LA POESIE ------- PERSANE ------- ------------

Transcription

LA POESIE ------- PERSANE ------- ------------
İS İ
c n 'l
ECHOb DE L ’ISLA M
CONFÉRENCES
ET
RÉUNIONS
SUR
LES
LA
QUESiiONS
87 S
ISLAMIQUES
POESIE
-------
PERSANE -------
------------- ET TU R Q U E
-S~
—
NOCIRIÉ HfiNIM
Causerie faite par N ourlé hanim, le 26 janvier 1922,
dans le salon de Mme Aurel, qui avait bien voulu
consacrer « l'heure du poêle » de ce jour à la littératu/re turque et persane.
Nous publierons dans nos prochains numéros les
poèmes sur la Turquie qui furent dits à cette occasion.
Mesdames, Messieurs,
Ne me trouveriez-vous pas un peu présomptueuse si je
commençais par vous dire que la littérature turque est
„.-'V.;
P m .nr;*.j*
. > i s*•î
rr.it a u s s i-
tôt à entendre que j'a i la prétention de vous la révéler.
Et pourtant je suis bien obligée de constater que les
seuls travaux qui lui ont été consacrés sont dus à des
étrangers dont l’œuvre n’a pas été traduite.
Von Hammer et Gibbs sont les seuls, en effet, qui aient
initié leurs concitoyens aux beautés de1cette littérature.
Dans cette langue française qui nous est si chère,
celle-là même où voue avez lu avec attendrissement
les Mille et Une Nuits,l’Histoire de Mlle Aiché,le Jardin
des Roses, il n’a, pas été écrit une seule ligne sur la
question qui noue occupe aujourd’hui. Si ma tâche s’ est
trouvée singulièrement accrue, du moins y vois-je une
raison de vous convier à prendre place sur la caravelle
de Colomb, pour découvrir ce nouveau monde où vos
curiosités, vos activités intellectuelles trouveront un
si fervent emploi, découvrant dans ce ciel ignoré des
étoiles nouvelles.
Vous êtes, du reste, sur la route depuis longtemps,
puisque vous connaissez comme moi l’histoire de Leylali
et de Medjmoime, las aventures du Prince Djein, les con­
tes d'Arabie. Volontairement, je mêle ces noms qui con­
fondent dans une même évocation le monde arabe, le
monde turc et le monde persan pour vous faire sen­
tir, dès l’abord, le lien indissoluble qui les unit malgré
des différences foncières de tempérament, de eouceptiomsi philosophiques -et mystiques.
Le verbe seul les a unis, le chant qui montait du
cœur die quelques hommes.
La littérature turque (car il y a une immense littéra­
ture turque pour laquelle Vous allez crier : « Terre ! »
tout à l’heure) est, bien entendu, la plus jeune des trois,
la plus proche de l’esprit d’ Occident. Elle existe depuis
six siècles, réunissant' en elle, grâce à l’esprit de con­
quête des Ottomans, tous les éléments vitaux de la pen­
sée asiatique, se courbant avec une souplesse incroyable
aux fluctuations spirituelles du monde persan,- aux lois
religieuses de l’Islam, et même de nos jours aux disci­
plines du génie occidental.
Je ne puis songer à retracer ici en quelques mots l’ his­
toire des troubles, des guerres, des bouleversements ci­
vils ou religieux d’où est sorti le premier poème turc ;
je voudrais seulement évoquer en quelques traits le
monda r.i complexe ou s ’ est éveillce cotie muse oi'ieu4 - 1/s
'•»v*’
r»
u>,n '•
+ o n t'
iln
o l L o i lo
p p io tn p
toute Muse, vous souhaitera lia. bienvenue.
A la cour des Empereurs Seidjoucides, (pii rem­
plaçaient dès le onzième siècle les empereurs de
Bagdad et dont lia souveraineté s’étendait des con­
fins de l’AraJbdie et de la Panse aux bords de la
Méditerranée, chantaient, dans des dialectes primitifs,
propres à chaque province, ,dias poètes analogues à vos
bardes du Moyen Age qui exaltaient les exploits des
Princes Seidjoucides, dans les courts moments de pros­
périté que laissaient à ceux-ci les troubles toujours plus
graves de leur puissance éphémère.
