SFR : le choix cornélien de Vivendi

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SFR : le choix cornélien de Vivendi
Reproduction interdite (Usage strictement interne)
Date Article: 12.03.2014
Journal: Le Monde
SFR : le choix cornélien de Vivendi
»L'offre de Nurnericable court jusqu'à vendredi. Bouygues multiplie les gages sur l'emploi et les investissements
va devoir se décider vite.
Numericable, candidat au rachat
de sa filiale SFR, a donné jusqu'à
vendredi 14 mars aux dirigeants du
groupe pour donner leur préférence. Entreront-ils en négociation avec le câblo-opérateur ou Bouygues Telecom ?
Leur choix est cornélien. Vivendi joue
gros. Avec 10 milliards d'euros de chiffre
d'affaires, SFR pèse près de la moitié du groupe. A ce stade, ses dirigeants restent divisés.
Trois critères devraient les guider.
Vivendi
Vivendi devra d'abord s'assurer qu'il
reçoit bien le meilleur prix pour sa filiale. Ce
dernier n'est pas si simple à déterminer. Les
deux offres lui proposent de recevoir des
sommes en numéraire à peu près équivalentes, avancent des synergies à plusieurs milliards d'euros et une participation dans le
nouvel opérateur de télécoms. Mais Vivendi
voulait sortir complètement de SFR, ce ne
sera donc pas possible immédiatement.
Les dirigeants de Vivendi devront aussi
choisir le scénario de vente le plus suscepti-
ble de recevoir un feu vert de l'Autorité de la
concurrence. Un risque auquel Henri Lachmann, l'administrateur chez Vivendi qui
pilote le dossier SFR, devrait se montrer très
sensible. L'ex-patron de Schneider avait été
contraint de revendre Legrand en 2002, un
an après son rachat, après avoir essuyé un
veto de la Commission européenne...
Vivendi devra, enfin, composer avec le
gouvernement, soucieux de s'assurer du
maintien de l'emploi et des investissements
dans les infrastructures. Si l'Elysée et Mati-
gnon affichent une relative neutralité,
Arnaud Montebourg, le ministre du redressement productif, a choisi son champion,
Bouygues.
Pour pousser son avantage, Martin Bouygues est même allé jusqu'à s'engager par
écrit auprès de M. Montebourg. Dans une lettre envoyée lundi 10 mars, que Le Monde s'est
procurée, le PDG de Bouygues assure qu'il ne
procédera à aucun lice neie ment collectif,
plan social, plan de départs volontaires ».
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SFR : Vivendi à l'heure du choix
L'offre de Numericable pour racheter loperatcur court jusqu'à vendredi alors que Bouygues multiplie les engagements pour emporter la mise
un choix cornélien
auquel Vivendi est confronté. Entre Bouygues et Numericable, à qui va-t-il céder SFR, sa
filiale de téléphonie mobile ? A ce
stade, selon les observateurs, le
groupe de médias et de télécommunications reste divisé quant à
ses préférences.
Mais Vivendi va devoir se prononcer vite. Conscient que le
temps joue en faveur de Bouygues
qui, parti plus tard, reçoit tous les
jours un nouveau soutien, Numericable a annoncé, mardi n mars,
que son offre restait « valide jusqu'au vendredi 14mars», date à
laquelle le conseil de surveillance
de Vivendi se réunit.
Numericable, dont le cours de
Bourse est en chute libre depuis
que ses intentions sur SFR ont été
dévoilées, met la pression sur
Vivendi. Mais ce dernier joue gros.
Avec 10 m illiards d'euros de chiffre d'affaires, SFR pèse aujourd'hui
près de la moitié du groupe, après
que celui-ci a cédé l'éditeur de jeux
vidéo Activis ion Blizzard. Alors
que le groupe dirigé par Jean-René
Fourtou a, jusqu'ici, eu du mal à
mettre en oeuvre sa stratégie de
recentrage sur les médias, trois critères devraient guider son choix.
