Le Monde qui nous entoure
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Le Monde qui nous entoure
Le monde qui nous entoure, les objets, les personnes, l’air, la lumière, nous percevons tout cela non pas directement, mais à travers un filtre, un filtre de représentation qui fait écran entre une sensibilité première, les mots et les images qui y sont associés. Tout ce que nous percevons passe à travers ce filtre et ne prend sens qu’à partir de ce moment là. Nous gravitons dans un univers de discours, qui institue des imaginaires partagés, en relation ou en opposition (ce qui est aussi une relation) les uns avec les autres, il y a aussi des discours qui ne se rencontrent jamais ou qui sont rendus invisibles. Quoiqu’il en soit, ce sont ces discours qui déterminent de quelle façon nous habitons le monde, avec quels codes et quels pressentis nous rencontrons l’autre, avec quels articulations nous bâtissons nos projets, avec quel imaginaire nous projetons nos fantasmes, avec quels objets nous entrons en contact, avec quels outils nous percevons ce qui nous entoure, quel statut nous occupons, avec quelles représentations s’établit notre pensée… Un univers de discours suppose que l’on ait à se reconnaitre et à reconnaitre l’autre. Il n’y a d’autre que de langage. Sans mots : pas d’altérité, seulement des corps en présence. Sans mots, pas de manque, de discontinuité, de répétition, ni d’absence, seulement des passages et des sensations sans identité. La reconnaissance (le fait d’avoir une place dans le discours de l’autre) ne peut s’effectuer que dans une réalité partagée. Il est impossible de comprendre l’autre qui n’est pas dans le même champ de discours que soi, c’est donc comme présence qu’il doit être respecté. La réalité a eu, dans l’histoire occidentale, au moins trois sources majeures de structuration qui ont fait autorité : la métaphysique, la religion, la monarchie. Ces trois ordres symboliques ont fondé et maintenu des systèmes de représentation de la réalité, sous forme d’absolu, en lien avec le pouvoir qui leur était attribué. Pour qu’un discours s’impose, doit-il nécessairement être en relation avec une autorité, doit-il être issu du Dire d’un puissant (quelqu’un représentant la place d’un signifiant maître : ex quand F. Hollande dit « nous sommes en guerre » il impose aux français une nouvelle réalité) ? Il peut aussi être issu du Dire de la puissance collective (multiple des affections : ex Nuit Debout est un Dire qui, comme signifiant, pose une nouvelle réalité dans le social). Un Dire est la nomination d’une force nouvelle. Après l’expansion de la méthode scientifique et la mondialisation, le développement d’internet donne l’accès pour (presque) tous aux différentes formes de savoir qui peuvent s’opposer autant sur la forme que sur le contenu. C’est l’ouverture à d’autres réalités, énoncées par ceux qu’elle structure eux-mêmes : des représentations du monde incompatibles se croisent sans passer par une autorité qui délimite leur validité (et suppose d’en exclure une pour conserver l’autre) l’irréductibilité des réalités est entrée en confrontation. Le fonctionnement de Google est similaire à celui du champ discursif comme structurant le sujet et son interprétation de ce qui l’entoure : les algorithmes agissent pour nous présenter des contenus en lien avec ceux que nous avons visionné précédemment. L’embrigadement virtuel s’opère en parallèle d’un embrigadement idéologique. Petit à petit, les recherches effectuées vont obtenir des résultats aux contenus similaires, donc qui proposent une même source d’interprétation. A force d’arriver toujours sur ces contenus, on finit par penser le monde à partir de ces modes de lectures, et on ne peut plus que se le représenter de cette façon, il devient la réalité. D’où l’envie, encore de se poser la question des origines, dans une volonté si dangereuse d’aller à la recherche d’un socle commun, d’une nature humaine, qui par essence soit exclusive. Prenons un exemple de ce que peut signifier la confrontation discursive : lorsque les migrants arrivent sur le sol français, on leur demande de raconter leur histoire de façon très spécifique et formalisée, leurs ressentis et expérience doivent s’inscrire dans le discours de celui qui les accueille. En cela, ils ne peuvent exprimer honnêtement leur histoire, puisque leur réalité est rejetée comme non valide. On voit une grande méfiance du discours de l’étranger, mais prend-on en compte de quelle façon l’accueil qu’on lui fait lui impose de se séparer de son vécu sincère, pour s’intégrer dans notre système de représentation, à partir de quoi son discours ne pourra toujours être qu’impersonnel ? Ce vacillement de la vérité s’accompagne donc d’une méfiance généralisée, avec un essor de l’autoritarisme (tout sécuritaire). C’est une problématique fondamentale de notre époque : faut-il encore proposer de nouveaux systèmes de lecture, ou bien prendre en compte qu’un quelconque système ne puisse être autre que communautaire? Peut-on supposer un fonctionnement social avec autant de discours que d’individu ? Comment maintenir la dignité de penser et les conditions pour qu’un Je et un Nous puissent advenir et se maintenir ? Il faudrait alors redéfinir, en profondeur, le contrat social. Les réseaux sociaux, l’accès à internet l’extension des flux, la pluralité des échanges pourraient donner un rapport horizontal entre les individus. L’Etat n’a plus le monopole de la représentation, il n’en est ni le fondateur, ni plus le relai, et de plus en plus difficilement le maintien. La méfiance, relayée par les médias, et par le lien humain aseptisé, où la rencontre devient capital-risque, pose alors l’Etat comme étant l’étranger.