Mais l’invasion de Djenguiz-Khan au douzième siècle,
ses hordes barbares, ses dévastations immenses, le bou­
leversement qui s ’ ensuivit dans le monde oriental retar­
dèrent l ’éclosion de cet esprit turc, déjà si replié sur
soi-même et si peu soucieux de s’exprimer.
Je voudrais, du reste, que la pensée de l’ Europe s’ ar­
rêtât un instant et- réfléchit aux qualités et aux défauts
de ces Turcs. Je voudrais qu’allie »e souvienne de leur
jeunesse, de leurs luttes et de leurs efforts constants,
qu’elle considère T encerclement, incessant des moindres
élans de leurs destinées historiques. Qu’elle se rappelle
que, descendant de leurs monts asiatiques avec les Sei­
djoucides, ils trouvèrent sur leur route l’adorable, mais
déjà troublante, tendresse persane, les querelles obscu­
res et forcenées de l’Arabie, ni ¡-païenne et. mi-islamique,
la splendide dégénérescence byzantine si tentante et
corruptive, et que c’est dans ces éléments si contraires,
si divers, si hostiles entre eux, qu’ils durent équilibrer
les forces de leur race et donner une loi à leur rude
esprit. 11 faut savoir, pour bien juger les temps qui vont
venir, quel joug terrible pesa sur l’esprit de ce peuple,
de quelles secousses, de quelles luttes acharnées furent
•emplis les premiers siècles de leur histoire.
La littérature turque, nationale d’ inspiration, sinon
de forme, n’apparaît pas avant la fin du quatorzième
siècle, au, moment où l’ Empire d ’Osman s’érigeait enfin
sur les principautés d'Asie de l’empire Seidjoucides.
Pendant ce temps, la langue turque, qui se façonnait
5c=3< 88 /<=&
peu à peu, n’était pas encore parvem _ à être un ins­
trument littéraire, ce n’est donc pas à elle que les poètes
nationaux de ce temps demandèrent d’ exprimer leur
pensée., mais c ’est à la forme iranienne, à tSTpoésie per­
sane, aux moyens d’expression de cette civilisation
qu’ ils eurent recours.
L'imagination, cette fleur merveilleuse de l’esprit hu­
main, n’est pas exclusivement réservée aux Orientaux ;
ne connaissez-vous pas des âmes ¿ ’ Occidentaux qui fe­
raient pâlir d’envie Shéhérazade ? Je voudrais donc
qu’aujourd’ hui tous ceux qui m’écoutent aient cette ai­
mable faculté. Imaginez, leur dirai-j e, ce monde iranien
d’alors, ce large souffle épique qui depuis les batailles
d’ Alexandre fécondait les œuvres persanes,_ cette force
philosophique qui soulevait "les esprits iraniens sous Iâ
vaste impulsion des SoufAs, le tourment mystique et sen­
suel devenu plus âpre et plus impérieux sous Le dogma­
tisme musulman qui menaçait d’asservir l’âme aryenne
de la Perse. Imaginez, vous qui connaissez Kayam,
Sadi et Firdousi, la profonde et subtile influence que
ces Persans exercèrent sur les Turcs guerriers qui les
avaient vaincus en vain et vous n-e vous étonnerez pas
qu’ il soit impossible de détacher la poésie turque de la
poésie persane.
Et pourtant, le fond de ces deux races est si différent,
le choix même du sujet, ce sujet si caractéristique de
îéur nature intime, marque des dissemblances si essen­
tielles que les lettrés de ces pays, en lisant deux poèmes
de forme iranienne l’un et l ’autre ne peuvent se trom­
per sur leur origine, qu’il s’agisse des contemporains de
Jelaleddine Roumi ou d’un poète persianisant du dixhuitième siècle.
L’historien anglais Giibbs auquel nous devons une
classification très exacte die l’histoire littéraire turque
appelle Première Période, celle à laquelle présidera le
Mevlana Jelaleddine Roumi, dont l’œuvré évaluée
d’après des historienis très scrupuleux, à une trentaine
de mille vers ; a conquis véritablement et fixé des fron­
tières de la Chine aux ports méditerranéen®, tous les
aspects de la poésie lyrique, historique et surtaut philo­
sophique de son temps.