C'est
Le prix: Numericable
et Bouygues en ballottage
Vivendi devra d'abord s'assurer
qu'il reçoit bien le meilleur prix. Or,
ce dernier n'est pas simple à déterminer. Dans lesdeux cas, en effet, le
vendeur reçoit du cash 10,5 milliards d'euros de la part de Bouygues, 11 milliards de Numericable
une participation dans un nouvel opérateur de télécoms 46%
du nouvel ensemble Bouygues
Telecom-SFR dans le premier cas,
32% du futur Numericable-SFR
dans l'autre.
et
:
Assemblée générale des actionnaires de Vivendi, à Paris. SFR représente près de la moitié du chiffre d'affaires du groupe. Di-MS klARD/REA
di une option lui ouvrant la possibilité de céder un peu moins d'un
tiers de ses intérêts dans N umerica-
pour 1,5 milliard d'euros.
Mais compte tenu du fort niveau
d'endettement d'Altice pour racheter SFR (15 milliards), M. Drahi aura
du mal à tenir cet engagement.
Au-delà, quel est le meilleur
« cheval » pour Vivendi? Celui qui
domine le câble, assure Numericable. Celui qui permet la normalisation du secteur, martèle Bouygues.
La filiale du groupe de BTP promet
io milliards de synergies, un chiffrage étayé selon ses proches par
une étude menée par le cabinet de
conseil Bain. Numericable avance,
quant àpluiea milliards, après avoir
ble-SFR,
évoqué dans un premier temps
6 milliards.
devrait se montrer très sensible. L'ex-patron de Schneider avait,
en effet, été dévasté quand BruxelSFR,
les l'avait contraint à revendre
Legrand en 2002, un an après son
rachat...
Certes, Bouygues a levé le principal obstacle concurrentiel au
rachat de SFR en annonçant avoir
conclu unaccord avec iliadda mair.
son mère de Free, pour lui céder le.-;
réseau de sa filiale mobile. Mais il
en subsiste d'autres, notamment la,
question des fréquences.
En cas de victoire, le groupe de
Martin Bouygues a prévu de céder,
selon nos informations, environ
55% de celles-ci à Free, ce qui doublerait le portefeuille de l'opérateur et le ferait passer de 30 mégahertz à 6o. Mais cela ne suffirait
pas avec SFR, Bouygues Telecom
disposerait encore d'un paquet de
fréquences potentiellement trop
important.
Dans tous les cas, l'Arcep, l'autorité de régulation des télécoms,
devra statuer à la fois sur la cession
des fréquences de Bouygues Telecom à Free et sur la mise en commun de celles des deuxième et troi:
Vivendi, qui voulait sortir de
devoir apprécier la
liquidité de ces participations. Bouygues s'engage à lui reprendre 15%
de ses titres à l'occasion d'une introduction en Bourse à venir, mais ce
SFR, va d'abord
type d'opération reste tributaire
des aléas des marchés.
De son côté, Patrick Drahi, le
patron d'Altice, la maison mère du
câblo-opérateur, aurait, selon un
Concurrence:
avantage Numericable
Vivendi devra égaleiment choisir le candidat le plus susceptible de
passer vite et sans douleur sous les
fourches caudines des autorités de
la concurrence. Un risque auquel
Henri Lachmann, l'administrateur
de Vivendi qui pilote la cession de
proche du dossier, consenti à Viven-
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sième opérateurs mobiles français.
Ce qui pourrait engendrer des
délais et des risques supplémentaires pour Vivendi.
a A l'inverse, ne comprenant pas
de volet mobile et donc pas de question de fréquences, l'opération avec
Numericable devrait quoi qu'il arrive allerplus vite », remarque un bon
connaisseur du secteur.« Bouygues
a sécurisé la revente de son réseau à
Free, c'était le principal point noir,
tout le reste se négocie », tempère-t-on dans le camp du constructeur.
Autre dimension majeure pour
l'analyse concurrentielle le volet
média. Vivendi et le groupe de BTP
disposent tous deux d'une chaîne
de télévision. Et pas des moindres,
Canal+ pour le premier et TF1 pour
le second. « Vivendi va garder une
part conséquente dans le nouvel
ensemble et s'il est décisionnaire, il y
aura un problème puisque les deux
chaînes de télévision sont en concurrence directe. Ilfaudrait qu'ils réussissent à dresser une véritable
muraille de Chine entre les deux,
sinon les concessions demandées
pourraient être plus importantes
que ce à quoi ils s'attendent», prévient un très bon connaisseur du
secteur.
