit contemporain”,10) pour reprendre ce qu’il dit dans “Solitude”. Donc, dissimuler des tableaux reconnus comme tels aux yeux de la foule, n’est rien d’autre que de Ce que Mallarmé voit dans la peinture de Manet 25 “frustr(er)(la foule) dans son droit d’admiration on de raillerie”,11) qui constitue l’un de ses droits fondamentaux. Alors, pourquoi le jury a-t-il osé abuser de son mandat, que ce soit totalement ou partiellement, à l’égard des tableaux de Manet? Quel danger a-t-il pressenti chez Manet, pour faire preuve d’aussi mauvaise foi? Mallarmé montre succinctement la raison profonde des craintes du jury dans la boutade suivante : Si le moderne allait nuire à l’Éternel !12) [La modernité] Mallarmé distingue dans les raisons pour lesquelles le jury ou “une Academie" considère Manet comme “un danger" deux catégories : “la simplification [...] apportée à certains procédés de la peinture” et “la reproduction immédiate de sa(=du public) personnalité multiple”,13) autrement-dit, Manet est un “miroir pervers", un reflet pervers des goûts du public. Quant à la simplification, elle signifie que le peintre attache essentiellement de l’importance à l’harmonie des couleurs et à l’impression produite par cette harmonie. Par exemple, dans Le Bal de l’Opera, l’oeil du public est “attiré d’abord par le seul charme de la couleur grave et harmonieuse que fait un groupe formé presque exclusivement d’hommes”.14) Et dans Les Hirondelles , “l’oeil du peintre”(celui qui est aussi du public) perçoit deux dames “dans un si grand espace”, “arrêté à la seule harmonie de leurs étoffes grises et d’une après-midi de septembre”.15) On dirait que Manet suggère ainsi que cette simplification constitue un retour à “l’origine de cet art fait d’onguents et de couleurs",15) origine que “certains procédés de la peinture” ont en le tort de “voiler"16). Cependant pour les juges, cette simplification au contraire paraît aller à l’encontre d’un de leurs critères traditionnels permettant de juger de la valeur d’un tableau, critère qui consiste à déterminer s’il est “assez poussé” ou non, et selon Mallarmé, “mesure, appliquée à la valeur d’un tableau, sans étude préalable de la chose d’impression qu’il comporte”18) ; et d’ailleurs, de leur point de vue, cette simplification “peut tenter les sots séduits par une apparence de facilité".19) En ce qui concerne “la reproduction immédiate de la personnalité multiple du public," Mallarmé voit une “noble tentative" dans Le Bal de l’Opera. Il reconnaît là “ l’allure d’une foule moderne" ou “une vision du monde contemporain”,20) c’est-à-dire, “un miroir" où le public se reconnaîtra. C’est une vision qui peut paraître vulgaire en comparaison des “magnificences allégoriques des plafonds ou les panneaux approfondis par un paysage", ou de “l’Art idéal et sublime" 21) qui prétend concerner “l’Eternel". D’abord, les sujets préférés de Manet ne sont plus des sujets empruntés aux Ecritures, à la mythologie, ou à l’Histoire, ni à certains grands personnages, autrement dit, des sujets empreints d’éternité ou de majesté qui ont fait les délices de bien des peintres avant lui, y compris les romantiques, ses prédécesseurs immédiats ; les sujets de Manet sont des gens, une foule, un paysage ou un spectacle qu’on voit ordinairement dans la vie quotidienne. Et Manet en présente “quelque neuve imagerie"22) qui “nous surpr(end) tous comme une chose longtemps cachée, et subitement révélée",23) ou “les types [...] appelés par notre vie ambiante".24) Cela signifie, selon Mallarmé, que “certaines tendances latentes jusqu’alors dans le public ont trouvé, chez un peintre, leur expression artistique, ou leur beauté".25) C’est également en ce sens, peut-on dire, que le public se reconnaît dans le miroir de la peinture de Manet, pour y trouver la représentation qui correspond à ses sentiments. 