SFR : le choix cornélien de Vivendi
Transcription
SFR : le choix cornélien de Vivendi
Reproduction interdite (Usage strictement interne) Date Article: 12.03.2014 Journal: Le Monde SFR : le choix cornélien de Vivendi »L'offre de Nurnericable court jusqu'à vendredi. Bouygues multiplie les gages sur l'emploi et les investissements va devoir se décider vite. Numericable, candidat au rachat de sa filiale SFR, a donné jusqu'à vendredi 14 mars aux dirigeants du groupe pour donner leur préférence. Entreront-ils en négociation avec le câblo-opérateur ou Bouygues Telecom ? Leur choix est cornélien. Vivendi joue gros. Avec 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires, SFR pèse près de la moitié du groupe. A ce stade, ses dirigeants restent divisés. Trois critères devraient les guider. Vivendi Vivendi devra d'abord s'assurer qu'il reçoit bien le meilleur prix pour sa filiale. Ce dernier n'est pas si simple à déterminer. Les deux offres lui proposent de recevoir des sommes en numéraire à peu près équivalentes, avancent des synergies à plusieurs milliards d'euros et une participation dans le nouvel opérateur de télécoms. Mais Vivendi voulait sortir complètement de SFR, ce ne sera donc pas possible immédiatement. Les dirigeants de Vivendi devront aussi choisir le scénario de vente le plus suscepti- ble de recevoir un feu vert de l'Autorité de la concurrence. Un risque auquel Henri Lachmann, l'administrateur chez Vivendi qui pilote le dossier SFR, devrait se montrer très sensible. L'ex-patron de Schneider avait été contraint de revendre Legrand en 2002, un an après son rachat, après avoir essuyé un veto de la Commission européenne... Vivendi devra, enfin, composer avec le gouvernement, soucieux de s'assurer du maintien de l'emploi et des investissements dans les infrastructures. Si l'Elysée et Mati- gnon affichent une relative neutralité, Arnaud Montebourg, le ministre du redressement productif, a choisi son champion, Bouygues. Pour pousser son avantage, Martin Bouygues est même allé jusqu'à s'engager par écrit auprès de M. Montebourg. Dans une lettre envoyée lundi 10 mars, que Le Monde s'est procurée, le PDG de Bouygues assure qu'il ne procédera à aucun lice neie ment collectif, plan social, plan de départs volontaires ». LIRE PAGES 4-5 Page 1/8 Reproduction interdite (Usage strictement interne) Journal: Le Monde Date Article: 12.03.2014 SFR : Vivendi à l'heure du choix L'offre de Numericable pour racheter loperatcur court jusqu'à vendredi alors que Bouygues multiplie les engagements pour emporter la mise un choix cornélien auquel Vivendi est confronté. Entre Bouygues et Numericable, à qui va-t-il céder SFR, sa filiale de téléphonie mobile ? A ce stade, selon les observateurs, le groupe de médias et de télécommunications reste divisé quant à ses préférences. Mais Vivendi va devoir se prononcer vite. Conscient que le temps joue en faveur de Bouygues qui, parti plus tard, reçoit tous les jours un nouveau soutien, Numericable a annoncé, mardi n mars, que son offre restait « valide jusqu'au vendredi 14mars», date à laquelle le conseil de surveillance de Vivendi se réunit. Numericable, dont le cours de Bourse est en chute libre depuis que ses intentions sur SFR ont été dévoilées, met la pression sur Vivendi. Mais ce dernier joue gros. Avec 10 m illiards d'euros de chiffre d'affaires, SFR pèse aujourd'hui près de la moitié du groupe, après que celui-ci a cédé l'éditeur de jeux vidéo Activis ion Blizzard. Alors que le groupe dirigé par Jean-René Fourtou a, jusqu'ici, eu du mal à mettre en oeuvre sa stratégie de recentrage sur les médias, trois critères devraient guider son choix. C'est Le prix: Numericable et Bouygues en ballottage Vivendi devra d'abord s'assurer qu'il reçoit bien le meilleur prix. Or, ce dernier n'est pas simple à déterminer. Dans lesdeux