Sur ceplan, Numericable présente lui aussi un risque, avec en particulier l'exclusivité de distribution
de certaines chaînes. S'il est choisi
par Vivendi, il devra y renoncer. Ce
qui pourrait également engendrer
des délais.« C'est quand même plus
facile à lever comme obstacle», glisse un proche du dossier.
Parts de marché des quatre opérateurs en 2013
EN % DU CHIFFRE D'AFFAIRES ESTIMÉ
Orange,
hors trafic
Free
SFR
Bouygues
Telecom
Free Mobile
43
Orange
41
Vivendi devra, enfin, composer
avec un paramètre extérieur le
gouvernement, soucieux de s'assurer du maintien de l'emploi et des
investissements en France. Des
points sur lesquels les deux prétendants ont multiplié les engagements. Si l'Elysée et Matignon affi-
chent une relative neutralité,
Arnaud Montebourg a choisi son
champion Bouygues. Le ministre
du redressement productif soutient la thèse que, pour aller mieux,
le secteur a besoin d'un passage de
quatre à trois acteurs...
Dans l'autre camp, M. Drahi n'a
pas l'entregent d'un Martin Bouygues, rompu aux arcanes du pouvoir. En termes d'emplois, son groupe pèse moins que le bétonneur. Sa
domiciliation fiscale en Suisse ne
joue pas non plus en sa faveur.
Auparavant circonspecte face à
la pespective d'un Bouygues-SER
pesant entre 45% et 5o % du marché, même l'Autorité de la concurrence n'hésite plus à mettre de l'huile dans les rouages, Son président,
Bruno Lasserre, a déclaré, samedi
8 mars au Figaro, que l'instruction
prendrait le même temps pour
Numericable que pour Bouygues.
A en croire des sources proches de
l'institution, la cession de l'infrastructure de réseau de Bouygues
Telecom à Free est en effet « un
grand pas en avant».
Même les concurrents plébiscitent la solution Bouygues Elle permettrait à Free de récupérer un
réseau tout prêt pour 1,8 milliard
d'euros, quand il lui aurait fallu au
moins trois ans pour le déployer.
Quant à Orange, le premier opérateur français serait face à un acteur
moins puissant que lui sur le fixe.
Tous ont ainsi applaudi en chur
lundi au possible mariage Bouygues-SFR. a Voilà une belle entente
Iliad (Free)
32
que l'Autorité de la concurrence
appréciera », ironise un proche de
Nu mericable.
SARAH BELOUEZZANE
ET ISABELLE CHAPERON
SFR
21
19
L'appréciation de l'establishment:avantage Bouygues
Bouygues
Numericable
8
5
Autres
FIXE
MOBILE
SOURCE
EXANE BNP PARISBAS VIA LES ÉCHOS
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Orange sera-t-il le dindon de la farce?
Analyse
Les dernières
grandes manoeuvres dans les télécoms Bouygues
Telecom qui veut céder son
réseau mobile à Free pour pouvoir racheter SFR en rendant son
dossier acceptable auprès de
l'Autorité de la concurrence ont
comme effet de réduire les chances de Numericable, également
candidat à l'acquisition de SFR.
Mais il n'y a pas que Numericable qui risque de perdre au change,
si Vivendi, la maison mère de SFR,
choisit Bouygues. Il y a aussi Orange. Le numéro un du marché du
mobile avait prodigieusement agacé ses compères, SFR et Bouygues
Telecom, en concluant, il y a trois
ans, l'accord d'itinérance qui a permis à Free de lancer sa guerre commerciale dans le mobile, en janvier 2012. Stéphane Richard, le PDG
de l'ex-monopole public, a raison
lorsqu'il affirme pour sa défense
que s'il n'avait pas signé ce contrat
de location de son réseau d'antennes, un autre l'aurait fait. SFR était,
l'époque, sur les rangs.