Mais ce premier grand poète direz-vous et les dis­
ciples-qui après lui révélèrent l'esprit de cette race,
c’est en turc qu’ils s’exprimèrent ? Non, uniquement en
persan et dans la forme persane, et l’ Université théologiique de Koniah qsua Jalaleddine Roumi a fondé en
1250, n’iensaigmait pas davantage' le turc.
Malgré tout, son génie fut si fécond, son œuvre dont
je ne citerai que les couplet® spirituels qui peuvent être
considérés comme la suite des quatrains d’OmarKiayam, et ses dialogues philosophiques du Divan, son
œuvre enfin dis-je. fut si importante, si universelle
que tout un siècle fut marqué die' son sceau.
A ce moment une antre invasion, celle de Timourlenk, Timour le Boiteux, trouble de nouveau et grave­
ment le monde turc-o-asiatique et il fallut attendre que
le bruit des batailles se fut apaisé sur les routes d’Asie
Mineure pour que Nizami essaya de rendre plus per­
sonnelle, plus intime, plus près enfin de l ’esprit
national cette littérature, -créée, pourrait-on dire, de
toutes pièces par Jelaleddine Romi.
Vers la fin du xve siècle toutefois, quand le dialecte
turc purifié, affiné par les influences persanes et ara­
bes fut définitivement adopté par la Cour du sultan
Mohammed II, à la prise de Constantinople, l ’ atmos­
phère persane qui enevelop-pait l’Orient, perdait pour
ainsi dire de son intensité et les poètes de Stamboul,
les chroniqueurs dont le témoignage historique nous est
si précieux, profitèrent de ceitte éclipse pour essayer
do mêler à leurs œuvres le simple dialecte ottoman, les
Chantres nationaux surtout qui entouraient Hussein
Baylcera, crurent commencer une nouvelle ère. A
la tête die ce mouvement, nous voyons Ali Cher-Nevaï,
successeur d’Afiz qui usait dans son fougueux lyrisme
aussi bien du persan que du turc. Eisprit libre, nature
indépendante et riche, son influence et celle de son dis­
ciple Jami fut très important jusqu’ au jour où Nafi et
Teyzi essayèrent vers le milieu du xvie siècle une nou­
velle réforme. Tout nous porte à croire qu’à ce mo­
ment, à en juger par les dons, la variété, l'originalité
même qui se découvrent dans les essais littéraires de
ECHOS DE L 'I S L A M
iS
cette époque une véritable poésie .ottomane est sur
1-e point de naître.
Ahmed Pacha -semblait être celui qui devait en
consacrer la gloire. Mais son esprit est vacillant,
malgré des lueurs de génie, malgré l’idéal constant qui
l ’exalte- et l ’abat dans ses angoissants efforts pour ou­
vrir enfin une route au génie national, mais -ses recher­
chée restent vainesi Et c’est de l’ Iran encore une fois
qu’arrive à Stamboul le souffle animateur et les Turcs
voient dans les poèmes d-e N-evaï, sous une forme écla­
tante, claire comme une eau de source, la fantaisie,
l’ardeur et le lyrisme orientaux portés à leur perfec­
tion.
Docilement, i-l-s acceptèrent, ce nouveau joug, recon­
naissant en lui le point culminant d’un mouvement
poétique qui se développait en P-arse depuis six siècles
et atteignait avec lui une beauté et une souplesse pro­
digieuses. Jusqu’au règne ¿ ’Ahmed III, la poésie de Na­
val fut la source d ’insipiration des poètes turc®. Aussi
leur œuvre est-elle faite de grâce et die subtilité, orné
de tous les- joyaux qu’inlassaMement les trésors aryens
leur envoient en somptueuses caravanes.