cas, en effet, le vendeur reçoit du cash 10,5 milliards d'euros de la part de Bouygues, 11 milliards de Numericable une participation dans un nouvel opérateur de télécoms 46% du nouvel ensemble Bouygues Telecom-SFR dans le premier cas, 32% du futur Numericable-SFR dans l'autre. et : Assemblée générale des actionnaires de Vivendi, à Paris. SFR représente près de la moitié du chiffre d'affaires du groupe. Di-MS klARD/REA di une option lui ouvrant la possibilité de céder un peu moins d'un tiers de ses intérêts dans N umerica- pour 1,5 milliard d'euros. Mais compte tenu du fort niveau d'endettement d'Altice pour racheter SFR (15 milliards), M. Drahi aura du mal à tenir cet engagement. Au-delà, quel est le meilleur « cheval » pour Vivendi? Celui qui domine le câble, assure Numericable. Celui qui permet la normalisation du secteur, martèle Bouygues. La filiale du groupe de BTP promet io milliards de synergies, un chiffrage étayé selon ses proches par une étude menée par le cabinet de conseil Bain. Numericable avance, quant àpluiea milliards, après avoir ble-SFR, évoqué dans un premier temps 6 milliards. devrait se montrer très sensible. L'ex-patron de Schneider avait, en effet, été dévasté quand BruxelSFR, les l'avait contraint à revendre Legrand en 2002, un an après son rachat... Certes, Bouygues a levé le principal obstacle concurrentiel au rachat de SFR en annonçant avoir conclu unaccord avec iliadda mair. son mère de Free, pour lui céder le.-; réseau de sa filiale mobile. Mais il en subsiste d'autres, notamment la, question des fréquences. En cas de victoire, le groupe de Martin Bouygues a prévu de céder, selon nos informations, environ 55% de celles-ci à Free, ce qui doublerait le portefeuille de l'opérateur et le ferait passer de 30 mégahertz à 6o. Mais cela ne suffirait pas avec SFR, Bouygues Telecom disposerait encore d'un paquet de fréquences potentiellement trop important. Dans tous les cas, l'Arcep, l'autorité de régulation des télécoms, devra statuer à la fois sur la cession des fréquences de Bouygues Telecom à Free et sur la mise en commun de celles des deuxième et troi: Vivendi, qui voulait sortir de devoir apprécier la liquidité de ces participations. Bouygues s'engage à lui reprendre 15% de ses titres à l'occasion d'une introduction en Bourse à venir, mais ce SFR, va d'abord type d'opération reste tributaire des aléas des marchés. De son côté, Patrick Drahi, le patron d'Altice, la maison mère du câblo-opérateur, aurait, selon un Concurrence: avantage Numericable Vivendi devra égaleiment choisir le candidat le plus susceptible de passer vite et sans douleur sous les fourches caudines des autorités de la concurrence. Un risque auquel Henri Lachmann, l'administrateur de Vivendi qui pilote la cession de proche du dossier, consenti à Viven- Page 2/8 Reproduction interdite (Usage strictement interne) Journal: Le Monde Date Article: 12.03.2014 sième opérateurs mobiles français. Ce qui pourrait engendrer des délais et des risques supplémentaires pour Vivendi. a A l'inverse, ne comprenant pas de volet mobile et donc pas de question de fréquences, l'opération avec Numericable devrait quoi qu'il arrive allerplus vite », remarque un bon connaisseur du secteur.« Bouygues a sécurisé la revente de son réseau à Free, c'était le principal point noir, tout le reste se négocie », tempère-t-on dans le camp du constructeur. Autre dimension majeure pour l'analyse concurrentielle le volet média. Vivendi et le groupe de BTP disposent tous deux d'une chaîne de télévision. Et pas des moindres, Canal+ pour le premier et TF1 pour le second. « Vivendi va garder une part conséquente dans le nouvel ensemble et s'il est décisionnaire, il y aura un problème puisque les deux chaînes de télévision sont en concurrence directe. Ilfaudrait qu'ils réussissent à dresser une véritable muraille de Chine entre les deux, sinon les concessions demandées pourraient être plus importantes que ce à quoi ils s'attendent», prévient un très bon connaisseur du secteur. Sur ceplan, Numericable présente lui aussi un risque, avec en particulier l'exclusivité de distribution de certaines chaînes. S'il est choisi par Vivendi, il devra y renoncer. Ce qui pourrait également engendrer des délais.