重 光 マリ子 26 C’est pourquoi le jury ou l’Académie pressent chez Manet un danger. Par sa faute, le moderne risque de nuire à l’éternité de l’esthetique, du point de vue des procédés comme des sujets, car ils sont inséparables les uns des autres. En effet l’époque de Manet représente “la fin d’une époque de rêves”, époque où l’on pouvait encore croire au rêve d’un idéal d’éternité lié à la conception religieuse “sub specie aeternitatis", d’un idéal immuable par delà les vicissitudes de la société humaine. Le temps où vit Mallarmé, est précisément le temps de ses contemporains, le temps de la foule. Dans cette contemporaneité, ce que prend pour objet l’oeil du peintre dans un souci de sincérité est la “communion directe avec le sentiment de (son) temps".26) Son univers se limitera à deux choses : l’une est l’allure de la foule et l’autre la nature. [La nature en tant que source de l’inspiration] À cette heure critique pour la race humaine où la nature désire travailler pour elle-même, elle exige de certains de ceux qui l’aiment [...] qu’ils desserrent les contraintes de l’éducation, pour laisser la main et l’oeil agir à leur guise, et qu’elle puisse ainsi à travers eux se révéler.27) “La fin d’une époque de rêves” sera aussi une “heure critique pour la race humaine", car l’homme, qui jusqu’alors a été d’un côté contraint mais d’un autre côté protégé par les rêves, doit être “rudement jeté des rêves en face de la réalité". Il en est de même de la relation avec la nature. Maintenant, “la nature désire travailler pour elle-même", non plus pour s’adapter aux rêves des hommes. Autrement dit, elle désire “se manifester, calme, nue, habituelle",28) et cesser d’être dissimulée aux regards sous les oripeaux des rêves, religieux, moraux, idéologiques de la race humaine. De là procède “la théorie du plein air," théorie qui “s’autorise de l’évidence des [...] efforts de Manet". 29) Mallarmé cite “les carnations" comme “la première" des raisons de la nécessité de “représenter le plein air".30) C’est parce que “dans l’atmosphère de tout intérieur"31) ou “parmi les gloires artificielles de la bougie ou du gaz",32) ou “au demi-jour réel ou artificiel en usage dans les écoles",33) les lumières “décolorent les carnations",34) ce “pollen de la chair"35) auquel la peinture “s’intéresse davantage",36) ou qu’elles “impose(nt) un relief excessif" à “ce trait-ci ou à celui-là"37) d’un modèle, “donnant au peintre un moyen facile de n’arranger une figure qu’à sa fantaisie et de revenir aux styles d’autrefois".38) Au contraire “dans le seul plein air les carnations d’un modèle gardent leurs vraies qualités, étant presque également éclairées de tous côtés".39) En somme, le plein air empêchera le peintre moderne qui se voue à “la quête de la vérité" de revenir aux rêves et aux styles d’antrefois, et il lui permettra de voir le modèle tel qu’il est “dans toute sa fraîcheur et sa simplicité"40), de représenter le teint où éclate “la spéciale beauté qui jaillit de la source même de la vie".41) Cependant, si Mallarmé considère “les carnations" comme la première raison de la nécessité du plein air, ce n’est qu’en ce qui concerne le modèle humain. La raison fondamentale en est qu’il considère la théorie du plein air comme inhérente à la nature elle-même, ou plutôt, à l’air lui-même. Selon Mallarmé, le but proposé par Manet et ses desciples est la nécessité pour la peinture de se retremper dans ses principes, et de restaurer sa relation directe à la nature. C’est pour cette raison que Mallarmé choisit et étudie “Le Linge" comme “répertoire complet et dernier de toutes les idées actuelles et des moyens de leur exécution".42) Ce que Mallarmé voit dans la peinture de Manet 27 C’est un déluge d’air. Partout l’atmosphère lumineuse et transparente lutte avec les formes, les vêtements, le feuillage, et semble s’incorporer quelque chose de leur substance et de leur solidité ; tandis que leur contours, consumés par le soleil caché et défaits par l’espace, tremblent, se fondent et s’évaporent dans l’atmosphère environnante qui dépouille la réalité de ses formes, comme pour préserver, par ce dépouillement même, leur véritable aspect. L’air règne, suprême et vrai, comme s’il gardait cette vie enchantée que lui confère la sorcellerie de l’art ; une vie ni personnelle ni sensible, mais elle-même assujettie aux phénomènes évoqués par la science et manifestée à nos yeux étonnés, avec sa perpétuelle métamorphose et son invisible action rendue visible. Comment ? Par cette fusion ou par cette lutte toujours continuée autre la surface et l’espace, entre la couleur et l’air. Plein air : tel est le premier mot et le dernier de la question qui fait l’objet de la présente étude.43) Ce passage n’est pas sans rappeler un autre passage de Mallarmé dans La Musique et les Lettres, car à mon avis, ils présentent bien des similitudes. [...]