Gibbs -dans sa lumineuse Histoire die la littérature
ottomane écrit ces lignes au sujet -de -cette quatrième
phase qui s’ouvre au début de xviu0 siècle, dont il me
reste, à vouisi parler et qui est vraiment la période la
plus significative de Phi-staire littéraire- et morale de
mon paye. « Quand la Muse ottomane dit-il quitta se-s
ornements -d’or, s-ertis et gemmés, que te® Iraniens de­
puis des siècles tissaient pour elle-, et qu’elle revêtit le
ehialvar et l ’ entiairi turc, elle prit un air de jeunesse,
qui ma, foi lui allait bien.
Les poètes de sion temps, du réste, la trouvèrent à
leur goût. »
La Muse ottomane1, en ce siècle émouvant de l ’esprit
et de la poésie ,de sa race, paraissait,, en effet, sans
voiles, aux yeux die cés chantres, et la véritable folie
sentimentaile- et poétique qui suivit cet élan, les- raffine­
ments du règne d ’Ahmad III qui fixe- et personnifie
d’une façon intense l’évolution si soudaine du monde
ottoman furent, comme vous 1-e pensez, lie pardon et la
récompense do cette audace, l ’otti«« tirés partiernère
maint votre attention sur cette période de l’histoire tur­
que aussi bien littéraire que morale.
Le' pâle soleil d ’a,près-midi du ciel iranien ne pouvait
continuer d'éclairer Stamboul.
Cet art persan, cette admirable so-ui’C© ,où si long­
temps, géniialement dociles, les Turcs avaient puisé,
ces Turcs, dont l ’ instinct profond fut toujours de e’inolinier devant toute pensée supérieure se tarissait peu
à peu. Lentement dans ce développement séculaire,
leurs tenda,lices profondes, leur tempérament si diffé­
rent, si contradictoire même au tempérament Iranien,
par le sens de l’humanité, par la profondeur du juge­
ment, l'esprit d’observation, le- goût de l'effort enfin
qu’il révèle, s’affirmaient .et éclataient. Le® poèmes
d’allégresse, ,de liberté poétique et morale qui dès le
règne ¿ ’‘A hmed IÏI apparaissent dans l’œuvre litté­
raire turque en sont la preuve la plus directe.
Les poètes de cette- période ne savent du persan que
ce qu’ils veulent en- savoir, émaillent leur poésie, il
est vrai, de toute la -subtilité du vocable iranien, mais
tout de même appartiennent sans conteste a-u génie- de
leur race.
Cet idéal Iranien qui avait nourri ai longtemps leur
pensée, cet idéal conventionnel survlit dlans 'l’esprit,
de quelques retardataires, les autres jonglent avec tou­
tes les histoirés humaines, amours, intrigues, passions
de toutes sortes, satires, -éloges, avec un goût exquis, un
charme -sensuel, une philosophie- sereine -et sans morale
que seule l’Orient admet.
C’ est alonsi que les femmes -emtrmt dan® l ’arène...
d’ailleurs ne les sentiez-vous pas toujours là derrière
les grilles vite repoussée® de toutes les histoire® de
l’Orient ?
Depuis Meidjnoune qui a-imait Leyl-a, depuis le pro­
phète Mahommied qui, vous 1-e savez, adressait aux
brunes femmes d ’Arabie ses paroles les plus sacrées
dans l'Orient tumultueux, les croyez-vous vraiment ab­
sentes ? Et ne pensez-vous pas que- leur force véritable
est dans le mystèrel qui les voile-, alors même que pa-
^
ECHOS
DE
I.'IS L A M
>SS:
r-ées d© leurs colliers ¡parfumés, elles portent, de tribus
en tribus, les paroles de foi ou de trouble. Personnifioation évidente de cette Arabie brûlée, passionné© com­
me elles, ardentes et obstinées, des murailles de la
Chine, terme dui monde islamique, jusqu’au Méandre,
elles ont inspiré et guidé le génie asiatique.
Regardez les miniatures persanes, ces coffrets de
poésie, lisez les Mille et Une nuits, source d’énergie et
d’amour, en sont-elles absentes ? Et en ce x v i i i ” siècle,
dont je vous parle, toute la vie publique est une mu­
tuelle recherche des hommes et des femmes que sépa­
raient depuis un temps les traditions du gynécée by­
zantin.