« C'est quand même plus facile à lever comme obstacle», glisse un proche du dossier. Parts de marché des quatre opérateurs en 2013 EN % DU CHIFFRE D'AFFAIRES ESTIMÉ Orange, hors trafic Free SFR Bouygues Telecom Free Mobile 43 Orange 41 Vivendi devra, enfin, composer avec un paramètre extérieur le gouvernement, soucieux de s'assurer du maintien de l'emploi et des investissements en France. Des points sur lesquels les deux prétendants ont multiplié les engagements. Si l'Elysée et Matignon affi- chent une relative neutralité, Arnaud Montebourg a choisi son champion Bouygues. Le ministre du redressement productif soutient la thèse que, pour aller mieux, le secteur a besoin d'un passage de quatre à trois acteurs... Dans l'autre camp, M. Drahi n'a pas l'entregent d'un Martin Bouygues, rompu aux arcanes du pouvoir. En termes d'emplois, son groupe pèse moins que le bétonneur. Sa domiciliation fiscale en Suisse ne joue pas non plus en sa faveur. Auparavant circonspecte face à la pespective d'un Bouygues-SER pesant entre 45% et 5o % du marché, même l'Autorité de la concurrence n'hésite plus à mettre de l'huile dans les rouages, Son président, Bruno Lasserre, a déclaré, samedi 8 mars au Figaro, que l'instruction prendrait le même temps pour Numericable que pour Bouygues. A en croire des sources proches de l'institution, la cession de l'infrastructure de réseau de Bouygues Telecom à Free est en effet « un grand pas en avant». Même les concurrents plébiscitent la solution Bouygues Elle permettrait à Free de récupérer un réseau tout prêt pour 1,8 milliard d'euros, quand il lui aurait fallu au moins trois ans pour le déployer. Quant à Orange, le premier opérateur français serait face à un acteur moins puissant que lui sur le fixe. Tous ont ainsi applaudi en chur lundi au possible mariage Bouygues-SFR. a Voilà une belle entente Iliad (Free) 32 que l'Autorité de la concurrence appréciera », ironise un proche de Nu mericable. SARAH BELOUEZZANE ET ISABELLE CHAPERON SFR 21 19 L'appréciation de l'establishment:avantage Bouygues Bouygues Numericable 8 5 Autres FIXE MOBILE SOURCE EXANE BNP PARISBAS VIA LES ÉCHOS Page 3/8 Reproduction interdite (Usage strictement interne) Journal: Le Monde Date Article: 12.03.2014 Orange sera-t-il le dindon de la farce? Analyse Les dernières grandes manoeuvres dans les télécoms Bouygues Telecom qui veut céder son réseau mobile à Free pour pouvoir racheter SFR en rendant son dossier acceptable auprès de l'Autorité de la concurrence ont comme effet de réduire les chances de Numericable, également candidat à l'acquisition de SFR. Mais il n'y a pas que Numericable qui risque de perdre au change, si Vivendi, la maison mère de SFR, choisit Bouygues. Il y a aussi Orange. Le numéro un du marché du mobile avait prodigieusement agacé ses compères, SFR et Bouygues Telecom, en concluant, il y a trois ans, l'accord d'itinérance qui a permis à Free de lancer sa guerre commerciale dans le mobile, en janvier 2012. Stéphane Richard, le PDG de l'ex-monopole public, a raison lorsqu'il affirme pour sa défense que s'il n'avait pas signé ce contrat de location de son réseau d'antennes, un autre l'aurait fait. SFR était, l'époque, sur les rangs. Il n'empêche, cet accorda permis à Orange de mieux encaisser le choc Free Mobile. S'ilétait déstabilisé comme tout le monde par la guerre des prix lancée par Xavier Niel, le fondateur d'Iliad-Free (par à ailleurs