Il n'empêche, cet accorda permis à Orange de mieux encaisser
le choc Free Mobile. S'ilétait déstabilisé comme tout le monde par la
guerre des prix lancée par Xavier
Niel, le fondateur d'Iliad-Free (par
à
ailleurs actionnaire à titre personnel du Monde), il a pu amortir le
séisme grâce au loyer annuel que
lui rapporte le contrat d'itinérance. Au final, il aura perçu près de
2 milliards d'euros entre 2012 et
2014 pour donner l'accès de ses
infrastructures à son concurrent.
Structure de coût plus lourde
Si le coup de billard à trois bandes de Martin Bouygues réussit,
Orange, qui dominait le marché de
la tête et des épaules, se retrouvera
face à deux concurrents bien plus
puissants qu'aujourd'hui.
D'une part, un nouveau géant,
Bouygues Telecom-SFR, dont le
nombre cumulé d'abonnés au
mobile équivaut peu ou prou à
celui d'Orange, d'autre part, Free,
qui, grâce au rachat du réseau
d'antennes 3G et 4G de Bouygues,
pourra voler de ses propres ailes
et se passer du réseau d'Orange.
Ce fameux contrat d'itinérance
permettait de rentabiliser une
infrastructure. Sans lui, c'en sera
fini des recettes associées. Orange
n'aurait donc plus que les inconvénients de l'irruption de Free dans
le paysage du mobile.
Bien sûr, ce contrat n'était pas
éternel. Puisque sa justification
ne tient que le temps nécessaire à
Free Mobile pour construire son
propre réseau. Mais une poignée
d'années lui auraient encore été
utile Le contrat liant Free à Orange Pouvait être prolongé au-delà
de son échéance, fin 2015. Un premier rendez-vous de renégociation était déjà inscrit à l'agenda
pour janvier 2°15.
Orange relativise et se réjouit
par la voix même de M. Richard
d'un passage de quatre à trois opérateurs. Mais il n'est pas sûr que la.
baisse de l'intensité concurrentielle modifie beaucoup les données
de sa délicate équation du secteur
en France.
La structure de coût de l'exmonopole public est bien plus
lourde que celle de ses concurrents. Les effectifs d'Orange comptaient, à la fin de 2013,102000 salariés en France (95000 équivalents
en temps plein), dont la moitié
encore au stat'ut de fonctionnaire.
SFR et Bouygues ne comptent
environ, chacun, que 10 000 salariés, tandis que Free n'en annonce
que quelque 7000.
Ce handicap était supportable
pour l'ex-monopole, dont l'Etat
détient encore environ 26% du
capital, tant qu'il dominait le marché hexagonal et pouvait maintenir des prix supérieurs aux autres.
Ce qui ne sera plus le cas.
JEAN-BAPTISTE IACQUIN
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La lettre d'engagement de Martin Bouygues
PERSUADÉ que le soutien du gouvernement peut faire pencher la
balance en faveur de son projet,
Martin Bouygues a adressé, lundi
ro mars, une lettre au ministre du
redressement productif, Arnaud
Montebourg, dont Le Monde s'est
procuré une copie, dans laquelle il
détaille les engagementsfermes » qu'il est prêt à prendre en
cas de fusion entre Bouygues Telecom et SFR.
nous engageons à investiryleux milliards d'euros par an
sur les réseauxfixe et mobile, en
particulier dans le domaine dela
fibre optique (400 millions d'euros
par an) », écrit ainsi le président du
groupe Bouygues. Selon un spécialiste du secteur, c'est « quasiment
trois fois plus que ce que Bouygues
Telecom dépense en moyenne chaque annéepour développer et entretenir son réseau. »
«Nous souhaitons en particulier
concentrer nos investissements
fibre surla technologie "Fiber To
The Home"», poursuit M. Bouygues. Ce type de réseau permet,
en posant de la fibre optique jusqu'au domicile de l'abonné et non
pas seulement entre les centraux
téléphoniques, d'obtenir un débit
« Nous
plus élevé.
Sur le plan social, «nous nous
engageons à neprocéder à aucun
licenciement collectif, plan social,
plan de départs volontaires dans le
cadre de cettefusion », écrit M. Bouygues, qui sait que cet élément est
considéré comme une « ligne rouge » par le gouvernement, comme
l'a exprimé M. Montebourg à plusieurs reprises.