En c© temps-là est né l'amour pour les Eaux-Douces,
que l’histoire de l’Orient connaît depuis les croisades
par Villehardouin, Eaux-Douces d’Europe et d'Asie, har­
monieuse évocation qui attendrit votre sympathie pour
l’Orient. Rives heureuses se mirant dans l’eau bleue,
expression d’un monde que vos écrivains du xix° siècle
vous ont appris à aimer... N’est-ce point là que Nédim
s ’écrie :
Tu es Beauté des pieds à la tête,
Tu ravis le cœur, tu es grâce et capnce.
Nédim, qui personnifie le raffinement souple et vo­
luptueux, ardent et délicat de ce siècle.
Certaines sociétés se maintiennent par l ’amour de
leurs traditions, où elles puisent leur force, leur stabi­
lité jusqu’à leur agrément. Ce qui caractérise la so­
ciété ottomane die cette époque, c’est la foi, et cet esprit,
chevaleresque, apanage des races repues. Cette société
que les fortunes diverses de l’Empire d’Osman rendent
toujours sur le qui-vive, se distingue par son penchant
pour la joie qu’elle sait éphémère, son goût pour les
plaisirs qu’ elle ne retrouvera, peut-être jamais, pare;que la mort arrive tôt ou tard et qu’il faut mettre à
profit les jours qu’on a à vivre.
« Le plaisir entier ne se soucie pas des promesses du
lendemain. Heureux celui qui aujourd’hui a trouvé la
créature amie ! » s’écrie Nédim.
Une ambassadrice d’Angleterre, lady Mary Montague,
que les historiens diu temps appelèrent « Lai Sévigmé
anglaise » al qui passa longtemps à la cou.)' d’Ahmed III
nous a laissé des lettres pleines d ’esprit et d’obsiervation qui sont un document des plus précieux pour 1a.
connaissance de ce règne. Elle savait regarder et voir et
ji© regrette de ne pouvoir à ce sujet vous apporte*’ la
totalité de ce témoignage de sympathie et d’intérêt. Au
sujet des femmes dont nous parlions tout à l ’heure,
laissez-mois vous citer un© de ces lettres qui rompra
avantageusement pour nous, la monotonie de ces aper­
çus historiques.
Dans une lettre à la comtesse de Mar, écrite en 1720
d’Andrinople, lady Montague dit : « Il est très rare de
rencontrer ici des femmes qui ne sont pas jolies, les
Turques ont, en général, de grands yeux noirs et le
teint éblouissant. Je puis affirmer que la cour d'Angle­
terre, qui compte, je crois, plus de belles personnes
que toutes les autres cours de la chrétienté, en renferme
beaucoup moins qü’ il ne .s’en trouve ici sous la protec­
tion de l’ambassadeur. Les Turques arrangeait leurs
sourcils avec art, et forment autour de leurs yeux un
arc d ’ ébène, qui ajoute singulièrement à la vivacité de
leurs regards. Je pense que plusieurs de nos dames
seraient enchantées que je les initie à ce secret. »
Plus loin elle ajoute :
« Quant à leurs mœurs, c’est tout comme chez nous. »
11 est matériellement impossible de dire ici les raisons
historiques, philosophiques, les évolutions collectives
ou individuelles qui firent des Turcs, en ce commence­
ment du xvui“ siècle, une des races les plus subtilement
raffinées du monde.
Cette société gardait pourtant presque intactes les
particularités de sa nature, des tendances intellectuelles
-où se manifeste son caractère facile, débonnaire, une
sensibilité qui se disperse en manifestations littéraires
et s’ extériorise en interjections passionnées. De ce genre
tour à tour larmoyant ou précieux, le poète Nédim fait
une merveille de grâce et de volubilité en lui prêtant
son âme tendre dont, les accents passionnés couvrent
le madrigal ou masquent la surexcitation voluptueuse.
Le sultan protège les écrivains, les historiens (qui,
....................
r—
^
i 89 ¡r
=>$
seuils, notons
bien, osent écrire en prose), les calligraphes, doux Part est subtil et très estimé. Son mi­
nistre Ibrahim fonde des bibliothèques, des écoles, éta­
blit l'imprimerie, fait traduire des œuvres scientifiques.