actionnaire à titre personnel du Monde), il a pu amortir le séisme grâce au loyer annuel que lui rapporte le contrat d'itinérance. Au final, il aura perçu près de 2 milliards d'euros entre 2012 et 2014 pour donner l'accès de ses infrastructures à son concurrent. Structure de coût plus lourde Si le coup de billard à trois bandes de Martin Bouygues réussit, Orange, qui dominait le marché de la tête et des épaules, se retrouvera face à deux concurrents bien plus puissants qu'aujourd'hui. D'une part, un nouveau géant, Bouygues Telecom-SFR, dont le nombre cumulé d'abonnés au mobile équivaut peu ou prou à celui d'Orange, d'autre part, Free, qui, grâce au rachat du réseau d'antennes 3G et 4G de Bouygues, pourra voler de ses propres ailes et se passer du réseau d'Orange. Ce fameux contrat d'itinérance permettait de rentabiliser une infrastructure. Sans lui, c'en sera fini des recettes associées. Orange n'aurait donc plus que les inconvénients de l'irruption de Free dans le paysage du mobile. Bien sûr, ce contrat n'était pas éternel. Puisque sa justification ne tient que le temps nécessaire à Free Mobile pour construire son propre réseau. Mais une poignée d'années lui auraient encore été utile Le contrat liant Free à Orange Pouvait être prolongé au-delà de son échéance, fin 2015. Un premier rendez-vous de renégociation était déjà inscrit à l'agenda pour janvier 2°15. Orange relativise et se réjouit par la voix même de M. Richard d'un passage de quatre à trois opérateurs. Mais il n'est pas sûr que la. baisse de l'intensité concurrentielle modifie beaucoup les données de sa délicate équation du secteur en France. La structure de coût de l'exmonopole public est bien plus lourde que celle de ses concurrents. Les effectifs d'Orange comptaient, à la fin de 2013,102000 salariés en France (95000 équivalents en temps plein), dont la moitié encore au stat'ut de fonctionnaire. SFR et Bouygues ne comptent environ, chacun, que 10 000 salariés, tandis que Free n'en annonce que quelque 7000. Ce handicap était supportable pour l'ex-monopole, dont l'Etat détient encore environ 26% du capital, tant qu'il dominait le marché hexagonal et pouvait maintenir des prix supérieurs aux autres. Ce qui ne sera plus le cas. JEAN-BAPTISTE IACQUIN Page 4/8 Reproduction interdite (Usage strictement interne) Journal: Le Monde Date Article: 12.03.2014 La lettre d'engagement de Martin Bouygues PERSUADÉ que le soutien du gouvernement peut faire pencher la balance en faveur de son projet, Martin Bouygues a adressé, lundi ro mars, une lettre au ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, dont Le Monde s'est procuré une copie, dans laquelle il détaille les engagementsfermes » qu'il est prêt à prendre en cas de fusion entre Bouygues Telecom et SFR. nous engageons à investiryleux milliards d'euros par an sur les réseauxfixe et mobile, en particulier dans le domaine dela fibre optique (400 millions d'euros par an) », écrit ainsi le président du groupe Bouygues. Selon un spécialiste du secteur, c'est « quasiment trois fois plus que ce que Bouygues Telecom dépense en moyenne chaque annéepour développer et entretenir son réseau. » «Nous souhaitons en particulier concentrer nos investissements fibre surla technologie "Fiber To The Home"», poursuit M. Bouygues. Ce type de réseau permet, en posant de la fibre optique jusqu'au domicile de l'abonné et non pas seulement entre les centraux téléphoniques, d'obtenir un débit « Nous plus élevé. Sur le plan social, «nous nous engageons à neprocéder à aucun licenciement collectif, plan social, plan de départs volontaires dans le cadre de cettefusion », écrit M. Bouygues, qui sait que cet élément est considéré comme une « ligne rouge » par le gouvernement, comme l'a exprimé M. Montebourg à plusieurs reprises. De même, M. Bouygues assure qu'il va « rapatrierplusieurs cen- « Nous nous engageons à ne procéder à aucun licenciement collectif, plan social, plan de départs volontaires» Martin Bouygues PDG du groupe tres d'appels en France », sans toutefois en donner le nombre exact. Cela ne signifie pas que l'opérateur va relocaliser dans l'Hexagone des centres d'appels il n'en possède aucun à l'étranger. «Mais nous allons demander à nos prestataires de n'utiliser que des téléconseillers travaillant en France pour répondre à nos abonnés, saufpour les tâches où c'est impossible, comme la nuit, par exemple», assure-t-on : chez Bouygues Telecom. Dans un tacle non dissimulé à l'offre d'Altice, qui est coté à Amsterdam et dont le siège est situé au Luxembourg M. Bouygues s'engage aussi à «coter le nouvel ensemble à la Bourse de Paris » et à « maintenir le siège social en France ». Dernière concession, le patron du groupe assure qu'il favorisera « les fournisseursfrançais », mais seulement « à chaquefois que c'estpertinent au plan technique». Concrètement, Bouygues Telecom se dit prêt à utiliser les produits d'Alcatel Lucent pour ses réseaux fixes, l'un des points forts du fabricant tricolore, mais pas nécessairement pour ses réseaux mobiles, pour lesquels il avait jusqu'ici recours au chinois Huawei et au suédois Ericsson. «Nous aviserons au cas par cas, enfonction de ce dont nous avons besoin et de la qualité des équipements proposés», assure-t-on chez l'opérateur. Interrogé mardi matin sur RTL, M. Montebourg s'est félicité des engagements pris par M. Bou- ygues et a indiqué que, puisqu'ils avaient été formulés par écrit, ils lui seraient « opposables » s'ils n'étaient pas respectés. CÉDRIC PIETRALUNGA, AVEC SARAH BELOUEZZANE Page 5/8 Reproduction interdite (Usage strictement interne) Date Article: 12.03.2014 Martin, Xavier, Vincent, Arnaud: les ennemis d'hier se rabibochent Xavier Niel et Martin Bouygues ont accepté de parler affaires après des mois de confrontation e scénario le plus favorable, à la fois pour les consommaJ teurs, le marché et pour la France, c'est le scénario de Bouyg ues. » Contrairement aux apparences, la phrase n'est pas d'Arnaud Montebourg. Pourtant, le ministre du redressement productif est un grand soutien de Martin Bouygues dans le duel qui l'oppose à Patrick Drahi, le patron d'Altice, la maison mère de Numericable pour le rachat de SFR. Ni de Martin Bouygues lui-même. Elle est... de Xavier Niel, fondateur d'Iliad, la maison mère de Free (et par ailleurs actionnaire à titre personnel du Monde), qui l'a prononcée lors de la présentation des résultats financiers du quatrième opérateur mobile, lundi 10 mars. Difficile d'imaginer le trublion des télécommunications apporter son soutien à celui qui l'a conspué depuis son arrivée sur le marché de la téléphonie mobile en janvier 2012 et lui a même déclaré la guerre dans la téléphonie fixe, il y a à peine quelques semaines. Pourtant, c'est bien grâce à l'accord de rachat du réseau de Bouygues Telecom par Free pour 1,8 milliard d'euros que le bétonneur a rendu son offre crédible. Cet accorda levé le principal obstacle concurrentiel qui pesait sur un éventuel mariage entre la filiale télécom de Bouygues et celle de Vivendi, SFR. Certes, ce ne sont pas directement M. Niel et M. Bouygues qui ont négocié l'accord de rachat mais leurs hommes de confiance. En l'occurrence Maxime Lombardini, le DG d'Iliad, et Olivier Roussat, celui de Bouygues Telecom. Mais force est de constater que les relations entre les deux hommes, auparavant glaciales, se sont aujourd'hui bien réchauffées... Les deux hommes d'affaires, qui ne se sont vus qu'une seule fois .en huit ans (en 2008 ou 2006 selon les versions), prévoiraient même une rencontre très prochainement. Une première ! Selon leurs proches, Xavier Niel et Martin Bouygues n'ont pas grand-chose en commun : ils ne fréquentent pas les mêmes cercles, n'ont pas la même culture et se croisent, par conséquent, très rarement. Jusqu'à il n'y a pas si longtemps, les deux hommes s'agaçaient prodigieusement. M. Niel serait le représentant d'une jeune génération qui maîtrise le sens de la communication et Page 6/8 Reproduction interdite (Usage strictement interne) Date Article: 12.03.2014 Journal: Le Monde Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, Xavier Niel, fondateur dlliad (Free), Martin Bouygues, PDG de Bouygues, et Vincent Bolloré, le premier actionnaire de Vivendi, propriétaire de SFR. AFP - REUTERS de la mise en scène à merveille, tandis que M. Bouygues est plus renfermé, plus discret. «C'est comme à Yalta », commente un proche de Martin Bouygues. En d'autres termes, pragmatiques, les deux hommes ont su dépasser leurs différends à un moment-clé pour leurs groupes respectifs. «11 ne s'agit pas vraiment ici d'affect, mais de la réalité des affaires», relève un intime. Il faut croire que la perspective d'une consolidation arrange bien du monde dans le milieu des affaires parisiennes. Car il n'y a pas qu'avec Martin Bouygues que Xavier Niel semble s'être réconcilié. Avec le ministre du redressement productif aussi, les relations semblent plus sereines, moins tendues. «Il nous paraissait plus simple d'avoirquelque chose gui permette d'avoir de manière durable trois acteurs », a ainsi déclaré M. Niel lors de la présentation des résultats d'Iliad, épousant la thèse de M. Montebourg selon laquelle le secteur serait mieux portant avec trois opérateurs mobiles au lieu de quatre. «II ne s'agit pas vraiment ici d'affect, mais de réalité des affaires », relève un intime «C'est un acteurfranco-français qui paye des impôts en France, avec des actionnaires français en bout de chaîne et donc l'argent restera en France », a par ailleurs déclaré, à propos de Bouygues, M. Niel, faisant résonner la fibre patriotique si chère au ministre du redressement productif. Pourtant, entre ces deux-là, ce n'était pas gagné. Après le fameux tweet datant de janvier 2o12 dans lequel il félicitait M. Niel d'avoir fait «plus pour le pouvoir d'achat des Français que Nicolas Sarkozy en cinq ans », M. Montebourg n'a cessé de s'en prendre au quatrième entrant et à son fondateur. L'accusant de ne pas avoir répondu à «l'appel patriotique » lancé pour le sauvetage de l'équipementier franco-américain Alcatel-Lucent. Et d'avoirdétruit des emplois dans le secteur à cause de « son modèle low cost ». Les deux hommes se sont carrément pris le bec par tweets respectifs en décembre 2013, peu après l'annonce de l'arrivée de la 4G sur le réseau de Free. Il y a aussi deux hommes que cette gigantesque consolidation pourrait peut-être rapprocher : Martin Bouygues et Vincent Bolloré, l'actionnaire principal de Vivendi. Ils ont un lourd passif depuis que le second a tenté de prendre le contrôle du groupe familial du premier. On les disait réconciliés, du moins en apparence, depuis le mariage du fils de M. Bolloré, Yannick, et de la nièce de M. Bouygues, Chloé. Mais il semblerait que ce ne soit pas vraiment le cas. « Ils se détesteront toujours, ils feront peut-être affaire cettefois-ci, mais ils continueront à se détester», souligne un bon connaisseur des milieux d'affaires parisiens. SARAH BELOUEZZANE Page 7/8 Reproduction interdite (Usage strictement interne) Date Article: 12.03.2014 Journal: Le Monde Il n'y a pas de lien évident entre le nombre d'opérateurs et leurs tarifs cause à-effet entre le nombre d'opérateurs télécoms dans un pays et le niveau de concurrence qui y règne? Pour les associations de consommateurs françaises, la chose est entendue: un passage de quatre à trois opérateurs, dans le cas d'un rachat de SFR par Bouygues Telecom, risque de diminuer la concurrence et d'entraîner