De même, M. Bouygues assure
qu'il va « rapatrierplusieurs cen-
« Nous nous
engageons à ne
procéder à aucun
licenciement collectif,
plan social, plan de
départs volontaires»
Martin Bouygues
PDG du groupe
tres d'appels en France », sans toutefois en donner le nombre exact.
Cela ne signifie pas que l'opérateur va relocaliser dans l'Hexagone des centres d'appels il n'en
possède aucun à l'étranger.
«Mais nous allons demander
à nos prestataires de n'utiliser que
des téléconseillers travaillant en
France pour répondre à nos
abonnés, saufpour les tâches
où c'est impossible, comme
la nuit, par exemple», assure-t-on
:
chez Bouygues Telecom.
Dans un tacle non dissimulé à
l'offre d'Altice, qui est coté à Amsterdam et dont le siège est situé au
Luxembourg M. Bouygues s'engage aussi à «coter le nouvel ensemble à la Bourse de Paris » et à « maintenir le siège social en France ». Dernière concession, le patron du
groupe assure qu'il favorisera « les
fournisseursfrançais », mais seulement « à chaquefois que c'estpertinent au plan technique».
Concrètement, Bouygues Telecom se dit prêt à utiliser les produits d'Alcatel Lucent pour ses
réseaux fixes, l'un des points forts
du fabricant tricolore, mais pas
nécessairement pour ses réseaux
mobiles, pour lesquels il avait jusqu'ici recours au chinois Huawei
et au suédois Ericsson.
«Nous aviserons au cas par cas,
enfonction de ce dont nous avons
besoin et de la qualité des équipements proposés», assure-t-on chez
l'opérateur.
Interrogé mardi matin sur RTL,
M. Montebourg s'est félicité des
engagements pris par M. Bou- ygues et a indiqué que, puisqu'ils
avaient été formulés par écrit, ils
lui seraient « opposables » s'ils
n'étaient pas respectés.
CÉDRIC PIETRALUNGA,
AVEC SARAH BELOUEZZANE
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Martin, Xavier,
Vincent, Arnaud:
les ennemis d'hier
se rabibochent
Xavier Niel et Martin Bouygues ont accepté de
parler affaires après des mois de confrontation
e scénario le plus favorable, à
la fois pour les consommaJ teurs, le marché et pour la
France, c'est le scénario de Bouyg ues. » Contrairement aux apparences, la phrase n'est pas d'Arnaud Montebourg. Pourtant, le
ministre du redressement productif est un grand soutien de Martin
Bouygues dans le duel qui l'oppose à Patrick Drahi, le patron d'Altice, la maison mère de Numericable pour le rachat de SFR. Ni de
Martin Bouygues lui-même. Elle
est... de Xavier Niel, fondateur d'Iliad, la maison mère de Free (et par
ailleurs actionnaire à titre personnel du Monde), qui l'a prononcée
lors de la présentation des résultats financiers du quatrième opérateur mobile, lundi 10 mars.
Difficile d'imaginer le trublion
des télécommunications apporter
son soutien à celui qui l'a conspué
depuis son arrivée sur le marché
de la téléphonie mobile en janvier 2012 et lui a même déclaré la
guerre dans la téléphonie fixe, il y
a à peine quelques semaines.
Pourtant, c'est bien grâce à l'accord de rachat du réseau de Bouygues Telecom par Free pour
1,8 milliard d'euros que le bétonneur a rendu son offre crédible.
Cet accorda levé le principal obstacle concurrentiel qui pesait sur un
éventuel mariage entre la filiale
télécom de Bouygues et celle de
Vivendi, SFR.
Certes, ce ne sont pas directement M. Niel et M. Bouygues qui
ont négocié l'accord de rachat
mais leurs hommes de confiance.
En l'occurrence Maxime Lombardini, le DG d'Iliad, et Olivier Roussat, celui de Bouygues Telecom.
Mais force est de constater que
les relations entre les deux hommes, auparavant glaciales, se sont
aujourd'hui bien réchauffées... Les
deux hommes d'affaires, qui ne se
sont vus qu'une seule fois .en huit
ans (en 2008 ou 2006 selon les versions), prévoiraient même une rencontre très prochainement. Une
première
!