. Mais, je vénère comment, par une supercherie, on projette, à quelque élévation défendue et de foudre ! le conscient manque chez nous de ce qui là-haut éclate. Àquoi sert cela ― Àun jeu. En vue qu’une attirance supérieure comme d’un vide, nous avons droit, le tirant de nous par de l’ennui à l’égard des choses si elles s’établissaient solides et prépondérantes ― éperdument les détache jusqu’à s’en remplir et aussi les douer de resplendissement, à travers l’espace vacant, en des fêtes à volonté et solitaires.44) Ce sont d’un côté “l’atmosphère lumineuse et transparente” et de l’autre côté “une attirance supérieure comme d’un vide" qui dépouillent les choses de leur solidité, leur substance, ou leur contours, c’est-à-dire, qui dépouillent la réalité de sa prépondérance pour “les douer de resplendissement" ou pour “réserver leur véritable aspect"; et de plus, toutes les deux fonctionnent comme si elles gardaient “une vie ni personnelle ni sensible" par “la sorcellerie de l’art" ou “par une supercherie". On pourra dire d’un autre point de vue que le plein air a une influence qui ressemble à celle de l’esprit humain sur les choses. Voilà, semble-t-il, la raison principale pour laquelle Mallarmé recommande aux “artistes modernes" de “s’habituer à [...] travailler"45) en plein air, dans un air qui sera “leur médium".46) Ce que le peintre doit représenter, ce n’est donc pas la réalité des choses, mais leur aspect toujours changeant sous l’effet du plein air qui lui-même ne cesse de changer. [...] le sujet représenté qui, composé d’une harmonie de lumières réfléchies et toujours changeantes, n’est pas censé paraître toujours identique à lui-même, mais palpite de mouvement, de lumière et de vie. 47) Cependant, “comme aucun artiste n’a sur sa palette une couleur transparente et neutre correspondant au plein air", dit Mallarmé, “l’effet désiré ne peut être obtenu que par la légèreté ou la lourdeur de touche, ou par la régulation du ton".48) Et “quant aux détails du tableau, rien ne devrait 重 光 マリ子 28 être absolument fixé".49) Au reste, il n’est plus nécessaire de tenir compte de ce qu’on appelle “la composition" ou de leur prétendue “perspective", “cette science entièrement et artificiellement classique".50) La composition classique arrange les objets comme s’ils étaient fixes et statiques, peutêtre dans l’intention de donner l’impression d’un temps éternel et stable. Autrement-dit, elle construit un espace bien ordonné et en même temps, par ce biais, un temps d’éternité qui suppose une moralité figée. Cela ne correspond en rien au désir de représenter l’aspect toujours changeant des choses. Il (=le peintre) doit néanmoins trouver quelque chose sur quoi établir son tableau ― ne fût-ce que pour une minute ― car la seule chose nécessaire est le temps requis par le spectateur pour voir et admirer la représentation avec cette promptitude qui suffit exactement pour la saisie de sa vérité.51) Ici aussi, le problème est celui du temps. Cependant il ne s’agit plus d’un temps d’éternité mais d’un instant ; instant dans lequel le peintre impressionniste est à la recherche de l’aspect véritable de la nature, de l’aspect sous lequel le spectateur saisit une scène de la nature à travers un tableau comme si elle se présentait dans l’instant. Un seul instant, mais cet instant suffit, il suffit au spectateur pour voir et admirer un tableau, et donc il suffit pour qu’un tableau s’établisse en tant que tableau. Dans ces conditions, quand il s’agit ainsi d’un instant, le problème sera de savoir comment “couper"52) le tableau plutôt que de se demander comment en comprendre la composition. Et alors certes “la fonction du cadre"53) prend de l’importance, car elle consiste à “isoler le tableau".54) Donc, isoler une scène dans notre vision est sans doute une opération à laquelle notre oeil procède souvent presque inconsciemment, mais il s’agit d’“une vérité longtemps oubliée"54), selon les mots de Mallarmé. [...] ; ce qu’il faut obtenir, c’est que le spectateur habitué dans une foule ou dans la nature à isoler un bout de scène qui lui plaît,[...], ne manque pas dans l’oeuvre d’art un de ses plaisirs habituels, et tout en reconnaissant qu’il est devant un tableau, croie à demi qu’il voit le mirage de quelque naturelle scène.55) [Les véritables principes de la peinture] Nous allons maintenant étudier en suivant Mallarmé les principes de la peinture tels que les ont conçus les impressionistes ou plutôt