une hausse des prix. Faux, si l'on écoute les opéra, teurs mobiles français et l'Autorité de la concurrence il n'y a pas de «chiffre magiquepour un marché idéal, ce qui compte, c'est la qualité Y A-T-IL UN LIEN de et les incitations concurrentielles » déclarait aux Echos, lundi 10 mars, son président, Bruno Lasserre. Mardi, Arnaud Montebourg jugeait que la baisse des prix dans le mobile, chiffrée à30 % en deux ans, constitue un « acquis irréversible». Un examen, pays par pays, montre cependant qu'il ne semble pas y avoir de vérité établie. Les partisans d'un marché avec le plus d'acteurs possible brandissent l'exemple de l'Autriche, qui a vu, après la disparition d'Orange Austria, avalé par 3 Austria, ses prix moyens faire un bond de 18,7% en ce début d'an. née. Sauf que les forfaits mobiles autrichiens faisaient partie des moins chers en Europe. Même après cette hausse, ils restent extrêmement bon marché: chez le principal opérateur du pays (Ai Telekom Austria), débourser 45 euros par mois permet d'avoir un iPhone 5c (16 GB) à moins de ioo euros, la voix et les SMS illimi- tés, ainsi que 3 Go de données, 50 minutes +50 SMS et 5o Mo de données dans l'Union européenne. En bonus, le client dispose de 5o Go de stockage sur le cloud... La concurrence a peut-être ralenti, mais le consommateur autrichien reste bien traité. Aux Etats-Unis, il y a quatre opérateurs clé taille significative, dont deux géants (AT&T et Verizon), mais les prix pour les clients du Aux Etats-Unis, il y a quatre opérateurs de taille significative, mais les prix pour les clients du mobile sont prohibitifs mobile sont prohibitifs. Selon les données du « Mobile Consumer Report » 2013 du cabinet Nielsen, la facture moyenne est de 66 dollars (47 euros) pour tous les mobinautes, mais elle grimpe à 93 dollars (67 euros) pour les utilisateurs de smartphones. Par exemple, pour 5o dollars par mois, AT&T, le premier opérateur du marché, ne propose que les appels en illimité aux EtatsUnis, les SMS illimités vers une cen- taine de pays et les données illimitées en... Wi-Fi. Pour la 3G, il faut payer plus cher: le premier forfait commence à 65 dollars. En reanche, en Chine, où le nombre d'opérateurs est faible (ils sont trois, dont deux appartiennent à l'Etat),la facture moyenne mensuelle n'est que de 100 yuans (11,7 euros), et à peu près la même pour les smartphones. Il faut dire que le pouvoir d'achat des Chinois n'est pas encore celui des foyers américains... En Inde, pays dans lequel opèrent plus d'une dizaine d'acteurs sur les télécoms, la facture mensuelle moyenne ne dépasse pas 3,5 euros. Même rapporté au salaire moyen indien (environ 150 dollars pour un ouvrier qualifié), cela ne fait que z3 % du revenu mensuel. Mais un Français qui gagne le salaire médian (environ 160o euros) paiera, en parité de pouvoir d'achat, encore moins : la facture mensuelle mobile moyenne n'y dépasse pas 20 euros. Difficile donc de tirer la moindre conclusion quant à un lien entre le nombre d'acteurs à se « partager le gâteau » et le prix payé par l'utilisateur. D'autant que, pour séduire un maximum de mobinautes, les opérateurs ont tendance à multiplier les combinaisons de services proposés. Ce qui rend leurs offres très difficiles à comparer. Un article du Wall Street Journal identifiait, en juillet 2013, pas moins de 700 « packages » disponibles auprès des quatre acteurs du secteur américain, et soulignait qu'au sein d'un même opérateur, les différentes offres pouvaient «se contredire entre elles». Pour Didier Rousseau, président du cabinet de stratégie Weave, « il n'y a pas de nombre optimal d'opérateurs pour le consommateur, cela dépend du moment: de l'état des investissements, de l'état de l'innovation, de la maturité du marché, d'où en est l'opérateur dans sa rentabilité... » AUDREY FOURNIER Page 8/8