Selon leurs proches, Xavier Niel
et Martin Bouygues n'ont pas
grand-chose en commun : ils ne
fréquentent pas les mêmes cercles, n'ont pas la même culture et
se croisent, par conséquent, très
rarement. Jusqu'à il n'y a pas si
longtemps, les deux hommes
s'agaçaient prodigieusement.
M. Niel serait le représentant
d'une jeune génération qui maîtrise le sens de la communication et
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Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, Xavier Niel, fondateur dlliad (Free), Martin Bouygues, PDG de Bouygues,
et Vincent Bolloré, le premier actionnaire de Vivendi, propriétaire de SFR. AFP - REUTERS
de la mise en scène à merveille, tandis que M. Bouygues est plus renfermé, plus discret.
«C'est comme à Yalta », commente un proche de Martin Bouygues. En d'autres termes, pragmatiques, les deux hommes ont su
dépasser leurs différends à un
moment-clé pour leurs groupes
respectifs. «11 ne s'agit pas vraiment ici d'affect, mais de la réalité
des affaires», relève un intime.
Il faut croire que la perspective
d'une consolidation arrange bien
du monde dans le milieu des affaires parisiennes. Car il n'y a pas
qu'avec Martin Bouygues que
Xavier Niel semble s'être réconcilié. Avec le ministre du redressement productif aussi, les relations
semblent plus sereines, moins tendues.
«Il nous paraissait plus simple
d'avoirquelque chose gui permette
d'avoir de manière durable trois
acteurs », a ainsi déclaré M. Niel
lors de la présentation des résultats d'Iliad, épousant la thèse de
M. Montebourg selon laquelle le
secteur serait mieux portant avec
trois opérateurs mobiles au lieu de
quatre.
«II ne s'agit pas
vraiment ici
d'affect, mais de
réalité des affaires »,
relève un intime
«C'est un acteurfranco-français
qui paye des impôts en France, avec
des actionnaires français en bout
de chaîne et donc l'argent restera
en France », a par ailleurs déclaré, à
propos de Bouygues, M. Niel, faisant résonner la fibre patriotique
si chère au ministre du redressement productif.
Pourtant, entre ces deux-là, ce
n'était pas gagné. Après le fameux
tweet datant de janvier 2o12 dans
lequel il félicitait M. Niel d'avoir
fait «plus pour le pouvoir d'achat
des Français que Nicolas Sarkozy
en cinq ans », M. Montebourg n'a
cessé de s'en prendre au quatrième entrant et à son fondateur. L'accusant de ne pas avoir répondu à
«l'appel patriotique » lancé pour le
sauvetage de l'équipementier franco-américain Alcatel-Lucent. Et
d'avoirdétruit des emplois dans le
secteur à cause de « son modèle low
cost ».
Les deux hommes se sont carrément pris le bec par tweets respectifs en décembre 2013, peu après
l'annonce de l'arrivée de la 4G sur
le réseau de Free.
Il y a aussi deux hommes que
cette gigantesque consolidation
pourrait peut-être rapprocher :
Martin Bouygues et Vincent Bolloré, l'actionnaire principal de
Vivendi. Ils ont un lourd passif
depuis que le second a tenté de
prendre le contrôle du groupe
familial du premier.
On les disait réconciliés, du
moins en apparence, depuis le
mariage du fils de M. Bolloré, Yannick, et de la nièce de M. Bouygues,
Chloé. Mais il semblerait que ce ne
soit pas vraiment le cas. « Ils se
détesteront toujours, ils feront
peut-être affaire cettefois-ci, mais
ils continueront à se détester», souligne un bon connaisseur des
milieux d'affaires parisiens.
SARAH BELOUEZZANE
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Il n'y a pas de lien évident entre le nombre
d'opérateurs et leurs tarifs
cause à-effet
entre le nombre d'opérateurs télécoms dans un pays et le niveau de
concurrence qui y règne? Pour les
associations de consommateurs
françaises, la chose est entendue:
un passage de quatre à trois opérateurs, dans le cas d'un rachat de
SFR par Bouygues Telecom, risque
de diminuer la concurrence et
d'entraîner une hausse des prix.