tels que Mallarmé les envisage. Mallarmé affirme que “le but d’un peintre devant la nature quotidienne" 56) ne consiste pas à “l’imiter”,57) car aucune représentation ne peut jamais “égaler l’original et son inestimable avantage de vie et d’espace".58) Et il exprime ses idées sur la peinture comme si elles sortaient de la bouche d’un peintre impressionniste. [...] ; ou le mieux pour satisfaire mon instinct artistique de création, celui que je préserve à travers le pouvoir de l’Impressionnisme, n’est pas la portion matérielle qui existe déjà, supérieure à toute représentation simple qu’on peut en faire, mais le plaisir d’avoir recréé la nature touche par touche. Je laisse la solidité massive et tangible à l’art qui la représente le mieux, la sculpture. Je me contente de réfléchir au clair et durable miroir de la peinture ce qui vit perpétuellement et cependant meurt à chaque instant, qui existe seulement par la volonté de l’Idée, mais qui constitue dans mon domaine le seul mérite authentique et certain de la nature ― l’Aspect.59) Ce que Mallarmé voit dans la peinture de Manet 29 Selon Mallarmé, le but d’un peintre, aussi bien que son plaisir, est de “recré(er) la nature touche par touche” ou de “réfléchir au clair et durable miroir de la peinture” “l’Aspect” toujours changeant de la nature : ce qui est, à mon avis, une pensée très originale et nouvelle à cette époque-là. Pour reprendre les mots de Mallarmé dans La Musique et les Lettres, “la nature a lieu"60) et existe en elle-même. Mais “l’Aspect" de la nature, selon Mallarmé, “existe seulement par la volonté de l’Idée”. Mais qu’est-ce que “l’Idee"? Certes, ce n’est qu’un simulacre ou un rien comme le fait remarquer Jacques Rancière.61) Mais à mon avis, si elle est un simulacre, en prenant conscience du fait que c’est un simulacre, Mallarmé remet au premier plan l’esprit humain dont il magnifie le rôle. Donc il est loisible de remplacer franchement le mot “Idée” par “esprit humain". C’est également ce qu’indique le passage qui suit le passage déjà cité. [...], ce qui appartient en propre à mon art, une originale et exacte perception qui distingue pour elle-même les choses qu’elle perçoit avec le regard ferme d’une vision rendue à sa plus simple perfection.62) En somme, “l’Aspect" de la nature n’est jamais la nature elle-même, mais c’est vraiment un aspect, donc une apparence, une illusion, un rien, en un sens, créé à partir de la nature par nos yeux, notre perception, notre esprit et sa volonté. C’est pourquoi rendre “l’Aspect" dans la peinture équivaut à “recréer la nature". Tout l’acte disponible, à jamais et seulement, reste de saisir les rapports, entre temps, rares ou multipliés ; d’après quelque état intérieur et que l’on veuille à son gré étendre, simplifier le monde. À l’égal de créer : la notion d’un objet, échappant, qui fait défaut.63) Si le peintre limite ainsi son intention à la représentation de “l’Aspect", “laiss(ant) la solidité massive et tangible à [...] la sculpture", il ne ressentira plus le besoin de commettre le péché et d’avoir “le tort" de “voil(er) l’origine de cet art fait d’onguents et de couleurs" ; au contraire il ressentira le besoin de retourner aux origines et de découvrir quelques nouveaux procédés qui pourraient ouvrir de nouveaux horizons à cet art à deux dimensions. Mais, la volonté d’imiter la nature amène le peintre à tenter d’enfermer l’espace à trois dimensions dans la surface à deux dimensions de la toile, trichant sur le but d’origine de la peinture, par des procédés artificiels, notamment la perspective. * * * Comme une crise culturelle suit d’ordinaire une crise politique, la génération de Mallarmé(18421898) et de Manet(1832-1883) connut une crise culturelle qui vit s’écrouler les rêves surannés d’autrefois tandis que les peintres prenaient conscience du fait que certains procédés de représentation liés aux conception d’antan avaient cessé de correspondre aux besoins nouveaux. Dans ces circonstances, Mallarmé, ami intime de Manet, observe et analyse “la crise de l’apparition des Impressionnistes", dont Manet est le leader, dans le domaine de la peinture, et il y reconnaît certains points communs avec la crise que connaît son domaine à lui, la littérature. Ces points communs se résument en deux points principaux : c’est-à-dire, le rôle devenu prédominant de la foule et une nouvelle relation de l’homme