Tout ce monde aime Ja poésie de Nédim, paree que
l ’Ottoman a une sentimentalité faite de mélancolie et
dé tendre pudeur, ce qui ne l'empêche pas d’aimer
les histoires grivoises et la satire.
Un scepticisme s’y révèle aussi qui a toujours existé,
des premières tribus turques jusqu’à, nous, qui pénètre
les actes et les pensées les plus gravies comme les plus
légères et auquel vous donnez le nom de fatalisme
oriental.
Notre âme est pourtant souple, elle est emplie de ces
demi-tons du sentiment qui la sauvent de tous les excès,
mais lui enlèvent, convenons-en, certaines grandes con­
ceptions.
Mais c ’est bien à Nédim de féconder ce siècle et de
l’exprimer. En retour, il le fixe à jamais.
« Chaque jour de ce siècle est un jour de jeunesse »,
dit-il avec joie.
De même qu’il dira avec mélancolie : « Les printemps
de ce monde ne sont qu’une demi-joie. »
Et plus tard :
« Ne passe pas ô âme vagabonde telle que ma vie
[qui fuit,
Semblable à la torche des caravanes sur les chemins
[du Hedjaz.
0 mon cœur tu apparais parmi la foule des passionnés !»
Un demi-siècle avait passé depuis ces temps glorieux,
un demi-siècle pendant lequel la poésie ottoman© avait
semblé se figer, s’envelopper d’une impassibilité toute
asintimi© ‘ -’ engourdir au point qu’ il ne reste pas do
toute
xe époque un seul chant vraiment digne de
retenir notre attention, quand, en 1858, exactement,
parut le premier volume de l’œuvre de Shenassi. Sbenassi, jeune écrivain turc que Renan honorait de sa
bienveillance et dont les géniales traductions révélaient
pour la première fois tout un aspect de la pensée d ’Occident au monde oriental.
Le large souffle poétique qui, depuis la Renaissance
jusqu’ aux Romantiques les plus proches, avait exalté
1 esprit latin, animait maintenant les contemporii-iii-'
intellectuels de Shenassi.
J’aurais voulu pouvoir vous parler plus longuement
de cette émouvante époque où, d’un esprit et d’une âme
sûre, les Turcs vinrent, à vous.
Une révolution profonde, un changement immense
s’opéra de ce fait.
Les Turcs accueillirent avec avidité et enthousiasme
ces nouveaux maîtres auxquels Shenassi leur donnait
accès.
Mais ce qui doit attirer le plus votre attention, c’est
que Shenassi, et son disciple Namik-Kémai bey, s’em­
ployèrent par leurs œuvres a renouveler pour ainsi dire
la sensibilité intellectuelle des Orientaux. C’est alors
vraiment que naquit la prose turque, presque toujours
dédaignée jusque-là, sauf par les chroniqueurs, dont
elle était le seul moyen d’expression. Elle se fixa donc,
cette prose si douce, si nuancée, si riche de ses éléments
arabes et persans, si émouvante par sa couleur et sa
sensibilité.
La seule vraiment qui, par la subtilité de sa forme,
se rapproche de la prose française, connue l’esprit turc
(je le constate maintenant, après tant d’années vécues
dans le monde occidental) se rapproche plus que tout
autre de l'esprit français.
Grâce à Shenassi, les vieux Imams peuvent aujour­
d’hui lire en turc dans une excellente traduction, le « Ji
faut vous fuir Mademoiselle. », de Rousseau. Depuis plus
de cinquante ans, les classiques français, les romanti­
ques, avec leurs tendres exaltations, ont ravi, apeuré,
troublé l'esprit de mes compatriotes. Rien depuis ne
s’est écrit en France qu’ ils ne connaissent vraiment,
non plus dans des traductions, mais dans l ’original.
Le but, du reste, de cette culture occidentale, surtout
française, n’a pas été d’imiter les écrits d’ Occident,
non, ils ont demandé à l’Europe et l’ont, obtenu je
l’affirme, une manière de penser, ils ont appris d’elle
de nouvelles méthodes de travail, de critique et d’ inves­
tigation« psychologiques. Ils ont- «crapuleusement étu-
)0
------- æ
dié, à votre i n s u , ' ire mmtalitéEp'&ji
ît ai diverse
de la nôtre.