Faux, si l'on écoute les opéra,
teurs mobiles français et l'Autorité
de la concurrence il n'y a pas de
«chiffre magiquepour un marché
idéal, ce qui compte, c'est la qualité
Y A-T-IL UN LIEN de
et les incitations concurrentielles »
déclarait aux Echos, lundi 10 mars,
son président, Bruno Lasserre. Mardi, Arnaud Montebourg jugeait
que la baisse des prix dans le mobile, chiffrée à30 % en deux ans,
constitue un « acquis irréversible».
Un examen, pays par pays, montre cependant qu'il ne semble pas
y avoir de vérité établie. Les partisans d'un marché avec le plus d'acteurs possible brandissent l'exemple de l'Autriche, qui a vu, après la
disparition d'Orange Austria, avalé
par 3 Austria, ses prix moyens faire
un bond de 18,7% en ce début d'an. née. Sauf que les forfaits mobiles
autrichiens faisaient partie des
moins chers en Europe. Même
après cette hausse, ils restent extrêmement bon marché: chez le principal opérateur du pays (Ai
Telekom Austria), débourser
45 euros par mois permet d'avoir
un iPhone 5c (16 GB) à moins de
ioo euros, la voix et les SMS illimi-
tés, ainsi que 3 Go de données,
50 minutes +50 SMS et 5o Mo de
données dans l'Union européenne. En bonus, le client dispose de
5o Go de stockage sur le cloud... La
concurrence a peut-être ralenti,
mais le consommateur autrichien
reste bien traité.
Aux Etats-Unis, il y a quatre opérateurs clé taille significative, dont
deux géants (AT&T et Verizon),
mais les prix pour les clients du
Aux Etats-Unis, il y a
quatre opérateurs
de taille significative,
mais les prix pour
les clients du mobile
sont prohibitifs
mobile sont prohibitifs. Selon les
données du « Mobile Consumer
Report » 2013 du cabinet Nielsen, la
facture moyenne est de 66 dollars
(47 euros) pour tous les mobinautes, mais elle grimpe à 93 dollars
(67 euros) pour les utilisateurs de
smartphones.
Par exemple, pour 5o dollars
par mois, AT&T, le premier opérateur du marché, ne propose que
les appels en illimité aux EtatsUnis, les SMS illimités vers une cen-
taine de pays et les données illimitées en... Wi-Fi. Pour la 3G, il faut
payer plus cher: le premier forfait
commence à 65 dollars.
En reanche, en Chine, où le
nombre d'opérateurs est faible (ils
sont trois, dont deux appartiennent à l'Etat),la facture moyenne
mensuelle n'est que de 100 yuans
(11,7 euros), et à peu près la même
pour les smartphones. Il faut dire
que le pouvoir d'achat des Chinois
n'est pas encore celui des foyers
américains...
En Inde, pays dans lequel opèrent plus d'une dizaine d'acteurs
sur les télécoms, la facture mensuelle moyenne ne dépasse pas
3,5 euros. Même rapporté au salaire moyen indien (environ 150 dollars pour un ouvrier qualifié), cela
ne fait que z3 % du revenu mensuel. Mais un Français qui gagne le
salaire médian (environ
160o euros) paiera, en parité de
pouvoir d'achat, encore moins : la
facture mensuelle mobile moyenne n'y dépasse pas 20 euros.
Difficile donc de tirer la moindre conclusion quant à un lien
entre le nombre d'acteurs à se
« partager le gâteau » et le prix
payé par l'utilisateur. D'autant
que, pour séduire un maximum
de mobinautes, les opérateurs ont
tendance à multiplier les combinaisons de services proposés. Ce qui
rend leurs offres très difficiles à
comparer. Un article du Wall Street
Journal identifiait, en juillet 2013,
pas moins de 700 « packages » disponibles auprès des quatre acteurs
du secteur américain, et soulignait
qu'au sein d'un même opérateur,
les différentes offres pouvaient
«se contredire entre elles».
Pour Didier Rousseau, président du cabinet de stratégie Weave, « il n'y a pas de nombre optimal
d'opérateurs pour le consommateur, cela dépend du moment: de
l'état des investissements, de l'état
de l'innovation, de la maturité du
marché, d'où en est l'opérateur
dans sa rentabilité... »
AUDREY FOURNIER
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