avec la nature telle que nous venons de le voir. On pourrait dire que la critique de Manet par Mallarmé est aussi une réponse d’un poéte de la nouvelle génération à ce que 重 光 マリ子 30 Baudelaire, poète de la génération antérieure, avait dit de Manet dans une lettre adressée à celui-ci : “vous n’êtes que le premier dans la décrépitude de votre art".64) C’est, semble-t-il ,ce que signifie le passage suivant de Mallarmé : [...], et si notre art moderne est moins glorieux, moins intense et moins riche, ce n’est pas sans la compensation de la vérité, de la simplicité et du charme natif.65) Certes, on ne peut nier que la théorie de Mallarmé ait tendance à “refuser de prendre en compte tout ce qui ne se rapporte pas à cette quête de l’Idée",66) comme dit Symington. Mais, du point de vue de la profondeur de vues, la critique de Manet par Mallarmé est, je crois, supérieure, par exemple, à celle de Zola et d’autres. Cependant, pour aboutir à une certitude, il convient d’examiner les critiques de Manet par ses autres contemporains et de les comparer à celle de Mallarmé. Notes Abréviations O.C.Ⅱ: Mallarmé Oeuvres complètesⅡ, édition présentée, établie et annotée par Bertrand Marchal: Bibliothèque de la Plèiade, Gallimard, 2003 1)Le Jury de peinture pour 1874 et M.Manet, O.C.Ⅱ, p.413 2)Ibid., p.411 3)Ibid., p.414 4)Ibid., p.415 5)Ibid., p.410 6),7)The Impressionists and Édouard Manet, O.C.Ⅱ, p.467 The noble visionaries of other times, whose works are the semblance of worldly things seen by unworldly eyes, (not the actual representations of real objects) appear as kings and gods in the far dream-ages of mankind ; recluses to whom were given the genius of a dominion over an ignorant multitude. But today the multitude demands to see with its own eyes ;(...). 8)Ibid., p.467 The participation of a hitherto ignored people in the political life of France is a social fact that will honour the whole of the close of the ninteenth century. 9)Le Jury de peinture pour 1874 et M.Manet, O.C.Ⅱ, p.414 10)Solitude, O.C.Ⅱ, p.256 11)Le Jury de peinture pour 1874 et M.Manet, O.C.Ⅱ, p.413 12)Ibid., p.411 13)Ibid., p.411 14)Ibid., p.412 15)Ibid., p.413 16),17)Ibid., p.411 18),19)Ibid., p.413 20)Ibid., p.412 21)Ibid., p.411 22)The Impressionists and Édouard Manet, O.C.Ⅱ, p.450 Ce que Mallarmé voit dans la peinture de Manet 31 23),24)The Impressionists and Édouard Manet, O.C.Ⅱ,p.451 It(=some new imagery) surprised us all as something long hidden, but suddenly revealed. Captivating and repulsive at the same time, eccentric, and new, such types as he gave us were needed in our ambient life. 25)Le Jury de peinture pour 1874 et M.Manet, O.C.Ⅱ, p.414 26),27)The Impressionists and Édouard Manet, O.C.Ⅱ, p.468 At that critical hour for the human race when nature desires to work for herself, she requires certain lovers of hers ― new and impersonal men placed directly in communion with the sentiment of their time ― to loose the restraint of education, to let hand and eye do what they will, and thus through them, reveal herself. 28)Ibid., p.468 [...] to express herself, calm, naked, habituel,[...]. 29)Ibid., p.452 [...] I should like to comment somewhat on [...] “the theory of open air" or at least on that which it becomes with the authoritative evidence of the later efforts of Manet. 30),31)Ibid., p.453 There are many reasons ; among these I hold the first, that in the atmosphere of any interior, [...], the reflected lights are mixed and broken and too often discolour the flesh tints. 32)Ibid., p.453 [...] among the artifical glories of candle-light or gaz [...] 33)Ibid., p.455 [...] if one paints in the real or artifical half-light in use in the schools, it is this feature on which the light strikes and forces into undue relief, affording an easy means for a painter to dispose a face to suit but his own fancy and return to by-gone styles. 34)Ibid., p.453, voir 30) 35),36)Ibid., p.454 [...] painting ― which concerns itself more about this flesh-pollen than any human attraction ― [...] 37),38)Ibid. ,voir 33) 39)Ibid., p.455 [...] there in open air alone can the flesh tints of a model keep their true qualities, being nearly equally lighted on all sides. 40)Ibid., p.454 [...] she (=woman) is admitted fresh and simple to the number of every day haunters of the imagination. 41)Ibid. The complexion,the special beauty which springs from the very source of life, [...]