Grâce a ce contact avec l ’Occident, au caractère sou­
vent conventionnel de -l'époque d’ influience persane, a
succédé une œuvre individualiste et profondément
vivante, je ne cite que pour mémoire Kémal bey, Abdulhak Hamid bey, Ekrein beiy, Ziia pacha. Plus près de
dulhak Hamid bey, Ekre.m bey, Zia pacha. Plus près de
pacha, dont je ne puis malheureusement que rappeler
les noms ; l'œuvre féconde, pleine: de couleurs, de sève
et de sensibilité, nés de cette alliance avec 1a. pensée
européenne étant beaucoup trop importante pour que
je puisse la retracer ici.
La curiosité vive, subtile, de ces esprits, accompa­
gnée, voilée de cette circonspect ion timide qui peut-être
déroute un peu l ’Occidental, leur connaissance de votre
monde, leur chagrin, leur amertume surtout de ne ipas
être connus de vous, ou de l’être souvent sou® un jour
peu, favorable, mérite que vous preniez la peine de dé­
couvrir les Turcs et de les aimer. Aimer leur monde
de poésie, les sources chantantes de leur sensibilité qui
n’est pas si loin de la vôtre.
Et puisque Mme Aurel m ’ assiste de sa grâce et de
sa subtile volonté, laissez-moi espérer que jamais plus
tous ceux qui .m’ écoutent ne diront ces paroles que nous
avons médamcoliquememt généralisées :
AU
M. Paul Franck analyse le côté sentimental de la
question égyptienne ; M. A.-J. Kayser, après en avoir
dégagé le cote économique ,répondant à un interrup­
teur, oppose deux politiques : l’anglaise, qui consiste
a dominer par la force ; la politique humaine, qui con­
siste a défendre la liberté des peuples en garantissant
leur indépendance : c ’ est celle-là que la France doit
suivre, IJ est très applaudi, ainsi que M. Thumen qui
montre ce que les diplomates ont. fait du droit des’ peu­
ples a disposer librement d’eux-mêmet».
N ouryé.
LES
G.E.D.E.S.
La dernier« séance, consacrée aux questions islamiques, débuta par un copieux et éloquent exposé de
M. A.-O. Duchemin qui traita de la question de l’ Inde,
bon argumentation, que les auditeurs suivirent avec
intérêt et facilité, fut vigoureusement applaudie
M. Duchemin fit. l’ historique de la lutte entre l’Inde et.
1 Angleterre, montra la gravité de la crise actuelle dé­
gagea l ’eminente personnalité de Gandhi et conclut en
montrant l ’ampleur du mouvement hindou et en ana­
lysant les solutions possibles.
Après lui, M. Boubli fît avec un succès considérable
1 expose de la question égyptienne. L’assemblée fut très
impressionnée par les faits qu’il rappela avec impar­
tialité, émotion et vérité. 1.’Egypte est un peuple mûr
pour 1 indépendance. Cette indépendance, il l’obtiendra
foi ou tard. Et M. Boubli montre par des exemples projétion qUe 1 Egypte est digne de vivre libre de toute su-
« Madame, comment peut-on être Turc ? »
Açrr-
ECHOS DE L 'I SL A M
?;
O 1
' '~aire*;hLS V y
l«a»
V.*v’ a
Dans notre numéro du 15 mars, notre correspondant
de Smyrne informait nos lecteurs qu'une souscription
secrète avait été ouverte parmi la population orthortnxo de Smyrne, sons l'instigation
du métropolite
Chrijsostome. Nous sommes heureux aujourd'hui de
pouvoir publier la traduction du texte de ladite circu­
laire dont l'original se trouve entre nos mains, signé
du métropolite en question. Voici cet appel :
« Honorable monsieur,
« Il est sans doute à votre connaissance que, en vue
de soulager les familles sans ressources des mobilisés
de Smyrne et des environs, lesquels versent leur sang
pour la, patrie hellénique et dont nous sommes si fiers,
il a été formé sous ma présidence, un comité dont ie
but est de réunir des sommes fixes, payables en une
seule fois et par mois.