. 42)Ibid. The Linen, which we will study next, it being complete and final repertory of all current ideas and the means of their execution. 43)Ibid., p.455 It is deluged with air. Everywhere the luminous and transparent atmosphere struggles with the 重 光 マリ子 32 figures, the dresses, and the foliage, and seems to take to itself some of their substance and solidity ; whilst their contours, consumed by the hidden sun and wasted by space, tremble, melt, and evaporate into the surrounding atmosphere, which plunders reality from the figures, yet seems to do so in order to preserve their truthful aspect. Air reigns supreme and real, as if it held an enchanted life conferred by the witchery of art ; a life neither personal nor sentient,but itself subjected to the phenomena thus called up by science and shown to our astonished eyes, with its perpetual metamorphosis and its invisible action rended visible. And how ? By this fusion or by this struggle ever continued between surface and space, between colour and air. Open air : ― that is the beginning and end of the question we are now studying. 44)La Musique et les Lettres, O.C.Ⅱ, p.67 45)The Impressionists and Édouard Manet, O.C.Ⅱ, p.456 [...] to habituate themselves (= modern artists themselves) to work in it(= air)[...] 46)Ibid. 47)Ibid. [...] the represented subject,which being composed of a harmony of reflected and ever-changing lights, cannot be supposed always to look the same, but palpitates with movement, light, and life. 48)Ibid. As no artist has on his palette a transparent and neutral colour answering to open air, the desired effect can only be obtained by lightness or heaviness of touch, or by the regulation of tone. 49)Ibid. As to the details of the picture, nothing should be absolutely fixed. 50)Ibid., p.457 [...] that utterly and artificially classic science 51)Ibid Neverthless he must find something on which to establish his picture, though it be but for a minute ― for the one thing needful is the time required by the spectator to see and admire the representation with that promptitude which just suffices for the connection of its truth. 52)Ibid., p.458 [...] the manner of cutting down the pictures [...] 53)Ibid. [...] the function of the frame is to isolate it(=the picture) ; [...] 54)Ibid. [...] a long obliterated truth [...] 55)Ibid. [...] the one thing to be attained is that the spectator accustomed among a crowd or in nature to isolate one bit which pleases him, [...], shall not miss in the work of art one of his habituel enjoyments, and whilst recognising that he is before a painting half believes he sees the mirage of some natural scene. 56),57),58)Ibid., p.469 [...], what can be the aim of a painter before every day nature to imitate her ? 59)Ibid., pp.469-470 [...] ; or the better to satisfy ― the Aspect. Ce que Mallarmé voit dans la peinture de Manet 33 60)La Musique et les Lettres, O.C.Ⅱ, p.68 61)Jacques Rancière, L’intrus, Europe janvier-février 1998 pp.59-60 Elle(=l’Idée) est le multiple tel que ses aspects frôlent notre négligence. Elle est le gisement épais scellé par l’acte de notre《vue adamantine》. Elle n’est pas la réalité suprême. Elle est le rien qui vaut pour tout, qui emblématise le tout.[...] :l’Idée qui s’oppose aux simulacres de la représentation est elle-même un simulacre. Elle est simulacre non représentatif, simulacre pur, projection artificielle dans l’espace vacant de la gloire de l’animal chimérique. 62)Ibid., p.470 [...] that which properly belongs to my art, an original and exact perception which distinguishes for itself the things it perceives with the steadfast gaze of a vision restored to its simplest perfection. 63)La Musique et les Lettres, O.C.Ⅱ, p.68 64)Baudelaire CorrespondancesⅡ, p.497 Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1973 65)The Impressionists and Édouard Manet, O.C.Ⅱ, pp.467-468 [...] and if our latter-day art is less glorious, intense, and rich, it is not without the compensation of truth, simplicity and child-like charm. 66)Micéala Symington, Écrire le tableau, p.85, P.I.E. -Peter Lang, Bruxelles, 2006 La théorie de Mallarmé est un《discours d’exclusion》parce qu’elle refuse de prendre en compte tout ce qui ne se rapporte pas à cette quête de l’Idée ― et qui représente pourtant une dimension fondamentale de l’art. Mariko SHIGEMITSU(言語文化学科国際コミュニケーションコース) (2007. 10. 31 受理)