« Beaucoup de nos compatriotes ayant été convoqués
soit, de vive voix, soit par écrit, ont répondu à notre
appel et ont souscrit généreusement à notre œuvre.
« Jusqu’à ce jour il a été souscrit une somme dépas­
sant les 20.000 livres turques, mais elle, forme à peine
le quart de la somme qu’ il nous faut pour couvrir les
besoins urgents des familles des mobilisés.
" Comme la lutte continue en Asie Mineure, les char­
ges de mon comité se multiplient tous les jours ; j ’ai
donc conseillé ce qui suit aux membres du comité : 'me
basant sur la situation aisée dont vous jouissez et comp­
tant également sur votre générosité, nous avons trouvé
bon de décider quie Votre Honorabilité devra, verser eu
une seule •fois à notre comité la somme de 50 livres
turques, lesquelles nous vous prions d ’envoyer à notre
président de Smyrne. De plus chaque mois vous aurez
à verser la somme de 5 livres turques et cela à partir
du l ei janvier 1922. Ces sommes devront être remises
soit à l’encaisseur du comité, soit à celui de la Banque
Nationale de Grèce, sur présentation de sa part.
h Nous vous prions instamment d’accepter notre pré­
sent appel et d’envoyer d’urgence le montant demandé.
h Nous avons cru bien faire de vous adresser cette
demande par lettre, évitant ainsi de vous déranger
•dans vos occupations par une visite de notre part »
w
- . «_
vi
UEC DE S M Y R N E
I) autre peut, nous recevons de notre correspondant
de Smyrne les informations suivantes :
viÎm “ i C<Vmté Ae la défense micrasiatique grecque »
Inafnlin
s,0,u'“
mpnt dans la mail,a,/,......
’ r ? a • , 1 , Vwimdoa d îrréguliars, composées de Grecs
Less V 6pliu<ils
trouvpnt quelques mercenaires Tclierkess et cas bandes sont chargées de semer la terreur
*°,us k* villages turcs. Las bandits pénètrent de
force dans les maisons et magasins et, sous les pires
• m î „ ac.®s’ demandant des rançons. Des officiers de l’a,rmee régulière, mars uniquement vénizélistes aceom ■
pagnent les bandes, déguisés en simples soldats afin
de contrôler les vols. 30 0/0 du butin sont concédés aux
bandes et 70 0/0 sont envoyés à Smyrne, au Comité de
la defense micrasiatique.
La plupart de ces bande® opèrent dans les environs
de Pergame, Ak-Hissar et Kirk-Agatch.
. Un n°uvel exode des populations turques de l’intéSmyrne est signüé. Ces nialheureux se t.ouments
ame'5 et Presque dépouillés de tous vètoLe Comité de la défense micrasiatique est en étroites
relations avec le Phœnar de Constantinople. C’ est un
pi et i e habitant Boudj a, près Srnyme, d’origine crétoise et nommé Jacob Arclianzakis qui va à Cons tanÎÀ11?^ 1.0 P tondre les instructions du pseudo-patriarche
Meietios Metaxakis. Voilà ce qui se passe au moment
r J i con;f,e™Ilc® do Paris vient de proclamer haute­
ment son désir de voir la paix se rétablir en Orient.
.Nous attirons très sérieusement l’ attention de l’onisur ce fo yer d’intrigue® que représente
la Métropole grecque de Smyrne et sur les consé­
quences, désastreuses pour le rétablissement de la paix
en Orient, qui pourraient résulter de la continuation
de ces menées, si les gouvernements alliés n’ v met
tarent promptement bon ordre.
On mande d’autre part de Smyrne qu’ un grand
nombre de Grecs, sujets ottomans protestent contre les
décisions du commandement hellène de créer un mou­
vement miicaiasiatique.
La plupart d'entre eux se prévalent maintenant de
leur sujétion ottomane et refusent de pactiser à ladite
organisation.
‘
Des mesures arbitraires ont été prises par la police
et la gendarmerie grecques.
Taha Toros Arşivi
*
0
0
1
5
8
4
5
7
7
0
1
0
*